Décembre 2019

Zéro chômeurs

Simon Gouin (texte), Emmanuel Blivet et Viriginie Meigné (photos), les jeunes de la mission locale et du lycée Allende

L'idée

Publié le 4 décembre 2019

Plus de 6 millions de chômeurs. Et une idée folle : donner un emploi à tous, sans surcoût pour la collectivité et avec un impact positif sur les territoires. Expérimentée à Colombelles, dans la banlieue de Caen, Territoire zéro chômeurs change le quotidien des personnes employées, mais affronte de nombreux défis.

Mars 2017

A première vue, la cuisine semble prête à accueillir la machine à café. Mais Eric, qui vient de la repeindre avec son collègue Julien, n’est pas satisfait: «Il va falloir une deuxième couche. Ce n’est pas propre, en haut du mur.» Avec sa voix de fumeur, ses mimiques un peu nerveuses, Eric a le coup d’œil, et le coup de main: peindre était son métier pendant trente ans. Ses bras et son dos en souffrent aujourd’hui. Ses mains, régulièrement nettoyées au white spirit, sont extrêmement sèches. «Être peintre, c’est faire toujours les mêmes gestes. Je n’en pouvais plus, moralement et physiquement. J’avais envie de changer d’air.»

Il y a un an et demi, Eric arrête l’activité commencée à seize ans «pour partir de chez ses parents». Pointe à Pôle emploi qui l’oriente constamment vers des postes similaires à son ancien travail. «Je ne voulais plus faire cela.» Eric refuse de faire les démarches pour toucher le RSA, par honte. Grille ses économies, et perd progressivement espoir.

Jusqu’à son grand saut en parachute, comme il le dit. Un saut dans l’inconnu avec le projet «Territoires zéro chômeurs de longue durée», expérimentée à Colombelles, où Eric est né. Et aujourd’hui, Eric a repris la peinture quelques heures pour s’occuper du bureau de Territoire zéro chômeurs, qui représente pour lui beaucoup d’espoirs.

[Au fil du texte, rencontrez les employés de Territoire zéro chômeurs à Colombelles. Toutes les photographies ont été prises en novembre 2019, plus de deux ans et demi après les débuts de Territoire zéro chômeurs.]

Eric Leprévost, 54 ans, dans le bois de Colombelles dont il a en charge l’entretien (Photo : © Emmanuel Blivet/Grand-Format)
«Depuis l’âge de 16 ans, j’ai été toute ma vie peintre salarié dans le bâtiment. J’en ai alors eu marre de la peinture même si je gagnais bien ma vie. Je souhaitais à ce moment là me former à autre chose mais Pôle Emploi ne me proposait que du travail dans la peinture.
J’étais peut-être pour eux trop âgé pour envisager un changement de cap?
Étant natif de Colombelles, je venais souvent dans le bois qui surplombe l’Orne dans ma jeunesse, et, lorsque j’y revenais, je me disais que cet endroit n’était pas assez valorisé. J’ai alors proposé un projet d’embellissement de cet écrin de verdure. La mairie avait de son côté également un projet similaire. Le poste de garde nature était crée! C’était pour moi devenu inespéré de travailler à l’air libre sur des horaires de bureau! ».

Janvier 2017

C’est le branle-bas de combat dans la petite ville de 6280 habitants, aux portes de Caen. Colombelles, une ancienne ville ouvrière, a été retenue pour faire partie des 10 territoires français où est expérimentée une idée lancée par l’association de lutte contre la misère ATD Quart-Monde. Son nom: Territoire zéro chômeurs de longue durée. Une nouvelle méthode pour lutter contre le chômage, un peu révolutionnaire. «Disons qu’elle prend les choses à l’envers», suggère plutôt Patrick Valentin, l’initiateur de cette idée. Tout doit partir du demandeur d’emploi et des besoins locaux.

C’est l’Ardes, l’association régionale pour le développement de l’économie solidaire en Normandie, qui a porté le projet. Elle s’est engagée aux côtés de la ville de Colombelles pour répondre à l’appel à candidatures national. Une association locale a ensuite été créée pour poursuivre le travail, avant, enfin, la création d’une entreprise à but d’emploi.

Première étape du projet : inviter les personnes sans emploi à réfléchir aux besoins de leur territoire de vie. « Non seulement les personnes doivent nous expliquer dans quel travail elles se verraient le mieux, mais aussi quelles activités seraient bonnes pour la collectivité », explique Pascal Gourdeau, de l’Ardes, une association chargée de la maîtrise d’ouvrage du projet. L’un s’imagine aménager le bois de la ville, y créer un parcours pédagogique, de l’accrobranche. Une autre pourrait créer un point info-santé, afin d’orienter les personnes vers les bonnes structures. Une troisième envisage de conduire un taxi solidaire, ce qui accroîtrait la mobilité des habitants pour un prix modique. Une dernière visiterait les personnes âgées dépendantes, pour passer du temps avec elles, discuter, jouer aux cartes, et lutter ainsi contre la solitude.

Colombelles, ancienne cité ouvrière

Colombelles affiche le plus fort taux de chômage de l’agglomération caennaise (environ 18% de sa population active). Jusqu’en 1993, la Société Métallurgique de Normandie, installée sur son territoire, était un véritable poumon d’activité (voir les photos ci-dessous). Mais les fourneaux ont fermé et les startups de haute-technologie les ont remplacés, au pied de l’ancienne usine.

Malgré ces emplois qualifiés, Colombelles compte environ 700 demandeurs d’emplois, dont 250 de longue durée. Peu de diplômes, peu de mobilité. Des personnes qui perdent confiance en eux, et en l’avenir.

©Fonds J. Dauphin / La Fabrique de patrimoines en Normandie

«Pas question de laisser une personne sur le carreau»

À l’entrée de son bureau, des cartes postales ont été affichées. Charbonnier, filetière, chiffonnier. Les métiers d’autrefois qui peuplaient les campagnes normandes. Ludovic Provost, lui, travaille sur ceux de demain. Il est conseiller en insertion, et c’est lui qui est chargé d’orienter une partie des demandeurs d’emploi vers la création des nouvelles activités qui seront développées, demain, grâce à Territoire zéro chômeurs. «Dans les entretiens, nous partons de leurs envies et de leur motivation. Nous explorons avec eux leurs idées et nous les confrontons à la réalité», souligne le conseiller en insertion qui a pris part depuis quelques mois au projet.

Son objectif : travailler les idées d’activités. S’assurer qu’elles respectent les critères fixés: le travail ou le service proposé ne doit pas exister sur le territoire. Pas question de concurrencer une activité déjà existante. Les emplois doivent ensuite être principalement non marchands, ou peu solvables: si une compensation financière est demandée au public bénéficiaire de cette activité, elle doit être très faible.

Katia Fouchard, 45 ans, devant la boutique du potager d’Annie.
(Photo : © Emmanuel Blivet/Grand-Format)
«Cela fait deux ans que je travaille au maraîchage. Polyvalente, je suis a la fois au magasin avec Amandine, aux fruits avec la mise en terre des fraises en ce moment, et à la récolte avec les collègues pour garnir les paniers. Avant Territoire zéro chômeurs, j’ai fait plusieurs métiers, comme auxiliaire de vie, gouvernante dans les hôtels ou femme de ménage dans de grands centres de vacances. Je cultivais quelques légumes comme ça, vite fait. Lorsque mes collègues ont du mal, à cause de leur âge, leur motivation, leurs problèmes personnels, ils savent que je suis là pour discuter avec eux, les réconforter et les soutenir. Pour ça, j’essaie de capter tout le monde, être à l’écoute, mais sans commander».

Un comité de vigilance (composé de syndicats, de collectivités, de volontaires) épluche les possibilités de postes établis avec les entreprises du coin. Lorsque le supermarché de la ville a proposé un travail pour décharger les camions, le comité a mis son veto: l’activité aurait très bien pu être développée sans l’aide du projet. Et l’enseigne de la grande distribution n’a pas forcément besoin de cette aide pour assurer cet emploi. «Nous continuons à chercher des idées avec le supermarché», relate Ludovic Provost.

À Colombelles, la démarche provoque de l’enthousiasme chez certains participants, qui deviennent acteurs de la construction de l’«entreprise à but d’emploi», comme on l’appelle dans ce projet. «Pour les personnes qui s’engagent, il y a un CDI à la clé, raconte Ludovic Provost de la cellule emploi. Ce n’est pas: si vous faites cette formation, vous allez peut-être trouver un emploi. Non, le poste sera créé. Dans la tête des gens, cela change tout!» D’autres ont disparu depuis la première rencontre: certains n’y croient pas, une quinzaine ont trouvé un emploi. «Est-ce un effet positif du projet?, s’interroge le conseiller en insertion à la voix feutrée. Quand il y a un accompagnement comme celui que nous proposons, cela aide les gens à croire qu’ils peuvent trouver un emploi. Je pense qu’ils ne se présentent plus de la même façon, ensuite, lors d’un entretien d’embauche par exemple.»

«On ferait mieux d’utiliser cet argent pour créer de l’emploi»

Mais pas question de laisser un demandeur d’emploi de côté. «Concrètement, les personnes volontaires sont recrutées de droit, précise Patrick Valentin, l’initiateur du projet chez ATD Quart Monde. Tous ces chômeurs de longue durée seront salariés, en CDI, dans une «entreprise à but d’emploi». « Elles ne subissent pas une sélection. Mais nous voyons avec elles, dans un emploi, ce qu’elles désirent faire, ce qu’elles savent faire.» Une petite révolution. «Au fond, les gens ont des capacités, le travail ne manque pas, et il y a de l’argent qui est utilisé pour aider ces personnes qui n’ont pas d’emploi. On ferait mieux d’utiliser cet argent pour créer de l’emploi [voir encadré], résume Patrick Valentin. Nous voulons démontrer qu’une fois que cette pénurie d’emplois est supprimée, non seulement elle ne coûte pas plus à la collectivité, mais elle est favorable économiquement.»

Comment financer ce projet?

Être privé d’emploi a un coût : ATD Quart Monde l’a estimé à 36 milliards d’euros chaque année. C’est en réaffectant les coûts et les manques à gagner de cette privation d’emploi qu’un salarié de Territoire zéro chômeurs peut être payé. Avec ce projet, l’État et les collectivités territoriales volontaires transfèrent dans un fonds les prestations sociales telles que le RSA. Grâce à ces fonds publics, les postes de Territoire zéro chômeurs (environ 26 000 euros par an) sont financés à 70%. Il faut donc trouver entre 8 et 10 000 euros par emploi : pour cela, Territoire zéro chômeurs mise sur des prestations vendues aux entreprises locales.

«Ce sera un succès si on parvient à supprimer la pénurie d’emplois, et à observer le mieux-être de la population», répète Patrick Valentin. Pour cet homme qui a vécu auprès des «plus pauvres», «les personnes qui demandent de l’emploi ont beaucoup plus de compétences pour dire ce qu’elles savent faire, que ce que l’on croit. Si on les sélectionne, on les exclut ». Mais le changement de logique n’est pas forcément évident.

«On est contaminés par la logique ordinaire, celle de la sélection, de la méfiance, du contrôle. Nous, nous proposons d’être dans une logique de confiance. »

Isabelle fait partie des premières personnes engagées dans l’expérimentation. En janvier 2017, elle réfléchit avec une quinzaine de personnes aux premières activités qui pourraient être développées sur le territoire. «C’est difficile d’être demandeur d’emploi de longue durée, souligne Isabelle au chômage depuis un an lorsque nous nous rencontrons. Tu es coupée du monde du travail, tu as peu de vie sociale, ton budget est restreint. Quand on vous propose un projet super innovant comme celui-ci, cela permet d’abord de côtoyer de nouveau des gens, de sortir de chez soi, et puis à terme d’avoir un emploi. En quelque sorte, c’est retrouver une forme de dignité. Et cela n’a pas de prix. Si j’ai un emploi, je fais partie de la société.»

Dominique Lannier, 59 ans, avec Mozart, dans le potager d’Annie.
(Photo : © Emmanuel Blivet/Grand-Format)
«Dans le bâtiment depuis l’âge de 16 ans, et 26 ans dans la même entreprise, je suis tombé en arrêt longue maladie en 2009, puis j’ai été licencié pour inaptitude.
Pendant deux mois, j’ai donné bénévolement des coups de mains à l’équipe du maraichage de Territoire zéro chômeurs. J’ai aussi pu transmettre la longue expérience que j’avais acquise des jardins ouvriers à Colombelles et du travail de la terre avec mon père depuis des années. »

En janvier 2017, l’aventure vient d’être lancée. Les premiers employés ne se doutent pas encore que le chemin va être semé d’embuches.

Le lancement

Publié le 11 décembre 2019

Mars 2017

Seule une petite affiche A4 indique que l’on entre dans les locaux de Territoire zéro chômeurs. «Nous devons refaire la façade, précise Eric qui est en train de repeindre la cuisine. Mais il nous manque un échafaudage.»

On y est: l’entreprise à but d’emploi a été créée. Elle s’appelle Atipic, et ce sont les participants au projet qui l’ont nommée. Atipic a pris ses quartiers dans l’ancienne poste de cette ville de la banlieue de Caen.

A l’intérieur, quelques bureaux et des ordinateurs. Cela fait une semaine que l’équipe administrative et les premiers «porteurs de projets» ont investi les lieux: l’ensemble paraît vide, mais il y a de l’effervescence, ce matin là. Une ruche où chacun s’affaire, les idées fusent, les paroles s’entremêlent et résonnent. Ici, on prépare la prochaine inauguration de l’entreprise; là, on appelle à l’aide pour réparer la cafetière.

Dans ces locaux doivent s’imaginer les emplois de demain. Au milieu, une équipe administrative qui organise, prépare les premiers contrats, les paies, etc. Isabelle est devenue assistante administrative. Son travail permettra, aux côtés de ses collègues, de lancer les nouvelles activités portées par les motivations des demandeurs d’emploi.

Eric, la cinquantaine, fait partie des premiers salariés à avoir été embauchés, en partie grâce à un financement de la municipalité. Le matin, cet ancien peintre en bâtiment ramasse les détritus du bois de la ville. «Je trouve les mêmes cannettes de coca, au même endroit!» Le reste du temps, il prépare des animations avec la médiathèque et la mairie autour du bois et des végétaux. «Je suis le plus heureux des hommes, dit-il. On ne me demande pas mon emploi du temps, et je travaille pour la première fois de ma vie aux 35 heures. »

Didier Berqué, 60 ans, devant ses créations dans son atelier.
(Photo : © Emmanuel Blivet/Grand-Format)
« Intérimaire de longues années, souvent avec de grands déplacements, dans le bâtiment et l’industrie, je me suis mis à mon compte. Mais rapidement, j’en ai eu marre de travailler tout seul.
La mairie de Colombelles nous a parlé de la création d’une Entreprise à But d’Emploi (EBE) et nous a proposé d’y participer. Nous avons alors démarré chacun avec nos compétences. J’ai été le premier à m’occuper du pôle travaux. J’ai ensuite crée un pôle autour du recyclage de palettes. Aujourd’hui, je suis prêt à faire voir l’utilité de ce qu’on fait et l’éventail des possibilités de recyclage de palettes, et le transmettre, pour qui se donnerait la peine d’écouter et de regarder. »

Didier, 57 ans, le teint mate, le sourire aux lèvres, travaillait dans la maintenance des machines dans une industrie de la région. Son CDD n’a pas été renouvelé. «Toute ma carrière professionnelle a été ainsi, en dents de scie, explique-t-il. Tu travailles deux ans, puis tu es arrêté pour «surmenage». Tu reprends deux ans, tu es licencié. A partir de 57 ans, je pensais que je pourrai aller jusqu’à la retraite, mais non.»

«S’il faut étudier une troisième piste, je le ferai. Le but est d’avancer, d’avoir un emploi, pas de stagner.»

Entrer dans le projet à Colombelles, c’est un peu reprendre pied dans le monde du travail. Regagner confiance en soi et en ses capacités. Réfléchir à un projet concret. Didier aimerait fabriquer de petits objets à partir de bois de palettes récupérées. Il les vendrait ensuite aux fleuristes, pour leurs compositions florales. Il a aussi pensé à récolter des coquilles de fruits de mer pour les transformer en engrais. Pour cette deuxième idée, le plan financier élaboré par le comité de suivi du projet n’est pas des plus optimistes. «S’il faut étudier une troisième piste, je le ferai, réagit Didier. Le but est d’avancer, d’avoir un emploi, pas de stagner. Avant le projet, je ne pensais pas qu’on pouvait partir d’une idée pour développer un emploi. Je suis confiant, j’y crois, même si je suis en attente, car les choses prennent du temps.»

Comme lui, beaucoup de demandeurs d’emploi qui rejoignent le projet ont connu les méandres du marché du travail: la précarité, l’instabilité, l’impression d’être une main d’œuvre corvéable et ajustable à merci, et parfois même l’exploitation. «Avant d’arriver dans ce projet, j’ai travaillé deux mois sans aucun contrat, dans une entreprise d’insertion qui me promettait un emploi, raconte une des membres du projet. J’ai payé tous mes déplacements, très nombreux, sans être remboursée, tout en faisant garder ma fille par la nourrice. Jusqu’à ce qu’on me dise qu’il n’y avait pas d’argent pour m’embaucher.»

A Colombelles, le projet Territoires Zéro Chômeurs comporte, dans ses premières étapes, une part d’expérimentation voire de bricolage. Il manque des locaux, du matériel. Certains se découragent, d’autres ont peur de voir leurs projets initiaux être dénaturés. Mais les réflexions avancent grâce à des réunions collectives thématiques et des rencontres avec les acteurs locaux. «L’ambiance est très bonne, ajoute Eric. C’est ce qui est plaisant, et puis, pour des gens qui n’ont pas eu d’activité depuis longtemps, il est important de reprendre en douceur. Sinon, ils ne peuvent pas tenir.»

Avril 2018

Les rayons du soleil pénètrent dans le petit bureau sobre de la cellule emploi. En cette journée de printemps, Ouardia a un bonnet sur la tête et un manteau remonté jusqu’au col. Sa maison occupée par sa famille en Algérie, des problèmes avec ses enfants, la maladie de son mari, des crédits à la consommation qui s’accumulent: Ouardia raconte une petite partie de sa vie. «Ma fille a longtemps dit que nous étions des faux riches, à cause de tous nos crédits», dit-elle en souriant. En face d’elle, Lynda Aouicha l’écoute et la conseille sur ses démarches administratives: «Je fais les comptes, je lui garde ses papiers, je contacte la société de crédit pour régler les impayés. Je l’ai aidée à mettre en place des virements automatiques pour que, lorsqu’elle repart au pays, les virements soient toujours effectués.» Et qu’ainsi les pénalités ne s’accumulent pas.

«J’ai changé de voiture, elle est un peu plus grande. Je suis fière de ce que je fais. J’ai l’impression d’être vraiment utile. J’aide aussi les gens à avoir un peu de sérénité, pour qu’ils ne restent pas seuls.»

Ouardia fait partie de la centaine de personnes que Lynda aide pour des démarches auprès de Pôle emploi, de la Caf, de la sécurité sociale, pour un titre de séjour ou encore une demande de logement social. Après son arrivée en France en 2009, Lynda a fait un peu d’animation au Centre socio-culturel local. Grâce au projet «Territoires zéro chômeur»,elle a créé cette activité d’aide administrative et est désormais en CDI. «J’ai changé de voiture, elle est un peu plus grande, dit-elle simplement. Je suis fière de ce que je fais. J’ai l’impression d’être vraiment utile. J’aide aussi les gens à avoir un peu de sérénité, pour qu’ils ne restent pas seuls.»

«C’est son sourire qui m’attire, exprime Ouardia. J’ai envie de venir la voir. Mon mari est là depuis 30 ans, mais il ne parle pas un mot de français.»

La boîte à idées

A deux pas des bureaux de l’entreprise, au bord de la place centrale de la ville, Atipic a racheté le fonds de commerce d’un ancien bazar qui regroupe désormais quatre activités. Il a été rebaptisé «La boîte à idées».«Ce magasin est important, socialement, pour la commune, et notamment pour les gens âgés et à mobilité réduite. Ils trouvent leur ampoule ici!», explique Sylvain, un des salariés du lieu. Avec les beaux jours, un panneau à l’entrée du magasin indique une promotion sur les barbecues, à côté des plants de tomates.

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Sophie Fileux, 37 ans, dans son dépôt-vente.
(Photo : © Emmanuel Blivet/Grand-Format)
«Je suis arrivée au magasin la Boîte à Idées en janvier 2018. Lors de l’inauguration de l’immeuble où j’habite actuellement, monsieur le maire m’a invitée à rejoindre Territoire zéro chômeurs. Au début, j’avais un projet de garde d’enfants avec des horaires «atypiques». Le problème, c’est que, en plus de l’absence de local, nous rentrions également en concurrence avec les assistantes maternelles du secteur, ce qui n’est pas autorisé pour Territoire zéro chômeurs . J’ai alors proposé l’idée d’un dépôt-vente de matériel de puériculture, qui n’existait pas localement. »

A l’intérieur, Isabelle et Sophie passent un coup de balai avant l’arrivée des premiers clients. La première a lancé une vente de cosmétiques bio et des ateliers «do it yourself». Pour 8 à 10 euros, les participants peuvent apprendre à fabriquer leur déodorant solide, leur vernis à ongle, leur lessive ou leurs tablettes de lave-vaisselle. De la vente à la restauration, en passant par aide-soignante et préparatrice en pharmacie, Isabelle, la cinquantaine, a enchaîné les missions et les petits contrats pendant des années. Jusqu’à se retrouver au chômage pendant trois ans.

«Aujourd’hui, je me lève, je suis radieuse! C’est la première fois que ça m’arrive. J’ai un salaire fixe et on peut désormais prévoir des choses, comme aller en vacances cet été.»

«Une nacelle, on ne l’utilise pas plus de deux mois pour un enfant!» Sophie, elle, s’investit dans un dépôt vente de matériel de puériculture. «J’ai un CAP petite enfance et j’ai travaillé comme agent spécialisé en école maternelle (ou «Atsem», ndlr), puis j’ai fait de l’interim, explique la jeune femme. Ce n’était pas épanouissant, et moi, il me faut un temps d’adaptation.» A côté d’un petit atelier de réparation de vélo, Sophie a installé les objets qu’elle vend «sur la base des prix de revente du Bon Coin». «J’ai désormais un CDI et j’ai pu faire un emprunt. Je suis en train de passer le permis», dit-elle avec le sourire.

Sans le projet Territoires zéro chômeur, le commerce aurait disparu, affirme Marc Pottier, le maire socialiste de Colombelles. «L’économie ne se mesure pas qu’aux chiffres d’affaires générés et aux dividendes versés aux actionnaires!»

« Je ne perds jamais. Soit je gagne, soit j’apprends. »

Sofian, la vingtaine, est lui aussi membre d’Atipic. Il n’a pas souhaité être pris en photo mais il a accepté de partager son parcours aux jeunes de la mission locale.

« Quand j’étais à l’école, j’étais un élève perturbateur. Les professeurs me disaient: «Tu es un bon à rien. Tu ne feras jamais rien de ta vie.» Je partais à la dérive, je commençais à faire la fête tous les soirs de la semaine. Et puis j’ai voulu montrer à ceux qui me disaient que j’étais à bon rien que j’étais capable. J’ai rattrapé deux ans de CAP en 4 mois. Un CAP de serrurier métallier. J’ai montré à tout le monde que j’étais capable. Avec la volonté, le mental, on peut apprendre des choses. J’ai repris des études et je me suis lancé dans la cuisine. J’ai arrêté l’école à 20 ans.

Pendant quatre mois, je n’ai rien fait, mais je n’arrive pas à ne rien faire! J’ai repris une formation: l’école de la deuxième chance, à Hérouville Saint Clair. En janvier 2018, j’ai commencé en tant que commercial avec Atipic. Je devais proposer les services d’Atipic aux entreprises, aux personnes. Cela ne s’est pas bien passé. En septembre, j’ai tout fait pour entrer en garantie jeune. Avec l’aide de la mission locale, je suis rentré en CDI au sein d’Atipic, dans l’équipe travaux. C’est un tremplin pour pouvoir monter en compétences et me diriger ensuite vers d’autres entreprises pour laisser de la place à d’autres qui en ont besoin. »

Lire la suite de son témoignage récolté par les jeunes de la mission locale dans notre rubrique Ateliers.

A Colombelles, l’un des dix territoires en France expérimentant le dispositif, le projet a été propulsé en un an. En avril 2018, 48 ex-chômeurs de longue durée sont désormais embauchés. Réfection de logements, maraîchage, jardins partagés, animation et événementiel, transport solidaire, soutien administratif et santé… Les activités ont été lancées tout azimut… jusqu’à générer des tensions.

Ce jour de printemps, un an après le lancement de la structure, dans les bureaux devenus trop étroits pour tout le monde, l’ambiance n’est pas bonne. «Certains prennent Atipic pour une agence d’interim, sans tenter de comprendre le projet qu’il y a derrière», juge l’une des personnes salariées. «Pendant un moment, quand j’arrivais au travail, je me demandais ce qui allait se passer, j’avais la boule au ventre», relate une autre. «Certains demandeurs d’emploi ne veulent pas apprendre une nouvelle activité. Une personne nous a dit: j’ai été femme de ménage toute ma vie, je ne veux faire que ça. Or, comme cette activité est concurrentielle, on ne peut pas la proposer.»

Edouard Hezguera, 47 ans, dans son bureau chez Atipic.
(Photo : © Emmanuel Blivet/Grand-Format)
« Avec un permis cariste et un Bafa, je suis ancien magasinier, vendeur et animateur, et cela depuis l’âge de 20 ans. Après sept ans d’intérim dans la même boîte et de l’animation auprès de publics variés dans les Maisons Familiales, j’ai eu un gros passage à vide. Le concept d’Atipic me plaisant bien, j’ai réfléchi à un projet autour de l’événementiel qui m’a toujours tenu à cœur. J’organise depuis deux ans le carnaval de Colombelles, ou encore la foire aux disques qui a très bien fonctionné cette année. Aujourd’hui, la difficulté principale est de créer des événements avec peu de budget et de moyens. Mais si un projet n’a pas suffisamment de financements, nous bataillons pour trouver des dons en nature ou en prestations pour que l’événement puisse avoir lieu. »

«Je n’avais pas mesuré le besoin d’accompagnement des salariés dans leurs nouvelles fonctions, reconnaît Hervé Renault. Le directeur de l’entreprise à but d’emploi est alors le seul cadre de l’entreprise, chargé de la coordination de toutes les activités. Nous rencontrons les mêmes problèmes que toute entreprise rencontre. Avec une difficulté supplémentaire liée à notre forte croissance: en un an, Atipic a embauché 41 salariés!»

Pas facile de faire cohabiter une quarantaine de salariés sur des activités aussi variées. Les rapports hiérarchiques ne sont parfois pas respectés. «Nous rencontrons des problèmes de violence: c’est la dure réalité des effets du chômage, constate Annie Berger, la présidente de l’association qui soutient le projet. Les gens qu’on embauche ont souffert, et pas seulement dans le domaine de l’emploi. Il faut un temps long d’accompagnement pour qu’ils aient confiance, osent.»

[Vidéo réalisée par les jeunes de la mission locale. Tatiana, embauchée par Atipic, explique son projet de cours de français.]

Novembre 2018

Partout en France, la mobilisation des gilets jaunes éclate. Colombelles est l’un des points chauds de l’agglomération caennaise. Sur un rond-point, des personnes bloquent l’accès au dépôt pétrolier pendant plusieurs jours.

A Atipic, une vingtaine de personnes se sont mises en grève. Les relations entre salariés et avec la direction sont très tendues, voire violentes. Les locaux sont trop petits; certains n’ont pas assez de travail pour s’occuper. «Les gens savent qu’on est une association mais pensent et réclament comme si nous étions une entreprise», souligne une autre employée. Des salariés sont déçus par les promesses qui leur ont été faites. Les projets qu’ils avaient imaginés, pour lesquels ils étaient parfois quasiment devenus des entrepreneurs, ne se concrétisent pas toujours.

Dans le bureau où nous nous réunissons, avec les jeunes de la mission locale pour parler d’Atipic et nourrir le blog que nous avons créé, des salariés confrontent leur vision :

– On n’a pas assez de moyens pour travailler. Je n’ai pas d’ordinateur pour moi, je dois partager avec les autres. On ne peut pas travailler comme cela.

– Mais tu crois que c’était comment au départ? On s’est battus pour en arriver là!

La fracture est grande entre ceux qui se sont mobilisés dans les premières étapes du projet, et ceux qui sont arrivés ensuite.

Fin décembre 2018, Atipic compte 62 salariés. Et il faut absolument que la structure rebondisse pour ne pas éclater.

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Le rebond

Publié le 17 décembre 2019

Février 2019

L’expérimentation dont l’objectif était de soutenir des salariés très éloignés de l’emploi et aux parcours professionnels parfois chaotiques suscite des «angoisses, des conflits, des incompréhensions». «Une sorte de maltraitance», exprime l’un d’entre eux. L’accompagnement nécessaire à chaque nouvel employé a été sous-estimé. «Nous n’avons pas été capables d’apporter à certains le cadre de travail sécurisant et suffisant dont ces personnes, parfois fragilisées par la vie, avaient besoin», analyse Annie Berger, la présidente d’Atipic.

Hervé Renault, le directeur, va partir. Pendant quelques jours, il transmet la totalité des dossiers qu’il gérait. Des salariés ont été avertis ou mis à pied. «Le conflit n’est positif que si l’on se respecte», soutient la présidente. De nouveaux locaux ont été trouvés, plus spacieux. Des pôles d’activité ont été créés pour favoriser l’autonomie de petits groupes de salariés et désigner des «cadres» de ces pôles, censés organiser un peu plus le travail.

Au cours de sa première année, l’association a embauché plus d’une personne par semaine, et lancé une quinzaine d’activités différentes. Les objectifs nationaux sont élevés. Et il faut aller vite, très vite, pour démontrer que l’expérimentation fonctionne et espérer ensuite l’élargir à cinquante nouveaux territoires. La loi d’expérimentation votée en 2015 a donné cinq ans pour tester cette nouvelle façon de lutter contre le chômage. «Cinq ans, c’est très peu pour parvenir à développer une activité», souligne Patrick Valentin, l’un des initiateurs du projet au niveau national. «Tous les territoires ont vécu ces difficultés de croissance. La plupart ont surmonté le problème. À Colombelles, c’est la qualité de la gestion de l’entreprise qui a manqué.»

«Ce n’est pas parce qu’on donne un CDI à une personne que tout est réglé»

«Ce n’est pas parce qu’on donne un CDI à une personne que tout est réglé», avance Annie Berger. «Nous avons embauché trop vite, sans avoir prévu d’encadrement intermédiaire.» Mais comment financer des cadres quand le budget de départ est déjà très restreint?

Evaluation

Publiée en novembre 2018, la première évaluation nationale de l’expérimentation, principalement quantitative, a démontré que «l’embauche d’un salarié […] a rapporté plus de 18 000 euros aux finances publiques». Soit quasiment le montant investi par l’État et les conseils départementaux pour chaque salarié employé dans une des «entreprises à but d’emploi». En effet, quand une personne retrouve un travail, des économies sont réalisées sur les prestations sociales, les aides au logement, les aides au retour à l’emploi… Mais des recettes sont aussi générées à l’instar des impôts payés par les structures, des cotisations salariales, patronales et obligatoires, du gain en TVA lié à la croissance de la consommation des salariés.

ATD Quart monde a aussi tenté de calculer l’impact sur l’économie locale. Les achats des nouvelles entreprises, le surcroît de consommation des salariés, et le chiffre d’affaire des structures représentent 12 669 euros par salarié «apportés» à l’économie locale au cours de la première année de l’expérimentation. «L’expérimentation semble jouer un rôle de catalyseur, écrivent les évaluateurs. Elle accélère ainsi la mise en place de politiques publiques d’intérêt général, à l’image de la transition écologique ou de la cohésion sociale.»

Mars 2019

Les visages sont souriants, l’accueil chaleureux. Ce vendredi matin de la fin mars, Atipic, ouvre ses portes. L’entreprise à but d’emploi compte 67 salariés. Devant des dizaines de visiteurs, les salariés présentent leurs activités. Les créations en bois de palettes recyclées de Didier, un des employés, suscitent l’admiration d’un habitant de la commune: «Bravo pour ce que vous arrivez à faire!» La discussion s’engage.

Pierrette Copado, 55 ans, sur le capot de sa voiture de transport solidaire.
«Je suis rentrée à Atipic le 23 octobre 2018.
Auparavant auxiliaire de vie, je me suis retrouvée en incapacité de travail, puis licenciée. Aujourd’hui, je gère le planning des chauffeurs des deux Ehpad, et en plus, je fais du transport solidaire [à tarifs modiques] tout-public mobile, sur Colombelles. Cela va des courses au médical en passant par la sortie d’enfants au cinéma, toujours sans rentrer en concurrence avec les taxis ou autres ambulancescolombelloises».

Au stand du maraîchage, des pommes de terre sont en vente: c’est la première production d’une activité débutée il y a un peu plus d’un an. À côté, Julie expose les différents travaux – rénovation de bâtiments, entretien d’espaces verts – réalisés par son équipe.

En face, c’est le service de conciergerie d’entreprise qui tient son stand: Coralie est employée par des entreprises prestataires d’Atipic pour répondre aux demandes des salariés de ces entreprises. Une chemise à repasser, un véhicule à réparer, un dégât des eaux à évaluer: elle fait appel à des partenaires pour proposer ensuite des solutions au salarié. À ses côtés, une conciergerie pour particulier est présentée. Dans quelques semaines, elle sera chargée d’aiguiller les particuliers vers les services proposés sur le territoire de Colombelles. L’objectif: faire du lien entre les habitants et «réveiller Colombelles, qui dort», souligne Nancy, l’une des initiatrices du projet.

[Vidéo réalisée par les jeunes de la Mission locale en mars 2019.]

Un nouveau souffle semble avoir gagné les salariés de l’expérimentation Territoire zéro chômeurs de Colombelles. On perçoit leur volonté de repartir sur de nouvelles bases, en montrant ce qu’ils ont développé. Mais les tensions qui s’étaient accumulées ne sont pas loin…

Le «pôle recyclage» a pris ses quartiers dans les nouveaux locaux. Habib y monte un projet de recyclage de matériels dont les entreprises veulent se débarrasser. Une entreprise produit des copeaux de bois? Atipic les remet dans le circuit économique, en les valorisant auprès d’une autre société qui vend des toilettes sèches ou pour du paillage de jardin. Dans ce pôle «recyclage», c’est Stéphanie qui prépare les devis, édite les factures. Deux mois après la crise qui a traversé Atipic, celle qui manquait d’activité et se plaignait de mauvaises conditions matérielles semble avoir trouvé sa place. «C’est plus convivial, les journées passent vite. On arrive le matin avec le sourire.»

«Quand on n’a rien, on cherche à avoir les choses par un autre biais. Nous, nous avions toujours ce qu’il fallait parce qu’on récupérait tout.»

Dans la grande salle, trois salariés finissent de construire le plan de travail en palettes recyclées sur lequel ils répareront et relookeront les petits meubles récupérés. Dans la pièce d’à côté, Anna et Leïla cousent des sacs à main, confectionnent des kits zéro déchet composés de sacs à vrac, de mouchoirs en tissu, de cotons démaquillants, fabriquent des éponges tawashi à partir de tissus recyclés et de filets à pommes de terre. «On récupère des choses toutes simples, notamment auprès de plusieurs associations et ressourceries, pour en faire de la création», expliquent Anna et Leïla, embauchées le 31 décembre 2018.

Leïla a travaillé dans la restauration, le téléconseil, les inventaires de magasins. C’est par le projet de recyclage de vêtements qu’elle est arrivée à Atipic. «Je voulais faire quelque chose de minutieux, de la création, avoir un emploi éco-responsable, ne pas perdre ma passion en travaillant à l’usine, raconte celle qui vient d’un milieu peu aisé. «Quand on n’a rien, on cherche à avoir les choses par un autre biais. Nous, nous avions toujours ce qu’il fallait parce qu’on récupérait tout. J’ai commencé la couture en piquant les culottes en dentelle de ma tante pour en faire des robes de mariées pour mes poupées. J’ai toujours été baignée dedans.» Leïla voit cet emploi comme une opportunité et un tremplin. «Ce travail à Atipic, à côté de chez moi (parce que je n’ai pas de voiture), c’était l’emploi rêvé. Par la suite, je pourrais devenir auto-entrepreneure.»

Leïla Cosnard, 25 ans, à la Chiffo de Caen lors d’une journée portes ouvertes.
«Depuis l’âge de 5 ans, je baigne dans le monde de la couture. Après un BEP et un BAC métiers de la couture, j’ai fait plusieurs missions d’intérim et de CDD qui n’avaient rien à voir avec la couture, jusqu’à en faire une dépression. Après 8 mois sans travail, ma mère, qui habite dans le sud de la France, et qui avait vu une émission sur France 3 qui parlait d’Atipic, m’a suggéré d’aller les voir.
Je suis d’abord allée à la Boîte à Idées où on m’a conseillé de contacter la Cellule Emploi. Au même moment, Atipic avait alors un projet et cherchait une personne expérimentée pour former d’autres personnes, chose que j’avais déjà faite auparavant. Grâce à mon salaire et au soutien qu’Atipic m’a donné pour me former à la micro-entreprise, je suis aujourd’hui auto-entrepreneure à Colombelles en réalisant, entre autres, des créations textiles et cuir. Une boutique en ligne est en cours de création et ma clientèle se développe petit à petit avec le bouche à oreille».

Anna enchaînait les CDD dans des crèches ou des pouponnières avant de rejoindre Territoire zéro chômeurs. «A chaque fois qu’un contrat s’arrêtait, il fallait partir rechercher quelque chose d’autre. Aujourd’hui, avec un CDI, j’ai une vie plus stable.» Sa sensibilité pour le recyclage vient de sa vie passée à Madagascar, où tout se recycle. «Dans notre atelier, quand on récupère du textile très usé ou taché, on les garde pour rembourrer des tissus.» À Colombelles, ce n’est pas simplement le succès local de l’expérimentation qui se joue, mais aussi en partie son avenir au niveau national. Leïla: «On essaie de faire de notre mieux pour tous les autres qui viendront ensuite. La réussite de Territoire zéro chômeurs pèse sur nos épaules.»

Une expérimentation étendue?

En octobre 2019, Atipic compte 70 employés. Les difficultés n’ont pas disparu. Mais la structure continue de tourner et de se développer. L’aventure est professionnelle et avant tout humaine. Avec ses frictions et ses joies.

A Colombelles, de nouveaux projets émergent sans cesse, comme la création d’un éco-camping ou l’approvisionnement des cantines de la ville par les fruits et légumes du maraîchage.

Au niveau national, l’expérimentation est régulièrement objet de critiques. En octobre 2019, l’économiste Pierre Cahuc a dénoncé les coûts du dispositif dans une analyse purement économique.

Pourtant, l’expérimentation devrait être étendue à 100 nouveaux territoires.

[Cet article a été en partie réalisé grâce à une résidence de journalisme effectuée en 2018 et 2019 à Colombelles, au cours de laquelle ont été organisés des ateliers de journalisme avec des jeunes suivis par la Mission locale, ainsi que pour le journal en ligne Basta!. Une soirée-rencontre sur Territoire zéro chômeurs aura lieu le vendredi 24 janvier à 18h30 à la Grande Halle de Colombelles ainsi qu’une exposition des photographies effectuées pour ce travail par Virginie Meigné et Emmanuel Blivet.]

Simon Gouin

Journaliste et cofondateur de Grand-Format. J’aime les enquêtes au long cours et les reportages de terrain, loin de l’actu et des radars médiatiques.