« Bio, c’est une mentalité »

Maud Bellayer est une maraîchère bretonne qui distribue des paniers de légumes de saison dans les écoles à proximité de sa ferme. Cultiver en bio est pour elle une démarche globale.

Qu’est-ce qui vous a amené à devenir maraîchère?

J’ai un long parcours de saisonnière dans les Hautes-Pyrénées. J’ai aussi suivi une année de naturopathie. Le bien-être est quelque chose d’ancré chez moi. Pour des raisons personnelles, je n’ai pas pu continuer dans ce domaine. Après, j’ai été employée en tant que gardienne de troupeau, dix ans dans les estives. Une vie très authentique avec des animaux en pleine santé, qui vivent dehors. Depuis je suis végétarienne.

Pendant ces années-là, j’ai aussi passé un BPREA, c’est un brevet de responsable d’exploitation agricole qui donne le droit de s’inscrire en tant que chef d’exploitation et de bénéficier des aides de la Chambre d’Agriculture. À ce moment-là, je songeais surtout à l’élevage étant en région de montagne. Mais je voulais me rapprocher de ma région d’origine, la Bretagne. J’ai donc basculé dans les métiers du bien-être. J’étais animatrice sportive en fitness, esthéticienne et masseuse dans un spa. Ensuite, j’ai rencontré Laurent, mon chéri, qui est exploitant et maraîcher depuis vingt ans et sur trois générations. Il est né dans cette maison-là, il a racheté et c’est devenu son exploitation. J’ai eu envie de m’investir dans le maraîchage. J’ai démissionné de mon travail et on a eu un enfant ensemble. Par la suite, il y a eu le développement des paniers avec la cantine scolaire. Depuis l’hiver dernier, j’ai commencé à faire mes semis. Je travaille avec une entreprise qui s’appelle Agrosemens, avec une vraie éthique bio. D’ici l’an prochain, je vais m’installer en tant que maraîchère en bio pour développer la vente directe.

«Dans le bio, on laisse la vie faire.»

Quelle est la différence entre l’agriculture biologique l’agriculture conventionnelle?

Le bio implique qu’il n’y a pas de traitement chimique ou alors un traitement homologué bio et d’origine végétale. L’organisme Ecocert contrôle que l’on respecte bien la charte pour avoir le label bio. On doit payer pour avoir la certification et respecter le cahier des charges bio. Moi j’utilise le compost de mes poneys alors que Laurent achète à un éleveur en bio la fiente de poule. Tout doit être bio, depuis le plan jusqu’à la récolte. Cela nécessite plus de main d’œuvre car le désherbage se fait à la main contrairement au conventionnel où tu peux mettre un produit qui détruit tout sur son passage. Le bio nécessite la rotation des cultures. Ça veut dire qu’après une culture, on ne va pas continuer à cultiver cette terre. On va mettre un engrais vert pour lui donner à manger comme du fumier. Ce qui est très utilisé, c’est le couvert végétal. Tu plantes des féveroles par exemple, une racine qui fabrique de l’azote dans le sol. En bio, tu as donc besoin de plus de terres en surface à exploiter, afin de ne pas appauvrir les sols. Il y a une démarche engagée dans le bio : on laisse la vie faire.

C’est quoi la « haute valeur environnementale » ?

C’est une certification créée en 2012 par le législateur et qui fait beaucoup de mal au bio. Théoriquement, ce serait un juste milieu entre le bio et le conventionnel. Sauf que ça n’empêche pas de mettre du Roundup. C’est une supercherie, et les gens ne le savent pas. Il existe aussi le maraîchage bio intensif où tu produis beaucoup. Par exemple, tu peux faire entre mille, deux mille choux ou poireaux par jour que tu vas livrer dans une coopérative, qui revend aux supermarchés. Je dis ça pour défendre le bio parce que j’en ai marre d’entendre que le bio est cher. Il est cher quand il y a des structures qui doivent employer, qui ont des petites surfaces et qui doivent amortir tous leurs emprunts là-dessus.

Pourquoi le choix de la vente directe?

La vente directe permet de limiter les intermédiaires et d’avoir un contact direct avec les clients. C’est aussi le plaisir de savoir où vont mes légumes, savoir à qui ils profitent. Le circuit-court, c’est une garantie d’un produit frais, sain, nutritif, qui ne sera pas ballotté dans un camion, dans des frigos, en chambre froide. C’est montrer aussi la saisonnalité. On ne mange pas des tomates en hiver, sinon elles ont été chauffées à bloc et sûrement avec des produits chimiques. On peut congeler, mais il faut arrêter avec les envies du moment qui ne sont pas de saison. C’est aussi faire découvrir des nouvelles saveurs, mais surtout des produits qui n’ont pas la cote. Pour que les gens se réconcilient avec des légumes oubliés où des légumes qu’ils ne savent pas cuisiner.

À six mois de grossesse, j’ai décidé de planter des fraises.

Comment se sont organisés les partenariats avec les entreprises locales?

À six mois de grossesse, j’ai décidé de planter des fraises. J’en ai planté six cent plants qui ont donné dès la première année. Laurent ne voulait pas les laisser se perdre et puis il a trouvé cet article sur Manu, chef cuisinier dans une cantine scolaire. Je l’ai contacté et il m’a dit «carrément». Le courant est passé et on a fini dans le journal. Après les fraises, il y a eu les légumes. Je voulais développer l’idée des paniers de légumes. Il m’a donné le contact de la représentante des parents d’élève. Saint-Jouan-des-Guérets, ça a été l’autoroute du bonheur, j’ai été super bien accueilli par le maire. On travaille aussi avec le CFA grâce à Manu. Après, on a proposé aux écoles de Saint-Père. J’ai décidé de démarcher tous les gens qu’il y avait autour de chez nous, les commerces, les maisons médicales, l’office notarial. Ma cible est là, les gens actifs qui ont envie de faire attention à leur santé.

Aujourd’hui, on envisage de passer à la vente en gros pour la restauration, les foodtrucks, mais aussi les particuliers, avec la contrainte de prendre 10 kg de patates, 10 kg d’oignons. Pourquoi pas les étudiants qui galèrent aussi. On a l’idée de distribuer des paniers gratuits avec des flyers aux entreprises. Comme ça ils font ce qu’ils en veulent et si ça leur plaît ils nous rappellent.

Propos recueillis par Margaux Kergus et Juliette Choquet

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De quelques jours à plusieurs semaines, les journalistes et photographes de Grand-Format s’immergent dans un établissement scolaire, une médiathèque, une ville... pour y mener des ateliers d’éducation aux médias et un travail journalistique. Avec des jeunes et des moins jeunes, nous construisons ensemble ces éditions spéciales de Grand-Format issues de ces résidences.