Septembre 2022

Tranches de vie-rois•es

Simon Gouin/Emmanuel Blivet/Participants à la résidence

Tranches de Virois

Publié le 1 septembre 2022

Ce sont des histoires d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Les souvenirs de Jean sont gravés dans sa mémoire, 75 ans après la seconde guerre mondiale, les bombardements et l’exode. Jean-Pierre a remonté un baraquement pour garder une trace de ces maisons d’urgence de l’après-guerre. Hervé retrace l’époque où des usines viroises se sont mises à produire du beurre de façon industrielle. Et Georges continue de coiffer, à 88ans, à côté de la gare, mémoire du quartier et passionné de photo.

Un jour, Alain, qui anime une petite troupe de théâtre avec des ados du lycée Marie Curie, reçoit une proposition surprenante: aller jouer à Sacele, en Roumanie. C’est le début d’une sacrée aventure humaine qui mènera jusqu’au jumelage. Etienne, lui, a fui son pays avec sa femme et ses quatre enfants. Pour lui, Vire est une ville où tout reconstruire. Annabella espère plus de reconnaissance dans son métier de liens et d’humanité: auxiliaire de vie. Pour soutenir la fraternité, Angélique s’engage partout où elle peut dans les associations, et accepte des responsabilités. Karim réalise son rêve: ouvrir un restaurant sénégalais. Et Sonia trouve à Vire une deuxième famille.

Pour produire l’électricité de demain, Serge transforme d’anciens moulins en de véritables petits barrages hydroélectriques. Antoine et ses camarades ingénieurs visent l’autosuffisance, en lien avec leurs voisins. Salomé, coworking manageuse, s’investit dans un nouvel espace pour les entrepreneurs. Léa s’engage pour l’égalité entre les humains. Comme Olga qui soutient, à travers son travail, les femmes qui souffrent.

Des vies, des engagements, des témoignages qui dessinent la diversité d’un territoire : coloré, accueillant, solidaire, engagé.

Un territoire à découvrir à travers ces 15 histoires de Viroises et de Virois, réalisées par des jeunes collégiens et lycéens et le média en ligne Grand-Format. Et une exposition à Vire, au square Totnes et dans les jardins de la médiathèque, à partir du mardi 13 septembre 2022. Un projet mené avec la médiathèque de Vire Normandie, dans le cadre d’une résidence de journalisme soutenue par la Drac.

Un grand merci à Léna, Maëlys, Amélie, Evane, Maxime, Marine, Robin, Clément pour leur participation à la réalisation de ces témoignages journalistiques.

Hier

Publié le 2 septembre 2022

«Il ne fallait pas faire d’erreur, car cela pouvait être fatal.»

Il y a quelques années, Jean Garnier a écrit un livre sur son histoire, pour ses enfants, ses petits-enfants et ses arrières petits-enfants. Il y raconte notamment les années d’occupation, les bombardements de Vire et l’exode, entre 1939 et 1945. A aujourd’hui 90 ans, aux côtés de son épouse Louisette, il s’en rappelle «comme si c’était hier».

Ecoutez Jean Garnier

«Je suis encore de ceux qui ont connu cette période de la guerre 39-45. A cette époque, on a été très marqués. La preuve, c’est que je suis dans ma 90ᵉ année et je m’en rappelle encore, comme si c’était hier.

Quand Vire a été bombardée, le 6 juin 1944 (400 civils sont morts et 400 autres ont été blessés, ndlr), les Virois se sont fait évacuer et se sont retrouvés surtout à La Lande Vaumont, Saint Germain de Tallevende et Maisoncelles. Puis certains sont arrivés à Truttemer. Moi je suis né en 32 ; j’avais douze ans. Ce qui a le plus marqué les gens de la région, c’est que la clinique de Vire s’est installée à Truttemer. Et l’hôpital, avec les chirurgiens et les médecins avait un bloc opératoire à l’école des garçons. Les gens étaient désemparés, ils arrivaient dans notre village. Avez-vous untel? C’était affreux, c’était la panique. On était à huit kilomètres environ à vol d’oiseau de Vire. Le sol tremblait.

Les tracts tombent à Saint-Sever plutôt qu’à Vire

Le lendemain matin, on avait une nuée de papiers de Vire, des factures, des tas, qui arrivaient sur Truttemer parce que le vent était propice sans doute à nous les envoyer. On retrouvait des noms de Vire, c’était incroyable. Certains papiers étaient un peu brûlés, d’autres n’étaient pas brûlés du tout. La veille, mon oncle, était à Saint-Sever, où il a récupéré des tracts qui avaient été lancés par les Américains qui prévenaient du bombardement, en disant «quitter la ville». Normalement, ces tracts devaient tomber sur Vire. Mon oncle en a ramassé et il en a donné à ses voisins. Il est parti à Domfront avec sa famille. Quand les bombardements ont débuté, mon père s’est dit: «mon frère, qu’est-il devenu?» Il voulait prendre son vélo et aller le retrouver. On l’a dissuadé d’y aller. Oui, c’est un des seuls qui a cru les tracts qui étaient lancés.

Dans la ferme, on avait deux couples de Vire qui habitaient les Monts de Roullours, et ils ne sont pas restés longtemps. Ils sont partis dans la famille ou chez des amis. Le maire de Truttemer, Alfred Halbout, qui était conseiller général et un cousin, a demandé à mon père s’il acceptait de recevoir la famille du président du tribunal de Vire, Monsieur Séché. Ils sont venus à la ferme, et lui, tous les jours, il allait et venait à la mairie de Truttemer, à pied, pour son travail.

Avant les bombardements, Alfred Halbout allait souvent à la Kommandantur. Un jour, il apprend qu’un monsieur de Truttemer avait ramassé des tracts et les avait distribués. Il avait été vendu. Alfred Halbout accroche mon père en lui disant: « Tu vas dire à ce monsieur qu’il brûle tous ces papiers, qu’il ne garde rien du tout». Et deux-trois jours après, il y a eu une descente des Allemands, ils ont été deux jours à fouiller la maison et la ferme. Il ne fallait pas faire d’erreur, car cela pouvait être fatal.

L’exode

Après les bombardements, les Allemands avaient donné l’ordre de partir avant telle heure, tel jour. D’ailleurs, à Truttemer, il est resté deux ou trois personnes dans le bourg: on les a retrouvées mortes. Nous, nous sommes partis vers le 2 ou le 3 août, à Chanu dans l’Orne. Il y avait un tas d’Allemands qui commençaient à être très nerveux. Mon père attache ses chevaux à des pommiers plantés chez une amie de ma grand-mère et il dit: « Moi, je reste auprès de mes chevaux». Et le soir, il y a un Allemand qui vient et qui veut s’emparer d’un cheval. Mon père refuse : «C’est mon cheval». L’allemand lui met son revolver sur la tempe. Mon père se dit: «ça y est, je vais mourir». Et tout d’un coup, l’allemand a baissé les bras et il est parti. Au bout de quinze jours à Chanu, nous sommes revenus à Truttemer.

Il y avait des mines dans la maison. Dans la cuisine, il y avait de la paille et c’était sous la paille. Mon père a enterré les vaches qu’il tirait avec un cheval. On les mettait dans une grande tranchée. Et puis il faut faire un peu le travail de la ferme. Il faut retrouver des vaches. Mais ce n’était pas facile à trouver parce que c’était très cher.

«Tiens, ils ont embarqué tel monsieur là..»

Les Allemands savaient bien que les Français cachaient certaines choses. Ils ont fouillé les tas de foin mais les paysans mettaient ça dans les tonneaux. Ils enterraient deux ou trois tonneaux comme ça. Et à part si un obus tombait dessus… Ma mère, elle, avait caché ses bouteilles de vin dans le jardin légumier et là, ils les avaient trouvées.

(…)

La peur des Allemands. On avait une peur des Allemands… Dans la région, tout le monde se connaît un peu. On disait «tiens, ils ont embarqué tel monsieur là…» Il ne revenait pas. Mais je dis toujours que nous, on avait un avantage bien sûr, on avait des problèmes aussi, on avait des raids Allemands qui venaient piquer, qui faisaient des réquisitions, etc. Mais on avait à manger, on mangeait à notre faim. Bien sûr, il n’y avait plus certains ingrédients, tout ça, ça n’existait plus, comme le chocolat. On a été quatre ans sans manger de chocolat et on n’est pas mort.»

***

«Ok, on y va, on sauve le baraquement»

Jean-Pierre Dubuche est un passionné d’histoire. Un jour, un ami lui confie une partie d’un baraquement UK-100 de l’après seconde Guerre mondiale, ces petites maisons en bois où des centaines de Virois ont trouvé refuge après la destruction de leur ville. Avec d’autres, et en assemblant les pièces de plusieurs baraquements, il décide de le reconstruire et de le sauver. «L’intérêt, c’est que ce tas de palettes, de panneaux, une fois monté, représentait tout un pan, 25 ou 30 ans de vie à Vire, de centaines et de centaines de rescapés virois.»

Ecoutez Jean-Pierre Dubuche

«Le baraquement, on le monte, on le démonte et on le transporte très facilement. C’est une maison de commande d’urgence. C’est un toit d’urgence pour remplacer, suite aux bombardements de Vire, toutes les maisons qui ont été bombardées, qui ont brûlé, qui ont été détruites. C’est une structure en bois, qui se monte rapidement. Les Américains disaient : avec une équipe, vous pouvez les monter en 6h00 à peu près.

Ils étaient une dizaine, ils avaient l’habitude. Les fondations étaient prêtes et c’était un montage très très rapide. Pas d’étage, pas de sous sol, une petite cave pour ranger du charbon, un poêle, c’est tout. Bien sûr, pas de chauffage central au départ. Pas de grenier, de plain-pied, des vitres de deux millimètres d’épaisseur. Je peux vous dire qu’il faut faire attention…

Ils arrivaient au port de Dunkerque en cinq colis. Un baraquement complet UK-100, c’était cinq énormes colis débarqués par des grues. Ils parvenaient ensuite à Vire, où ils étaient en attente de remontage. Il y en a qui sont restés six ou huit mois stockés parce que c’était la lenteur de l’administration, la lenteur de la reconstruction, de l’attribution aux familles. Donc ça a été très long.

«Ok, on sauve le baraquement.»

Serge Poisson, qui construit l’usine hydroélectrique, est un ami depuis très très longtemps. Dans son usine, il a retrouvé deux baraquements avec des panneaux en double. Cela nous a sauvés. Ils étaient stockés au sec, à l’abri de l’eau, mais stockés pendant 25 ou 30 ans à l’horizontale. Dans son usine, il avait besoin de place. « Mais qu’est-ce que tu vas faire de ça ? », je lui ai demandé. « Eh bien Jean-Pierre, je te le donne. Mais la seule chose, c’est que tu pars avec avec ». Même pas 1 € symbolique, rien du tout. Ça lui faisait un plaisir immense de donner, pas seulement à moi Jean-Pierre Dubuche, mais en tant que membre des collectionneurs Virois. 

J’ai appelé aussitôt le président des collectionneurs Virois parce que moi, je ne suis même pas membre du bureau. Il a dit «Ok, on y va, on sauve le baraquement». On a contacté la mairie de Vire et on leur a proposé le challenge. Ils ont dit: «Ok, on vous aide, on sauve le baraquement».

Il faut savoir que sauver un baraquement, un UK-100 américain, c’est devenu excessivement rare. A Saint-Lô, ils n’ont pas réussi à sauver le leur. A Caen non plus. L’intérêt, c’est que ce tas de palettes, de panneaux, une fois monté, représentait tout un pan, 25 ou 30 ans de vie à Vire de centaines et de centaines de rescapés virois. Certains n’ont connu que ça. Il y en avait 70 à Vire, à une époque. Sachant que dans certains baraquements, il y avait les deux grands-parents qui vivaient, les deux parents et cinq enfants – neuf dans un baraquement comme ça ! Et ils ont vécu heureux. Et puis, il faut dire aussi, que Vire ayant été détruite à 90 ou 95 pour-cent, il ne reste de cette période de 1950 à 1970 que ça. Il y en a qui n’ont strictement rien à faire de sauver un baraquement et il y en a d’autres qui sont nés dans les baraquements.

Après les bombardements, une maison provisoire

Pour toute une partie de la population, c’est une grande période de renaissance. 412 personnes ont été tuées par le bombardement. Pour ceux qui restaient vivants, qui n’avaient plus rien, ils étaient super contents de trouver un baraquement. Même les enfants qui ont vécu là-dedans, ils ont tous été heureux dans ce type de maison. Il y a des familles qui n’avaient plus rien du tout, plus rien à se mettre: elles étaient prioritaires pour vivre dans ce type de baraquement. Et aussitôt qu’une famille était relogée quelque part, aussitôt tu avais une nouvelle famille qui prenait la suite dans le même baraquement américain.

On a extrait les vieux panneaux et on a tout emmené à la Croix-Rouge. Et puis on a commencé à les positionner. Ça, ça doit aller là…et ça ici… Tous les panneaux ont une référence américaine sur l’angle, une lettre avec un numéro. Tout est noté et on a les plans de montage, on a les notices de montage, on sait tout. Donc on sait par où il faut commencer.

Mais on n’avait pas de toiture pour notre baraque. On avait tout, même des fois en double, des panneaux en double; et la charpente, on l’avait, mais pas la toiture. Un jour, on a été interviewés par FR3 Normandie Caen. Il y a quand même des gens qui écoutent bien les informations: on a été repérés par des gens de Caen en nous disant : «mais dans le centre de Caen, là-bas, dans les anciens beaux-arts, près du Château dans le centre, il y a un baraquement, un UK – 100 qui est dans une cour intérieure et qui est en ruine depuis des années». Caen voulait le remettre en état. Et ça ne s’est jamais fait.

On nous a appelés. «Jean-Pierre, tu prends, tu demandes, tu pars avec tout ce que tu veux». Pendant six mois, à deux tournées la semaine, on est allés démonter entièrement le baraquement de Caen, et on a ramené toute la toiture, complète. Le parquet, pareil, nous a été payé entièrement par la municipalité. On avait un nouveau parquet. Dans un autre baraquement, pas loin de Vire, on m’a donné la baignoire d’origine, le lavabo d’origine avec la robinetterie américaine de 1945, le chauffe-eau. Les services techniques m’ont récupéré une gazinière, etc.

Mais maintenant, le baraquement ne nous appartient plus du tout. On l’a donné officiellement à la ville de Vire. C’est la ville qui gère son stockage et qui va gérer après le remontage. On se mettra simplement une belle petite blouse blanche et puis on mettra «expert» dans le dos ou un truc comme ça pour dire aux gars qui remontent: «un peu plus à gauche…», «mets le un peu plus comme ça», parce que ça fait quand même la troisième fois qu’on le monte.

Pour en savoir plus:

– Musée de Vire Normandie

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Georges, coiffeur photographe, 88 ans

Georges Ozouf est coiffeur à Vire depuis 59 ans. A 88 ans, il n’envisage pas de prendre sa retraite. «Ce n’est pas un métier où l’on gagne de l’argent.» Des peintures ornent les murs de son salon situé à côté de la gare. Au fil des ans, Georges Ozouf a assisté à la transformation du quartier et de notre société. Mais il a gardé sa passion: la photographie de la nature.

Ecoutez Georges Ozouf

«Je suis né dans la Manche. J’étais l’aîné de sept enfants. Alors, forcément, arrivé à un moment, il a fallu se décider sur mon métier… A cette époque là, les parents ne supportaient pas qu’on ne fasse rien; il fallait travailler. Mon père m’avait trouvé une place chez un paysan – ça a duré un petit peu de temps. Et une personne m’a dit: «Si ça vous intéresse, je connais quelqu’un qui cherche un apprenti coiffeur». Pourquoi pas! C’était en 1950. J’ai appris le métier. Ensuite, je suis allé à l’armée. J’ai fait mon service militaire et en sortant, j’ai vu dans la presse que quelqu’un cherchait un ouvrier. Voilà comment j’ai atterri dans le Calvados. Je suis là depuis toujours. J’ai été sept ans employé, un peu au-dessus, là, dans la rue. Et ça fait 61 ans que je suis dans ce salon de coiffure…

Ce n’est pas facile de dire: je prends la décision de m’en aller après 59 ans. Je pourrais être à la retraite. C’est un métier un peu délicat parce que ce n’est pas un métier où l’on gagne de l’argent. Enfin, il vaut mieux faire quelque chose qui nous plaît que de faire ça parce qu’on y gagne bien. Il n’y a pas que ça. Enfin, pour moi.

Lorsque je suis arrivé ici, il y avait une trentaine de commerçants dans le quartier. Presque toutes les corporations. Malheureusement, avec les grandes surfaces, tout a été changé. Ce n’est pas facile de donner une vie au quartier. Notre quartier est assez triste.

«Surtout, pas de politique»

Mon maître d’apprentissage me disait: «Surtout, ne fais pas attention au client qui ne vient plus. Tu essayes de faire ton travail pour le mieux.» Dans notre métier, on disait toujours, «surtout pas de politique». Il ne fallait pas déranger les clients. Quand ils venaient il fallait dire «oui, oui». Il faut aller dans le sens du client. On ne peut pas donner ses opinions. Pour chaque client, il faut savoir de quoi parler : l’un aime bien la pêche, il faut parler de la pêche. L’autrefait beaucoup de marche, on parle de la nature et tout ce qui s’ensuit.

Autrefois, on allait chez le coiffeur mais on tenait compte de pas mal de choses. Par exemple, si vous aviez les oreilles décollées, il fallait garder les cheveux pour mieux les cacher. Alors maintenant vous avez vu la mode américaine? Comme si les Français ne pouvaient pas eux-mêmes créer… Pour moi, les Américains, ce n’est pas extraordinaire.

Autrefois, il y avait beaucoup de rasages. Il y avait des gens qui se faisaient raser deux ou trois fois par semaine – au couteau, le grand rasoir. J’allais au domicile de quelqu’un qui était aveugle, et qui ne pouvait pas se raser. Il était content quand je venais. Après, les rasoirs électriques sont arrivés…

La première fois que j’ai vu un tableau de peinture représentant la nature, je me suis dit que c’était formidable. J’ai beaucoup aimé. C’est ce qui fait que je me suis mis à vouloir collectionner dans les vides-greniers… Beaucoup sont surpris de ce que je peux avoir chez moi. J’aime beaucoup les peintres Normands.

Un jour, je me suis mis à la photo. A l’époque, on prenait des photos du gamin qui avait fait sa communion… Les trois-quart du temps, les photos étaient floues, ça ne me plaisait pas du tout. En 1968, on m’a donné un appareil photo à soufflet. Alors j’avais acheté une cellule à part. C’est comme ça que je me suis intéressé à la photo. J’ai de belles photos en noir et blanc de la nature. La nature nous apporte quelque chose…»

***

Quand Vire était appelée la capitale du beurre

De la production dans les petites fermes jusqu’à la collecte du lait et sa transformation dans des usines, le beurre raconte une partie de l’histoire de Vire, considérée dans les années 1950/1960, comme la capitale du beurre. Ancien dirigeant de l’usine Préval, Hervé Battistoni retrace cette aventure industrielle.

Ecoutez Hervé Battistoni

«La tradition ancestrale était de faire le beurre directement à la ferme et de garder tout ce qui était sous-produits du beurre pour l’alimentation des veaux, des cochons, etc. Il y avait un travail en autarcie complète dans de petites exploitations de production de lait du Bocage.

A partir des années 1935, l’un des deux fondateurs de Préval qui avait travaillé aux États-Unis et en laiterie a donc proposé à un financier qui avait des crédits, de se lancer dans la production de beurre après pasteurisation des crèmes. Cela permettait d’avoir des qualités sans comparaison avec ce qui existait. On ramassait les crèmes fermières, qui étaient, à l’usine, pasteurisées, dégazées, désodorisées si vous préférez. Cela permettait d’avoir un produit au goût relativement neutre à cette époque. Et en retour, il y avait des tournées de re-distribution du babeurre, le sous-produit du beurre, dans les fermes pour l’alimentation des veaux.

(…) C’était déjà un travail de simplification. Les fermes, les fermières plus exactement, économisaient du temps et n’avaient plus à fabriquer le beurre directement chez elles.

Puis il y a eu le dernier stade de transformation des pratiques à partir de la fin des années 1950, début des années 1960. Écrémer, c’était encore beaucoup de travail pour les fermières. On préférait avoir quelques vaches de plus et on avait donc un peu moins de temps. On a mis en place la collecte directe du lait au lieu de la collecte directe des crèmes fermières. Cela demandait pour les entreprises beaucoup plus de camions, de bidons…

A l’arrivée en usine, il a donc fallu trouver un débouché pour le lait écrémé qui restait auparavant à la ferme. Nous avons mis en place des unités de traitement, soit des fromageries qui prenaient le lait complet, soit des unités de séchage pour faire de la poudre de lait écrémé.

On est donc passés, en moins de 30 ans, de la production de beurre fermier dans les fermes, à la distribution et à la collecte des crèmes fermières par les spécialistes du beurre pour arriver à la collecte et la transformation du lait liquide.

Vous voyez la simplification qui se passait au niveau des fermes ?

Plus de 20 à 25% des emplois virois

Devant les investissements importants, les petites PME préféraient se vendre. Elles n’avaient plus les moyens pour investir. Le groupe Perrier a pris alors de l’importance en achetant une vingtaine de petites entreprises en Normandie et Bretagne. En 1970, je suis arrivé à la direction de l’usine Préval – La Beurrerie Préval de Vire, que j’ai dirigée de 70 à 80 jusqu’à sa fermeture.

On a dit que Vire était la capitale du beurre dans la mesure où pendant les années 50-60, grosso modo, 5% de la production beurrière française sortait des usines de Vire. (…) C’était les grandes heures des «beurriers virois». C’est à ce moment-là qu’ils dictaient le prix du lait sur toute la Normandie et sur une partie de la Bretagne. Je pense que ça représentait aussi plus de 20 à 25% des emplois virois. Et c’était en même temps le passage au niveau emploi des jeunes de la ferme vers la ville et vers l’industrie.

Il y avait alors pas mal de monde dans les fermes. Après le service militaire, il suffisait de passer son permis poids lourd pour être presque certain – si on n’était pas maladroit – de trouver un emploi à l’intérieur de l’usine. L’industrie laitière est passée pendant ces 50 ans de l’artisanat, vraiment artisanal, à l’industrie.

Les «beurriers» ont été en pointe sur le plan de l’hygiène. Un des fondateurs de Préval est revenu des Etats-Unis en 1935. A l’époque, les États-Unis avaient de l’avance par rapport à l’Europe sur le plan des techniques et sur le plan des contrôles. En 1935, quand l’usine Préval a démarré la production de beurre à partir des crèmes, les ouvriers avaient déjà des bonnets pour éviter que les cheveux ne tombent dans le beurre. Ils avaient des gants pour les obliger à penser que s’ils devaient toucher au beurre, on n’y touchait pas n’importe comment. Avec des gants, les ouvriers faisaient un peu plus attention. Et on a continué à éduquer.

Contrôle sur l’hygiène de la fabrication

Mon premier boulot en tant que chef de labo, c’était de former les ouvriers. C’étaient des braves types, qui n’étaient pas idiots et qui, lorsqu’ils arrivaient, n’avaient aucune formation sur l’hygiène nécessaire dans des usines agroalimentaires.

Les « beurriers», qui travaillaient sur des volumes relativement importants par rapport aux autres, ont été les premiers à mettre en place des contrôles sérieux au niveau hygiène de fabrication – en bactériologie, entre autres.

Au fil du temps, on a fabriqué des beurres qui étaient de plus en plus neutres sur le plan du goût. Désormais, il y la mode des beurres salés avec le sel de Guérande ou le sel de l’île de Ré, ou de je ne sais pas où… enfin bref, c’est du «cinéma». Ça vous fait des petits points colorés – comme ils mettent leurs grains de sel – et chaque grain de sel attire l’eau qu’il y a autour. C’est amusant, mais c’est tout. Par contre, vous avez encore des gens qui fabriquent en baratte. Quand vous voyez sur le papier «beurre de baratte», il y a l’obligation d’avoir une maturation biologique avant. On ne peut pas se contenter uniquement d’ajouter des ferments. Vous risquez de trouver des beurres avec un peu plus de goût. Sans ça, cela s’est quand même pas mal affadi.»

Pour en savoir plus:

– Naissance, vie et mort d’une laiterie dans le bocage virois au milieu du XXe siècle : la beurrerie Préval de Vire 1936-1980, Hurel, Claude | Boudier, Raymond | Battistoni, Hervé

Musée de Vire Normandie

– Dictionnaire insolite du Pays Virois,éditions Corlet

Aujourd'hui

Publié le 2 septembre 2022

Auxiliaire de vie: métier utile en quête de reconnaissance

Depuis 13 ans, Annabella Tribout aide les personnes dépendantes dans leur toilette, leurs repas, leurs courses, leur ménage. Elle est «auxiliaire de vie», un métier peu reconnu malgré le soutien quotidien qu’elle apporte à ces gens à qui elle évite d’aller en maison de retraite. Ce qui a fait déborder le vase: elle n’a pas obtenu la prime Covid. «On a travaillé pendant tous les confinements, on n’a jamais arrêté, et on n’a même pas eu un remerciement.»

Ecoutez Annabella Tribout

«Être auxiliaire de vie, c’est aider à la toilette, le repas, les courses, le ménage. C’est aussi un soutien moral. Les repas, les couchers, les levers… auprès de personnes très très âgées, des personnes dépendantes, d’autres qui sont autonomes mais qui ont juste besoin d’une aide pour le ménage. Parfois, ce sont des personnes plus jeunes qui sont handicapées.

Aux dernières nouvelles, sur 60 auxiliaires de vie au CCAS (Centre communal d’action sociale) de Vire, on était 59 femmes et un homme. Je pense que les personnes chez qui nous allons préfèrent une femme…. C’est ce que j’ai toujours entendu. Quand j’annonçais que mon collègue masculin allait venir chez une personne, j’entendais parfois: «Oh non ! Moi, je préfère une femme.»

En général, on est toute seule. Cela peut arriver d’avoir le Siad (service de soins infirmiers à domicile) avec nous, chez des personnes qui sont très lourdes. Sinon, la manipulation se fait toute seule. Il faut porter, lever, tourner les gens. C’est beaucoup de manipulations et c’est très physique. Il faut tenir. On est debout toute la journée : du matin au soir, pratiquement, à part quand on se pose pour manger.

«Se sentir utile»

Ce que j’aime dans mon métier, c’est le fait d’aider les personnes, et de se sentir utile. De toute façon, si on n’était pas là, pour la plupart, ça serait la maison de retraite. Sauf qu’en maison de retraite il n’y a pas assez de place. En fin de compte, c’est grâce à nous qu’ils peuvent rester chez eux. On leur assure le maintien à domicile. C’est essentiel. C’est un métier qui recrute mais qui peine à trouver parce que ce n’est pas attractif. Ce n’est pas assez reconnu.

Les personnes chez qui nous allons, en général, sont seules. Il y en a qui ont des enfants, il y en a qui n’en ont pas. Ils ont besoin de parler, d’être écoutés. Je dirais que ça représente 70% de notre travail, en fait. On est un lien avec eux. On est un lien de l’extérieur et un lien social avant tout. On parle de la pluie et du beau temps, des problèmes, des douleurs parfois. Il y a des gens qui souffrent. Des problèmes familiaux qu’ils rencontrent autour d’eux. C’est très varié. On écoute et on essaie de réconforter. Ce n’est pas toujours facile parce qu’on prend quand même la misère des gens sur nos épaules. Je ne suis pas stressée par ce travail, pas du tout, c’est une passion !

J’ai toujours dit que quand j’en aurai marre – on sait jamais, ça peut arriver – j’arrêterais. Je préfère arrêter de faire ce métier là. Il vaut mieux arrêter parce qu’ils le sentent, les gens. Il est important d’être très souriante, gaie… Ils aiment bien. C’est vrai que si vous arrivez en déprimant, ça ne va pas le faire! Oui, moi je suis toujours comme ça. Je crois que même quand ça va mal, je souris…

«On n’a même pas eu un remerciement.»

On n’a pas eu la prime covid. Juridiquement, c’est impossible de nous la donner car la mairie n’est pas notre employeur. Par contre, on a obtenu un dialogue, et on va avoir un changement de statut. Depuis un an, une étude est menée pour savoir si ça vaut le coup de changer de statut. Suite à nos revendications, nous avons rencontré Monsieur le maire hier. L’étude arrive pratiquement à sa fin.

Quand j’ai entendu que nous n’aurions pas la prime covid, ça m’a énervée, d’abord. C’est le fait de ne pas être reconnue comme les autres, qui font le même travail… Tout ça à cause de notre statut. C’est surtout ça qui pose problème. Ce n’est même pas la somme, en fait… On a travaillé pendant tous les confinements, on n’a jamais arrêté, et on n’a même pas eu un remerciement.

Jusque là, personne ne disait rien. Il a fallu cette chose là pour en fin de compte, voir qu’on existait ! Et maintenant, les choses commencent à avancer. Tout doucement, mais elles avancent avec le dialogue. Il y a un espoir déjà !»

***

«Venez faire du théâtre chez nous»

Alors qu’il est assistant social scolaire au lycée Marie-Curie, Alain Revet crée un groupe théâtral pour les lycéens. En 1992, on lui propose d’aller jouer en Roumanie. C’est le début d’une aventure humaine extraordinaire pour des dizaines de jeunes et de familles, qui mènera au jumelage entre Vire et Săcele, en 2002. «Je pense que ça a apporté aux élèves un petit bout d’Europe. On a quand même un avenir commun. Les liens restent. Des anciens élèves m’en parlent encore.»

Ecoutez Alain Revet

« En novembre 1992, je suis dans la cour du lycée Curie, à Vire. A l’époque, j’étais assistant social scolaire et j’animais le groupe théâtral du lycée le mercredi après-midi, sous l’égide du foyer socio-éducatif. Je rencontre alors quelqu’un que je connaissais bien et qui s’appelait (parce qu’elle est aujourd’hui décédée), Colette Tirel. Elle était accompagnée de Sanda Focşan, une prof de français, roumaine. Sanda me dit : «Venez donc faire du théâtre chez nous». Comment faire? Je ne connais pas la langue, je connais pas le pays. J’avais entendu parler de la Roumanie, surtout avec la chute de Ceausescu. Et n’était pas si vieux que ça. Elle me répond : «Ne vous inquiétez pas, chez nous, on parle français!»

C’est comme ça que cela a démarré. J’ai dit : on va essayer, pourquoi pas. Je suis un peu fou, moi aussi, dans ma tête. Le mercredi suivant, j’ai vu mes élèves du groupe théâtral qui étaient une vingtaine. Je leur ai raconté cette rencontre et l’invitation. Évidemment, les ados, tout de suite, me disent : «Ouais, chouette!» Je vais alors voir le proviseur de l’époque, qui était M. Morisson. Il a hésité avant de me donner l’autorisation. «Vous faites attention!» m’a-t-il dit.

«On vous fait confiance !»

Nous avons organisé une réunion avec les parents. C’est un souvenir extraordinaire. Je leur explique: «J’ai le projet d’aller en Roumanie, mais je vous dis tout de suite : je ne connais pas la langue, je ne sais pas ce qu’on va y trouver». A l’époque, on avait déjà eu des correspondances avec nos amis, je dirais maintenant ma «famille de Roumanie», donc on savait qu’on était attendus. Les parents d’élèves m’ont dit: «On vous fait confiance !» J’avais trouvé ça extraordinaire. Nous sommes partis au printemps 93 pour la première fois.

Le voyage a été épique! Peu de signalisation, des routes en travaux; Heureusement, on était partis avec des cars couchettes, donc on pouvait dormir dedans. C’est comme ça qu’on est arrivés à Săcele. Reçus comme des rois, chaque élève a été accueilli avec une écharpe et une rose. Et on a joué nos pièces de théâtre – en français. Eux, ils ont joué leurs pièces en roumain.

L’année suivante, avec les parents d’élèves de l’époque, on avait créé une association qui s’appelait TRAC. Cette association a permis d’organiser des fêtes pour pouvoir récolter des fonds. Les roumains n’étaient pas riches. On a pu financer, à l’époque, la moitié de leur trajet. Ils sont donc venus pour la première fois en 1994. Beaucoup découvraient l’Ouest… Les élèves de cette époque que j’ai croisés dernièrement s’en souviennent encore. Voilà le départ. Ensuite, avec les parents d’élèves, on s’est dit: puisqu’ils sont là et qu’ils désirent avoir des relations avec nous, nous souhaitons qu’un jumelage soit mis en place.

«Si on nous refuse, on fait une manif et on pose notre pierre, gravée.»

Pour cela, il fallait l’accord de la mairie de Vire, qui, à l’époque, était assez réticente. Elle disait que c’était trop loin, trop pauvre, aussi, que ça n’allait pas durer, etc… On avait alors constitué un comité de jumelage officieux au sein de l’association TRAC. Au parc de l’Europe, il y avait trois pierres représentant les trois jumelages de l’époque: une pour l’Angleterre, une autre pour l’Allemagne et une dernière pour l’Espagne. On avait dit: «si on nous refuse ce jumelage avec la Roumanie, on fait une manif et on pose nous-mêmes notre pierre, gravée, et on fait venir la presse». L’équipe municipale a fini par être convaincue. Le jumelage n’a eu lieu qu’en 2002.

Les Roumains sont un peuple très hospitalier, comme beaucoup dans les pays de l’Est. Ils accueillent très facilement. La France y est bien vue. On parle encore pas mal français qui est enseigné la-bas. Et aussi, l’histoire roumaine a été très liée à l’histoire française.

Le fait pour les Français de se dire qu’il y a des gens à 2600 kilomètres de là, qui peuvent être comme nous, et qu’ils nous ressemblent, c’est extraordinaire. Je crois que c’est ça qu’ils ont compris, les jeunes. La deuxième chose, je pense, c’est qu’en dépit du fait qu’un pays est plus pauvre qu’un autre, cela ne veut pas dire que les gens sont différents. L’accueil, ces amitiés qui sont nées et qui perdurent… Et puis je pense aussi que cette aventure a apporté un petit bout d’Europe. On a quand même un avenir commun, je l’espère. Et les liens restent. J’ai encore d’anciens élèves qui m’en parlent avec ravissement.

A cause du Covid, les échanges se sont arrêtés en 2019. Le lycée ne suit plus comme avant. Je n’ai jamais su pourquoi. Cela me ferait très mal que ça s’arrête.

Jouer en roumain

Depuis une dizaine d’années, les élèves français jouent en langue roumaine, là-bas, devant un public roumain. Et alors, on apprend quelque chose en plus d’apprendre le théâtre. Le théâtre, c’est bon pour la personnalité, ça apporte de l’assurance pour affronter le regard de l’autre, c’est évident. Là, ils apprennent en plus une langue, et à travers elle, une civilisation, une culture. A la fin des représentations, des Roumains venaient nous voir pour nous dire: «Mais ils ont appris comment notre langue ? On vous enseigne le roumain ? Les Roumains n’auraient pas mieux parlé!»

Quand j’ai dit ça aux élèves, ils avaient un grand sourire, et il y avait de quoi. Ça a été un sacré boulot. Et puis, pour les Roumains, voir des Français qui parlent leur langue, qui n’est pratiquement pas parlée dans les pays étrangers, ils étaient heureux que leur culture soit reconnue. Et ça, c’est important.»

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« Quand vous partez de votre pays, vous ne savez pas ce qui vous attend. »

Pour protéger sa famille, Etienne a dû quitter son pays. C’est à Vire qu’il est arrivé le 24 décembre. Depuis, ses enfants sont scolarisés ; sa femme et lui apprennent le français et tentent de trouver du travail, et toute la famille a obtenu un titre de séjour de 10 ans. « Je voudrais dire un grand merci, aux bénévoles ! Ils nous ont très bien aidés. »

« Je suis arrivé en France il y a quelques années. Je suis sorti de mon pays comme touriste. Dans un autre pays, j’ai acheté un billet d’avion pour Paris. Je suis arrivé à Saint Lo, Cherbourg, puis Vire.

En France, j’ai obtenu un titre de séjour de 10 ans en novembre 2021. Maintenant, je commence une nouvelle vie. C’est une autre langue, une autre culture. Il faut s’adapter, c’est un peu difficile. Mais en France, toutes les personnes… je voudrais leur dire un grand merci, aux bénévoles! Ils nous ont très bien aidés.

Quand j’ai eu des problèmes dans mon pays, il fallait que je parte. J’ai cherché par Internet: quel pays peut me protéger? Dans la première place, il y avait la France. Après, il y avait l’Angleterre. Avec mes enfants, avec ma famille, c’est difficile. Parce que quand vous partez de votre pays, vous ne savez pas ce qui vous attend dans le nouveau pays.

Le 24 décembre, nous sommes arrivés à Vire. La première fois où je suis sorti dans la rue, il n’y avait pas de personne. Tous les magasins étaient fermés. J’étais un peu en panique. Pourquoi ? Parce que c’était le 24 décembre, et c’était la fête de Noël !

Avant, j’habitais à Cherbourg. C’est l’association Jean Bosco, avec le Cada (Centre d’Accueil pour les Demandeurs d’Asile), qui m’ont donné un appartement, et nous ont beaucoup aidés. Sylvie, de l’Avar (Association Viroise pour l’Aide aux Réfugiés), m’a aidé comme professeure de français ! C’est un peu difficile, la grammaire… les prépositions, les articles. 

Maintenant, je fais un stage au Greta. Après le stage, j’espère commencer le travail. Avant, je travaillais comme technicien de télécommunication. J’aimerais continuer ma profession.

J’ai quatre enfants, trois garçons et une fille. Ma petite fille va à l’école maternelle. Mes deux garçons vont au collège Maupas. Mon troisième garçon va à l’école Castel. Mon grand fils, en dernière année de collège, va aller au lycée Mermoz, en logistique.

A Vire, c’est une petite ville. Pour moi, c’est très bien. Quand j’ai reçu le titre de séjour, j’ai choisi de rester à Vire, parce que les enfants apprennent ici, au collège, à l’école et à l’école maternelle. C’est très bien. Pour les enfants tout va bien. Ils ont compris ma situation, dans mon pays. Quand ils sont arrivés, je leur ai expliqué. D’abord, cela a été difficile, parce qu’on ne comprenait rien.

Pour moi, la priorité, c’est d’apprendre la langue française et de trouver du travail.»

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L’hospitalité sénégalaise

Né au Sénégal, Abdul Karim Barry est arrivé en France, à Ouistreham, à l’âge de 18 ans. Depuis novembre 2021, il a ouvert un restaurant sénégalais à Vire. «Notre objectif n’est pas de gagner des mille et des cents, mais d’accueillir… C’est l’hospitalité, c’est pouvoir servir les gens…»

Ecoutez Abdul Karim Barry

«J’ai travaillé pendant longtemps dans un restaurant au Sénégal qui était tenu par un Breton. Je suis arrivé en France à l’âge de dix-huit ans. Et puis des gens qui sont venus au Sénégal, dans ce restaurant où j’ai fait connaissance avec eux, m’ont ramené ici. Ils avaient un restaurant à Ouistreham, le bar “la Marine”. Après la Marine, ils ont créé une crêperie qui était à côté – Le Goéland – où j’ai travaillé pendant 6-7 ans.

Puis j’ai arrêté la restauration. J’étais marié à cette époque-là. Je me disais, «bon, je ne vais pas rester sans rien faire quoi, il faudrait que je trouve quelque chose». Qu’est-ce qu’il me faut maintenant ? Ce n’est pas la restauration. Les études, bon… maintenant, je ne vais plus continuer les études. Je vais essayer la sécurité, agent de sécurité. Le premier jour où je suis arrivé, on m’a donné un CDI. J’ai dit au patron:«Vous savez, Monsieur, je fais ça parce que je n’ai pas le choix, je n’aime pas ce métier-là, je n’ai jamais fait ça. Là, je n’ai pas le choix. Il faut que je travaille. C’est pour ça que je le fais.» Il me répond: «Vous dites ce que vous voulez, mais je vous prends». Parce que quand même, j’étais costaud. Je suppose que black+costaud = agent de sécurité.

Un rêve: ouvrir un restaurant

Je suis resté là-bas pendant 20 ans, au Chemin Vert à Caen. Vous allez là-bas, vous demandez Karim, on vous amène directement chez Carrefour. Làbas, je suis connu comme le loup blanc comme on dit!

J’ai eu des gosses, des enfants. On habitait dans le quartier du Chemin Vert. La famille s’agrandissait. Il fallait qu’on trouve quelque chose quand même… Parce que dans un HLM… Il faut qu’on achète, on ne va pas rester tout le temps en location. On a alors vu que du côté de Vire, c’était moins cher. Donc on s’est lancés. On a trouvé un terrain qui se vendait à 1 euro le mètre carré. On a eu cette opportunité. Et puis on a fait construire pas loin d’ici – à 10 kilomètres de Vire. Et là, rebelote, je faisais la navette entre Caen, Vire, Chemin Vert. C’était très fatiguant.

Et puis il y eu le COVID qui a tout accéléré aussi. Je suis resté un mois à la maison sans aller travailler. J’avais toujours dans ma tête mon projet de restaurant. Un jour, j’ai vu des locaux à Vire. Il y a toutes les nationalités mais pas de restaurant sénégalais. Pourquoi pas le Sénégal ? Donc j’ai dit: «on va se lancer». Avec mon épouse, j’ai commencé à transformer ce lieu, qui était auparavant une charcuterie.

Le maire de Vire est vraiment sympa. Sur ma route, j’ai trouvé des gens pas bons… mais j’ai aussi rencontré des gens sympas qui m’ont facilité la tâche. Quand j’ai exposé mon projet au Maire, il m’a dit “c’est ça qui nous manquait à Vire! Il y a tout, mais il nous manque le Sénégal. Donc vous êtes les bienvenus.” C’est tout. C’est ça l’histoire de «la Signare».

«La Signare», au Sénégal, cela veut dire femmes épicées, filles métisses issues de la colonisation. Elles représentent les belles femmes africaines, élancées. Je l’ai choisi parce que j’aime bien ce mot sénégalais.

«Faire voyager les gens, sans partir.»

Là, c’est ma femme qui est en cuisine pour l’instant. Elle ne travaille pas en ce moment donc elle vient faire la cuisine. Sinon, c’est moi qui suis à la cuisine. C’est moi qui prépare tout. Vous savez, comme on dit aussi, la cuisine, ce n’est pas seulement les hommes qui peuvent le faire, mais si une femme le fait, elle a une touche que les hommes n’ont pas. Je peux tout préparer, mais quand ma femme fait quelque chose, on le reconnaît tout de suite : «ah, ça c’est bon».

Quand vous émigrez dans un pays, si l’accueil est bon, tu fais tout pour t’en sortir. Je n’ai pas connu la galère que les sans-papiers rencontrent.

Au restaurant, il y a des familles entières qui viennent pour fêter des anniversaires par exemple. Notre objectif n’est pas de gagner des mille et des cents, mais d’accueillir… C’est l’hospitalité, c’est pouvoir servir les gens…

Comme on dit au Sénégal, c’est un pays de Téranga – c’est un pays accueillant, que vous soyez musulman, chrétien, juif.. on ne regarde pas. Lorsque l’heure de manger est venue, tout le monde mange.

Mon restaurant fait voyager les gens sans partir.»

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«J’ai retrouvé une seconde famille à Vire.»

Sonia Tallon Llorente a quitté son Andalousie natale pour rejoindre Vire, il y a trois ans. D’abord à la MJC en tant que volontaire européenne, puis en service civique, et enfin en tant qu’employée du Crean, une structure qui vise à informer les citoyens sur l’appui que peut donner l’Union européenne à leur projet. A Vire, malgré le froid auquel elle a dû s’habituer, elle a trouvé une deuxième famille. «Ici, c’est différent, tout est vert. J’adore le bocage normand. La nourriture aussi, et les gens sont très accueillants et gentils.»

Ecoutez Sonia

«Je suis arrivée en France pour faire un volontariat européen à la MJC de Vire. Cela s’est très bien passé. Après, j’ai fait un service civique. Ça a été un tremplin pour mon travail actuel : chargée de mission Europe, au Crean (Carrefour Rural Européen des Acteurs Normands), à Vire. On informe tous les citoyens sur l’Europe, on fait aussi des formations, on donne des informations aux gens.

Vire est très différent de ma ville d’origine, Grenade. Les paysages sont très différents. C’est ce qui m’a le plus étonnée. Les paysages en Andalousie sont dorés car le climat est sec. Ils sont plus désertiques, méditerranéens. Ici, c’est différent, tout est vert. J’adore le bocage normand. La nourriture aussi, et les gens sont très accueillants et gentils. J’ai tout adoré à Vire.

En Espagne on a une image des français très Parisienne, où c’est la grande ville, la vie est rapide, il y a de nombreux travaux, du trafic et les personnes n’ont pas le temps d’être gentilles avec toi et de t’expliquer les choses. A l’inverse, pour les andalous, la vie est tranquille. Tout est plus relaxé. On prend du temps pour les petites choses. On est accueillants avec les personnes. On a l’impression, lorsqu’on voyage en France, que Paris représente toute la France. Mais lorsque je suis arrivée en Normandie, les gens étaient très accueillants. Ils ont fait des efforts pour me comprendre. Cela a cassé les clichés.

J’avais étudié le français à l’école, je connaissais quelques mots mais ce n’était pas suffisant pour m’exprimer. Je devais donc utiliser un traducteur ou mon langage corporel pour m’exprimer. C’était impératif d’apprendre la langue. Ce fut progressif mais c’est arrivé vite parce que lorsque tu es en totale immersion, ça vient vite. Au début tu ne comprends pas, puis tu comprends de plus en plus.

Le français et l’espagnol sont proches: les mots se ressemblent beaucoup et ne sont pas difficiles à apprendre. Mais je galère avec la prononciation – notamment v et b, et avec double s. Par exemple, poisson/ poison ou encore boire/voir. J’avais vraiment des problèmes. Un jour, on fêtait un anniversaire. Et j’ai dit que j’allais offrir un «rateau» d’anniversaire. Tout le monde m’a dit «mais c’est un peu bizarre, je ne sais pas quelles sont les coutumes en Espagne mais on ne fait pas ça ici». (rires)

Je suis arrivée en hiver, en janvier – sous la neige. Il faisait très froid. Les premières semaines étaient très grises. Le soleil ne sortait jamais. La lumière me manquait et j’étais triste. Il me manquait la vitamine D du soleil. Maintenant, j’ai du mal à retourner en Espagne et à retrouver 45 degrés en plein mois d’août. On pourrait aussi modérer un peu le froid ici car c’est dur! Mais on s’habitue. Le corps s’habitue à tout.

«Ne pas avoir peur et partir»

En Europe, quand on est étrangère, on peut voter aux élections municipales et européennes. Ici quand je suis arrivée, quelques mois après, on a voté pour les élections européennes. Comme j’étais loin de chez moi, je me demandais si le vote à distance était possible. Je me suis dis que je voulais voter ici. Je devais m’inscrire sur la liste électorale en France, avec ma colocataire italienne. On l’a fait. Tout s’est bien passé.

Le Crean, c’est une association régionale qui est labellisée par la Commission européenne comme centre d’information. On a trois associations qui sont labellisées comme nous, en Normandie, une à Caen, une à Vire et une à Evreux. Vire, c’est vraiment un territoire rural, parce qu’en comparaison avec Caen ou Evreux, le territoire n’est pas le même. On est très proches des citoyens et des petits territoires. On essaye de faire arriver l’information: comment l’Europe peut les aider et comment la personne peut bénéficier des programmes européens. Il y a beaucoup de choses qui se passent. On a beaucoup de projets en établissement scolaires : missions locales, ou maisons familiales rurales. On discute avec les jeunes sur la citoyenneté, les valeurs.

C’est une des plus belles expériences de ma vie. J’ai retrouvé une seconde famille à Vire. Je pense qu’il faut le faire au moins une fois dans sa vie. Il faut aller vivre l’expérience d’aller rencontrer de nouvelles personnes dans un autre pays, de connaître une autre culture, de profiter des possibilités que la vie dans un autre pays te donne. Les conseils principaux que je donnerai, c’est de ne pas avoir peur et de partir.»

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«Le bénévolat est une richesse humaine»

Professeure et directrice d’une école, Angélique Chénel passe son temps libre à le donner pour des associations. Elle est présidente de la MJC et trésorière de la Bibliothèque pédagogique, arts et culture de Vire. «On ne le dit pas assez, mais le bénévolat est là où l’État ne peut pas intervenir ou ne peut plus intervenir pour des raisons souvent financières.»

Ecoutez Angélique Chénel

«Après des études à l’université de Caen, je suis devenue professeure des écoles. J’enseigne depuis maintenant quinze ans sur la circonscription de Vire. A côté, je suis bénévole à la MJC depuis douze ans. Je suis au sein d’un bureau d’une association depuis quinze ans. A un moment, j’étais bénévole dans un bureau ou un conseil d’administration de quatre structures. Maintenant, il ne m’en reste plus que deux: la BPAC, c’est la Bibliothèque pédagogique, arts et culture de Vire où je suis trésorière; et la MJC de Vire Normandie où je suis la présidente depuis neuf ans.

C’est une culture de devenir bénévole, de s’engager quand on côtoie des membres de sa famille qui sont eux-mêmes bénévoles. On se rend compte de la richesse des échanges qui peuvent avoir lieu et on a envie de faire la même chose. J’apprends beaucoup de choses sur divers corps de métier, sur différentes façons d’aborder le travail, le salariat.

«On s’enrichit énormément»

On rencontre des gens formidables au sein des associations. On s’enrichit énormément. Quand on choisit nos associations, on défend des valeurs qui nous tiennent à cœur. A la MJC, c’est l’éducation populaire.

Pour être présidente ou bénévole de l’association, il faut être adhérent. Moi, j’ai été danseuse de claquettes. Quand l’assemblée générale de la MJC a eu lieu et que j’ai vu les membres du bureau, je me suis dit que je connaissais tous ces gens bien. Quand on est soutenus par une équipe qui connaît bien la structure, qui a l’habitude de travailler avec les salariés de la MJC, on peut se dire: «d’accord, je veux bien me présenter en tant que présidente, si vous me donnez un petit coup de main, puisque je ne suis pas à la retraite». J’ai un travail à temps plein.

Le rôle de présidente de la MJC, c’est d’être la représentante de l’association auprès des institutions. Je suis aussi l’employeuse, la personne qui signe les contrats des salariés. Être présidente, c’est assister à toutes les réunions pour déterminer les grandes orientations de l’association, pour prendre les grandes décisions. C’est aussi un travail de partenariat où la MJC est représentée par nous, bénévoles, auprès de nos partenaires. (…) Moi, je suis un peu ressource pour aider l’équipe à monter ces dossiers. Je travaille beaucoup le soir, la nuit, le week-end et pendant les vacances pour m’avancer et pour pouvoir participer à toutes les réunions de la MJC.

Le bénévolat a une place très importante en France. On ne le dit pas assez, mais il est là où l’État ne peut pas intervenir ou ne peut plus intervenir pour des raisons souvent financières. Il y a énormément d’associations en France et énormément d’associations à Vire Normandie. Il y a des bénévoles mais ce qui nous manque, ce sont des bénévoles au sein des conseils d’administration.

Fraternité

J’estime que si je «profite» d’une association, je dois leur rendre un peu la pareille en leur donnant un coup de main. Le bénévolat est très important, il a toujours existé, c’est aussi ce qu’on appelle la solidarité, ou même ce qu’on pourrait appeler la fraternité. C’est vraiment la devise de la France.

Je pense que c’est très important de maintenir ça. Peut-être qu’il faudrait trouver des moyens de valoriser le bénévolat d’une façon visible. Justement, je fais un peu appel aux journalistes. On a beaucoup de chances à Vire parce que tous les organes de presse couvrent beaucoup ce que font les associations. Tous les correspondants de presse, tous les journalistes, ont vraiment conscience de l’importance des associations à Vire et de leur place. A l’échelle de la France, on entend plus parler des problèmes que des solutions qui sont trouvées par les associations. Tout ce que les associations peuvent apporter à certaines catégories de la population ou à certaines personnes, on n’en parle pas beaucoup ou alors on en parle, mais dans le mauvais sens.

On peut prendre l’exemple des associations qui aident à Calais. En ce moment, il y a une interdiction de donner de la nourriture aux personnes immigrées à Calais et ce sont les bénévoles qui veulent sauver des vies, qui ont des amendes. Oui, on a vraiment besoin du bénévolat. En France, il y en aura toujours besoin et c’est une richesse culturelle et également une richesse humaine. C’est l’humanisme qui est bien représenté en France.»

Demain

Publié le 2 septembre 2022

De l’électricité en circuit court

«Papa, est-ce que tu connais un site où l’on pourrait installer une centrale hydroélectrique?», demande un jour le fils de Serge Poisson. Cet ancien employé d’Enedis en connaît un, juste en dessous de l’écluse de Vire. C’est là que le père et le fils installent une première petite centrale hydroélectrique il y a 9 ans, pour produire une énergie décarbonée, en circuit court. Rentable économiquement, et bon pour la planète.

Ecoutez Serge Poisson

«En 1890, à Vire, il y avait un ingénieur électricien – un tout nouveau métier parce qu’en 1890, personne ne connaissait l’électricité – , qui s’appelait Camille Bru. Il a eu l’idée de racheter les cinq premiers moulins en aval de la retenue de l’écluse, et dans le cinquième moulin, il a installé des turbines avec des moteurs électriques couplés à ces turbines. Et il en a fait du courant électrique. Son objectif était de concurrencer l’éclairage au gaz. Il a réussi à lui tout seul à alimenter toute la ville de Vire et les communes avoisinantes. L’usine de production électrique de Vire, c’était une des toutes premières usines de production électrique du Calvados et même, on peut le dire, de Normandie en 1890.

La première petite vanne que vous voyez, c’était là que le canal d’amenée parallèle avait été construit au Moyen-Âge pour alimenter les vannes du moulin. C’est là que Camille Bru, l’ingénieur électricien, a posé un tuyau qu’on appelle une conduite forcée pour aller jusqu’à la centrale qui est 200 mètres plus bas. Et en faisant ça, en cumulant la chute des cinq premiers moulins, il a atteint une hauteur de chute de seize mètres, ce qui commence à devenir un potentiel énergétique intéressant. A partir de là, on a une conduite forcée, un tuyau qui part sous les maisons et qui s’en va jusqu’à la centrale.

La région de Vire était réputée pour fabriquer du drap. C’était une production très artisanale, familiale presque. Cela a attiré les Anglais, qui sont venus s’installer ici dans les années 1830. Ils avaient des techniques beaucoup plus productives qu’ici. Et ils avaient des métiers à tisser plus performants. Ce sont eux qui ont créé ce bâtiment.

Energie locale

Voilà, la centrale hydroélectrique. Vous avez une turbine ici et une autre turbine là. Donc il y en a une qui fonctionne et l’autre qui est en arrêt. Ce qui tourne là, ça s’appelle un multiplicateur avec la courroie – et ça va entraîner le moteur électrique. C’est le moteur électrique qui va produire de l’énergie électrique qu’on va distribuer via le réseau Enedis qui est là, à côté. On va aller alimenter les voisins. C’est pour ça que je dis que cette installation, c’est vraiment l’expression du circuit court. C’est un vrai circuit court, parce que l’énergie est produite par la chute de l’écluse ici. Elle est produite ici et consommée ici, sur place.

Aujourd’hui, en France, il y a à peu près l’équivalent de la production d’une centrale nucléaire qui est perdue dans le transport de l’énergie. C’est pour ça que ce type de production, locale, c’est un modèle vers lequel on devrait de plus en plus tendre. C’est ça qu’on appelle le mix énergétique, c’est-à-dire qu’il faut user l’énergie partout où on peut la produire de façon à l’utiliser au maximum localement. Si les gens ne consomment pas l’électricité directement, ça passe dans le 20000 volts, dans la tension supérieure et c’est redistribué plus loin.

L’impact de cette activité de production d’énergie renouvelable hydroélectrique, c’est qu’on crée des obstacles pour la migration des poissons migrateurs. Mais aujourd’hui, l’homme a mis le pied sur la Lune. Il est bien capable de résoudre ce type de problème. D’ailleurs, il y a des solutions. On fait des passes à poissons qui sont opérationnelles, qu’il faut entretenir bien-sûr. L’autre impact, c’est la rétention des sédiments. Mais depuis 1000 ans qu’il y a des barrages de moulins, devant les moulins on n’a pas encore remarqué des montagnes de sédiments. Ce qui veut dire que les sédiments arrivent à passer quand même. On peut aussi ouvrir des vannes pour faire des chasses de façon à ce que ces sédiments puissent se libérer et partir. Le dernier impact que l’on a, en été, c’est la qualité de l’eau. On va la réchauffer un peu, donc on va amoindrir la qualité de l’oxygène de l’eau.

Un projet rentable pour la planète

Oui, c’est rentable. Absolument. Parce que déjà, j’ai un contrat d’achat de 20 ans, donc ça me permet de voir loin. Je suis sûr d’amortir mon installation. C’est d’autant plus rentable que j’ai fait une bonne partie des travaux moi-même. J’ai un retour d’investissement sur cette installation-là, d’à peu près 7 ans. Donc ça veut dire que pendant 7 ans, je ne gagne pas d’argent, ou que je n’en gagne pas beaucoup, mais par contre, comme là, ça fait dix ans que je tourne, depuis trois ans, je suis en plein rapport. C’est rentable économiquement, mais c’est aussi surtout très rentable pour la planète puisqu’on en parle beaucoup au niveau de l’environnement.

Par rapport au réchauffement climatique, le fait de produire de l’énergie renouvelable, c’est vraiment aller dans le sens de l’histoire et dans le sens de la lutte contre le réchauffement climatique. Parce que là, ici, on produit très, très peu de CO2. On en produit quasiment pas. (…)

Dans le sud de la Manche, on a détruit le barrage de Vezins et aussi celui de La Roche qui boit pas très très loin d’ici. Pour moi, c’est une incompréhension totale. Tous les jours dans les médias, on nous rabat les oreilles en nous disant qu’il faut développer les énergies renouvelables – et on détruit des barrages… Où est la cohérence, là ? Le problème, c’est qu’il y a un conflit entre une forme d’écologie et la production d’énergie renouvelable.

Remettre en marche les petits moulins

Je pense que si on fait une utilisation raisonnée aussi de l’énergie, de l’électricité, si on fait des économies d’énergie, si tout un chacun prend conscience qu’on peut réduire sa consommation avec une vraie volonté de développer les énergies renouvelables, moi je crois qu’on peut se passer du nucléaire qui reste malgré tout, quand même, une énergie à très haut risque.

Moi, je pense que Tchernobyl et Fukushima, c’est quand même une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Même si on est, soi-disant, des champions du nucléaire, on n’est pas à l’abri d’un accident majeur, surtout pas malheureusement. Alors il faut savoir que la production d’énergie renouvelable hydroélectrique en France, ça représente presque 20%, autour de 18%, de l’énergie électrique produite en France, principalement grâce aux grands barrages qu’on a en montagne. C’est la première énergie renouvelable en France – l’énergie hydroélectrique. Si on utilisait tous les petits moulins partout où il y en a encore, en les remettant en marche, en les équipant… On sait que c’est tout à fait possible. Il y a un potentiel de développement. (…)

Ce projet, jamais je n’y serai venu sans l’intervention de mon fils qui a fait des études en électrotechnique. Il est allé faire un stage dans une entreprise qui fait de la maintenance de centrales hydroélectriques. Il est revenu enchanté, je dirais même émerveillé, parce qu’il est tombé amoureux de ce métier grâce à ce stage. En revenant, il m’a dit «Papa, tu ne connais pas un site où on pourrait réhabiliter une centrale hydroélectrique». Et moi, j’avais déjà fait la connaissance de ce site-là parce que justement, comme j’avais travaillé chez EDF, on était amenés à aller un petit peu partout. Quand on est agent EDF, on va chez tout le monde, on va dans toutes les campagnes, dans toutes les communes, et on s’intéresse à tout ce qui est production d’énergie. Et je savais qu’il y avait un site, ici, qui était en sommeil.»

***

Co-working manageuse

A 22 ans, Salomé Courteille est la «coworking manageuse» du nouvel espace de coworking, Station V. Traduisez : elle anime le lieu pour faire du lien entre les entrepreneurs qui viennent travailler dans cette ancienne station service. Avec audace, elle a suivi la création du projet, dans la ville de son enfance, dont elle apprécie «l’esprit un peu campagne, mais pas trop. A Vire, tout le monde se connaît».

Ecoutez Salomé Courteille

«Station V, c’est une ancienne station service réhabilitée en espace de coworking. Nous proposons un espace de coworking qui est privatisable en after-work, quatre bureaux privés, mais également une salle de formation qui peut accueillir de 6 à 16 personnes. Et un studio vidéo également. Depuis septembre 2020, on accueille différents entrepreneurs mais aussi de plus grandes structures, notamment pour la salle de formation et la privatisation.

“Coworking Manager”, ça consiste à développer l’aspect commercial, mais aussi créer des événements et rendre ce lieu vivant, que ce soit par l’accueil des coworkers. Développer aussi les réseaux sociaux, mais surtout créer du lien entre chaque personne. On veut vraiment être créateur de liens entre tous pour qu’il puisse y avoir du développement et créer de nouveaux projets.

Avant, c’était une ancienne station service: c’est ce qui a inspiré la décoration. On remarque dans cet espace une décoration du monde de l’automobile des années 50 à 70. Chaque élément de décoration a une histoire. Par exemple, nos portemanteaux sont des isolateurs EDF; le tour du miroir dans les sanitaires, ce sont de petites voitures de collection ou un pneu recyclé… Tout a été réfléchi. Cela a été fait par des artisans locaux, avec des produits français, au maximum en tout cas.

C’est en 1934 que Roger Vétellet rachète justement cette station service. Au tout début, cela s’appelle la Maison du pneu. Et après, ça deviendra Mobil Oil, Mobil Gaz. Nous avons récupéré de nombreuses photos du passé grâce à un membre de la famille de Roger Vételet, qui était photographe. Lors du bombardement, il a dû déménager cette station service en face, dans la rue, juste à côté de la mairie. Lors de la reconstruction, le bâtiment a été reconstruit ici. D’ailleurs, la machine qui permettait de lever les voitures, on l’a repositionnée exactement au même endroit. Chez le barbier, juste à côté, il y a une photo de la petite fille de Roger Vételet. La photo est posée sur la pompe à essence où était la petite fille, en 1953.

C’est l’entrepreneur Gérald Bertin qui recherchait un lieu chargé d’histoire, depuis 2014, pour créer un espace de coworking, ici, à Vire. C’est en 2018 qu’il a trouvé cet espace là. Il avait déjà réuni plein d’idées sur le monde de l’automobile, puisque ça fait partie d’une de ses passions. Il a tout donné à une architecte à Granville qui est La boîte à croquis. Et elle a trié.

«Je ne savais pas qu’il y avait ça à Vire!»

On a réussi à avoir cet espace qui est pourtant dans le monde de l’automobile, mais pas trop masculin non plus, avec de petites plantes… On a essayé d’aménager l’espace pour que ça reste chaleureux. Et forcément, la première chose, quand les gens visitent ici : «Ah oui, mais c’est trop beau. Je savais pas qu’il y avait ça à Vire».

Je suis Viroise depuis toujours. Ma mère tenait un commerce dans Vire, un bar qui s’appelait le Cassiopée Ma mère a vendu le bar qu’elle tenait en 2005. Je vais quand même vous raconter l’anecdote parce que c’est rigolo. Une petite fille m’a demandé, quand j’étais en grande section, ce que ma mère faisait. Ma mère était à côté, et je n’avais pas fait attention: j’avais répondu qu’elle était catcheuse. Quand il y avait des gens qui étaient bourrés, eh bien, elle les virait du bar. On voyait ces images là avec mon grand frère depuis la cuisine. Elle a préféré vendre plutôt que je raconte ça à tout le monde.

J’ai toujours été attirée par le commerce -j’ai baigné dedans. J’ai fait des études à Caen. Après, j’ai fait un bachelor communication et marketing. J’ai fait toutes mes études en alternance. C’est comme cela que je suis arrivé ici, en alternance, en tant que commerciale, alors qu’ils recherchaient au départ une stagiaire… Voilà, j’ai quand même du toupet, de l’audace. Finalement, j’ai été recrutée pour développer station V. Je suis arrivée en septembre 2020, donc j’ai vraiment suivi toutes les étapes du projet. J’ai même pu assister aux réunions de chantier toutes les semaines. Je grimpais à l’échelle etc… C’est une très belle expérience. J’ai appris plein de choses, plein de mots techniques. Peut-être qu’un jour ça me servira… Aujourd’hui, je suis vraiment très contente d’avoir participé à un projet aussi jeune, un projet d’une telle envergure en tout cas à Vire. Et je suis contente que ce soit ma ville natale qui puisse avoir un beau projet comme celui-ci, en tout cas dans son paysage. Ça m’a fait plaisir, forcément, quand j’ai vu qu’il y avait une opportunité d’alternance ici.

A Vire, j’aime bien l’esprit un peu campagne mais pas trop.… Tout le monde se connaît. Le monde est très petit, et à Vire encore plus.»

Station V a été soutenue par le Feder, une aide de l’Europe, mais aussi la région Normandie et le département.

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Des femmes libres

Professeure documentaliste au lycée Marie-Curie de Vire, Léa Simon accompagne le collectif féministe «Nous», créé par des élèves du lycée. Une façon de contribuer à faire avancer l’égalité entre les femmes et les hommes, dans la société. «Je pense que ça avance en militant. J’ai vraiment le sentiment que la parole se libère. Je trouve que les jeunes, surtout, en parlent beaucoup plus.»

Ecoutez Léa Simon

Je suis enseignante documentaliste au lycée Marie-Curie de Vire. Le collectif Nous a été créé l’année dernière, par des élèves de l’établissement. Deux d’entre elles se sont présentées à moi et à une collègue pour parler des violences faites aux femmes. Elles voulaient mettre en place des choses au lycée et essayer d’en parler aux autres élèves. Nous, forcément, on les a suivies. On a bien adhéré au projet et on s’est dit: on se lance aussi dans ce projet là avec elle.

En tant qu’enseignante documentaliste, cet engagement-là, il n’est pas obligatoire. Enfin, c’est vraiment quelque chose que je fais en plus. Ce qui est bien dans mon métier, c’est qu’en fait, je peux aller un peu ou je veux. Je fais des projets qui m’intéressent. J’encadre aussi le journal du lycée, je peux faire plein de choses. Pour le féminisme, en tout cas, je peux accompagner des élèves dans des actions comme celles du collectif. Et puis je peux aussi tout simplement proposer des lectures qui sont liées au féminisme.

Ce qui nous motive pour encadrer ce collectif, c’est le fait que des élèves veulent s’engager dans une action, dans une cause. Et ça, pour nous, c’est primordial. Je ne me voyais pas voir des élèves avoir envie de faire des choses et ne pas pouvoir leur laisser l’opportunité de le faire. C’est la première raison. La deuxième, bien sûr, c’est la cause, qui m’intéresse énormément. Enfin, ce n’est pas qu’une cause féministe. Là, vraiment, on parle également d’humanisme en règle générale. En fait, on parle de liberté et d’égalité entre toutes les femmes et tous les hommes. Ce n’est pas que pour les femmes.

Je pense que c’est primordial. C’est une réelle question de société. Pour les femmes c’est important qu’elles se sentent l’égal des hommes, qu’elles soient libres de sortir en ville, un soir, habillées comme elles le souhaitent et sans se faire emmerder dans la rue. J’espère qu’un jour ce sera possible.

Mais pas que pour les femmes. Aussi pour les hommes, parce que je pense qu’ils ont peut être aussi une façon de se comporter, pour certains, qui n’est pas adaptée à la société d’aujourd’hui. Je pense que c’est un apprentissage pour tout le monde.

«Les femmes ne doivent pas se laisser faire.»

Les femmes ne doivent pas se laisser faire. Ce sont des questions sociales qui vont évoluer avec le temps, on en parle beaucoup plus. Je pense qu’il y en a qui s’en fichent complètement, mais ça, c’est normal aussi, tout le monde ne peut pas forcément être là-dedans. Mais en tout cas, cette question-là se pose beaucoup plus chez les jeunes aujourd’hui et même très tôt. Mon mari travaille dans un collège. On avait dit à des élèves de quatrième qu’elles avaient des hauts un peu trop courts. Et elles avaient répondu : «Mais en fait, est ce que c’est à nous de nous adapter et pas plutôt le regard des autres qui doit être adapté à nous ?»

Avoir cette réflexion, en quatrième… j’applaudis. C’est quand même génial d’avoir des réflexions comme ça à cet âge là.

Dans le corps enseignant, cette question là du féminisme n’est pas forcément abordée. Je sais que j’ai des collègues très féministes, très très engagées et qui, dans leur cours, essayent d’en parler. Par exemple, une professeure de français aborde ces sujets là quand elle fait des études de textes.

Mais sinon, à part ces quelques professeurs un peu engagés, c’est vrai que même le collectif «Nous» n’est pas forcément connu de tous les professeurs. Tout le monde ne s’y intéresse pas forcément.

La cause des femmes avance avec des actions – par le droit de vote, toutes ces choses là… Je pense que ça avance en militant. Même si pour autant, je ne suis pas forcément d’accord avec les actions extrémistes.

Je ne suis pas sûr que de montrer ses seins, ça va forcément faire avancer la cause. En même temps, on en parle… Donc voilà, mon avis est un peu mitigé sur la question.

J’ai vraiment le sentiment que la parole se libère. Déjà depuis le mouvement Me Too, ça c’est sûr et certain. Je trouve que les jeunes, surtout, en parlent beaucoup plus. Moi je vous le dis: à mon époque et pourtant, c’était il n’y a pas si longtemps, on n’en parlait pas du tout. Mais pas seulement des femmes. Il y a les personnes transgenres par exemple, toutes ces personnes qui osent juste être libres et être elles-mêmes. Ça, je trouve ça génial.»

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Déconstruire les stéréotypes de genre et lutter contre les violences

C’est au sein de l’association l’Etape, à Vire, qu’Olga de Saint-Jore a commencé à s’interroger sur l’égalité entre les femmes et les hommes. Déconstruction des stéréotypes auprès des jeunes, stages pour les hommes auteurs de violences conjugales, appartement relais pour abriter les victimes, soutien à la parentalité… Olga de Saint-Jore joue sur tous les tableaux pour tenter de faire avancer le sujet, à bras le corps. «Au train où l’on va en France, si on n’avance pas plus vite en terme d’égalité professionnelle, on aura l’égalité réelle en 2163. Donc il faut qu’on accélère un petit peu.»

Ecoutez Olga de St Jore

«Ce dispositif d’accueil, d’écoute, d’hébergement de femmes victimes de violences conjugales que nous avons mis en place à Vire en 2007, vient d’une rencontre des gendarmes qui venaient d’être formés en tant que référents «violences intrafamiliales». Ils avaient vu un article dans le journal dans lequel on a abordé la question de l’égalité hommes femmes. On s’est réuni et on a dit: qui fait quoi et qui peut faire quoi, pour accompagner une femme victime de violences, ou un homme? Les hommes ne sont pas exclus.

Petit à petit, on a construit un dispositif qui a maintenant aussi un appartement-relais. On en est très fiers. C’est la mairie qui met à disposition cet appartement-relais qu’on appelle «l’escale». Une femme et des enfants peuvent y être hébergés pendant deux ou trois mois, le temps qu’on stabilise la situation. Bien évidemment, dès qu’une personne arrive, en demande d’accueil, d’écoute, je vais être là, je vais faire le relais. Je vais soutenir les démarches. Je vais orienter vers les bonnes personnes. C’est plus facile pour moi de passer un coup de fil, de demander un conseil juridique, d’appeler les gendarmes, d’accompagner au dépôt de plainte. Voilà toutes les questions qui peuvent se poser. Je suis un petit peu la “coach”.

C’est un dispositif qui fonctionne plutôt bien. Même si ce n’est pas parfait, on a encore plein de projets. Mais voilà, on est partis de rien. C’est pas mal.

Cette question de l’égalité femmes/hommes, je ne suis pas tombée dedans quand j’étais petite. Je n’ai pas eu une maman clairement affichée féministe…. Mais cela nous a un peu “explosé à la figure”, pour parler un peu comme ça. C’est de se lancer dans l’égalité entre les femmes et les hommes, en emploi, ici avec l’Etape. À l’époque, on s’est tous formés, on a fait venir un expert et on s’est dit : mais oui, en fait, on n’accompagne pas les femmes à la recherche d’emploi comme on accompagne des hommes. On ne pose pas les mêmes questions. Mais on oubliait aussi que les hommes pouvaient être papas: la question de l’articulation des temps de vie n’était pas posée du côté des hommes. Voilà tout un tas de questions comme ça, qui, quand on est sensibilisés, nous ont un peu ouvert les yeux.

Clubs femmes de recherche d’emploi

En 2018, 2019, on a mis en place un club «femmes» de recherche d’emploi. Pour la petite histoire, la méthode Club de recherche d’emploi, c’est un peu dans l’ADN de l’étape. C’est une méthode québécoise basée sur l’entraide que l’on utilisait à l’Etape depuis le début de sa création. On regroupe 2 à 3 fois par semaine des demandeurs d’emploi, et on essaie de les aider, de les outiller dans leurs recherches. Il s’agit d’avoir un accompagnement plus global, c’est-à-dire d’essayer de lever les freins, ce qu’on appelle les freins périphériques à l’accès à l’emploi. Parfois ce n’est pas forcément la compétence, le diplôme… Ça peut être la mobilité, la confiance en soi, la garde d’enfant.

Bien évidemment, les femmes sont plus au chômage de longue durée que les hommes. Elles rencontrent davantage de freins, notamment quand elles ont des enfants. Quand elles ont connu des violences conjugales, c’est plus compliqué, elles sont “cassées”. Elles ont moins confiance en elles et elles ont parfois plus de mal à aller vers des groupes. L’idée, c’était de faire un mix de cette méthode de recherche d’emploi, avec l’angle spécifoque des femmes, les freins périphériques, et en particulier : c’est quoi être une femme ? C’est quoi être une maman ? Et donc avoir des temps comme ça, un peu plus conviviaux, plus intimes aussi, qui permettent de lever ces freins, d’aborder ces questions là. Le groupe permettait l’entraide, la compassion permettait la bienveillance et l’échange. «Moi, j’ai fait comme ceci, tu devrais faire comme cela». Il y a des solidarités qui se créent. Donc voilà, c’est comme ça qu’on a monté trois clubs «femmes».

De nos jours, mais récemment,Il y a de plus en plus de choses qui sont dénoncées, qui sont intolérables. Il faut veiller à le dire de manière pédagogue, je pense. Faire en sorte que ce ne soit pas la lutte des femmes contre les hommes. Ca, on peut très, très vite partir là dedans et cela ne fera pas avancer l’égalité. Il faut faire comprendre aux filles ou aux garçons que c’est un enjeu sociétal, que ça fait partie des droits des humains.

Prendre en compte les auteurs de violences

Il y a deux nouveautés dans la façon d’envisager l’égalité entre les femmes et les hommes. Il y a la prise en compte du père dans l’entreprise, c’est-à-dire la parentalité au sens large. Depuis les années 60’s, on a fait des choses pour les femmes, parce qu’elles n’avaient pas les mêmes droits que les hommes, parce que parfois elles ont besoin de leviers, de petits escabeaux, pour être à égalité des chances avec les hommes. Mais l’égalité professionnelle, elle doit aussi prendre en compte les besoins des jeunes papa de la génération Y, Z… ils ont des attentes qui sont différentes de la génération d’avant. La reconnaissance d’un homme en tant que père, y compris dans l’entreprise, c’est primordial pour l’égalité professionnelle. Les politiques qui, récemment, ont donné quatre semaines de congé paternité, c’est une vraie avancée. et il ne faut pas laisser dire “qu’Ils vont pas se la couler douce”, les hommes !

L’autre nouveauté de ces 10 ans, c’est la prise en compte et l’accompagnement des auteurs de violences. On sait que les auteurs, neuf fois sur dix, sont des enfants qui ont été exposés avant, pour la plupart, et on ne s’en est pas occupés. Il faut absolument que l’on puisse mettre en place des stages de responsabilisation pour prévenir la récidive. Je fais une petite partie de ces stages «auteurs de violences» avec une association d’aide aux victimes en lien avec les magistrats,dans l’Orne et le Calvados – où je leur parle d’égalité, de stéréotypes justement. Et je vois bien qu’il y a de petites choses qui s’allument où ils disent: «Ah ouais, c’est sympa. Je n’avais pas pensé que je pouvais être un homme sans être un bonhomme», c’est à dire un mec viril qui ne plie pas les pouces. Parce qu’il y a aussi de ça dans l’éducation des garçons, historiquement.

Comment fait-on pour déconstruire des stéréotypes ? Quand je rencontre des jeunes, je leur demande de lister des stéréotypes, tout simplement. Qu’est-ce qu’on dit d’une fille ? Qu’est-ce qu’on dit d’un garçon ? Les filles sont douces et fragiles. Elles pleurent facilement. Elles sont émotives. Elles passent 2h dans la salle de bain. Elles vont être maîtresses d’école. Que font les garçons ? Ils sont forts, ils jouent plus au foot, ils sont plus sportifs, ils sont geeks. Et puis ils seront mécaniciens ou footballeurs. C’est un peu la foire d’empoigne cette séance là. Mais j’entends des «non, ce n’est pas vrai, mais moi, je ne suis pas comme ça». Ils se rendent bien compte que les stéréotypes, ce n’est pas naturel. On essaye de trouver des modèles de femmes qui font des métiers atypiques de genre, des sports. Pareil pour les garçons. Je travaille beaucoup sur ce que l’on va dire d’une fille qui fait un “truc de garçons”. On va l’appeler garçon manqué. Bon, c’est loupé, «on a une fille», c’est ce que ça veut dire… c’est humiliant ! Et puis qu’est ce qu’on va dire d’un garçon qui est victime ? Qui se comporte comme une fille ? Du coup, ils ne connaissent pas beaucoup le mot femmelette, ou fillette. On tombe tout de suite dans l’insulte homophobe au genre féminin – tapette tout ça – c’est au genre féminin.

On touche aussi à la lutte contre l’homophobie. Et puis finalement, au fur et à mesure des échanges, ils me donnent des exemples où on peut très bien être un garçon sensible. Si je deviens pédiatre, je suis forcément un garçon qui est doux, par exemple, parce que je sais m’occuper des enfants.»

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Sur le chemin de l’autosuffisance collective

Parce qu’ils cherchaient un terrain où s’installer dans l’ouest de la France, Antoine et ses deux camarades de promo d’ingénieurs sont arrivés à Vire Normandie un peu par hasard. Avec une idée en tête : cheminer vers l’autonomie afin d’œuvrer pour « un monde meilleur, plus juste humainement et écologiquement ». Ils produisent leurs légumes, échangent des biens et des services avec leurs voisins et voisines, vivent sans eau courante ni raccordement au réseau électrique.

Ecoutez Antoine Desjonquères

«Nous avons reçu une formation d’ingénieur. Pendant nos études, nous avons imaginé vivre un mode de vie différent, parce que nous n’étions pas du tout attirés par l’idée de bosser dans des bureaux pour des grandes entreprises, pour des choses qui vont complètement à l’encontre de nos valeurs. On imagine œuvrer pour un monde meilleur, plus juste humainement et écologiquement. Et en discutant, on s’est dit pourquoi ne pas monter un groupe de vie et cheminer vers l’autosuffisance pour vivre selon nos valeurs ? On a fait les réflexions ensemble: quelles sont nos envies et quels sont nos besoins? De quoi on a besoin, et de quoi on a pas besoin?

L’électricité, on s’est dit qu’on pouvait essayer de s’en passer. On n’est pas reliés au réseau, mais on a des panneaux photovoltaïques avec câble USB pour recharger le téléphone portable.

Comme on est ingénieurs, la question de la technique est quelque chose qui est au cœur de nos réflexions et en fait, on est de plus en plus souvent dans la critique de toute la technologie qui est industrielle. Dans ces technologies centralisées, souvent, ce ne sont pas les personnes qui produisent qui possèdent leurs outils de production, ce qui implique des hiérarchies et des rapports de domination. Et du coup, nous, à l’opposé, on a plus un idéal de liberté. On aime bien l’idée d’avoir des technologies que chacun peut s’approprier. Quand un outil casse, la personne peut le réparer ou le refabriquer. Cette idée d’autonomie et de liberté nous fait préférer les technologies individuelles plutôt que les technologies de masse, entre guillemets.

Revenir vers de l’artisanat, plutôt que de l’industriel. Il y a ce côté politique derrière. La production industrielle est liée à l’extractivisme. On extrait des matériaux qui ne seront pas indéfiniment disponibles, surtout au rythme auquel on les exploite. Les métaux rares qu’on trouve dans les systèmes électroniques comme le cuivre pour tous les systèmes électriques, et dans les téléphones portables, tous les différents métaux rares qu’on peut avoir. On aime bien imaginer un mode de vie durable qui pourra encore perdurer dans les siècles qui viennent.

Autosuffisance collective

L’autosuffisance, on l’a toujours envisagée comme une autosuffisance collective, à la fois du groupe ici et de la communauté élargie, avec les voisins. Quand on faisait le marché, on a rencontré des gens qui venaient nous acheter des légumes ou juste des gens qui sont venus ici par curiosité, qui étaient intrigués de savoir ce qu’on faisait et comment on vivait. Nous allons aussi rencontrer nos voisins pour nous présenter et pour recréer des liens.

De plus en plus, il y a un partage de l’argent décomplexé. L’argent n’est pas vraiment un sujet tabou. Et du coup, quand il y a des frais partagés, les personnes qui ont le plus de moyens et qui sont le plus prêtes à mettre de l’argent dans cette dépense vont le faire. Cela se fait de manière équitable en fin de compte. Nous sommes deux dans le groupe à toucher le RSA. On achète encore des choses en magasin, dont de l’huile. Il y a des choses qu’on ne produit pas sur place.

Une des choses les plus difficiles, c’était au début de vivre dans le froid. Avec Corentin, on vivait dans la caravane, dans le hangar, et c’était pas chauffé, pas isolé. Le froid ralentit et rend apathique. Du coup, tu as à peine la force de parler. Et c’est ce qui nous a donné un énorme coup de motivation pour construire ces deux pièces isolées et chauffées.

«Vous avez bien du courage de faire ça, nous, on ne le ferait pas, surtout à notre âge»

Il y avait clairement une volonté politique, surtout au début, avec l’idée d’essaimer. C’était de montrer un exemple. Mais on est de moins en moins convaincus par ça, par ce but là, parce que la plupart des remarques qu’on a des autres gens c’est «vous avez bien du courage de faire ça, nous, on ne le ferait pas, surtout à notre âge». Les personnes à qui ça parle le plus, ce sont des personnes qui ont vécu dans le même cadre ou qui ont fait des études d’ingénieur et qui se questionnent. Cela leur parle, ce questionnement qu’on a sur la technique, sur la technologie.

Aujourd’hui, on a toujours cette idée, cet espoir d’inspirer un peu les personnes aux alentours. On ne veut pas faire du prosélytisme et aller vers les gens comme des Témoins de Jéhovah qui distribueraient des textes. Mais plutôt en cohabitant avec d’autres personnes, en partageant nos difficultés et ce qui nous plaît dans ce mode de vie, et donc d’inspirer de manière indirecte. On a des amis qui voudraient s’installer dans le coin, nous recherchons donc des terrains et des bâtiments à retaper pour inciter plus d’amis à venir s’installer.

La volonté commune, c’est vraiment d’éviter d’avoir trop de risques de sécheresse notamment avec le réchauffement climatique et donc l’ouest de la France, c’était une bonne solution. On découvre encore en particulier qu’à Vire, il y a une pluviométrie vraiment régulière. Les quatre dernières années, quand il y a eu des étés de sécheresse, le coin autour de Vire restait beaucoup plus vert qu’en allant vers Nantes par exemple. (…)

Tuer le ragondin

Il y a quelques semaines, un ragondin commençait à venir de plus en plus dans le jardin pour grignoter les chicorées. Il y a quelques jours, on a réalisé qu’il avait mangé toutes les chicorées,une cinquantaine, qu’on avait dans le jardin. Il commençait à s’attaquer aux choux. Cela devenait problématique pour notre subsistance. On a décidé qu’on allait le tuer.

Un soir, il s’est coincé dans la porte de la cave. Il était pris au piège. Jean a appelé Colin et moi. On était trois autour du ragondin. Colin l’a attrapé et l’a immobilisé au sol. Je lui ai donné un coup de bâton sur la tête. Le premier coup l’a assommé. Un deuxième coup l’a fait saigné du nez. On voyait qu’il était en train de mourir. C’était assez choquant sur le coup. Je pense qu’on était choqué parce qu’on n’est pas habitués à voir la mort d’un animal. Comme il était assez gros, on avait un peu d’empathie aussi pour lui.

(…)

Il y a beaucoup de voisins qui ont des poules – et souvent on fait des échanges de légumes contre des œufs. Il y a deux semaines, nous faisions un feu dans notre four et l’un d’entre nous voulait faire un gâteau. On n’avait pas d’œuf. Pour la première fois, on est allés voir spontanément des voisins pour leur demander des œufs. Souvent, des voisins venaient nous en offrir.

Je trouve ça beau de pouvoir aller demander à des voisins de nous dépanner en œufs. On leur a remis un potiron en échange et c’était l’occasion de discuter. C’est beau, plutôt que d’aller dans un magasin en ville, acte plutôt impersonnel, d’aller juste voir un voisin et de lui proposer un échange.»