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Sans vous, pas d’histoires d’Angélique, Patricia, Megan et Odile
Chère lectrice, cher lecteur,
Depuis cinq ans, Grand-Format vous raconte la vie (extra) ordinaire de Normandes et de Normands qui vivent à côté de chez vous. Des gens engagés ou confrontés à de grandes problématiques de notre société.
Il y a bientôt deux ans, j’ai rencontré Angélique, Patricia, Megan et Odile; des femmes vivant à Honfleur et Sées, qui ne parvenaient plus à payer leurs factures de gaz et d’électricité. En plus d’avoir froid, Angélique se retrouvait à payer des frais bancaires – une centaine d’euros tous les mois –, faute de réussir à rembourser l’emprunt de sa maison. Odile se disait très angoissée à cause de ses factures. Patricia expliquait ne plus manger de viande pour payer son chauffage. Et Megan nous lançait: «Une fois que les factures sont payées, tu n’as plus rien pour vivre… » A mes côtés, la dessinatrice Hélène Balcer croquait nos discussions en direct (retrouvez l’article ici).
J’ai été ému par ces rencontres. Je crois que c’est pour raconter ce genre d’histoires que nous avons créé Grand-Format il y a cinq ans. Prendre le temps d’écouter ces récits, ne pas juger, les restituer avec le plus d’humanité possible. Et donner à voir une réalité souvent documentée par des chiffres, mais peu par de vraies rencontres.
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Sécurité sociale de l'alimentation : premières expérimentations en Normandie
Publié le 20 novembre 2024
A terme, cela pourrait être un nouveau droit pour chaque citoyen. Pour le moment, ce sont des expérimentations qui se déroulent un peu partout en France, et qui arrivent en Normandie. Dans une période où 8 millions de personnes sont, d’après un récent rapport du Secours catholique, en situation d’insécurité alimentaire, et à l’heure où les problématiques environnementales et sanitaires explosent, la Sécurité sociale de l’alimentation apparaît comme une idée révolutionnaire.
Le principe est pourtant simple: des citoyens se rassemblent et créent ensemble une «caisse de l’alimentation. Tous les mois, ils reçoivent un «pouvoir d’achat»de 150 euros par exemple, grâce à une monnaie locale. Ils dépensent ensuite cette somme dans des points de vente qui privilégient des produits locaux et sains.
Chaque membre contribue à cette cagnotte selon ses moyens: une personne ayant de très faibles ressources peut cotiser 15€ par mois, voire moins, et bénéficier de 150 euros d’achats tous les mois. A l’inverse, certains foyers aux revenus plus élevés cotisent 150 euros ou plus, pour soutenir le projet et les bénéficiaires les plus pauvres.
Dans sa phase expérimentale, l’initiative est soutenue par des fonds publics ou privés qui permettent d’équilibrer les budgets et de développer ses actions.
A Flers, l’initiative devrait démarrer en février prochain. Mais une année a été nécessaire pour construire le projet dans cette ville de 15 000 habitants où 26% de la population est dans une situation de précarité, selon les chiffres de l’Insee, contre 13% au niveau national. C’est aussi face à l’augmentation du recours à l’aide alimentaire que la Coop des territoires (dont on vous parlait ici) s’est rapprochée du Centre communal d’action sociale (CCAS) de la ville afin de répondre à un appel à projets national, Mieux manger pour tous.
Décider ensemble
Pendant un an, la structure a développé des ateliers de cuisine et des rencontres grands publics afin de mobiliser des citoyens. Un petit groupe de réflexion d’une vingtaine de personnes, au profil très divers, a été créé. Des agriculteurs, des paysannes boulangères, des élus, des agents de la ville, des personnes souffrant de précarité alimentaire définissent ensemble les critères de la future caisse. Quels sont les produits qui pourront être achetés? Auprès de quels producteurs? Combien chacun versera à la Caisse Commune de l’Alimentation?
«Récemment, le petit groupe a décidé de partir sur une cotisation définie par autodétermination. Ce sera donc à chacun de choisir le montant versé tous les mois, à partir des éléments de lecture donnés aux membres», explique Justine Lerche, coordinatrice du projet pour la Coop des territoires. Dans leur choix des producteurs associés à la future caisse, les mangeurs et les mangeuses, comme on les appelle ici, ont entre autres choisi de favoriser les produits locaux et bios, d’exclure les produits importés, d’apporter une attention à la protection de l’environnement et notamment des haies du bocage, de travailler avec des producteurs ayant un intérêt pour le projet et développant une gouvernance démocratique.
La Coop des territoires espère démarrer l’expérimentation avec une cinquantaine de familles, en février prochain. Grâce à la subvention, le projet a de quoi fonctionner pendant deux ans. Puis viendra l’heure du bilan et de la possible sollicitation de financeurs publics ou privés pour équilibrer le budget de la caisse. «On espère inspirer d’autres villes moyennes de Normandie ou d’ailleurs», explique Albane Gélin, qui a travaillé sur le projet avec la Coop des territoires.
Des échanges avec d’autres expérimentations
Caen n’est pas une ville moyenne, mais des liens se sont tissés avec l’expérimentation fléroise. Le 23 octobre dernier, l’association Vers une caisse alimentaire commune – 14a été créée à Mondeville, à côté de Caen,au Carrefour d’Animation Socio-culturel et sportif de la rue Ambroize Croizat, le ministre communiste ayant signé en 1946 l’ordonnance de création de la sécurité sociale. Une soixantaines de citoyens et citoyennes et une trentaine de structures locales et régionales ont rejoint l’initiative.
Là-aussi, c’est suite à l’explosion de la demande de secours alimentaires qu’un petit groupe de citoyens engagés dans l’agglomération caennaise sur les questions sociales, agricoles et environnementales a réfléchi à ce principe de sécurité sociale de l’alimentation. Ils ont beaucoup échangé avec plusieurs grandes villes qui se sont lancées, comme Montpellier, Nantes ou Bordeaux. A Montpellier, après trois ans d’expérimentation, l’initiative rassemble plus de 430 bénéficiaires. Elle en vise maintenant 1000 ! «Des points de ventes ont ouvert suite à la demande générée par la SSA», explique Laetitia Millon, une des porteuses du projet à Caen.
«C’est le plus grand et le plus enthousiasmant projet d’économie solidaire à cette échelle depuis l’après-guerre. »
L’association caennaise se donne pour but de lancer une expérimentation locale, dans un ou plusieurs quartiers de Caen ou dans une ville du Calvados. Un public spécifique pourrait aussi être visé, comme celui des étudiants, dont 20% d’entre eux sont touchés de plein fouet par la précarité alimentaire. L’hétérogénéité des membres de la caisse est un aussi un atout qui permet d’envisager un équilibre budgétaire. «Tout dépendra de l’implication des citoyens et citoyennes du calvados qui, riches ou pauvres, considèrent injuste et anormal que tout le monde ne puisse pas se nourrir décemment dans la 5ème puissance du monde, et qui sont prêts, sans attendre une quelconque loi, à participer à la mutualisation d’une partie de leurs revenus», souligne Gaël Louesdon, membre du CA de la nouvelle association. «C’est le plus grand et le plus enthousiasmant projet d’économie solidaire à cette échelle depuis l’après-guerre. »
A terme, la Sécurité sociale de l’alimentation vise à tisser des circuits alimentaires de proximité et soutenir une production alimentaire respectueuse de la planète et des hommes. Et comme la Sécurité sociale créée en 1945, les promoteurs de la Sécurité sociale de l’alimentation veulent démontrer qu’elle peut être un puissant levier de transformation économique et sociale, préfigurant un droit «de l’ensemble des habitantes et habitants à un accès garanti à une alimentation choisie en connaissance de cause». Les projets normands y contribueront peut-être.