Hébergement d'urgence : 24 heures pour plier bagage

Publié le 24 avril 2024

Une quarantaine de familles d’un centre d’hébergement d’urgence à Mondeville ont été évacuées le 17 avril vers des hôtels en Normandie. Le bâtiment, propriété d’un bailleur privé sous contrat avec l’Etat, compromet la santé et la sécurité de ses occupants, selon la préfecture. Les familles ont appris leur déménagement la veille.

Mardi 16 avril, à l’heure de la récré à l’école de Tilleuls, à Mondeville. Yasmine* se met à pleurer. Elle ne reverra plus ses copains ni sa maitresse. Elle doit «déménager demain», explique-t-elle à sa maitresse. Yasmine est l’une des dix élèves scolarisés dans cette école élémentaire, cinq autres à la maternelle, qui habitent à quelques centaines de mètres dans l’ancienne maison de retraite «La Feuilleraie» reconvertie en logements d’hébergement d’urgence. Ce matin, sa famille a reçu un message de l’assistante sociale qui les suit.

C’est une magnifique bâtisse aux allures de manoir qui fut autrefois le « château » du directeur de le Société métallurgique de Normandie. Quand la maison de retraite a fermé, la société immobilière d’Erwan Laborie l’a rachetée en 2014. Et en 2016, la même société, associée à la SARL « Un toit pour tous » de Jean-Olivier Collin, a remporté le marché public de l’hébergement des sans-abris dans le Calvados. Le deal passé avec l’État consistait à ouvrir immédiatement 500 places d’hébergement d’urgence, pour remplacer les nuitées d’hôtel, avec accompagnement social, moyennant une rémunération annuelle de près de trois millions d’euros.

C’est ainsi que la trentaine de chambres de «La Feulleraie» ont été transformées en logements pour accueillir des familles entières. Pour augmenter la capacité d’accueil, le propriétaire a aménagé les combles, le sous-sol et le hall d’accueil. Depuis 2016, plus d’une centaine de familles, de toutes origines, y habitent. La plupart sont des déboutés du droit d’asile et des étrangers en attente de renouvellement de leur titre de séjour, qui n’ont pas accès aux aides au logement. Les enfants sont scolarisés dans le quartier.

«Les tuiles tombent, les plafonds s’effondrent»

Les conditions de logement sont précaires. En 2018 déjà, la municipalité de Mondeville avait interpellé les services de l’État. Les conclusions de l’inspection ne signalaient aucun problème, mais des travaux avaient néanmoins été engagés par le propriétaire l’année suivante. Insuffisants a priori. « La bâtisse ne nous supporte plus », ironise une habitante.  Ces derniers mois, la situation est devenue très préoccupante : « Les tuiles tombes, les plafonds s’effondrent. Nous avons des coupures d’électricité à répétition. En plein hiver, ça a duré vingt jours, sans chauffage ni eau chaude. »

La préfecture du Calvados a donc décidé d’ordonner l’évacuation du château. « Il semble qu’une visite de la commission sur les établissements recevant du public, qui dépend de la ville, a tiré la sonnette d’alarme en février dernier », explique Joel Jeanne, conseiller municipal à Mondeville et conseiller départemental. Les services de l’État ont constaté sur place « des logements présentant des risques pour la santé et la sécurité des personnes accueillies : coupures intempestives du chauffage et de l’électricité, présence d’humidité et de moisissures, insectes, risques d’incendie dans certains logements. »
Des injonctions ont été adressées au propriétaire, non suivies d’effets.

À droite, Jean-Olivier Collin, dirigeant d’Un toit pour tous, le 17 avril à la Feuilleraie.

Les assistants de service social, qui sont chargés d’accompagner les familles, étaient forcément au courant de la situation. Mais ils sont aussi employés par la société Un toit pour tous, co-titulaire du marché avec la EIRL Laborie. L’un d’eux, rencontré la veille du départ sur les lieux, explique qu’il suit 25 à 26 familles. Il ne peut pas parler. Son employeur, Jean-Olivier Collin, s’exprimera sur France 3 le lendemain : « La Préfecture a très bien fait son travail ». Ira-t-elle jusqu’à rompre le contrat avec ces deux entrepreneurs ? La préfecture n’a pas souhaité répondre.

Voisins, parents d’élèves et copains d’école sont venus soutenir les familles avant leur départ.

24 heures pour plier bagages

Mercredi 17 avril au matin, trois camionnettes des sauveteurs secouristes et leur équipage en rouge sont venus aider les habitants à charger leurs valises. Direction : des hôtels à Ifs à quelques kilomètres pour les plus chanceux, à Lisieux, Tourlaville ou Mont-Saint-Aignan…


Rina*, originaire de Mongolie, vit ici depuis huit ans avec sa fille, scolarisée à l’école des Tilleuls. Elle souffre d’une pathologie lourde, qui lui impose un traitement par dialyse. Dans sa chambre, elle dispose d’un fauteuil et d’un appareil de dialyse assez imposant. Par chance, elle a décroché un billet pour Ifs. Elle pourrait prétendre à un logement social, mais son titre de séjour est en attente de renouvellement.

De santé fragile, Rina s’inquiète de devoir partager les toilettes et la douche dans son nouveau logement.

Rebecca*, sa voisine, est débordée. Avec ses trois enfants en bas-âges, elle essaie de faire des valises. Elle doit partir pour Mont-Saint-Aignan et se demande si les petits seront en vacances à la fin de la semaine comme à Caen, ou s’ils doivent reprendre dès lundi dans une nouvelle école. À côté encore, une mère et ses quatre enfants, dont un en fauteuil roulant. « L’hôtel, ce n’est pas fait pour vivre avec des enfants », soupire-t-elle. Il y a aussi Ahmed* un jeune plombier chauffagiste qui a grandi ici. Il a un CDI, mais pas de papier… On l’envoie à Rouen, mais il ne veut pas partir. Il craint d’être très vite délogé de l’hôtel.   

Les enfants de Rebecca ne comprennent pas pourquoi ils doivent changer d’école. Jeudi, c’était le jour du carnaval.

 « Personne n’est forcé à partir », a tenu a rappelé aux habitants Stéphane de Carli, directeur du pôle « Hébergement et immigration » de la direction départementale de la cohésion sociale du Calvados, et représentant de l’État. Mais « ceux qui restent seront considérés comme des squatteurs », ont prévenu les assistants de service social la veille. Certains habitants disent avoir eu d’autres consignes de la part de leur propriétaire, Erwan Laborie. « Il nous a encouragés à résister, son marché court jusqu’en 2027 ». Et sa redevance aussi. Sauf qu’il n’ignore pas qu’aucun de ses locataires n’a de papiers et qu’ils risquent gros, à s’exposer.
* prénoms d’emprunt.

Marylène Carre

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