Créée en 2013 à Hérouville-Saint-Clair, l’association La Voie Difficile (LVD) lutte contre la précarité et l’exclusion sociale. À travers des maraudes, des distributions de colis alimentaires et des initiatives humanitaires, elle vient en aide aux plus précaires à Caen et en Afrique.
Il est 19 heures, ce lundi 4 mars 2024, lorsque presque 80 personnes sans-abri et parfois sans-papier patientent sous le pont situé à proximité de la gare de Caen. Malgré une température extérieure avoisinant les cinq degrés, tous sont déterminés à attendre de recevoir un repas chaud.
Mais ce ne sont pas les seuls à braver le froid puisque cinq bénévoles, aux gilets verts phosphorescents, s’affairent à l’installation des étales de produits alimentaires. Au sein de La Voie Difficile, les bénévoles constituent le cœur battant de l’organisation. Ils consacrent généreusement de leur temps et de leur énergie pour venir en aide à ceux qui sont dans le besoin.
Grâce au bouche-à-oreille, les jeunes hérouvillais à l’origine de l’association ont vu que de plus en plus de volontaires les rejoignaient progressivement. Désormais, ils sont 175 bénévoles, majoritairement âgés entre 17 ans à 35 ans. « Ce qui attire les bénévoles, c’est le combat contre la précarité qui est de plus en plus prédominant dans nos sociétés, mais aussi le fait que dans l’association, il n’y a pas d’engagement contractuel, c’est-à-dire que les bénévoles participent aux actions qu’ils souhaitent et quand ils le souhaitent », déclare Jamal Aglaw, chargé de développement au sein de l’association.
Plusieurs maraudes par semaine
Commence alors la maraude nocturne où Mehdi, bénévole depuis dix ans et brancardier au CHU de Caen, accueille chacun des bénéficiaires présents. « Chaque maraude est une expérience humaine incroyable. C’est l’occasion de rencontrer des personnes extraordinaires et de prendre des nouvelles de ceux qui viennent depuis des années. Ce n’est pas facile la vie donc si on peut s’entraider, c’est avec grand plaisir », confie-t-il avec enthousiasme.
Des maraudes comme celle-ci, l’association en organise le samedi matin, le dimanche et le lundi soir. « Tous nos plats sont chauds et faits maison. On y met des pâtes, du riz, du poulet, etc. On essaye de changer régulièrement », explique Bilal, bénévole depuis dix ans, qui, un jour, « a commencé les maraudes et ne s’est jamais arrêté depuis ». L’association collecte également des denrées alimentaires dans certaines grandes surfaces. « Ça arrive généralement une fois par semaine, en fonction des arrivages et de ce qui est proche de la date de péremption. » Au total, ce sont 31 000 repas servis chaque année et des distributions alimentaires organisées du lundi au samedi, sans exception.
La convivialité comme mot d’ordre
Sur place, la bonne ambiance qui règne en cette soirée d’hiver saute aux yeux. « On sait qu’avec l’inflation, ce n’est pas toujours simple pour ces personnes de se nourrir. Beaucoup ont honte de ça, alors qu’ils ne devraient pas. C’est pourquoi on garde toujours le sourire lors des distributions », affirme Bilal.
Du côté des bénéficiaires, l’aide de l’association leur est essentielle. C’est le cas de Cynthia*, une femme sans-abri, qui confie que l’aide apportée par l’association lui a redonné espoir en des jours meilleurs. « Sans leur soutien, je ne sais pas où je serai aujourd’hui », avoue-t-elle avec émotion. « Le simple fait de savoir qu’il y a des gens qui se soucient de nous, ça change tout. »
« Le simple fait de savoir qu’il y a des gens qui se soucient de nous, ça change tout. »
Philippe*, la cinquantaine, abonde dans le même sens. « Ces maraudes sont une bouée de sauvetage pour beaucoup d’entre nous », affirme-t-il. « Elles nous rappellent que nous ne sommes pas seuls, que nous avons quelqu’un sur qui compter. Et même si je ne suis plus SDF désormais, je continue de venir plusieurs fois par semaine pour revoir mes amis de la rue et les bénévoles qui sont d’une gentillesse sans nom. » Quant à Souleymane*, 25 ans, assister à cette maraude, c’est tout nouveau pour lui : « Je suis arrivé à Caen depuis quelques mois et je dors sous une tente, ce n’est pas facile tous les jours. Venir à leurs maraudes me permet d’avoir du contact humain et de quoi me nourrir. »
LVD compte environ 600 bénéficiaires sur l’agglomération caennaise. Ces derniers peuvent venir aux distributions alimentaires et aux maraudes ou alors contacter directement l’association sur ses réseaux sociaux. « Nous organisons aussi, tous les derniers samedis du mois, une distribution de colis alimentaires directement dans notre local, situé au 138 rue de l’Église, à Hérouville », explique Jamal Aglaw. « Chacun vient se servir librement, on ne juge pas les gens afin qu’ils puissent garder leur dignité et leur anonymat. »
L’obligation de l’aumône pour tout musulman
Tout commence en décembre 2013, lorsque Jérémie Jarosz, président de LVD, et deux amis à lui participent à un baptême à Caen. « Il y avait plus de nourriture que nécessaire. Alors les fondateurs ont décidé de la distribuer aux sans domicile fixe devant la gare de Caen », raconte Jamal Aglaw. « Ils ont tout mis dans des barquettes, ils ont pris une table pliante, des thermos de thé et de café et se sont installés à proximité de la gare. Une soixantaine de SDF étaient présents. » Les trois amis et d’autres proches décident alors de recommencer les lundis qui suivent. « On investissait 10 euros chacun. Ensuite, on faisait des sachets qui comportaient généralement un sandwich, une bouteille d’eau, une pâtisserie et un fruit », se remémore Jamal.
Cette volonté d’aider autrui ne vient pas de nulle part. « Dans la sourate 90 verset 12 du Coran, il est indiqué que la voie difficile, ou le droit chemin, impose l’aumône aux plus démunis. La « zakat » : une obligation pour tout musulman, nous ne pouvons pas nous coucher le ventre plein alors que notre voisin a sauté un repas. »
LVD s’est aussi engagée à l’international où elle a creusé 163 puits au sud du Sénégal. Bien que l’association ne fasse pas d’actions d’urgence, elle a mobilisé une équipe de jeunes volontaires pour partir, en septembre 2023, pendant le séisme au Maroc. « Nous avions réussi à mettre une centaine de personnes à l’abri en leur fournissant des tentes, des duvets et de la nourriture. »
De plus en plus d’étudiants
Mais depuis quelques années, l’association aide un nouveau public auquel elle ne s’attendait pas. « Avec l’inflation et le Covid, on ne peut se permettre de diminuer le nombre de nos actions puisque le profil de nos bénéficiaires se diversifie de plus en plus. Par exemple, maintenant, nous avons beaucoup d’étudiants qui peinent à se nourrir. C’est la catastrophe pour eux », explique Jamal. « Depuis peu, nous organisons des distributions alimentaires sur les campus universitaires tous les samedis. » Il ajoute : « Mais on n’a jamais assez de nourritures, car nous n’avons aucune subvention, et parfois, nous sommes gênés, parce qu’on ne sait pas quoi dire aux étudiants quand on n’a plus de colis alimentaires de disponibles. »
« On ne sait pas quoi dire aux étudiants quand on n’a plus de colis alimentaires de disponibles. »
Finalement, après onze ans d’existence, La Voie Difficile n’a jamais eu autant de demandes de la part d’étudiants en détresse financière. « Nous sommes inquiets, car la précarité étudiante ne cesse d’augmenter », s’alarme Jamal. « On sera là pour aider, le temps qu’il faudra, même si nous savons pertinemment que cette précarité n’est pas près de diminuer.»
*Noms d’emprunts
Carla Della-Vedova