Mars 2024

Village repeuplé cherche avenir en commun

Simon Gouin (texte) - Hélène Balcer (dessins)

Marguerite

Publié le 11 mars 2024

Bellême, 1456 habitants, petit village percheron, dans l’Orne. Ses 80 commerces, ses résidents secondaires et une imposante demeure, au cœur du bourg, symbole d’un conflit sur l’avenir de ce territoire situé à deux heures de la capitale. Ici, tout le monde l’appelle « la Maison Boucicaut », du nom de la famille qui la fit édifier au 19e siècle.

Au cours de l’année 2023, des habitants ont découvert que le conseiller départemental, Vincent Segouin, ex-maire du village et alors sénateur, soutenait la création d’un restaurant dans ce bâtiment qui accueillait jusqu’en 2018 l’Aide sociale à l’enfance.

Le 13 mai 2023, sur la petite place qui fait face à l’édifice, un collectif d’habitants tente d’interpeller les passants et les élus. Une discussion vive s’engage avec Vincent Segouin, porteur du projet. Les citoyens regrettent l’absence de lieux de vie communs. Cette bâtisse ne pourrait-elle pas en devenir un? Le sénateur renvoie à sa légitimité d’élu. «Faites vous élire, vous ferez ce que vous voudrez», lance-t-il aux personnes présentes.

«La Maison Boucicaut, c’est une goutte d’eau qui fait déborder le vase», expliquent des membres du collectif quelques semaines plus tard, en citant plusieurs projets où le domaine social a été selon eux relégué au second plan. «On a l’impression que les choses se font en catimini, et que ce sont des familles un peu riches qui décident, dans l’entre-soi.» La ville de Bellême serait-elle en train de perdre progressivement sa mixité sociale ?

Le premier grand magasin moderne

C’est une des premières fois que ces dissensions apparaissent en public. Et si la Maison Boucicaut en est le symbole, c’est à cause d’une histoire qui a marqué le village. Une histoire de réussite économique incroyable, incarnée par Aristide Boucicaut. L’homme est né en 1810 à Bellême. Son père est chapelier ; Aristide devient un marchand ambulant avant de rejoindre un magasin parisien, rue du Bac, Le Petit-Saint-Thomas. Il y gravit tous les échelons puis s’associe avec le propriétaire d’une boutique de nouveautés et de mercerie : « Au Bon Marché ».

Sur l’histoire de la famille Boucicaut, lire les Chroniques de Bellême, éditions Angoulvent, Bellême Patrimoine

Dans ce nouveau magasin, Aristide Boucicaut développe des idées novatrices : le prix fixe plutôt qu’à la tête du client, une baisse des marges bénéficiaires, la possibilité de rendre ou d’échanger les produits, l’entrée libre, les réclames, le service de livraisons à domicile à Paris et par correspondance en Province.

Le Bon Marché est le premier grand magasin moderne, qui en inspirera d’autres comme le Printemps, la Samaritaine, les Galeries La Fayette – et Émile Zola dans son roman Au bonheur des Dames. La famille Boucicaut accumule une fortune, la deuxième de France, une des principales fortunes européennes. Pour ses employés, elle met en place des heures de travail fixes, un salaire minimum, une prime sur les ventes, une cantine et un service médical gratuits, un régime de prévoyance. Des avancées sociales inédites pour l’époque. Mais Aristide meurt en 1877, et son fils en 1879. Sa femme, Marguerite Boucicaut, devient la propriétaire du Bon Marché, où 3200 personnes sont employées.

«J’étais moi aussi cette pauvre ouvrière qui devait surmonter les difficultés de la vie»

Celle qui est arrivée à Paris à 12 ans pour y travailler va choisir de redistribuer sa richesse. Une question de reconnaissance des employés qui ont travaillé et les ont rendus si riches, écrit-elle dans son testament. Et une histoire aussi de morale religieuse, d’une préoccupation envers les plus pauvres que Marguerite Boucicaut veut aider. « Mon unique pensée a été de venir aussi utilement que possible au secours des souffrants et des misérables », écrit-elle. « (…) Mes libéralités sont, en quelque sorte, une juste compensation de ce que nous avons imposé aux personnes que nous avons employées. » Son testament répartit sa fortune aux ouvriers : personne ne doit être oublié. « J’étais moi aussi cette pauvre ouvrière qui devait surmonter les difficultés de la vie », se souvient Marguerite qui donne aussi aux artistes, aux journalistes, à Pasteur qui la sollicite pour la création de son institut, à plusieurs cultes.

L’Assistance publique, qui gère les hôpitaux de Paris, devient son légataire universel, mais à plusieurs conditions. La maison de Bellême doit par exemple devenir «un hospice ou une maison de retraite pour vieillards-femmes». Dans les jardins et sur le terrain restant, Marguerite «souhaite que soit créé un ouvroir (lieu de travail, ndlr) externe pour jeunes filles, à admettre en aussi grand nombre que possible, selon l’habilité et le zèle bien connus des religieuses qui en seront chargées».

Une femme oubliée

Aline Couret a parcouru ce testament de long en large. L’ancienne directrice de l’antenne de l’Aide sociale à l’enfance de Bellême l’a découvert en arrivant dans la ville, en 1981. Dans la Maison Boucicaut où elle travaille, Aline Couret croise tous les jours le portrait d’Aristide et de Marguerite. « Elle ressemblait à la reine d’Angleterre », dit-elle aujourd’hui, du sud de la France où elle est retraitée. Si la figure de Marguerite l’attire, c’est parce qu’on n’en parle pas. Les rues, les monuments sont à l’honneur de son mari. Mais si peu sur cette femme au destin extraordinaire. « De fil en aiguille, j’ai découvert sa vie, à partir des archives, de mes recherches dans les bibliothèques », raconte Aline Couret.

Les volontés de Marguerite Boucicaut seront respectées pendant plus d’une centaine d’années. La Maison accueillera l’ouvroir des jeunes filles et huit femmes âgées vivant à Bellême seront aussi accueillies. En 1925, l’établissement devient un centre de placement des enfants en difficultés familiales vers des familles qu’on appelle « nourricières ». À partir de 1962, ce service est rattaché à l’Aide sociale à l’enfance de la ville de Paris : l’établissement bellêmois accueille des enfants venus de la capitale, placés en famille d’accueil ou en soin ambulatoire, dans la fondation installée dans le parc de la villa.

Mais en 2018, l’Assistance Publique – Hôpitaux de Paris (AP-HP) décide de quitter le bâtiment et de déménager ses services au Mans, à cinquante minutes d’ici. Depuis, la Maison Boucicaut est abandonnée. L’association Bellême Patrimoine a imaginé créer un lieu de mémoire. Elle a travaillé avec la ville de Bellême sur un projet qui a finalement été mis de côté. Le Secours catholique a étudié la possibilité d’investir la Maison pour y créer un lieu d’accueil. Mais le montage financier s’avérait difficile. Concentrée sur d’autres priorités, la municipalité ne dépensera pas un euro dans ce bâtiment, fait-elle savoir. Le projet porté par le conseiller départemental Vincent Segouin est-il un moyen de sauver ce bâtiment ?

«Il y a un déficit de restauration au regard de l’engouement des Franciliens pour ce territoire »

L’élu a sollicité le bailleur social du département de l’Orne, Orne Habitat, pour acheter le lieu à l’AP-HP, et le louer, ensuite, à un restaurateur. Si la négociation se fait entre institutions publiques, la bâtisse serait acquise à un tarif préférentiel. A défaut, elle tomberait dans les mains d’un propriétaire privé, mettent en avant Vincent Segouin et Orne Habitat. Une étude est lancée par Orne Habitat qui affirme à l’été 2023 qu’aucune décision n’a été prise. «Il y a un déficit de restauration au regard de l’engouement des Franciliens pour ce territoire », assure lors de cet échange le directeur du bailleur social.

Un tiers-lieu plutôt qu’un restaurant?

Le hic: le testament de Marguerite Boucicaut exige que ce lieu demeure à vocation sociale. C’est l’argument que met en avant le collectif d’habitants opposés au projet de restaurant. En 1992, un projet d’aménagement avait été laissé tomber par la municipalité car il remettait en cause le caractère social du lieu. Les opposants affirment que dans une affaire similaire, une juridiction a déjà retoqué un projet. Des personnes en faveur du projet et un notaire estiment que ce changement d’orientation n’est pas impossible au regard du droit. «A Paris, l’ancien hôpital Boucicaut a été transformé en logement, et cela n’a pas posé de problème», souligne l’un d’entre eux.

L’utilité d’un nouveau restaurant fait débat parmi la population. «Peu importe où il va se situer, avoir un restaurant à Bellême, ce sera toujours un plus», estime un habitant. «Et ce commerce permettra peut-être d’avoir de l’argent pour mener ensuite un projet autour de la mémoire de la famille Boucicaut. Économiquement, il ne faut pas être dans l’utopie.» Une habitante ne le voit pas d’un bon œil: «Si ça voit le jour, ce serait une hérésie. On n’a pas besoin d’un nouveau restaurant, il y en a déjà trois à vendre.» «Je ne pense pas qu’un restaurant comme ça durera, souligne une autre personne. Si cela reste dans le domaine public, c’est tant mieux. Le fait que ça ne rentre pas chez quelqu’un de privé, c’est positif.»

Plutôt qu’un restaurant à destination d’une clientèle huppée, le collectif de citoyens imagine un tiers-lieu dans cette Maison Boucicaut. Il rassemblerait des associations, l’Amap du village, une maison des assistantes maternelles, un lieu culturel avec des espaces pour l’école de musique, des artistes en résidences, un jardin public avec un potager. Une architecte a travaillé sur le projet : elle a produit plusieurs documents qui expliquent comment le lieu pourrait être transformé, progressivement, à l’image de nombreux lieux alternatifs qui se développent un peu partout dans les grandes villes. Le nerf de la guerre demeure néanmoins le financement d’un tel projet.

«Notre but, c’est de rassembler les gens, mélanger la population, et non pas favoriser des clivages», avancent les membres du collectif. S’ils le précisent, c’est parce que la vie de Bellême semble se polariser de plus en plus, et que des inquiétudes apparaissent à propos de l’avenir de ce territoire.

Le second épisode de cette série sera publié la semaine prochaine dans Grand-Format.

Vivre ensemble

Publié le 21 mars 2024

De sa maison, on a une vue imprenable sur la forêt qui borde une partie de Bellême. Michel est né dans une boite à chaussures, dit-il avec ce grand sourire qui ne le quitte que rarement. Ses parents étaient chausseurs, son père est décédé à la Drôle de guerre, alors qu’il n’était qu’un bébé. Son grand-père a d’ailleurs été formé en tant que marchand au Bon Marché, le magasin repris et développé par Aristide Boucicaut, à Paris. Et sa famille a ouvert une boutique de chaussures en 1850, à Bellême. « Tout gamin, je vendais du cirage au marché, à côté de ma maman », se rappelle celui qui a aujourd’hui plus de 80 ans. Il y a quelques années, avec une bande de copains, Michel a fait l’inventaire des commerces de Bellême de son enfance, après-guerre. 160 commerces, des cafés, boulangeries, boucheries dans chaque quartier. Des menuiseries, vaisselleries, quincailleries, magasins de vêtements, de sport, graineterie, coutellerie.

La ville a évidemment bien changé. Elle compte désormais de nombreux antiquaires, des boutiques éphémères, des échoppes qui n’ouvrent qu’à partir du jeudi pour toucher une clientèle de résidents secondaires, qui fait vivre le commerce local, mais le transforme également. Le phénomène n’est pas nouveau: «Cela fait 25 ans qu’on a fermé, mais déjà, à l’époque, 40% de nos clients étaient des résidents secondaires», se rappelle Michel. «Cette présence a sauvé le bâti percheron, soutenu l’économie, a permis à des magasins de se maintenir.Cela permet par exemple d’avoir une boutique de produits bio » «Il ne faut pas être dans le regret du passé», estime Michel. Mais les voitures qui circulent le week-end lui font dire que la population a changé. «Aujourd’hui, ce sont des gens qui ont du fric!»

«Dans les années 1960, les Parisiens qui arrivaient revenaient de Paris où ils s’étaient installés pour gagner leur vie, raconte une autre personne. Ils avaient les codes de la campagne. Aujourd’hui, nous n’avons pas de relation avec eux. Certainement parce que nos codes sont différents. Il y a une déconnexion avec le monde rural. Par exemple, les gens qui ne sont pas d’ici ne disent pas bonjour. Moi j’aime bien dire bonjour, bien fort, quand je rentre dans une boutique. Se saluer, c’est important. Mais c’est peut-être à nous d’impulser cette convivialité qu’ils n’ont pas en ville, où l’on ne salue pas.»

80 commerces pour 1400 habitants

Bruno Morencé est un observateur engagé de la vie locale. Son grand-père a été à l’origine de la création de l’union commerciale, dont Bruno est aujourd’hui le président. Il tient deux magasins de vêtements dans le village. «Pour 1400 habitants, cela reste étonnant de trouver 80 commerces!», se réjouit-il. «Implanter une petite surface en plein centre-ville a été l’idée du siècle! Cela a permis de renforcer le tissu commercial.»

Si la ville est aussi attractive, c’est notamment grâce aux actions engagées par l’association des commerçants depuis 70 ans afin de faire vivre la commune et sauvegarder ses commerces. Dans les années 1970, ses membres se rendent à Paris pour faire la promotion de son territoire; l’association reprend la gestion de l’office de tourisme, décide d’ouvrir les commerces le dimanche matin, pour la clientèle de résidences secondaires.

« Mais il faut faire très attention, prévient aujourd’hui Bruno Morencé. Car le commerce le plus important, c’est un pressing, et ce n’est peut-être pas aussi joli qu’une petite vitrine ouverte en fin de semaine. S’il n’y a plus de pressing, les gens partiront ailleurs, en voiture, là où il y a pleins de commerces. Quand il y a un commerce à protéger, il ne faut pas hésiter.» Pour ce commerçant, un équilibre doit être trouvé entre une clientèle du week-end, parisienne, et la clientèle «locale», qui a besoin de services tout au long de la semaine.

«Une ville où l’on ne répondra qu’aux attentes des touristes»

«A Bellême, on a en permanence cette difficulté à garder des commerces de proximité, avance un autre Bellêmois. Lorsqu’un boucher a cherché à vendre, il n’a trouvé personne pour le remplacer. Est-ce qu’on trouve des commerçants de bouche pour venir s’installer? Le danger est évidemment de basculer dans une ville où l’on répondra uniquement aux attentes des touristes.» Pour cette personne, arrivée il y a une vingtaine d’années à Bellême, il n’y a pas de ruptures entre deux mondes: «Je ne suis pas un Bellêmois de souche, je me suis totalement senti accueilli, intégré. Et je fréquente toutes les couches de la population, des précaires jusqu’aux résidents secondaires.»

« C’est vrai aujourd’hui que les commerces s’orientent vers la déco, les antiquités. Cela correspond à ce que les gens qui arrivent apprécient. Des gens à très haut pouvoir d’achat, indique une autre personne. Y-aura-t-il toujours des commerces de bouche dans 20 ans ? »

On retrouve ce constat dans un diagnostic social et urbain mené pour la démarche des Petites villes de demain, que Bellême a rejointe. Le document décrit notamment « l’arrivée de galeries d’art, salons de thé, boutiques de décoration et de brocantes-antiquités au détriment du commerce de proximité ». L’étude pointe une autre évolution : le prix de l’immobilier est devenu tellement élevé, notamment depuis la crise sanitaire et une nouvelle attractivité des lieux, qu’il est devenu très compliqué de se loger dans le petit village.

Tension immobilière

Cette envolée des prix, Yoann Biffart, agent immobilier à Bellême depuis 15 ans, en a été témoin, notamment pendant la crise sanitaire. Il se rappelle des journées sans fin où les biens partaient en quelques heures. Même si les prix sont revenus à des niveaux plus raisonnés, explique-t-il aujourd’hui, «une maison à 400 000 euros, ce n’est pas extraordinaire. Beaucoup achètent cash, ce qui rend difficile l’achat pour des primo-accédants».

«Tous mes copains d’enfance sont revenus, explique un jeune Bellêmois. Ils ne peuvent pas se loger ici. Ils vont dans les petits villages aux alentours qui sont plus abordables… Ici, pour une méchante baraque que tu vas acheter 80 000 euros, il faudra 100000 euros de rénovation.»

Alors que les petites industries installées localement ont fermé leurs portes – il ne reste qu’une entreprise de circuits imprimés – peu de gens aux revenus modestes peuvent continuer à se loger à Bellême. Des logements sociaux en plein cœur de la ville historique ont été fermés depuis une dizaine d’année. « Les biens immobiliers ne deviennent accessibles qu’aux Franciliens, aux retraités et aux ménages actifs qui cherchent à rester proches de la centralité », explique le diagnostic des Petites villes de demain. A l’inverse, des logements sont acquis pour y développer des Airbnb. Ce qui accroît encore un peu plus la pression immobilière.

«Tu n’as plus qu’une population âgée et des bobos le week-end»

« Quand je vois des bottes aigles et des cirés, j’ai envie de rappeler que chez nous, on a des trottoirs, des sanitaires…, s’insurge un habitant. Bellême doit garder son âme de petit village. Elle ne doit pas devenir un petit Neuilly sur Seine, ça me gêne. » « Bellême s’est boboïsé, indique une commerçante. Tu n’as plus qu’une population âgée et des bobos le week-end, qui se sont faits des boutiques pour eux. Les boutiques, les locaux n’y vont pas. Moi la première : je sais que je ne vais rien y acheter, car ça coûte trop cher. »

La petite ville reste un lieu que de nombreuses associations font vivre, depuis des dizaines d’années. Les deux écoles contribuent à sa vitalité et à son dynamisme. «A l’école, les milieux se mélangent très bien, raconte une habitante arrivée de Paris, il y a six ans. Naviguer entre les différents mondes, c’est quelque chose à laquelle on tient beaucoup. Nous nous sommes toujours sentis bien accueillis. Il manque une volonté politique forte pour faire du lien, car pour l’instant, cela tient de la volonté individuelle. Pourquoi n’y-a-t-il pas d’aire de jeux en centre-ville? Et de lieux pour les adolescents? L’absence de structures collectives favorise les clivages.»

Deux mondes un peu en parallèle

Ces clivages, Marie du Sordet en est bien consciente. «Il y a deux mondes qui sont un peu en parallèle, souligne-t-elle. Les personnes installées depuis toujours, et les nouveaux arrivants, où beaucoup pensent que c’est un eldorado, ce qui n’est pas le cas.» Arrivée avec sa famille il y a une dizaine d’années, Marie du Sordet a créé une boutique de brocante-vintage en plein centre de Bellême et plus récemment un showroom dans la zone artisanale. Elle y vend des objets qu’elle récupère et qu’elle achète notamment avec l’émission Affaire conclue sur France 2, dont elle est l’une des expertes. Elle a aussi ouvert un «lieu gourmand» / brocante, du jeudi au dimanche, et un logement Airbnb. «Je crois que le fait qu’on arrive avec des jeunes enfants, ça aide pour s’intégrer!», raconte-t-elle. «Forcément, on ne peut pas plaire à tout le monde mais ce n’est pas grave. On essaie de faire les choses les plus honnêtes, en rapport avec nos valeurs.»

Marie du Sordet aime la mixité de Bellême. Les fêtes populaires qui s’y déroulent, le réseau d’entrepreneurs Band of perchés qui voit le jour. « Les deux mondes peuvent s’apporter énormément, estime-t-elle. Les résidents secondaires viennent ici parce que c’est hyper authentique. En fait, pour les locaux, c’est intéressant d’avoir des Parisiens, et le mix est important pour tous les deux… L’urbain peut apporter une culture, une connaissance, mais il faut qu’il s’adapte à ce qui se passe ici. Si c’est un microcosme… il n’y a rien de pire. » L’entrepreneuse regrette un effet de l’arrivée de ces résidents secondaires dans la région : l’augmentation des prix des travaux. « C’est une galère monstrueuse. Et quand vous venez de Paris, on a le sentiment que certains artisans vous demandent cinq fois le prix, car ils pensent que nous avons beaucoup d’argent. C’est très agaçant. »

A propos de la Maison Boucicaut, Marie du Sordet estime qu’il manque d’un restaurant ouvert le soir, en semaine. Le projet du collectif d’y créer un tiers-lieu pour des associations avec des actions sociales? «Avoir un lieu où des associations seraient regroupées, ce serait fédérateur. Ce lieu est fabuleux pour y mêler ces deux mondes, estime-t-elle. Mais le social ne fonctionne que parce qu’il y a aussi du commerce. Tendre la main et aider, c’est bien, mais juste donner, je n’y crois pas. Pour moi, c’est le déclin de la société.»

En janvier, le collectif Marguerite, qui propose la création du tiers-lieu, a appris que l’AP-HP devrait mettre en vente le bâtiment aux alentours de 800 000 euros, au cours de ce mois de mars, sous la forme d’un appel d’offres public. L’avenir de la Maison Boucicaut se décidera dans les mois à venir. Indépendamment de son sort, celui de ce petit village du Perche est aussi en question : dans 20 ans, restera-t-il encore des emplois pour celles et ceux qui ne vivent pas des brocantes ou qui ne sont pas en télétravail pour leur entreprises parisienne ? Bellême sera-t-il un îlot de résidents secondaires aisés perdu dans un milieu rural qui souffre ? Ou un village où néo-ruraux et ruraux parviennent à bien vivre-ensemble ?

Simon Gouin (texte) – Hélène Balcer (dessins)