Écouves, une réserve à protéger
Publié le 27 octobre 2023Au nord d’Alençon (Orne) s’étend l’un des massifs forestiers les plus importants de Normandie: la forêt domaniale d’Écouves. La grande diversité de ses paysages et de sa biodiversité constituent sa richesse. Mais sous l’effet du réchauffement climatique, cet écosystème montre ses vulnérabilités et s’adapte en conséquence par l’intervention humaine.
Le soleil peine à percer de ses rayons la pinède. De leur hauteur, les pins Douglas, espacés de façon régulière les uns des autres, semblent avaler la lumière. «Ce n’est pas mon délire», lâche Nicolas Blanchard, sourire en coin dans sa barbe noire bien fournie et regard perçant derrière ses lunettes rondes. Malgré la chaleur ambiante d’un après-midi de juin et vêtu d’un polo noir, il se fraye un chemin en serpentant entre les troncs longilignes. Il sait exactement quelle est sa direction. Très vite, les conifères laissent place à un espace composé de feuillus. Le sol est plus riche et non couvert d’aiguilles limitant tout autre végétal de pousser. La lumière revient. Une moitié constituée de feuillus, l’autre de résineux: l’essence de cette entité géographique au cœur de l’Orne. Malgré l’opposition flagrante entre ces deux ambiances, il s’agit bien du même massif forestier, l’un des plus important de Normandie: la forêt domaniale d’Écouves et ses 8 200 hectares, au nord d’Alençon.
«L’homme a sa place en forêt»
Entre l’écrin de verdure situé dans le parc naturel régional Normandie-Maine et Nicolas Blanchard, c’est une longue histoire. Durant son enfance et adolescence, il se rendait régulièrement dans les bois, en quête d’aventure, nourris par les récits de Jack London, de Kerouac et les écrits de Sylvain Tesson. Son grand-père habitait à la Butte Chaumont (à ne pas confondre avec le parc du 19e arrondissement de Paris), au pied de la forêt. «Quand on est enfant, c’est un lieu à la fois intimidant et intriguant, j’avais envie de retrouver ça… D’être seul», se remémore l’Ornais, aujourd’hui âgé de 30 ans.
Depuis cinq ans, il consacre la majeure partie de son temps à sa thèse dédiée aux interactions entre les hommes et l’environnement de la forêt d’Écouves depuis l’âge du bronze à nos jours. «Un mélange hybride d’histoire, de géographie et d’archéologie», aime préciser celui qui se définit comme un «couteau-suisse».
«Il existe deux visions de la forêt, explique posément le doctorant à l’université de Rouen. Planter des arbres, laisser faire, mais quand c’est mal fait, ces derniers dépérissent. Ou bien intervenir, ce qui est plus judicieux du fait de problématiques telles que la sécheresse et le réchauffement climatique.» Il poursuit: «L’homme a sa place en forêt. Chacune est différente avec un écosystème propre, ce qui implique une gestion différente à chaque fois. Exploiter la forêt ne veut pas dire la raser, la couper.»
Le «château d’eau»
À la sortie de la densité d’arbres, au nord-est de la forêt, un espace vient illustrer les propos du géohistorien: une tourbière. La plus grande d’Écouves. Pourtant, elle n’existait pas il y a encore un an de cela. Ou plutôt, elle avait disparu. Au XVIIIe siècle, la création de fossés de drainage par l’homme avait complètement asséché cet espace, autrefois considéré comme ingrat. Les techniciens de l’Office national des forêts (ONF), de par leur action, ont restauré cet écosystème précieux. La zone humide, ponctuée de petites mares, est une ressource en eau non négligeable au cœur du massif.
«Elle permet de maintenir un stock hydrique important alors que l’écosystème forestier manque d’eau, expose Nicolas Blanchard. Le hêtre est une essence particulièrement touchée.» Les forestiers travaillent à la restauration de plusieurs tourbières. Une cinquantaine d’entre elles ont été relocalisées du fait de recherches dans les archives. Un travail de longue haleine.
La forêt d’Écouves est aussi appelée «le château d’eau» en référence aux nombreux cours d’eau qui la traversent, soit un total de près de 126 kilomètres. La Briante, affluent de la Sarthe, y prend sa source. Son relief avantageux lui permet de fixer les orages et de bénéficier du ruissellement des eaux de pluie. Une ressource précieuse. Mais les fortes chaleurs, manifestations du réchauffement climatique, peuvent provoquer des situations de stress hydrique.
Le cimetière des arbres rouges
Les conséquences sont visibles, au sud-ouest de la forêt domaniale, non loin du carrefour du Chêne-au-Verdier. Après avoir suivi un petit sentier au bord duquel poussent quelques sapins, Nicolas Blanchard s’arrête et lève la tête. «C’est glaçant», commente-t-il. Parmi les épicéas présents sur la parcelle, certains présentent des branches aux teintes orangées, tendant même vers le rouge. Celui qui a arpenté la forêt d’Écouves de long en large sait ce que cela signifie. Elles sont l’œuvre d’un véritable fléau: le scolyte typographe. «Quand la forêt manque d’eau, les arbres s’en trouvent affaiblis. Le parasite le perçoit et en profite pour les coloniser, détaille Nicolas Blanchard. D’autres épicéas sont touchés… La frange nord-ouest du massif n’est pas épargnée elle-aussi.»
Face au risque de contagion, les forestiers doivent intervenir et procéder à des coupes sanitaires à caractère préventif. Les scolytes s’attaquent en grande partie aux résineux, d’où la nécessité d’une «forêt mixte» en termes d’essences plantées, plus résiliente. «Il n’est jamais trop tard pour s’adapter au climat, résume Nicolas Blanchard. Il y a deux ans, du pin maritime a été planté, plus adapté aux fortes chaleurs. Il faut trouver un juste milieu, un compromis.»
Au sud, sur une parcelle proche de la commune de Saint-Nicolas-des-Bois, une coupe d’envergure a été réalisée par les agents de l’ONF. Sur la pente prononcée, des branches gisent encore, frappées par le soleil du mois de juin. Des épicéas s’y trouvaient encore un an et demi auparavant. Des tubes transparents, plantés à la verticale, sont éparpillés sur le terrain. Le signe d’une plantation récente. Intrigué, Nicolas Blanchard s’approche de l’un d’eux et met son œil dans l’orifice: «Ah, c’est du chêne tauzin à un juger la feuille! Il est plus résistant ce qui est parfait par rapport au réchauffement climatique.» Une essence en remplace une autre. La forêt ornaise, sous l’action de l’homme, s’adapte.
Comme une forêt primaire
Mais il existe un endroit en son sein où la nature est laissée en libre évolution depuis les années 1990: la réserve biologique intégrale d’Écouves. Alors que la température avoisine les trente degrés à l’extérieur, celle-ci chute brusquement une fois à l’abri sous la canopée. Sur soixante hectares, les forestiers laissent la nature agir pour ensuite procéder à des analyses. L’objectif: prendre en compte les enjeux environnementaux dans la gestion forestière. D’un pas lent, Nicolas Blanchard foule le tapis de feuilles mortes et enjambe les branchages. Les arbres morts au sol ou sur pied, comme dans les forêts primaires, jouent un rôle essentiel dans l’écosystème. Ils abritent la vie de par les champignons qui s’y développent, les insectes qui y trouvent refuge et les oiseaux qui y élisent domicile. «C’est là l’optimum de la forêt d’Écouves: une chênaie-hêtraie. Une forêt dans la forêt.»
La suite de cette série sera publiée la semaine prochaine, sur Grand-Format.
Panser la forêt
Publié le 6 novembre 2023En Normandie, près de 14% du territoire sont occupés par la forêt. Sur ces 421 000 ha, 78% sont privés et répartis entre près de 90 000 propriétaires. Leur exploitation alimente la filière bois de la région. La gestion durable des forêts à l’heure du changement climatique apparaît comme un enjeu majeur. Comment faire pour concilier captation efficace du dioxyde de carbone et activité économique?
L’endroit pourrait vaguement faire penser à l’une de ses photos de l’Amazonie qu’il est possible de voir dans les manuels de géographie au collège. Une longue voie rectiligne traverse la forêt, dont certaines parties, grignotées par l’exploitation du bois, ne présentent plus aucun arbre. Sauf qu’il s’agit d’une parcelle le long de la D41 qui appartient à une forêt privée du pays de Bray. Un territoire situé en Seine-Maritime, à deux pas de l’Oise dans les Hauts-de-France.
«Malforestation»
Julia Ouallet, chaussures de randonnée aux pieds, arpente le terrain en question. Une coupe rase y a été réalisée sur une surface non négligeable. Au moins trois hectares. «Il devait y avoir des résineux comme ceux là-bas, constate la responsable de la branche normande du Réseau pour les alternatives forestières (Raf), en pointant du doigt une étendue d’arbres bien alignés au loin. Les gestionnaires de la forêt les ont coupés pour les remplacer par du Douglas. A la vue de la plantation, c’était il y a environ trois ans.» Cette essence de pins, originaire de l’ouest de l’Amérique du Nord, est privilégiée par les exploitants pour ses propriétés qui la rendent facilement exploitable: une croissance rapide, un tronc droit et une haute taille. «Il n’existe pas de déforestation en France mais une malforestation. L’enrésinement des parcelles en est l’exemple.»
«Il n’existe pas de déforestation en France mais une malforestation.»
À 38 ans, celle qui s’est installée depuis peu comme «paysanne-boulangère» dans la commune de Saumon-La-Poterie sait de quoi elle parle. Julia Ouallet est sortie diplômée de l’Institut National Agronomique Paris-Grignon, «là où les grands technocrates sont formés au niveau de la forêt». L’ingénieure agronome de formation s’est ensuite spécialisé en écologie forestière à l’université de Wageningen, aux Pays-Bas. «Mon fil rouge a toujours été la défense du bien commun, avec l’arbre comme objet central», affirme-t-elle avec aplomb. C’est pour cela qu’après avoir occupé le poste de chargée de mission «Forêt-Bois et agroforesteries» au sein du Conseil régional de Normandie, elle s’est ensuite tournée vers le milieu associatif qui œuvre pour la défense et la meilleure gestion des milieux forestiers. D’abord en rejoignant l’association Canopée, puis dorénavant en tant que bénévole au sein de la branche normande du RAF à laquelle elle consacre une grande partie de son temps et de son énergie.
«Du résineux sur du résineux»
Quelques feuillus, comme un boulot et un mélèze, parsèment l’étendue plane au cœur du pays de Bray. «Cette plantation n’a pas été réfléchie, martèle Julia Ouallet. Il n’y a que du résineux sur du résineux et presque aucun apport en feuillus». Seuls vestiges témoignant de la présence des anciens occupants de la parcelle: des souches rassemblées en andins, autrement dit des petits tas, en bord de route. Les nombreux passages des engins mécaniques venus les retirer ont laissé la surface de l’exploitation forestière couverte d’ornières, telles des cicatrices.
La fertilité du sol s’en trouve appauvrie, tout comme la capacité de stocker le carbone au sein de l’écosystème forestier. Comme le rappelle l’association Canopée, qui œuvre pour la protection des forêts en France et dans le monde, le CO2 est stocké dans le tronc, les branches et les racines des arbres. Il continue de l’être même quand l’arbre est récolté et transformé en produits de l’industrie du bois, et ce pendant toute l’utilisation de ces derniers. Ce gaz s’accumule aussi dans le sol qui constitue un puits de carbone. Si ce dernier est dégradé, alors il contribue moins à l’absorption du CO2 et donc à limiter le réchauffement climatique.
Les bras croisés dans le dos, Julia Ouallet contemple un feuillu mort, dont le tronc se dresse encore parmi d’autres feuillus. Sans doute lui rappelle-t-il le chêne majestueux marquant l’entrée du terrain sur lequel se trouve son exploitation fruitière. «Son vieux pépère» comme elle l’appelle affectueusement. «Le plus important est de faire en sorte que la forêt reste un écosystème, développe l’amoureuse des arbres. Elle ne se limite pas à la simple fonction de production pour le bois de chauffage ou l’ameublement. La forêt ne doit pas s’adapter à l’industrie, il faut penser sur le long terme.» Le Raf, dont elle fait partie, milite pour une gestion durable et résiliente du milieu forestier où production et préservation de la biodiversité pourrait se côtoyer.
Capter le CO2
Mais cette vision se heurte une nouvelle fois à la réalité. A flanc du Mont Sauveur (210 m), au pied duquel s’est développé le petit village d’Argueil et ses 350 habitants, une coupe rase a été pratiquée sur une parcelle privée durant l’hiver dernier. Les hêtres qui étaient présents en ont fait les frais. « Cet arbre n’a pas de racines profondes donc il existe un risque qu’il dépérisse en absence d’eau, explique Julia Ouallet. Dans le but d’adapter les forêts au changement climatique, les gestionnaires préfèrent couper les espèces déjà présentes pour les remplacer par d’autres supposées plus résistantes alors qu’il faudrait varier les essences. L’amélioration des forêts doit prévaloir, selon moi, sur le remplacement d’une essence par une autre. » Pour la bénévole du Raf, c’est de cette manière que la captation du CO2 sera maintenue.
Sur le chemin du retour, l’arboricultrice aux nombreuses casquettes regarde avec attention les arbres et leurs feuillages qui défilent sous ses yeux. «Les miens m’attendent pour être arrosés», dit-elle. L’occasion de saluer son chêne, compagnon et spectateur de sa nouvelle vie dans le pays de Bray.
Le 3ème et dernier épisode, à Deauville, sera publié dans une semaine.
La méthode Miyawaki, un mikado de végétaux
Publié le 13 novembre 2023Planter deux milliards d’arbres d’ici 2050 en France, c’est l’ambitieux projet que conduit l’association originaire du Calvados Bossy-Cévert. Afin de préserver la biodiversité des effets du réchauffement climatique, Alexandre Jacquette, son président-fondateur, a adopté une méthode bien particulière en Normandie, venue tout droit du Japon : les microforêts Miyawaki. Mais cette méthode verte est-elle vertueuse?
«Ça fait seulement dix-huit mois que nous l’avons planté!, s’extasie Alexandre Jacquette à la vue de l’épais massif de verdure qui se déploie devant lui. C’était en février 2022. Je n’étais pas revenu depuis le mois de mars 2023.» Malgré un soleil de plomb, le président et fondateur de Bossy-Cévert retire ses lunettes de soleil pour mieux contempler le résultat. «Il faudrait qu’il pleuve un peu…»
L’endroit en question n’est autre que la première «microforêt» plantée en mars 2022 par l’association selon la méthode Miyawaki. L’espace de 340 m2 s’étend le long d’une véloroute, celle de la Seine à vélo, sur ce qui était autrefois une simple pelouse entre la rivière morte, ancien bras de la Touques, et l’hippodrome de Deauville. Les peupliers qui servent de barrière naturelle entre les deux espaces, bien alignées et disposés à égale distance les uns des autres, tranchent de manière radicale avec la «microforêt». D’un côté l’ordre, de l’autre la nature libre de ses droits, voisins d’une vingtaine de mètres.
« D’ici trois-quatre ans, ce sera un vrai point de fraîcheur grâce à l’ombre des arbres », commente l’homme de 50 ans alors que quelques cyclistes roulent sur le bitume, chauffé par les rayons du soleil. Deux dames interrompent leur marche pour se poser sur un banc au bord de la route. Aucune ombre ne se déploie sur la surface. Le seul arbre présent a été amputé d’une grande partie de ses branches en raison de l’incendie d’un bâtiment en août 2022.
« Ne pas être observateur et agir à mon échelle »
Du simple plant d’un pépiniériste à un arbre enraciné dans la terre, du chemin a été parcouru. L’association Boissy-Cévert est née du constat de l’effondrement de la biodiversité en raison de la disparition des milieux naturels et du réchauffement climatique. «L’être humain a fichu un sacré bazar. Je cherchais quoi faire pour l’environnement. J’ai créé l’association il y a deux ans pour ne pas être observateur et agir à mon échelle.»
Selon un rapport du Conseil général de l’alimentation et de l’agriculture (CGAAER),70% des haies ont disparu des bocages français depuis 1950, soit un total d’environ 1,4 million de kilomètres en France métropolitaine. Sur la seule période 2017-2021, ce sont 23 500 kilomètres qui ont disparu chaque année. Pourtant, ces espaces végétalisés constituent des remparts face à l’érosion des sols, des réserves de biodiversité ainsi qu’une solution face aux aléas climatiques (lire l’article).
Du labo à la jungle
Tout commence en 2013 quand Alexandre Jacquette décide de planter différentes essences sur son terrain, à Cesny-les-Sources, non loin de Falaise. Dans ce lieu qu’il aime appeler son «laboratoire», le «passionné par l’environnement» s’est rendu compte de la poussée rapide des arbres, «même s’il y a eu quelques erreurs au départ». La venue d’oiseaux et d’insectes qui en a résulté a convaincu le Normand, originaire de Valognes dans la Manche. Ce tapissier-décorateur de formation décide alors de fonder l’association Bossy-Cévert en 2021. «Dès le départ, l’idée était de reconstruire un milieu naturel et créer un tissu associatif pour réparer l’humain en même temps que la nature, explique-t-il. Un autre modèle est possible!» Des bénévoles, parfois issus d’instituts médico-éducatifs, des écoliers ou des jeunes en difficultés viennent participer aux plantations.
Celui qui souhaite œuvrer pour la biodiversité se fraye un passage à grandes enjambées à travers la végétation et inspecte minutieusement quelques branches. Certains arbres, bien qu’ils soient encore en développement, atteignent facilement les deux mètres. Son t-shirt et son bermuda beiges lui donnent l’allure d’un explorateur, prêt à s’enfoncer dans les profondeurs de la jungle.
Densité et diversité
Pour aboutir à une telle densité d’arbres et de végétaux, Bossy-Cévert a suivi les principes de la méthode Miyawaki, du nom du botaniste japonais Akira Miyawaki (1928-2021). Seules des essences endémiques, c’est-à-dire propres à la région, sont plantées de manière extrêmement dense: à hauteur de trois plants par mètre carré de terre. Pour se faire, l’association travaille avec des pépiniéristes locaux, près de Falaise notamment, et se base sur la liste des espèces dressée par le Conseil départemental.
«L’important, c’est de travailler les strates» explique Alexandre Jacquette. Un mélange de différentes essences: noyers, coudriers, chênes, bouleaux, hêtres… A Deauville comme dans les autres «microforêts», le sol est préparé et est recouvert d’un paillage pour conserver l’humidité et protéger les pieds des plants de manière à favoriser leur développement. Un entretien est assuré par l’association et ses bénévoles dans les trois années qui suivent la plantation. Le but: «Laisser faire la nature le plus possible même s’il s’agit de forêts artificielles, créées de toutes pièces».
Les bénévoles et salariés de l’association normande interviennent en milieu rural, souvent à la demande de particuliers, ou en milieu urbain, dans certaines communes. « On ne plante pas dans des prairies qui ont une très bonne capacité de stocker le carbone », ajoute Alexandre Jacquette. Ce sont davantage les interstices vertes présentes dans les zones commerciales qui sont privilégiées.
Pour se financer, l’association Bossy-Cévert repose principalement sur des sommes versées par des particuliers ainsi que les dons défiscalisés de certaines entreprises comme les groupes Eiffage et Vinci, spécialisés dans la construction. Ces dernières peuvent participer à la plantation et afficher ainsi leur bonne action. «Le nerf de la guerre, c’est l’argent», résume en une phrase Alexandre Jacquette pour qui la priorité est la rémunération des trois salariés de Bossy-Cévert. «Je n’ai pas de scrupules à prendre dans les poches des entreprises pour que ceux qui n’ont pas les moyens, les petites communes, puissent planter des arbres», expose le fondateur de l’association. Quand il s’agit d’en planter des milliers, à douze euros l’unité, le coût d’une telle opération grimpe rapidement .
Les résultats obtenus en dix-huit mois à Deauville semblent témoigner des vertus de la méthode Miyawaki. Néanmoins, la question divise en France concernant le développement futur des «microforêts». Certes, elles poussent vite et sans entretien. Mais des chercheurs avancent que cela est dû à la compétition entre les arbres pour s’accaparer les ressources que sont la lumière, l’eau et les nutriments présents dans le sol. Résultat: certaines essences dépérissent. Une étude menée en région méditerranéenne rapporte un taux de mortalité de plus de 60% chez les arbres au bout de douze ans (voir cette étude). Enfin, si elles constituent des réservoirs de biodiversité, les «microforêts» ne pourront jamais devenir des forêts (lire l’article).
Une fois son inspection terminée, avant de regagner son utilitaire blanc stationné à l’ombre dans la tranquille rue de Verdun, Alexandre Jacquette ouvre l’application «météo» de son smartphone et jette un coup d’œil aux résultats affichés. «Est-ce qu’ils prévoient de la pluie? A priori, oui… Le week-end prochain. Tant mieux!»
Joseph le Fer (texte et photos)