Mars 2025

Un bureau derrière les barreaux

Marylène Carre (textes et sons) et Marie-Céline Nevoux-Valognes (photos)

Virginie, Franck, Ludovic

Publié le 2 mars 2025

La Maison d’arrêt de Caen, située rue Deparge à Caen, a fermé définitivement ses portes en décembre 2023 pour déménager dans un nouvel établissement moderne en périphérie de la ville. L’ancienne prison avait plus d’un siècle. Dix travailleurs de la pénitentiaire y racontent leur quotidien et leurs relations avec les détenus. Dix voix pour transmettre la mémoire de « Duparge ».
Textes et enregistrements : Marylène Carre – Photographies : Marie-Céline Nevoux Valognes

Le 3 décembre 2023 à midi, la surveillante avait pour mission de laisser ouvertes les portes de toutes les cellules de la maison d’arrêt de Caen. Elle, dont le travail, depuis des années, était de veiller à ce qu’elles soient bien fermées. Le bruit des lourdes clés résonnait dans un silence qu’elle n’avait jamais connu ici.

Le 3 décembre 2023 à 3h30 du matin a commencé le transfert des détenus de la maison d’arrêt de Caen vers le nouveau pénitentiaire de Caen-Ifs. Au total, treize convois ont traversé la ville dans la nuit, sous haute surveillance.

Cela faisait dix ans que l’on parlait de la fermeture de la maison d’arrêt de la rue du général Duparge, devenue « Duparge » tout simplement. Vétuste, insalubre et surpeuplée. Ouverte en 1904, elle aurait eu 120 ans. Elle avait été bâtie sur le plan architectural du panoptique, inventé par le philosophe anglais Jeremy Bentham à la fin du 18e siècle. Une tour centrale qui permet aux geôliers de surveiller, sans être vus, tous les faits et gestes des prisonniers, enfermés en cellules dans un bâtiment en anneau encerclant la tour.

À la maison d’arrêt de Caen, c’était le « rond-point » central, qui permettait aux personnels et aux détenus de se croiser dans la journée. Même si la prison a accueilli jusqu’à 450 détenus hommes pour 269 places et 30 femmes, elle avait gardé ce quelque chose de « familial ». Où l’on s’appelle souvent par son prénom. Où les surveillants connaissent les détenus et inversement. « Tu les croiseras dehors, tu les recroiseras dedans », disait-on aux nouveaux venus.

Un siècle d’histoire suinte des murs, s’inscrit dans les graffitis, s’échappe par les fenêtres brisées et les rubans des « yoyo » qui volent encore au vent. Pour les voisins, le quartier est devenu presque trop calme. Quand une prison ferme, paradoxalement, elle s’ouvre. Pour la première fois, les familles des agents de la pénitentiaire ont découvert le lieu de travail de leur femme, leur mari, leur père ou leur mère. La prison livre ses secrets, se donne à voir et entendre.

Ils et elles sont surveillant-es, cuisinier, infirmière, sophrologue, enseignant, conseillère pénitentiaire, assistante sociale, aumônière, chef d’atelier. Leurs dix voix sont celles d’une génération de travailleurs dans la pénitentiaire. Leurs dix portraits esquissent un tableau de famille. Celle de « Duparge », dont ils sont les gardiens de la mémoire.

Ces portraits sonores et photographiques issus du projet « Dernier transfert » ont été réalisés en 2023-2024 dans le cadre du dispositif Culture Justice, soutenu par la DRAC Normandie, le SPIP Calvados, la Direction interrégionale des services pénitentiaires de Rennes et le centre pénitentiaire Caen-Ifs.

Dans cet épisode, partez à la rencontre de Virginie, l’aumônière, Franck le sophrologue et Ludovic, l’enseignant.


Virginie, aumônière

« Les premières années, les détenus me disaient : « comment on vous appelle, ma sœur, ma mère, mère supérieure ? » Quand je leur disais que j’étais mariée, je lisais l’incrédulité dans leurs yeux. En tant que femme, je suis à la fois la mère, la sœur, la fille. Dans nos entretiens individuels, ces hommes se livrent beaucoup. Ils me disent : « même avec la psychologue, on ne dit pas tout parce qu’elle prend des notes et qu’elle va en parler dans les réunions. » Alors qu’avec moi, ils savent que je ne prends pas de notes et qu’ils sont libres.

Un jour, un détenu m’a dit : « tu es comme une fleur sur un tas de purin. »

Tous les dimanches, il y a la messe à la maison d’arrêt. Quand ils poussent la porte de la chapelle, ils ont l’impression de rentrer dans un ailleurs, un autre monde. Il y a quelque chose qui lâche. Quand on chante tous ensemble, on n’est plus en prison.

Après la colère, après avoir dit ce n’est pas de ma faute, vient le moment où l’on se demande ce qu’on fout là et ce qu’on va devenir. À ce moment, il y a peut-être un détenu pour dire : « tu devrais aller en parler avec Virginie. »

Malgré ce qu’ils ont fait, malgré leur histoire cabossée, il y a dans le cœur de chaque homme, une flamme qui attend d’être rallumée. Et s’ils viennent à l’aumônerie, c’est qu’ils cherchent un sens à leur vie. Un homme qui accède à sa vie intérieure, qui découvre en lui cet espace de silence où il peut être bien avec lui-même, ça participe vraiment à la réinsertion. On ne réinsère pas seulement le corps ni l’intelligence, mais l’être tout entier. »

Ecoutez le témoignage en entier.

Franck, sophrologue

« Les séances de sophrologie se déroulent dans la chapelle de la maison d’arrêt. La pièce est en bois, elle a quelque chose de chaleureux. Il y a une énergie particulière et c’est calme par rapport à l’ensemble de la prison. C’est un lieu de retrait et de sérénité.

Les personnes détenues ont du mal à se reconnecter au corps, à capter des sensations, à mettre des mots sur ces sensations et à faire des liens entre ce qui se passe dans leur vie et ce qui se passe dans leur corps. C’est une des raisons pour lesquelles ils sont ici. Car s’ils étaient capables de faire ce lien, quand il se mettent en colère ou tapent quelqu’un, ils pourraient sentir monter cette pression et réagir autrement. Là, il y a un passage à l’acte qui est direct et qui est lié à cette carence.

La sophrologie permet aux personnes de rééduquer ce lien et de créer des conditions pour ne pas péter un câble, se maintenir sur le plan corporel, mental, psychique, émotionnel.

Ici, si on pète un câble, on ne peut pas le réparer. Il n’y a pas de retour en arrière.

Ça a un impact sur l’individu, mais aussi sur la société à long terme, car à un moment donné il va sortir. Et c’est bien qu’il sorte en étant moins pire que lorsqu’il est arrivé en prison. C’est en poursuivant ce but que j’interviens en prison. »

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Ludovic, professeur des écoles, responsable de l’enseignement

« L’enseignant n’est pas un psychologue ou un éducateur. Il doit agir au mieux pour ses élèves avec la liberté pédagogique qui est la sienne, mais dans le respect des textes.

Je pars du principe que toutes les personnes peuvent changer si elles le souhaitent. Pour moi, c’est un préalable pour venir exercer en prison. Mon idée, c’est plutôt de travailler sur les savoir être. L’éducation est un support, mais l’objectif est avant tout de redonner des règles. Bonjour, au revoir, la politesse. Et après, casser les représentations que les détenus peuvent avoir : tous les profs sont des cons, tous les flics sont des cons. Ouvrir l’esprit critique, se questionner sur ces certitudes et ensuite retrouver une place dans la société.

Certains vont venir pour des motifs non scolaires, pour sortir de la cellule, croiser du monde, regarder le ciel à travers la fenêtre, ou avoir des remises de peine. Moi, dans ma classe tout le monde est le bienvenu, et après le but est de les amener progressivement à retrouver une certaine paisibilité, préalable nécessaire à tout apprentissage.

Il y a des fenêtres qui s’ouvrent à des moments et nous on est là pour les aider à construire une nouvelle trajectoire.

Ce qu’ils ont fait ne me concerne pas. Ce qui m’intéresse, c’est la relation qu’on va établir entre deux adultes. »

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Céline, Christophe, Jean

Publié le 11 mars 2025

Céline, surveillante pénitentiaire

« Quand je suis arrivée chez les femmes, il a fallu que j’oublie tout de mon travail avec les hommes. L’approche est différente en tant que femme, en tant que maman. On a beaucoup plus de temps à discuter avec elles de leur mal-être et aussi de leur bonheur parfois de voir leurs enfants au parloir.

Le quartier femme se trouve à part du quartier hommes, il y a plusieurs grilles à passer ; c’est pour ça qu’on est souvent oubliées. Ici on gère tout, les arrivées, les placements, les petits bobos, les demandes particulières. On désamorce, on réconcilie, on trouve des solutions.

Les détenues sortent très peu du quartier femmes. Tout le monde vient ici, que ce soit pour les cours, les activités, les consultations. Certaines connaissent déjà la détention et savent gérer leur stress. Les arrivantes sont plus tristes, plus inquiètes. Physiologiquement, ça se voit tout de suite, car elles ne sont plus indisposées. Elles craignent d’être dans une cellule avec des personnes ultra dangereuses, comme dans une prison américaine.

Certaines détenues s’entendent très bien et deviennent des binômes de soutien, de solidarité. Mais il y a toujours un mais derrière. Il y a souvent de la jalousie entre elles.

Les gens à l’extérieur s’imaginent des prisons à l’américaine. Quand je leur dis que dans notre service, on n’a que nos bras pour se défendre, ils sont très étonnés. 

Les gens ne s’imaginent pas que la prison, c’est ouvert à tout le monde. N’importe qui peut y arriver.

L’image du prisonnier est déformée, comme celle du surveillant. C’est un métier qu’on ne connait pas. »

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Christophe, surveillant pénitentiaire

« À la santé à Paris, on m’appelait surveillant. Quand je suis arrivé ici, on m’a appelé par mon prénom. Les anciens m’ont dit : « t’inquiètes, c’est bon, on les connait. Tu les croiseras dehors, tu les recroiseras dedans. »

À force de les voir partir et revenir, ça me donne la sensation que c’est un deuxième chez eux ici. Eux, ils ne disent pas je suis en prison, ils disent je suis à Duparge. Ça veut tout dire, ils se sont approprié le lieu.

Je suis psychologue, pompier, diplomate, médiateur. Si j’ai quelqu’un en face de moi qui est malade, que c’est sérieux, j’appelle l’infirmerie, je n’attends pas qu’il fasse un courrier. Je ne suis pas le Samu, mais presque. Je suis content quand j’ai accompli une mission, c’est le côté humain de mon métier.

Je les connais. Le matin, le grand dormeur qui veut toujours prendre sa douche en dernier, je lui dis qu’il ne peut pas être privilégié sur les autres. La vie c’est l’équilibre, l’égalité, ce n’est pas toi plus que l’autre.  

Tout droit implique un devoir. C’est une forme de pédagogie.

Je ne suis pas religieux, mais j’aime bien cette maxime : « aide-toi et le ciel t’aidera ». Si tu ne fais pas le premier pas, tu ne pourras pas faire le deuxième. Il faut te dire : il faut que JE. »

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Jean, responsable d’atelier

« Je tourne avec une vingtaine d’ouvriers. À une époque, on allait recruter directement dans les cellules et on jaugeait les gars. Maintenant ça passe par une commission, ce sont des gens qui décident pour nous. Des fois, au bout d’une semaine on s’aperçoit que ça ne le fait pas. Parce qu’ils se sont inscrits pour pouvoir bénéficier de choses, pas parce qu’ils voulaient travailler.

Moi je veux savoir pourquoi ils sont là. Parce que je m’adapte à la personne que j’ai en face de moi. Donc, j’ai beaucoup de procédures criminelles et il y a un peu de tout, des violeurs, des criminels. C’est bien d’avoir un peu de tout sinon ça fait des groupes et ce n’est pas bon. C’est l’harmonie qui m’importe et si tout le monde va bien, on va bien dans le travail.

Toutes les classes sociales sont représentées. Des fois je ne comprends pas comment ce type a pu dérailler comme ça. Parce que j’ai une personne en face de moi qui est à l’opposé de ce qu’il a fait. L’humain est bizarre des fois.

Tous les matins quand ils arrivent, je leur sers la main, c’est le respect des gens.

Et on voit à la tête que ça ne va pas des fois. Je les laisse se confier, parce que le travail c’est important, mais il y a le côté humain aussi.

Moi je viens d’une cité, j’ai perdu mon papa à dix ans et ma maman a élevé seule ses neuf enfants et on s’en est tous sortis. Comme quoi, si on se met des coups de pied au cul, on s’en sort. Il ne faut pas remettre ça sur le dos des autres. C’est nous qui décidons. »

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Amélie, Valérie, Fabienne et Bruno

Publié le 21 mars 2025

Amélie, infirmière

« À la maison d’arrêt, j’ai des souvenirs liés à la violence. La violence entre détenus, celle que certains peuvent s’infliger pour rien. Des scarifications sur tout le corps, juste parce qu’ils n’ont plus de tabac. Ce qui ressort, c’est quand même la misère à tout niveau, sanitaire, éducative, sociale, affective.

J’ai appris ici que tout le monde ne nait pas égal.

Les traitements sont une grosse part de notre travail : traitements somatiques, de substitution ou pour des problèmes psychiatriques. Tous les jours après le repas, on va dans les coursives pour faire la distribution. Ils prennent plus de médicaments qu’à l’extérieur parce qu’il faut gérer l’enfermement, les frustrations, la mise à distance de leur famille, la cohabitation. Vivre ici, c’est compliqué. On fait de plus en plus de psychiatrie. Il y a des gens malades qui n’ont rien à faire là. Et il n’y a pas d’obligation de soin en prison.

Je suis à leur écoute, mais je dois poser d’emblée des limites, parfois invisibles, pour me protéger.  On ne peut pas répondre à toutes leurs demandes et on génère aussi beaucoup de frustrations.

Ils nous appellent infirmière ou parfois par nos prénoms. À la fois on préfère ça à « la petite, la grande, la moche, la vieille » car ils n’ont pas de filtres. Ils sont durs parfois. Parce nous, on les connait depuis longtemps, mais eux aussi ils nous connaissent depuis longtemps.

Je n’ai pas peur de l’enfermement. Quand je suis de garde le soir et le week-end, que le surveillant s’en va, ferme la grille, je suis toute seule. C’est quand même spécial. Mais ça ne m’a jamais posé de problème, surtout parce que j’entends et je sais qu’il n’est pas loin. »

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Valérie, assistante de service social

« Comme pour tout accompagnement social, l’important est d’établir une relation de confiance avec le détenu. Nous ne sommes pas des juges, nous ne sommes pas là non plus pour donner notre opinion. Notre rôle est de les aider à comprendre, formuler leur problématique et trouver ensemble des solutions.

J’ai commencé à travailler jeune, femme, dans un univers essentiellement masculin et j’ai été confrontée à une ancienne génération de surveillants qui s’imaginaient que les travailleurs sociaux étaient les petites amies des détenus. Avec les années, les choses ont évolué dans le bon sens. Aujourd’hui, on travaille en équipe avec les surveillants.

La mise en détention, c’est d’abord l’isolement du reste de sa famille. Je me souviens d’un jeune majeur au parcours chaotique que j’avais accompagné, j’avais alors 20 ans. Sa seule famille était sa mère et je devais lui annoncer son décès. Il est rentré dans un état second, il est sorti du bureau en hurlant et un surveillant a dû l’attraper et le serrer dans ses bras où il a explosé en larmes.

Les détenus sont à l’abri des fréquentations, des conduites d’addiction, des tentations. C’est un moment où ils vont se poser. Lorsqu’ils ressortent, ils retrouvent leurs démons et les difficultés qu’ils ont laissées à la porte.

Parfois, on a peu de choses à dire et on est juste dans l’écoute. Avant de travailler sur les problématiques, il faut qu’on les connaisse. C’est ce qui est parfois frustrant en maison d’arrêt car le temps est assez court. Je ne vais pas faire des miracles, mais si je peux être un petit maillon de la chaine pour qu’une dynamique de changement s’opère, c’est déjà un bon point. » 

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Fabienne, conseillère pénitentiaire d’insertion et de probation

« Le travail du conseiller d’insertion et de probation, c’est de donner du sens à sa peine, de rendre la personne autonome et acteur de sa détention. Pour cela, il faut qu’elle soit dégagée de tous ses besoins vitaux, prête à entendre et à réfléchir sur son histoire. Des fois en détention, c’est de la survie.

On a chacune notre effectif et on accompagne le détenu durant toute sa peine avec l’objectif de travailler l’accès au logement, aux soins, à l’emploi et à la formation. On tourne à temps plein avec quatre-vingt dossiers. En maison d’arrêt, on a des gens qui arrivent et sortent tous les jours, donc ce sont de nouveaux dossiers qui se cumulent. Le matin, on ne sait jamais comment la journée va se passer. Avec toutes les instances, les entretiens, les rapports, nos réunions, on n’a pas le temps de chômer. Donc il faut prioriser.

À la maison d’arrêt, on a des conditions d’entretien difficiles, dans des petits bureaux, sans confidentialité, qu’il faut partager avec les enseignants, les visiteurs de prison, le culte… S’adapter, c’est le maitre mot. Il faut avoir une capacité à se protéger et ne pas rentrer chez soi avec tout ce qui s’est passé dans la journée.

J’interroge les détenus sur pourquoi ils en sont arrivés là, pourquoi ils ne changent pas, pourquoi ça se répète.

Je leur apprends à savoir ce qu’est une émotion. Ils ne se posent pas la question de ce qu’ils ressentent, comme s’ils subissaient les choses.

Je ne supporte pas d’être enfermée, ce qui fait beaucoup rire mes collègues. J’aime être dehors. La prison m’a appris à apprécier le fait d’être libre de mes mouvements, ne pas dépendre des autres, être seule. »

Ecoutez le témoignage en entier.

 Bruno, responsable cuisine

« Avant moi, c’était un surveillant qui était à la cuisine, il était là juste pour encadrer les détenus, alors il essayait de trouver des gars qui savaient y faire. Quand je suis arrivé, il a fallu recadrer. Ça a été difficile au départ, parce que j’arrivais dans un monde de surveillants.

J’ai onze détenus avec moi. Juste eux et moi. Ça se passe bien parce qu’ils savent comment je fonctionne. Si je vois qu’il y en a un qui monte dans les tours, je lui dis : « garçon, tu te calmes t’as quelque chose à dire, tu t’expliques ». J’ai un Motorola avec moi et une alarme. Car j’ai une boite à couteaux dans la cuisine.

Au départ, le détenu commence par la plonge. S’il tourne bien, il va faire les entrées et si je sens qu’il a du potentiel, il peut aller faire les cuissons. Si la personne réussit, quelque part j’ai un peu gagné mon pari.

Les détenus ont une bonne cuisine, car on a encore la chance de travailler en liaison chaude, c’est-à-dire qu’on la prépare au jour le jour. Je dis aux détenus de mettre un peu de déco, un brin de persil, une olive, un bout de citron.

Ceux qui parlent de la gamelle, je leur dis : « tu goûtes d’abord et après t’aime ou t’aime pas, mais ce qui sort de la cuisine, c’est bon. » Je ne dis pas on envoie la gamelle, mais on envoie le repas.

Il y a quelques années, j’ai accueilli un détenu qui était classé qui a fait parler de lui, Guy Georges, vous connaissez ? Je l’ai eu en tant qu’éplucheur, et par la suite, j’ai su que cette personne avait… alors que moi, je n’ai jamais eu de souci avec. »

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Marylène Carre

Journaliste et co-fondatrice de Grand-Format, j’interviens depuis plusieurs années en milieu pénitentiaire pour animer des ateliers d’éducation aux médias auprès des détenus. Le projet « Dernier transfert », réalisé dans le cadre du dispositif Culture Justice, avait un autre objet : conserver la mémoire de l’ancienne Maison d’arrêt de Caen (1904-2023) à travers le récit de celles et ceux qui ont travaillés. Ces portraits sonores et photographiques sont exposés au nouveau centre pénitentiaire Caen-Ifs et ont fait l’objet d’une publication.

Marie-Céline Nevoux-Valognes

Diplômée de l’Ecole Régionale des Beaux-arts de Caen, j’ancre ma pratique dans le champ de la photographie. J’explore et j’interroge l’identité et le territoire afin d’en témoigner l’existence. En parallèle à mes recherches, je m’inscris au sein de projets personnels et/ou collectifs en détention depuis plus de 16 années, dans le cadre du dispositif Culture Justice.
Le projet « Dernier transfert » réalisé à la Maison d’arrêt de Caen était essentiel. Essentiel, afin de conserver la mémoire, des mémoires sonores et photographiques tant humaines que sociologiques et géographiques. Nous avons écouté, regardé « Duparge » avec ces femmes et ces hommes qui y travaillaient depuis de nombreuses années. Leurs histoires, leurs murmures et les murs de la prison, nous les avons captés, enregistrés et photographiés, telles des anthropologues, afin de témoigner d’un lieu désormais inoccupé. Dernier Transfert est donc devenu une archéologie du quotidien.
Photographie de Mare-Céline©Céline Malewanczyk