Une fréquentation en baisse, des situations tendues avec les usagers, une inégalité par rapport aux centres commerciaux… A Caen, des bibliothécaires réunis au sein d’un collectif dénoncent l’application du passe sanitaire à l’entrée de leur établissement.
Quels sont les impacts du passe sanitaire sur les bibliothèques-médiathèques?
Contrairement à ce qui a été dit par notre ministre de la culture de façon mensongère la semaine dernière dans la gazette des communes, le passe sanitaire a bien un impact négatif sur les statistiques de fréquentation de nos établissements. Selon une enquête menée par l’Association des bibliothécaires de France (ABF) publiée en octobre, 76,5% des professionnels constatent une baisse de la fréquentation dans les bibliothèques municipales depuis l’instauration du passe sanitaire. Bien plus, neuf sur dix estiment ne toujours pas avoir retrouvé l’affluence d’avant crise sanitaire. Nous constatonségalementcette baisse dans notre propres structures (entre 10 et 30 %selon les différents établissements).
Un autre impact est celui de la perte de la relation de confiance que nous avons tissée avec nos usager.e.s. On nous accuse de ne pas réagir. La vérification du passesur les usager.e.s crée des moments de tensions et souvent de violences verbales que nous devons gérer (que ce soient les agents de sécurité, ou les bibliothécaires directement), nous mettant clairement dans une position délicate, éthiquement, et dans la pratique quotidienne. Tous les efforts que nous avons mis en œuvre depuis des années pour fidéliser et capter nos usager.e.s s’en trouvent alors mis en péril.
Les bibliothèques/médiathèques sont-elles des lieux potentiels de contamination de masse?
Pas du tout, aucune bibliothèque n’a été le théâtred’un cluster depuis le départ de l’épidémie. Les règles sanitaires sont respectées depuis le début, nous nous sommes toujours adaptés : gel hydroalcoolique à l’entrée, masques, jauges, consignes de sécurité.
Vous estimez que l’application du passe sanitaire dans vos établissements est contraire à toute mission du service public. Pourquoi?
Les bibliothèques publiques sont un service public dont l’accès est sensé être gratuit, ouvert à tous et à toutes, sans discrimination et sans conditions. Dès lors où nous devons opérer un tri dans nos usagèr.e.s, nous estimons que nos missions d’accueil les plus essentielles ne sont plus respectées, et que notre déontologie est d’autant plus mise à mal. Nous savons bien que ce sont en grande partie (mais pas seulement bien sûr) les publics les plus précaires qui vont en pâtir (personnes âgées, enfants qui viennent seuls, personnes d’origine étrangère, migrants, sans domicile fixe, etc…). Nous ne sommes pas un simple lieu culturel comme il l’est dit souvent, mais bien un service public essentiel, avec des prérogatives sociales.
Y-a-t-il deux poids/deux mesures avec les centres commerciaux et leurs rayons culturels, accessibles sans passe sanitaire?
Tout à fait : n’importe qui peut aller en supermarché, en librairie ou à Ikea sans passe sanitaire (endroits qui brassent bien plus de monde qu’une bibliothèque). Mais de façon complètement absurde, ce n’est pas possible dans un service public censé être accessible à tout le monde. On peut donc aller acheter ses livres, ses meubles ou des produits non essentiels, mais pas venir taper son CV, se connecter à internet ou emprunter un livre d’histoire. Dans quel monde peut-on aller consommer sans entrave, mais ne pas pouvoir accéder à des services essentiels que nous sommes d’ailleurs tenus de rendre en tant que fonctionnaires?