A la soirée galette de Reconquête

Publié le 25 janvier 2024

En campagne pour les Européennes de juin 2024, le parti Reconquête d’Eric Zemmour a fait étape à Ouistreham, pour la seconde fois en deux mois. Accueillis par un petit groupe de manifestants, les militants avaient rendez-vous pour la «soirée galette» avec Guillaume Peltier, vice-président du parti d’extrême droite.

Mardi soir, 18h45 devant la Grange-aux-Dimes à Ouistreham (Calvados). Dans le vent et la nuit, les invités se hâtent de parcourir les derniers mètres derrière les barrières de sécurité avant d’accéder à la salle. Une cinquantaine de manifestants scandent à leur adresse: «Nous sommes tous des enfants d’immigrés!» Et invectivent: «C’est par ici les fachos!». À l’entrée, un militant contrôle la liste des invités. Pour assister à la réunion publique de Guillaume Peltier, vice-président du parti Reconquête, il fallait s’inscrire, payer 18 euros le repas-galette et recevoir ensuite l’adresse demeurée confidentielle. Enfin… «On a été prévenu de leur présence hier, s’excuse Pascale Deutsch, en pointant les manifestants. On a beau verrouiller, il y a toujours des fuites.» Cette soixantenaire énergique est conseillère municipale dans l’équipe de la majorité à Ouistreham et déléguée départementale du parti Reconquête. C’est à elle que l’on doit le passage à Ouistreham de l’équipe de campagne d’Eric Zemmour.

Ouistreham, terre d’accueil?

Le 6 décembre 2023 déjà, Marion Maréchal, tête de liste Reconquête, est venue à Ouistreham, accompagnée de Nicolas Bay, député européen Reconquête et conseiller régional de Normandie. La conférence de presse aurait dû avoir lieu devant le campement des migrants, le long du canal. Mais la présence de manifestants «provocateurs» a contraint la candidate à rester sur l’autre berge pour fustiger «les associations pro-migrants qui attaquent l’État et reçoivent de l’argent public». Et pour cause. Le 1er décembre, le Conseil d’État, saisi par un collectif d’associations de soutien aux migrants, a rappelé à la Préfecture et au maire de Ouistreham, Romain Bail, l’obligation d’équiper d’un accès à l’eau et aux sanitaires ce campement occupé par plus d’une centaine d’exilés soudanais. Un nouveau revers pour le maire dans sa bataille contre les «promigrants» qui remonte à l’arrivée des premiers exilés en 2016.

La présence de Pascale Deutsch au sein de la majorité municipale – le 6 juin 2023, elle envoyait une invitation pour les commémorations en sa qualité d’élue et de déléguée Reconquête, avant de renoncer à l’étiquette politique devant l’émoi provoqué – et la polarisation autour de la question des migrants, fait de Ouistreham une terre accueillante pour Reconquête. D’autant que le maire, à la dernière présidentielle, a parrainé Eric Zemmour. Non pas par conviction pour ses idées, a précisé l’édile, ex-LR qui a rallié Horizons (le parti d’Edouard Philippe) en 2021, mais par devoir démocratique. « Éric Zemmour, alors très haut dans les sondages, pouvait ne pas concourir à la présidentielle. Ce n’est ni plus ni moins que jouer mon rôle de le parrainer, sans adhérer aux idées ni au parti d’Éric Zemmour, expliquait-t-il à France Bleu en octobre 2022. Moi, j’ai eu le courage de faire ce que beaucoup de collègues maires n’ont pas fait. » Mais pour les militants réunis à la Grange-aux-Dimes ce jour-là, il n’y a pas de doute : « Romain Bail est avec nous, il se bat très bien ici à Ouistreham. Il ne peut pas se montrer pour des raisons électoralistes, mais il partage nos idées. » L’élu n’est pas là pour confirmer ou contredire.

Républicains convertis, orphelins politiques

Près de 150 personnes sont attablées devant l’écran géant qui diffuse à présent un message vidéo de Marion Maréchal. Elle est en route pour Bruxelles où elle va rejoindre les agriculteurs devant le Parlement européen. Eric Zemmour, lui, est en meeting à Montpellier. Reconquête bat la campagne pour les Européennes et Guillaume Peltier est fier d’annoncer le dernier sondage Ifop qui place son parti devant LR avec 7% des intentions de vote. Le vice-président de Reconquête est un ancien Républicain et ils sont nombreux dans la salle à «incarner la droite dure qui a quitté LR quand le parti a basculé du côté de la Macronie», m’explique un militant de la première heure. D’autres viennent du RN, certains étaient des «orphelins politiques» qui ne se retrouvaient nulle part avant la naissance du parti. «J’aurais pu rester confortablement dans mon siège de LR, raconte Guillaume Peltier à son auditoire. Marié, cinq enfants, député et conseiller départemental, il ne me manquait rien. J’étais dans la voiture avec mon fils, Louis-Marie, et je lui ai demandé de mettre le discours d’Eric Zemmour. Et là, j’ai été bouleversé. Qu’un juif berbère venu d’Algérie nous dise: «c’est notre survie qui est en jeu», et nous montre le chemin pour nous sauver.»

L’auditoire est assez âgé, mais il y a aussi quelques jeunes recrues. Une photo de la basilique de Lisieux se déploie sur une grande banderole de la délégation départementale, accrochée aux murs de pierre de la bâtisse. Les convives ont pris place sur les tables alignées, où sont posées bouteilles de vins rouge et gâteaux apéros. Les délégués de chaque circonscription font le tour des tables pour se présenter. On entend toujours les manifestants « islamogauchistes » chanter dehors. Les hommes du GSR, le groupe de sécurité de Reconquête – des quadras au look de hipster biker et des jeunes Génération Z (le mouvement des jeunes avec Zemmour) au profil plus attendu (cheveux ras, bonnet noir, tenue kaki) – font des allers et retours entre la salle et la rue, où ils s’entretiennent avec la gendarmerie, qui tient à distance les manifestants. À l’entrée de la salle, deux jeunes femmes tiennent une cagnotte au profit du GSR.

«Voulez-vous une Europe LGBT et Woke ou une Europe des valeurs et de la civilisation?»

« Est-ce que vous voulez que l’Europe de demain soit islamiste ? », lance Guillaume Peltier. « Non !!! », hurle l’assemblée. « Pourtant tout le démontre, poursuit l’orateur. Savez-vous combien d’étrangers entrent en Europe chaque année ? 4 300 000 ! Et combien de bébés européens naissent ? 3 900 000 ! C’est la démographie qui fait l’histoire. Dans quelques décennies nous ne seront plus majoritaires sur notre propre terre. » « Grand remplacement ! », crie un militant. L’auditoire est réactif. Certains noms soulèvent la réprobation générale comme Bruno Le Maire, Valérie Pécresse ou Ursula von der Leyen, la présidente de la commission européenne. « Voulez-vous une Europe LGBT et woke ou une Europe des valeurs et de la civilisation ?, continue Guillaume Peltier. Vous savez qu’à la Commission de Bruxelles, ils veulent supprimer le terme Noël : il ne faudrait plus dire vacances de noël, mais vacances d’hiver ! » Rires et huées dans la salle.

Après le discours très énergique du vice-président, c’est le tour des questions-réponses avec le public. Un participant se lève: «Mon vieux copain agriculteur a vu mon autocollant Reconquête sur le frigo. Il m’a dit: ah moi je vote RN. Qu’est-ce que je peux lui dire pour le convaincre de nous rejoindre? » Guillaume Peltier brandit ses trois arguments: «Un, Marine Le Pen dit que l’islam n’est pas incompatible avec la République. Deux, le RN ne veut pas toucher au RSA et nous, l’assistanat, on en a marre. Trois, crédité de 27% des intentions de vote, le RN est certain d’avoir des députés, tandis que nous devons atteindre 5 % pour être représentés au Parlement européen.» Pour ceux qui n’ont pas noté, ses deux jeunes assistantes feront des fiches à retrouver sur le site internet. Du matériel de campagne.

Interpellé sur le RSA, Guillaume Peltier, conseiller départemental sur le canton de Chambord, a fait ses comptes: «un tiers de vrais assistés, un tiers de fainéants et un tiers de fraudeurs». Des chiffres encore: «Sur les 11 milliards que nous donnons à Bruxelles, combien vont aux Frères musulmans?», apostrophe un militant. «Un million à l’université du Hamas et 1 100 000 000 à l’ensemble des forces palestiniennes», répond Guillaume Peltier. Le militant en reste bouche bée. «La question de l’islam est fondamentale, martèle l’élu. C’est celle du voile, de l’abaya, du jihad, de la nourriture halal qui s’impose partout.» Dernière question avant la galette: «Si vous remportez la majorité au Parlement européen, quelles seraient vos premières mesures?» Réponse du porte-parole de Reconquête: «On supprime la commission de Bruxelles, on rétablit immédiatement les frontières et on coupe tous les financements aux lobbys LGBT.» Son «petit plaisir personnel», tient-il à préciser sur ce dernier point. À la suite de quoi personne dans la salle ne s’est étouffé avec la galette.

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