Colette habite Bieville-Beuville en Normandie. Dans son jardin, elle a hissé le drapeau ukrainien jaune et bleu depuis le 24 février. Le drapeau de son pays d’origine.
Colette a appris à parler ukrainien toute seule. Petite, avec son frère, ils entendaient leurs parents échanger dans leur langue natale, mais jamais cette langue ne leur a été apprise. «Sans doute pour mieux s’intégreren France », comprend Colette Grosset, née à Caen il y a 76 ans, sous le nom de Jurkiw, aujourd’hui retraitée à Bieville-Beuville.
Fuir la famine pour vivre en France
Depuis la déclaration de guerre de Poutine, elle a hissé le drapeau ukrainien dans son jardin. «C’est mon fils qui l’avait récupéré lors d’une compétition sportive. Il trainait au grenier.» Des voisins, qui ne connaissaient pas ses origines, sont venus la voir. «Cela m’a beaucoup touchée, je ne m’y attendais pas.» Alors, Colette raconte. L’arrivée de ses parents ukrainiens dans les années 1930 pour venir travailler dans les fermes normandes, fuyant la famine provoquée par la collectivisation des terres. Les Ukrainiens l’appellent «Holodomor» Sa mère avait vingt ans, son père en avait dix-huit: ils se sont rencontrés et aimés ici. Une première fille, née hors mariage, partie vivre en Ukraine, chez une tante maternelle. Le mariage en 1938, les cinq enfants, tous nés Français. Le père de Colette embauché comme ouvrier à la Société Métallurgique de Normandie. L’envie, toujours, de «revenir au pays»… Mais là-bas, l’histoire se déchaîne : le pacte germano-soviétique en 1939, l’invasion nazie, puis la libération du pays par l’Armée rouge, la création de la République socialiste soviétique d’Ukraine par Staline en 1945, la guerre froide, le bloc soviétique.
En 1970, un an après la mort de son père, Colette entreprend pour la première fois un voyage en Ukraine avec sa mère. Ils sont accueillis «clandestinement» par sa demi-sœur, dans le village maternel d’Ostriv, à quelques kilomètres de Lviv, dans l’ouest de l’Ukraine, jadis territoire autrichien, où l’on parle ukrainien. Et c’est dans une Ukraine unie et indépendante que Colette revient une seconde fois, avec son mari, en 2006. Elle a toujours gardé des liens avec cette famille maternelle. Depuis le début de la guerre en Ukraine, elle reste suspendue aux actualités et au téléphone. Elle échange tous les jours par visio avec sa famille, avec ses quelques mots d’ukrainien.
«Ça va aller, tout va s’arranger», qu’elles me disent.
«Ma jeune cousine, qui a une trentaine d’années et des enfants en bas âge, me raconte la situation à Lviv. Son mari travaille en Pologne, il est prêt à les accueillir si ça dégénère, mais pour le moment, personne ne fuit. Ce sont surtout des femmes, avec leurs enfants, car les maris sont partis combattre. Les magasins ont été vidés, par peur du siège, il ne reste plus rien à acheter. Hier, des avions sont passés au ras des maisons. Les femmes gardent un sang froid admirable, un courage que j’ai du mal à comprendre ici.«Ça va aller, tout va s’arranger», qu’elles me disent. Moi je crois plutôt que, sauf miracle, ils ne vont pas réussir à le garder leur pays, et que l’Europe ne prendra pas le risque de les aider. Mais là-bas, ils ont envie d’y croire et c’est la seule chose à laquelle ils peuvent s’accrocher.»
Cet après-midi, Colette et son mari participent à une réunion avec d’autres ressortissants de l’ex-Union soviétique. Il est question d’affréter un camion d’aide humanitaire vers l’Ukraine. Et s’il faut accueillir des réfugiés, le couple est prêt. Les chambres des garçons sont disponibles.