Juillet 2024

Avec l'équipe olympique des réfugiés à Bayeux

Camille Vandendriessche (texte), Emmanuel Blivet (photos sauf mention)

Les Africaines Cindy Ngamba et Farida Abaroge

Publié le 28 juillet 2024

Parmi les dix membres de l’équipe olympique des réfugiés originaires du continent africain, Grand-Format a rencontré Cindy Ngamba et Farida Abaroge à Bayeux. La première a quitté le Cameroun pour l’Angleterre où elle s’est découverte, à 15 ans, une passion pour la boxe. La seconde, qui a fui l’Éthiopie, a trouvé refuge en France, où elle a commencé l’athlétisme sur le tard, à 23 ans. Portrait croisé.

«Je suis là pour parler de sport, pas de politique.» Comme la plupart des sélectionné(e)s présent(e)s ce matin-là au stade Henri Jeanne de Bayeux, Farida Abaroge annonce d’emblée la couleur. À 11 jours du coup d’envoi des Jeux, la discrète mais souriante athlète a accepté de modifier sa séance pour la presse, à condition de ne pas sortir de sa bulle sportive. Ce n’est pas le moment, on le comprend, mais le sujet est aussi trop sensible, sa famille, comme celles de nombre de ses coéquipier(ère)s, vivant encore au pays.

Farida Abaroge, à Bayeux.

Il y a deux ans, alors qu’elle était encore loin d’imaginer participer au 1500 m des JO de Paris 2024, Farida s’était montrée un peu plus diserte. «J’ai dû quitter l’Éthiopie en 2016 pour des raisons politiques. J’avais 22 ans, je vivais à Jimma [ville de 120000 habitants au sud-ouest du pays] avec ma famille. À l’époque, je faisais beaucoup de sport, du foot, du karaté, mais pas de course à pied. J’aimais bien courir, mais je ne pouvais pas parce que je suis une femme, à cause des histoires de religion, de politique. Je suis partie au Soudan, puis en Égypte, et en Libye. J’étais en prison là-bas pendant deux mois. Heureusement, le HCR [Haut-comité aux réfugiés, une antenne de l’ONU] m’a sortie de prison grâce à l’association France Horizons qui m’a obtenu un visa. Après un mois au Niger, je suis finalement arrivée en France au bout de quasiment un an. Je suis d’abord restée dans le nord de Paris, puis France Horizons m’a envoyée à Thal-Marmoutier, dans le Bas-Rhin. Avec les autres demandeurs d’asile, on était logés dans un couvent. Un jour, le maire de la commune m’a demandé ce que je voulais faire. J’ai répondu que je voulais courir, alors il m’a emmenée au magasin pour acheter des chaussures, une tenue de course, et m’a accompagnée au club d’athlétisme de Saverne, à quelques kilomètres de là. C’est comme ça que j’ai commencé à courir…»

À quelques mètres de là, dans l’ombre des travées du stade bayeusain, la décontraction de Cindy Ngamba tranche avec la réserve de Farida. De par son enfance passée à Douala, la capitale économique camerounaise, la boxeuse de 26 ans parle couramment français, mais elle préfère s’exprimer en anglais. Elle aussi a découvert son sport de prédilection dans son pays d’adoption, le Royaume-Uni. Cindy avait 11 ans quand elle est arrivée à Bolton, près de Manchester, pour rejoindre son père, avec le reste de sa famille. «J’ai toujours été une enfant très sportive. Au Cameroun, je jouais au football avec les garçons. Je restais collée à mon grand frère comme si on était jumeaux! En arrivant en Angleterre, j’ai rejoint une équipe de foot féminine. C’était bien, j’aimais bien ce sport, mais ce n’était pas assez « challenging » pour moi.»

C’est à l’âge de 15 ans qu’elle entre par curiosité dans une salle de boxe et trouve sa voie. «Moi qui étais calme, introvertie, en manque d’assurance, j’ai pu faire entendre ma voix et exprimer ma personnalité. Ça m’a fait du bien au niveau physique et psychologique. J’avais du mal à m’adapter à mon nouveau pays. La boxe m’a aidée à libérer mon énergie et à me sortir de mon quotidien.» Car à l’époque, Cindy vit une période tourmentée. En plus du climat et de la langue, la lycéenne doit affronter les moqueries de ses camarades de classe et les refus successifs à ses demandes pour obtenir le statut de réfugiée. À 20 ans, lors d’un banal rendez-vous avec les services d’immigration, elle et son frère sont arrêtés et envoyés dans un centre de détention de Londres. Lesbienne, la jeune femme craint alors d’être renvoyée au Cameroun, où l’homosexualité est criminalisée. Mais heureusement, elle et son frère sont relâchés au bout de 48 heures…

«La boxe, c’est la partie la plus facile»

Deux ans plus tard, soit dix années après son arrivée en Angleterre, Cindy Ngamba obtient enfin le statut de réfugiée. Entre-temps, la boxeuse a remporté ses premiers combats et même décroché le premier de ses trois titres nationaux en 2019, dans la catégorie des 75-81 kg. Depuis, elle a fait ses preuves au niveau international et occupe le troisième rang au classement mondial des -75 kg. Pourtant, elle a été surprise par cette première sélection au sein de l’équipe olympique des réfugiés. «Je n’ai jamais pensé aux Jeux Olympiques, je n’y jamais cru, même si c’est le rêve de tout athlète professionnel ou amateur, confie la jeune diplômée en criminologie. C’est seulement lors de mon deuxième tournoi de qualification olympique à Milan, après mon dernier combat, quand on m’a levé la main et que le speaker a annoncé ma qualification, que j’ai réalisé que j’allais y participer.»

«Je n’ai jamais pensé aux Jeux Olympiques, je n’y jamais cru.»

Quand on lui demande si elle a une chance de médaille, elle riposte sans attendre. « Je suis la première boxeuse réfugiée de l’histoire à m’être qualifiée aux Jeux. J’ai dû me battre très dur pour y arriver, ce n’est pas quelque chose qu’on m’a juste donné. Alors maintenant que j’ai mon ticket, je vais livrer le meilleur de moi-même, vider tout ce que j’ai dans le réservoir, pour gagner une médaille. Pour me défendre, je saurai trouver des parades à tout ce que mes adversaires mettront à table. Je suis quelqu’un qui sait s’adapter, tout comme je me suis adaptée dans la vie. J’ai eu d’innombrables hauts et bas depuis mon arrivée en Angleterre, alors pour ce qui est de la boxe, c’est la partie la plus facile, j’ai l’impression, comparé à ce que j’ai traversé dans ma vie… »

Cindy Ngamba est devenue la première athlète de l’équipe olympique des réfugiés à gagner une médaille (de bronze) aux Jeux Olympiques de Paris.

Pour Farida aussi, l’adaptation à la vie française a été compliquée. Après quelques mois au club d’athlétisme de Saverne, dans le Bas-Rhin, elle suit un ami soudanais à Strasbourg, non loin de là, pour s’entraîner dans un club plus important. Mais l’expérience tourne court. À cause de la barrière de la langue et de la jalousie d’autres athlètes, Farida, qui manifeste d’évidentes qualités athlétiques, s’éloigne des pistes. «J’ai arrêté de courir pendant trois mois. J’ai repris la course seule, autour du canal. Un jour, un entraîneur que je connaissais, Gérard Muller, m’a proposé de venir à l’AS Strasbourg, un autre club de la ville. J’ai repris avec lui, en 2019, et là j’ai fait des progrès à l’entraînement et en français. Grâce au club, j’ai aussi trouvé du travail: animatrice sportive, agente de sécurité, femme de ménage, ouvrier d’usine. Là, ça fait deux ans que je travaille dans la même entreprise. Les horaires sont difficilement compatibles avec l’entraînement, ça change tout le temps, mais je m’accroche.»

Sa persévérance a fini par payer. Ces cinq dernières années, Farida a participé à de nombreuses compétitions, d’abord locales, puis elle s’est rapidement illustrée au niveau national. Fin mars 2024, elle a même pris une honorable 62e place aux Mondiaux de cross à Belgrade. Focalisée sur l’obtention de la nationalité française, l’athlète de 30 ans n’avait cependant pas en tête, tout comme Cindy, de participer aux Jeux Olympiques sous le drapeau de l’équipe des réfugiés. Ce n’est qu’à l’automne 2023 qu’elle découvre cette possibilité à travers un ami. Tout va alors très vite. «J’en ai parlé à mon coach. Il a discuté avec le président du club (Matthieu Puech) qui a tout de suite fait les démarches. C’était mon rêve de participer aux Jeux. Je ne savais pas comment, mais j’avais dit à mon entraîneur, quand on a commencé l’entraînement en 2019, que je ferai tout ce qu’il faut pour y arriver.»

«C’était mon rêve de participer aux Jeux»

En janvier 2024, Farida intègre la liste des 70 sportif(ve)s réfugié(e)s soutenu(e)s financièrement par le CIO. Début mai 2024, elle apprend sa sélection pour l’épreuve du 1500 m de Paris 2024. Les séries sont prévues le 6 août. Pour Cindy Ngamba, l’émotion est encore montée d’un cran quand elle a été nommée, le 23 juillet, porte-drapeau féminine de l’équipe olympiques des réfugiés. Elle entrera en lice le 31 juillet.

EOR : une équipe qui prend de l’ampleur

Après Rio 2016 et Tokyo 2020, Paris 2024 est la troisième édition dans l’histoire des Jeux olympiques d’été à inclure une équipe olympique (et paralympique) des réfugiés. Au Brésil, la délégation ne comptait que dix membres, contre 29 au Japon et 37 en France. Ces sportif(ve)s – dont 13 femmes et 14 Iranien(ne)s – ont fui 11 pays différents d’Afrique (Soudan, Soudan du Sud, Éthiopie, Érythrée, Cameroun et République du Congo), d’Asie occidentale (Syrie, Afghanistan et Iran), d’Amérique centrale (Cuba) et du Sud (Venezuela). Au gré de parcours plus ou moins longs et traumatisants, ces exilé(e)s ont trouvé refuge dans 13 pays d’Europe (Royaume-Uni, Allemagne, France, Espagne, Pays-Bas, Autriche et Italie), d’Amérique du Nord (États-Unis et Canada) et centrale (Mexique), d’Afrique (Kenya) et d’Asie occidentale (Israël et Jordanie).
Les membres de l’EOR disputeront leurs épreuves dans 12 sports distincts : athlétisme, judo, taekwondo, canoë-kayak, lutte, boxe, cyclisme, badminton, natation, tir, haltérophilie et break-dance. Comme lors des Jeux d’hiver, ils/elles concourront sous la bannière olympique et feront résonner l’hymne éponyme en cas de victoire – exploit encore jamais réalisé, même si l’un des sélectionnés, Fernando Dayan Jorge Hernandez, a été sacré champion olympique en canoë en 2021 avant de fuir son Cuba natal. Vendredi 26 juillet, lors de la cérémonie d’ouverture sur la Seine, l’Italien Filippo Grandi, haut-commissaire aux réfugiés auprès de l’ONU, a été mis à l’honneur pour son travail en faveur de l’équipe olympique de réfugiés et, à travers cette délégation de 37 sportif(ve)s, les plus de 100 millions de personnes en exil à travers le monde.

Les Asiatiques Dina Pouryounes-Langeroudi, Farzad Mansouri et Adnan Khankan

Publié le 1 août 2024

Iran, Afghanistan, Syrie… Dans ces pays où règnent les armes et la tyrannie, Dina Pouryounes-Langeroudi, Farzad Mansouri et Adnan Khankan n’ont eu d’autre choix que l’exil. Aux Pays-Bas, en Angleterre et en Allemagne, ces trois spécialistes du taekwondo et du judo ont reconstruit une vie et une carrière sportive dignes de ce nom. Leur présence à Bayeux, dernière étape avant Paris, constitue une immense victoire.

«Pendant un an et demi, je me suis entraînée deux fois par jour dans la rue. Je répétais mes «kicks» dehors, sous la pluie et dans le froid. Je faisais tout pour rester en forme, mais ma vie était sombre à ce moment-là…» À la voir soigneusement coiffée, maquillée et manucurée, difficile d’imaginer la détresse de Dina Pouryounes-Langeroudi à son arrivée aux Pays-Bas. Et pourtant, comme des millions d’autres réfugié(e)s dans le monde, l’Iranienne de 32 ans a vécu le stress des centres de demandeur d’asile, et avant cela, l’éprouvante traversée de l’Europe sur la désormais fameuse «route des Balkans». C’était en 2015. Jusque-là, la taekwondoiste au format de poche menait une vie privilégiée en Iran. «J’ai commencé le taekwondo à trois ans parce que mes parents étaient entraîneurs. J’aimais beaucoup ça, c’était plus qu’un sport pour moi. Mes parents ont toujours tout fait pour moi, j’avais la belle vie, mais pour des raisons personnelles, j’ai quitté l’Iran seule pour aller m’installer aux Pays-Bas. Ça a été très difficile de partir, de quitter ma famille, mais c’est une longue histoire…»

«Je voulais juste un endroit sûr.»

Dina accepte de raconter une partie de son périple, du moins les grandes lignes… «Je n’ai pas pu voyager de manière normale – je n’ai pas pris l’avion, je n’avais pas de visa. J’ai dû employer l’autre manière: marcher à travers l’Europe de l’est, à travers la forêt. Ça m’a pris trois mois pour rejoindre les Pays-Bas. Ce n’est pas un pays que j’ai choisi, je voulais juste trouver un endroit sûr», explique-t-elle dans un anglais simple, mais facilement compréhensible. «Une fois arrivée, je suis allée directement à la police. On m’a envoyée dans un centre de demandeurs d’asile à La Haye où je ne connaissais personne. Je ne parlais pas la langue, je n’avais plus rien, pas d’argent, et nulle part où m’entraîner, ni partenaire d’entraînement. Je ne savais pas ce qui allait se passer. C’est seulement quand on m’a orientée vers un club local que j’ai commencé à me sentir aidée. Et une fois que ma demande d’asile a été acceptée, j’ai enfin pu reprendre mon histoire avec le taekwondo.» Sans tarder, l’ancienne médaillée de bronze des championnats d’Asie en 2012 reprend sa progression et brille dans les différents tournois européens et mondiaux. Vice-championne d’Europe en 2018, elle participe à ses premiers Jeux à Tokyo en 2021 avec l’équipe olympique des réfugiés. Après une élimination en huitièmes de finale, Dina Pouryounes-Langeroudi vise forcément mieux à Paris, elle qui oscille entre la troisième et la sixième place mondiale. «Tout ce que je veux, c’est donner le meilleur pour être fière de moi!»

Parmi les cinq taekwondoistes de l’équipe olympique des réfugiés, Farzad Mansouri est lui-aussi bien connu des tatamis internationaux. Du haut de son mètre quatre-vingt-seize, l’Afghan de 22 ans a fait ses débuts dans ce sport à 10 ans, dans le sillage de son grand frère. Vice-champion d’Asie juniors en 2018, il est choisi pour être porte-drapeau de la délégation afghane lors des Jeux olympiques de Tokyo en 2021. Mais une semaine après la fin des Jeux, les Talibans prennent le contrôle de Kaboul, la capitale. Farzad et sa famille ont tout juste le temps de monter dans un avion américain. Beaucoup n’auront pas leur chance, comme un de ses proches coéquipiers, tué dans un attentat suicide commis le lendemain à l’aéroport de Kaboul. À leur atterrissage aux Émirats Arabes Unis, les Mansouri sont envoyés dans un camp de réfugiés. Au bout de huit mois d’attente, Farzad finit par recevoir une invitation de l’Angleterre, où vit déjà un de ses frères. Le reste de sa famille rejoindra les États-Unis.

Photo : CIO/ John Huet

«Je ne veux pas parler des raisons qui m’ont poussé à quitter l’Afghanistan. Ça a été une décision très difficile, surtout après avoir été porte-drapeau de mon pays à Tokyo. J’étais vraiment fier de brandir ce drapeau et de montrer aux gens du monde entier ce dont nous étions capables. J’étais fier de représenter plus de 36 millions Afghans. À Paris, je suis tout aussi fier de représenter plus de 100 millions de personnes dans le monde.» À Manchester, où il réside, Farzad Mansouri s’entraîne désormais avec l’équipe britannique de taekwondo. «J’ai repris le 1er mai 2022. Grâce à l’aide de la fédération britannique, j’ai pu participer à de nombreux tournois internationaux et remporter plusieurs médailles. À Paris, mon objectif sera la médaille d’or, mais je pense aussi aux autres réfugiés à travers le monde qui luttent contre de nombreux problèmes. Mon message pour eux, c’est de ne jamais abandonner et de continuer à s’accrocher pour atteindre un jour leurs objectifs.»

«À Paris, mon objectif sera la médaille d’or, mais je pense aussi aux autres réfugiés à travers le monde qui luttent contre de nombreux problèmes.»

Comme Dina l’Iranienne et Farzad l’Afghan, Adnan Khankan n’avait pas prévu de fuir son pays natal, la Syrie. Originaire de Damas, la capitale, il débute le judo à 10 ans sur les conseils d’un ami de son père, professeur de judo. «Il lui a dit que j’avais un très bon corps pour le judo, mais mon père ne voulait pas que j’en fasse. Il trouvait qu’il y avait trop de tensions dans ce sport. Une semaine plus tard, mon oncle m’a quand même emmené à un entraînement. Dès la première seconde, j’ai trouvé ça fantastique. Tout le monde avait l’air heureux, et j’ai tout de suite aimé le judo. Après seulement trois années de pratique, j’ai été contacté par l’entraîneur national pour intégrer l’équipe de Syrie. J’ai participé à plusieurs championnats asiatiques et arabes, avec de bons résultats et même une médaille aux championnats d’Asie juniors à Beyrouth. Ma carrière avait vraiment bien commencé, jusqu’à ce que je doive quitter la Syrie…Mais c’est une histoire différente, je préfère parler de sport!» Il acceptera d’en dire un peu plus, quelques mots d’allemand se glissant dans son récit.

«[Au centre de réfugiés], l’entraînement m’a permis de garder espoir.»

En 2015, alors que la guerre civile fait rage depuis quatre ans, Adnan, alors 21 ans, est appelé à combattre avec l’armée de Bachard Al-Assad. Réprouvant l’idée de prendre les armes contre ses propres compatriotes, il ne voit d’autre solution que de fuir vers l’Europe. «Ce voyage était trop dangereux, mais je n’avais pas le choix. J’ai marché jusqu’en Turquie, à travers les Balkans, et encore marché dans les forêts. Ça a duré 21 jours en tout.» Arrêté à la frontière entre la Croatie et la Hongrie, Adnan est envoyé dans un camp de réfugiés à Trièves, en Allemagne. «Je suis arrivé le 1er octobre 2015. J’avais beaucoup de problèmes, je ne parlais pas allemand, je ne savais rien de mon avenir, mais pendant les trois mois passé au centre de réfugiés, je n’ai pas perdu de vue mes objectifs. Je m’entraînais tous les jours avec mon ami judoka qui a voyagé avec moi. C’est ce qui m’a permis de garder espoir, parce que je ne peux pas vivre sans sport.»

Une fois obtenu son statut de réfugié, le jeune Syrien réussit à faire venir sa femme en Allemagne. Sa nouvelle vie peut commencer, sauf qu’il n’est pas autorisé à combattre sur le circuit international. «Je ne pouvais pas représenter la Syrie, ni l’Allemagne, alors j’ai contacté la fédération internationale de judo. En 2019, j’ai enfin pu reprendre la compétition après plus de trois ans d’interruption.» C’est sous la bannière de l’équipe internationale des réfugiés que le judoka de 30 ans a pu disputer de nombreux championnats et tournois en Europe et dans le modne ces cinq dernières années. Désormais installé à Cologne avec sa femme et leur fille de cinq ans, Adnan espère lui aussi, par cette première participation aux Jeux olympiques, donner de l’espoir aux plus de 100 millions de personnes déplacées à travers le monde.

Les Cubains Ramiro Mora et Fernando Dayan Jorge Enriquez

Publié le 5 août 2024

Comme en Afrique et en Asie, les sportifs fuient aussi les conflits armés et la tyrannie en Amérique latine et dans les Caraïbes. À Cuba, où le président Miguel Diaz-Canel a été réélu par plus de 97% des députés en 2023, la dictature a poussé à l’exil l’haltérophile Ramiro Mora et le canoéiste Fernando Dayan Jorge Enriquez, membres de l’équipe olympique des réfugiés. On vous raconte leurs histoires.

«J’aime vraiment mon pays mais je ne veux pas parler de politique maintenant…» À Bayeux, c’est un peu le refrain de l’équipe olympique des réfugiés qui sort de la bouche de Ramiro Mora. On le comprend aisément: à seulement quelques jours de sa première participation aux Jeux olympiques, le Cubain de 26 ans préfère rester concentré sur sa préparation sportive. Et puis son frère et sa sœur vivent encore à Cuba, alors mieux vaut ne pas les mettre en danger.

Né à Ciego de Avila, dans le centre de l’île caribéenne, Ramiro a découvert l’haltérophilie à l’âge de 14 ans. Orphelin de son père, il se réfugie dans le sport et rejoint rapidement un centre de sport-études près de Santiago de Cuba, dans l’est du pays aux 11 millions d’habitants. «Après mon premier titre national, on m’a envoyé m’entraîner à La Havane avec l’équipe de Cuba, raconte-t-il dans un anglais au fort accent espagnol. J’y suis resté pendant quatre années, de 18 à 21 ans, et je suis devenu le meilleur de ma catégorie dans mon pays. Mais à un moment, j’ai décidé d’arrêter pour travailler dans un cirque de la capitale. Je m’occupais du trampoline: il fallait rattraper les gens, les relancer en l’air. J’aimais bien ça…» Car Ramiro est du genre costaud, ce qui ne l’empêchera pas de réaliser ensuite ses propres numéros aériens. Mais en quittant l’haltérophilie pour le cirque, le jeune homme s’est aussi écarté de son rêve olympique.

Du cirque à Paris 2024

«Je voulais une expérience différente, quelque chose d’amusant, mais aussi de bon pour mon avenir. J’avais encore ce rêve quelque part dans mon cœur, mais je pensais y revenir quand j’aurais terminé le cirque.» Ce qu’il ne dit pas, en revanche, c’est que le choix d’arrêter sa carrière sportive était aussi motivé par des désaccords politiques avec les cadres de sa fédération. En 2019, peu après ses débuts dans le monde du spectacle, Ramiro part en tournée au Royaume-Uni, où il se fait embaucher au prestigieux Blackpool Circus, sur la côte nord-ouest de l’Angleterre. Il obtient un visa de travail, et se dédie à sa nouvelle passion pendant trois ans. Ce faisant, le sportif reprend progressivement contact avec les barres et les poids. Il finit aussi par entamer des démarches de demande d’asile, ce qui lui interdit de travailler. «Quand j’ai terminé mon expérience dans le cirque, je me suis remis à fond dans l’haltérophilie. Grâce à mon entraîneur, j’ai réalisé d’immenses progrès, gagné des titres nationaux et battu plusieurs records britanniques.»

«C’est un rêve pour moi de faire partie de cette équipe incroyable. »

Installé à Bristol, dans le sud-ouest du pays, où il vivait avec seulement quelques livres sterling par semaine, Ramiro a vu sa vie complètement transformée ces derniers mois: en décembre 2023, il obtient le statut de réfugié, qui lui ouvre le droit à une bourse olympique et l’autorise à donner des cours d’haltérophilie. En avril, il devient papa pour la première fois. Et début mai, il apprend sa sélection pour Paris 2024 avec l’équipe olympique des réfugiés. «C’est un rêve pour moi de faire partie de cette équipe incroyable. Je remercie le Royaume-Uni de me laisser m’entraîner sur son territoire, et je vais tout donner pour essayer de remporter une médaille!»

La diaspora des champions cubains

À Cuba, la fuite des talents est un sport national qui affecte de nombreuses autres disciplines: boxe, lutte, volleyball, etc. En athlétisme, le fléau est particulièrement visible au triple saut, où l’école cubaine produit – et perd – régulièrement les meilleurs spécialistes mondiaux. En 2021, l’ex-Cubain Pedro Pablo Pichardo a ainsi été sacré champion olympique de la discipline pour le compte du Portugal, où il a été naturalisé en 2017. À Paris, il retrouvera ses anciens coéquipiers Jordan Alejandro Diaz Fortun, numéro un mondial en 2024 qui concourt pour l’Espagne, et Andy Diaz Hernandez, quatrième mondial, qui étrennera son nouveau maillot italien, sans oublier Lazaro Martinez et Cristian Napoles, les médaillés d’argent et de bronze mondiaux en 2023, qui sautent toujours pour La Havane. Au total, sur cette seule épreuve, ils sont cinq natifs de Cuba à pouvoir monter sur le podium.

Un champion olympique réfugié aux États-Unis

Comme Ramiro Mora Romero et les 35 autres membres de l’équipe olympique des réfugiés, Fernando Dayan Jorge Enriquez a lui aussi connu le dilemme, la précarité et les doutes liés à l’exil. Avant de rebâtir sa vie et sa carrière sportive dans un pays plus sûr. Mais contrairement à tous les autres, le canoéiste cubain de 25 ans l’a fait après avoir déjà remporté un titre olympique. Originaire de l’ouest de l’île, non loin de La Havane, Fernando a commencé le canoé à 10 ans avec son père. Doué pour la course en ligne, il participe dès 17 ans à ses premiers Jeux à Rio, où il prend la sixième place du 1000 m avec son coéquipier Serguey Torres. À Tokyo, cinq ans plus tard, le duo décroche l’or olympique, une première dans l’histoire du canoé-kayak cubain. Pendant ce temps, à Cuba, des manifestations d’ampleur essaiment dans tout le pays pour protester contre la crise économique. C’est dans ce contexte de mouvement populaire fortement réprimé par le gouvernement que Fernando fait son retour à Cuba.

Fernando Dayan Jorge Enriquez. Photo : CIO

Quelques mois plus tard, en mars 2022, il profite d’un stage au Mexique pour s’enfuir. Au bout de deux semaines de voyage, il arrive à la frontière avec les États-Unis et franchit le Rio Grande, après avoir sauvé une femme de la noyade. Le champion olympique est immédiatement placé dans un centre de détention, puis rapidement relâché dans l’attente d’une réponse à sa demande d’asile. Il rejoint alors sa femme qui l’attendait à Miami et trouve un petit boulot de plombier pour subvenir aux besoins du couple. Depuis qu’il a obtenu l’asile politique des États-Unis, Fernando a pu faire venir ses parents en Floride et intégrer l’équipe olympique des réfugiés. Il ne lui reste plus, désormais, qu’à défendre sa couronne olympique à Paris…

L’équipe olympique des réfugiés lors de la cérémonie d’ouverture des JO. Photo : IOC/David Burnett

Texte : Camille Vandendriessche
Photos : Emmanuel Blivet (sauf mentions)