Juillet 2023

Ne passez pas par la case prison

Marylène Carre (texte et photos et Ambre Lavandier (illustrations)

« Bravo David, beau message »

Publié le 6 juillet 2023

David Desclos n’a pas besoin d’inventer des histoires pour les jouer. Sa vie en est une. L’ancien cambrioleur, qui a grandi à la Pierre-Heuzé à Caen, s’est donné pour mission de réveiller «une jeunesse qui se gâche» avec un spectacle qui tourne dans toute la France.

Maison d’arrêt de Vannes, 20 juin 2023. Attendre qu’on lui ouvre une porte, il en a l’habitude. Combien de fois s’est-il retrouvé dans cette situation ? Le bruit des lourdes clés dans la serrure, une porte qui s’ouvre sur une autre porte. Une galerie qui mène à la cour de promenade, ceinte de hauts murs. Aux fenêtres, des barreaux et des rubans de linge qui volent au vent : ce sont les « yoyos » qui servent aux détenus à s’échanger des choses d’une cellule à l’autre. David Desclos ferme les yeux et se souvient.  

Maison d’arrêt de Caen, centre de détention d’Argentan, Draguignan, Fresnes, Perpignan. Cambrioleur multirécidiviste, il a passé plus de dix ans de sa vie en prison. « Dix ans de perdu. Mais j’ai arrêté de regretter. Aujourd’hui, je me dis que j’ai une mission et je l’accomplis. » Son objectif ? « Provoquer des déclics dans la tête d’une jeunesse qui se gâche. Les gamins sont comme des graines. Si tu les arroses bien, elles éclosent au bon moment. Mais certaines n’ont pas eu cette chance et les graines n’ont jamais germé. Tous ensemble, avec les parents, les éducateurs, les flics, les juges, les politiciens, les victimes, les anciens détenus, toute la chaine, il faut qu’on se batte pour faire bouger les choses. Sinon demain, on ouvrira plus de prisons que d’écoles. » 

L’Arsène Lupin des planches

C’est ce message que porte le spectacle qu’il joue depuis 2016, seul en scène: «Écroué de rire». Il a passé des années au mitard à écrire ses textes, peaufiner son idée, la tester devant ses co-détenus. «Un jour un vieux bagnard m’a dit:

Elle est géniale ton idée, mais demande-toi si elle n’est pas utopiste.
Pourquoi ?
David, à qui profite le crime? Qui a intérêt à voir les prisons se vider? Tu crois qu’ils veulent moins de délinquance?
T’es fou.
Tu verras.

Depuis, je cherche à lui prouver qu’il avait tort. Je relève le défi

En cavale, David monte sur les planches des cabarets parisiens sous le nom de David PINLU. Il retrouve ses copains de la bande de Sarcelles, les rappeurs du Minister A.M.E.R. Passi et Stomy Bugsy, qui deviendra le metteur en scène de son spectacle. Par petits bouts, patiemment, avec ténacité, comme lorsqu’on creuse une galerie souterraine pour aller cambrioler une banque, il est parvenu à ses fins.

Conteur de banditisme sur scène

Son spectacle est à l’affiche chaque semaine au Jamel Comedy club à Paris et en tournée dans toute la France depuis deux ans, dans les quartiers, les écoles, les théâtres et les prisons. Toujours suivi d’un débat, souvent précédé d’ateliers. David a inventé sa formule: il se dit «conteur de banditisme sur scène». Il raconte sa vraie vie avec humour et second degré. Sur la scène nue, il fait surgir la prison, le parloir, la cour de promenade, la cellule de garde à vue, la cavale dans les rues de Caen, le périphérique et la tour du quartier, tous les protagonistes de sa propre vie. Il lâche des rafales avec un débit de mitraillette, toujours très fort, comme on imagine les échanges entre détenus et surveillants.

Alors quand il joue en prison, ça matche. La cinquantaine de détenus venus assister au spectacle à la prison de Vannes, dos au mur ou assis sur les quelques chaises en plastique, rient et applaudissent. C’est leur quotidien qui se joue. David s’est placé au centre de la petite cour de promenade. Il parle fort, mime chacune de ses histoires, se saisit d’une grille d’exposition pour imiter les barreaux de la prison. Les détenus n’en perdent pas une miette; ceux qui s’étaient mis en retrait se rapprochent. Et quand il les interpelle: «mettez votre culot, votre énergie, votre talent dans l’honnêteté», certains relèvent, «l’honnêteté?» et vont lui serrer la poigne à la fin du spectacle: «Bravo David, beau message!»

Découvrez la suite de cette histoire la semaine prochaine : Une jeunesse au parloir.

Une jeunesse au parloir

Publié le 20 juillet 2023

David a quatre ans. Il accompagne sa mère à la Maison d’arrêt de Caen pour visiter son père au parloir. Il s’agite sur les genoux de sa mère. Ses doigts jouent avec les petits trous de l’hygiaphone. De l’autre côté de la vitre, son père pose la paume de sa main.

«Le destin d’un jeune délinquant commence à sa naissance. Le mien était tout tracé et commence même avant ma naissance, à l’enfance de mes parents.»

Caen, années 1950. La ville est marquée des cicatrices de la guerre. Les familles pauvres ont été relogées dans des bidonvilles à la sortie de la ville, comme Tonneauville, qui tire son nom des baraques en forme de tonneaux qu’on a érigées à la hâte dans le futur quartier de la Guérinière. Ce qui ne devait être qu’une cité d’urgence a perduré trente ans. Le père de David a grandi là, avec six frères et une sœur, et l’alcool en fond de tableau. De ses 14 à ses 18 ans, il est enfermé au centre de rééducation pour mineurs de l’île de Tatihou, dans la Manche. En permission, il rencontre sa future femme. Quand il revient à Tonneauville, ses petits frères ont été placés par les services sociaux, son père se bat contre un cancer du poumon. Il fait venir sa femme et ils s’entassent tous dans le baraquement. À la naissance de David, le 26 novembre 1973, il est en prison.

David et sa famille déménagent dans une nouvelle cité HLM à la Grâce-de-Dieu. Un trois pièces pour cinq, avec eau courante, salle de bain, cuisine et chauffage. Le luxe. Son père travaille sur les chantiers ou comme éboueur, aux côtés de ses frères et cousins. Les hommes tombent les uns après les autres, emportés par le cancer ou l’alcool. Sa mère tient le foyer malgré la misère. À 5 ans, David va chiner chez des voisins aussi démunis qu’eux un peu de pain ou de lait. «Voyant tout ça, j’avais cette haine contre l’Etat qui défonçait nos parents dans l’alcool. Plus j’ai grandi et plus je me suis débrouillé», raconte David.

La tour des miracles

À neuf ans, nouveau quartier de Caen, nouvelle cité HLM pour un appartement plus grand dans une tour de la Pierre-Heuzé, la «PH», au 43 rue Montcalm. «On l’appelait la rue Non Calme!» David retrouve des cousins, des enfants d’immigrés et tous les gamins nés dans les cites d’urgence de la ville. Les mômes vivent dehors, créent des bandes. C’est la guerre des boutons version béton. Dans les années 1980, la cité HLM est déjà défraîchie. Les pots de fleur sont partis avec ceux qui avaient les moyens de déménager vers les zones pavillonnaires. Restent les familles les plus précaires. Les parents sont au chômage, les enfants squattent les cages d’escalier dégradées. La nuit, il n’y a plus un réverbère en état de fonctionner.

«Nous étions l’héritage de la misère de l’après-guerreet des mauvais choix de ceux qui nous avaient gouvernés. Le rouleau compresseur était en marche. Tout était réuni pour nous broyer: le chômage, l’alcool et les drogues. »

À l’école, c’est la même rengaine. David a des capacités, mais c’est un voyou. Lui s’en fiche, apprend dehors l’école de la vie. Au collège Lechanteur on l’oriente en section d’étude spécialisée. Il sera maçon, comme son grand-père. À 16 ans, fin des études, un passage furtif à l’armée. Sa mère réussit à le rescolariser à l’institut Lemonnier, une école catholique qui cherche à remettre les gosses du quartier dans le droit chemin. Sept mois après y être entré il est cueilli par les policiers dans l’enceinte du lycée. Soeur Catherine le regarde partir tristement: «Mon pauvre garçon, quel gâchis, quel dommage

La semaine et même le dimanche

C’est que, depuis l’âge de huit ans, David pratique le vol à l’étalage ou «en filouterie» dans les magasins du quartier. À 14 ans, c’est devenu son quotidien. «Je me rends compte que je suis très bon dans le vol à l’étalage. Et là, je me dis, je vais m’en sortir par la délinquance. Et je vais sortir ma famille de la misère.» À 15 ans, il commence à neutraliser les alarmes. Avec sa bande, ils vident les magasins du quartier. «On fait ça la nuit, enfermé dans le bureau de tabac, on prend notre temps pour le vider. C’est propre, classe, sans trace. On rentre chez nous, on fait le tri. Mais on le fait toutes les nuits.» Bientôt, le gang étend sa zone à toute la ville et à celles d’à-côté et se fait appeler le gang des GILASD, groupe d’intervention locale assurant la semaine et le dimanche. Ils dévalisent les pavillons autour du quartier, mais David est mal à l’aise à l’idée de s’introduire chez les gens. Un jour, ils tombent nez à nez avec les enfants qui rentrent de l’école. C’est fini. Désormais, il ne cambriolera que les grandes surfaces et les magasins de marque.

«On revenait au quartier les voitures pleines à craquer. Le 43 de la rue Montcalm se remplissait chaque soir et le nombre de clients ne faisait qu’augmenter. Ma tour devenait la «tour des miracles». On pouvait y trouver de tout; du shit, des fringues, des baskets, du parfum, du tabac, de l’alcool et même du chocolat de luxe pour les fêtes. Un véritable supermarché. (…) Les problèmes d’argent avaient empiré et je sauvais la situation avec min business. Les seules règles étaient: pas de braquage, pas de drogue dure et surtout pas de balance.»( Extrait de David Desclos, Une histoire vraie, Flammarion, 2019).
Autour de l’aire de jeux pour enfants du quartier, les mamans portent toutes les mêmes paires de chaussures à la mode. Mais la nuit, les vols de voitures, les feux, les trafics se multiplient. Un quotidien local titre «La Pierre-Heuzé deviendra-t-elle Chicago? »

En mars 1993, David a 19 ans pour son premier séjour à la Maison d’arrêt de Caen. Six mois plus tard, après un été en Espagne à dévaliser les hôtels de luxe, il est de retour pour un an ferme. En prison, il retrouve sa bande – tous font des aller-retours entre le quartier et la tôle – et remonte ses trafics. Il est transféré au centre de détention d’Argentan, où il fait la connaissance en cellule d’un type qui sait monter les alarmes. «Je l’ai alimenté en shit et j’ai pris des cours.» Il sort à 20 ans, spécialiste de la neutralisation des systèmes d’alarme et prêt à taper plus fort. Le gang se met à dévaliser des banques.

Le casse du siècle

«De 20 à 24 ans, je gagne 15 à 20 000 euros par mois. J’en fais profiter tout le monde et je me fais plaisir aussi. Mais je commence à fatiguer. J’ai rencontré Nora, mon amoureuse de l’école primaire, et je lui ai promis d’arrêter mes conneries. Mais les potes me disent:

Tu ne peux pas faire ça David, on a des copains en prison. On a dit: «c’est à la vie à la mort», on ne peut pas les laisser tomber.

En prison, t’as toujours besoin d’argent, pour payer les avocats, pour ta famille, pour toi. Je leur ai répondu:

OK, on va en faire une dernière, mais pas n’importe laquelle: le siège de la Société Générale à Caen. Soit on est tous riches pour la vie, soit on finit tous en prison

L’opération est programmée pour le jour de noël 1998. Pendant quatre mois, les gars ont creusé un tunnel qui mène à la salle des coffres en se faisant passer pour des ouvriers de nuit. À la veille de noël, ils ont déjà entamé les vingt premiers centimètres de la porte blindée. Le lendemain, ils couperont le fil de l’alarme à détection et achèveront le travail. Mais à la sortie du tunnel ce jour-là, ils sont cueillis par les flics. En garde à vue, le commissaire et le directeur de la banque expliquent à David comment ils l’ont eu:

Tu te souviens le caillou que tu as envoyé dans la vitrine de la banque il y a quatre mois David, pour vérifier qu’il s’agissait bien d’une alarme à détection ? Après ça, le directeur de la banque, ici présent, a demandé à son chef de travaux de poser une alarme par vibration.

«En dégommant les 20 premiers centimètres, on faisait sonner l’alarme depuis 15 jours. Si on n’avait pas jeté le caillou, ils ne changeaient pas l’alarme, on faisait le casse du siècle à Caen. Pour résumer, à cause d’un caillou, je suis allé dix ans en prison.»

Découvrez la suite de cette histoire la semaine prochaine : Ne pas laisser pousser la mauvaise herbe

Ne pas laisser pousser la mauvaise herbe

Publié le 27 juillet 2023

Vingt-quatre heures à peine après son arrestation, dans son transfert vers les locaux de la police judiciaire, David s’échappe. Le récit qu’il en fait dans son spectacle est rocambolesque. «Yin-Yin» et «Babar», les deux flics de la PJ qui l’escortent; en prennent pour leur grade. «Je les ai invités au spectacle; ils m’ont répondu qu’ils attendaient l’Olympia. Promis, si j’y arrive, je leur réserve des places au premier rang.» David est en cavale, il a retrouvé Nora, il bosse au Samu parisien et joue sur scène le soir. Pourtant, quelque chose cloche. ll en a marre de la vie clandestine. Il veut devenir quelqu’un de bien. Bosser honnêtement et rentrer chez lui le soir pour assurer la sécurité à sa famille. «Construire sur du dur. Nous, les bandits, on construit sur de la boue.» Il parle de son projet à Nora: il veut se rendre à la justice. Elle approuve et lui promet que, quel que soit le temps qu’il passera en prison, elle l’attendra. Alors David décide de se présenter le jour de son procès, le 27 janvier 2000. Il arrive au tribunal en courant, comme il s’était enfui deux ans plus tôt. Le verdict pourtant n’est pas tendre: il prend dix ans de prison. Après une ultime récidive, il sort en 2012 avec un bracelet électronique.

«J’ai voulu casser le destin»

La suite, il la racontera dans son prochain spectacle. David envisage une série sur scène et à la télévision. Un autre livre aussi, qui prendra la suite du premier publié en 2019 chez Flammarion, «David Declos, une histoire vraie». Il a tout un business plan dans sa tête, monté avec sa boite de production, L’adorable gang production, financée par des entrepreneurs caennais. Mais le prévisionnel a pris de plein fouet le Covid. «Ça commençait à monter, je faisais les plateaux télé, je suis passé chez Hanouna et puis tout s’est arrêté.» Depuis deux ans, il a repris la tournée, monté un nouveau spectacle avec Stomy Bugsy, «Un jour, j’irais à Détroit». Il est fier d’avoir signé avec ce projet avec le Ministère de la Justice pour tourner son spectacle dans les prisons. Il en a déjà fait 48, dont Caen en 2018. Il voudrait toucher encore plus de monde, notamment les plus jeunes. «Il faut provoquer le déclic le plus tôt possible.Avec Nora, ils ont trois enfants, de 18, 14 et 12 ans, qui sont fiers de leur père. Ils habitent une petite maison en région parisienne et vont à l’école privée. «J’ai voulu casser le destin».

Une marmite sur le feu

David revient régulièrement à Caen voir sa famille et les copains du quartier. Il le trouve un peu moins chaud qu’avant, quand on le comparait à Chicago dans années 1990 à 2000. «Mais il y a toujours une marmite sur le feu et quelquefois ça pète.» Comme lorsque Nabil, un gamin du quartier de 18 ans est tué par balle à bout portant en janvier 2020 devant le 19 rue Montcalm. Les jours suivants, une marche blanche réunit 500 personnes pour dénoncer «l’abandon du quartier par les autorités

David Desclos, le grand frère du quartier est là lui aussi, qui appelle au calme. «J’ai un peu sur la conscience d’avoir montré le mauvais exemple, déclare-t-il à Ouest France (édition du 30 janvier 2020). Je prends la parole pour montrer aux jeunes à quel point ils se trompent de chemin. Prendre un fusil est le pire des péchés. Cette mort fait souffrir des familles entières.Réfléchissez les gars: mettez vos talents du bon côté du chemin et vous allez tout déchirer. » À ses côtés, son complice des planches, star du rap, Stomy Bugsy, qui a grandi à Sarcelles, met en garde: «il ne faut pas les laisser dans la rue, sinon elle va les bouffer, les engloutir.» Ne pas laisser la marmite sur le feu, prévient David. «Si on laisse pousser la mauvaise herbe dans les quartiers, si on continue de fabriquer des fauves dans les prisons avec des conditions de vie inhumaines, parfois dignes des pays sous-développés, alors on va créer de nouveaux Bataclan, des attentats. Cette question nous concerne tous.»

À la fin de sa représentation dans la prison de Vannes, un détenu prend à part David. Il a perdu son père, son frère et son bébé. Il a plongé dans l’héroïne. Sa mère lui a conseillé d’écrire le récit de sa vie. Il se dit qu’il pourrait en faire quelque chose quand il sortira. Comme David Desclos.

Marylène Carre


Pour prolonger cette histoire:

À lire: David Declos, Une histoire vraie, Flammarion, 2019.
À écouter: David le braqueur de Pascale Pascariello dans Les Pieds sur Terre, France Culture

Marylène Carre

Co-fondatrice de Grand Format. Journaliste et auteure née en 1976. Travaille pour la presse régionale et nationale, explore les nouveaux médias et le documentaire sonore, anime des ateliers médias et des résidences de journalisme. 

Ambre Lavandier

Après des études à l’École de l’Image d’Épinal puis aux Arts Décoratifs de Paris, Ambre Lavandier rejoint la Normandie pour y poursuivre une démarche de création personnelle et collective. Elle fabrique des récits à travers ses images, ses films et ses histoires pour les enfants. Elle raconte les gens qui l’entourent, en portant son attention sur la manière dont chacun questionne sa place et invente son existence au contact des autres. « Les oreilles d’Alphonse » (éd. Didier jeunesse) est son premier album.