Les pisseurs volontaires alertent sur le danger des pesticides

Publié le 23 février 2022

Entre 2018 et 2020, 6 848 pisseurs volontaires en France ont décidé de faire analyser leurs urines pour y déceler d’éventuelles traces de glyphosate, cet herbicide classé «cancérigène potentiel». Résultat: 99,8 % des échantillons sont contaminés.

Le 2 février 2019, entre 6h et 8h du matin, à Caen, Avranches et Gasny (Eure), les pisseurs volontaires se sont donnés rendez-vous dans une salle des fêtes, sous contrôle d’huissier de justice. Le protocole scientifique est clair: les participants n’ont rien bu ni avalé la veille. Il faut recueillir les premières urines du matin. Ils sont 35 à Caen, 200 en Normandie. Au total, 175 séances de prélèvements ont lieu dans 84 départements français, dont l’île de la Réunion. En l’absence d’étude scientifique avérée en France, ces citoyens, dont beaucoup émanent du réseau «nous voulons des coquelicots» qui appelle à l’interdiction de tous les pesticides de synthèse, ont décidé de faire analyser leurs urines, à leur frais. L’objectif : y déceler d’éventuelles traces de glyphosate, le principe actif du Round Up, herbicide classé «cancérogène probable» par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), mais autorisé en Europe.

Science citoyenne et participative

Toutes les urines sont analysées par le même laboratoire et selon le même protocole. «Cette rigueur scientifique était absolument nécessaire pour pouvoir publier les résultats et argumenter face à nos futurs détracteurs», explique Caroline Amiel, enseignante chercheuse en microbiologie à l’université de Caen, ex-conseillère régionale du groupe Normandie Ecologie et chargée de coordonner la campagne glyphosate sur Caen. En Normandie comme dans toute la France, des collectes sont organisées pour financer la campagne et les analyses. Bien souvent, les pisseurs volontaires mettent deux fois la main à la poche.

Publiés en janvier 2022 dans la revue Environmental Science and Pollution Research (ESPR), les résultats sont sans ambiguïté: 99,8% des échantillons présentent des niveaux quantifiables de glyphosate (àun niveau moyen de 1,19 ng/ml). Les hommes, les jeunes et les agriculteurs présentent des niveaux plus élevés. Les échantillons prélevés au printemps et en été aussi: c’est la période d’épandage des pesticides. Ceux qui consomment bio sont moins touchés. Les résultats confirment ceux d’autres études déjà menées aux Etats-Unis, au Danemark et au Sri Lanka: en France aussi donc, et quel que soit le lieu d’habitation, il existe une contamination généralisée de la population.

Pour l’obligation de l’Etat à nous protéger: 5 800 dépôts de plainte

«Ces résultats soulèvent la question d’un usage très généralisé des pesticides à base de glyphosate, conclut Caroline Amiel et impose a minima de revoir les règles d’épandage en France.» En 2017, Emmanuel Macron s’était engagé pour une interdiction du glyphosate «au plus tard dans trois ans». Trois ans plus tard, les ventes de glyphosate n’ont pas baissé; le gouvernement a légiféré sur les règles d’épandage de pesticides, en imposant des distances de sécurité (5 m pour les cultures basses, 10 m pour le cultures hautes…), mais vu le nombre de dérogations accordées par les préfets, le Conseil d’Etat a demandé au gouvernement de revoir sa copie. À la marge.

«On progresse lentement, mais on progresse», tempère Caroline Amiel. En décembre 2021, un décret du ministère de l’Agriculture reconnaît le cancer de la prostate comme maladie professionnelle pouvant être liée à l’usage de pesticides. L’autorisation d’utilisation du glyphosate en Europe doit prendre fin en décembre 2022. Sur les 35 pisseurs volontaires à Caen, tous ont porté plainte pour demander l’ouverture d’une enquête. Leurs demandes ont été envoyées au pôle santé publique du tribunal de grande instance de Paris, rejoignant au niveau national, les 5 800 plaintes individuelles portées par les participants sur la base des résultats positifs. « Notre but, c’est de faire reconnaître aux autorités sanitaires leur obligation à nous protéger.»

À lire aussi sur le sujet, les résultats de l’étude publiée par Médiapart et un article de Basta sur le bilan du quinquennat sur les pesticides.

A l’article sur Grand-Format : Quand la ferme du Chailloué a rangé le pulvé.

Photo de une : Patrick Bard

Explorez Grand-Format
par thématique.

Découvrez Petits formats, la newsletter gratuite de Grand-Format.

Une fois par mois, des articles courts pour faire le tour de l’actualité en Normandie.

En savoir plus