Partir de l’intime et raconter l’universel

Publié le 10 juillet 2022

Entre quête d’identité personnelle et hommage aux femmes pionnières du regroupement familial dans les années 80, La vie de ma mère, réalisé par la journaliste Maïram Guissé, retrace une tranche de vie dans la banlieue rouennaise. Le documentaire résonne comme une ode à la solidarité entre les femmes.

Un flash dans les yeux et une question: quelle est l’histoire de ma mère? Un matin de l’année 2018, Maïram Guissé voit avancer vers elle Fatima, sa maman, et a le sentiment de ne pas tout à fait la connaître. De connaître la mère aimante et présente, moins la femme sénégalaise «hyperactive» qui revient tout juste de Paris où elle a l’habitude de faire du shopping pour ses copines et pour elle-même. «Elle était arrivée en France en 1982 mais je ne savais pas comment elle avait vécu l’exil. Je connaissais presque toute la vie de mon père. Et l’histoire des hommes est plus documentée: ils étaient attendus en France, c’était une main d’œuvre de travail. Mais les femmes, amenées par leur mari, sans forcément leur demander leur avis, avaient le rôle d’être des épouses et mères», raconte Maïram.

Au début, la journaliste du quotidien Le Parisien, née à Canteleu à côté de Rouen, ne pense pas réaliser un documentaire, bien qu’elle soit déjà familière avec le format (elle a réalisé L’amour en cité en 2014 et Quartiers d’été en 2018). Simplement de suivre sa maman et de l’accompagner au quotidien, caméra en main. Un projet qui ne rebute pas du tout Fatima, qui, au contraire, «adore l’image et n’a pas de problème à être filmée.» Mais Maïram va pour la première fois s’attaquer à un sujet, pas toujours simple à aborder: l’intime. D’une part, elle ne va pas anticiper «la difficulté de faire parler» sa maman, du fait qu’«il fallait composer avec sa pudeur et accepter son temps de parole.»

«On les voit mais on ne les regarde pas forcément»

Et d’autre part, sa propre difficulté à parler de son récit personnel, à travers celui de sa mère: «Je parle beaucoup de la pudeur de ma mère et de ses amies. Mais j’en ai aussi. Je ne voulais pas être dans le documentaire. J’avais peur de prendre la parole à leur place. Et puis j’aime bien être dans l’ombre et raconter des histoires, être face caméra c’est dur.» Lorsque l’idée du documentaire s’est finalement imposée, Maïram a assumé sa place de fille et est devenue un personnage secondaire du film. Elle a trouvé sa place: «Le chemin que ma mère a fait pour parler, je pense que moi aussi je l’ai fait sur ma place dans le film.»

Dans La vie de ma mère, le spectateur est aux côtés de Fatima. On la voit prendre son indépendance lorsqu’elle décroche son premier emploi, en tant que femme de ménage à Mont Saint Aignan. Maïram a suivi sa mère sur son lieu de travail pour montrer aux yeux de tous la réalité du métier et de ces travailleuses invisibles. « Personne ne peut détourner le regard. Toutes ces personnes font partie de notre quotidien mais on ne s’arrête pas. On les voit mais on ne les regarde pas.»

«Le féminisme par les actes»

Mais pour Maïram, ce n’est pas seulement l’histoire d’une femme sénégalaise. Son documentaire raconte quelque chose de plus grand, qui dépasse l’intime. «C’est l’histoire de femmes issues de l’immigration» et surtout, de ce rôle essentiel de la solidarité entre les femmes pour partager ce que chacune a vécu dans son pays natal et ce qu’elles ont ramené ici: la musique, la fête, des saveurs culinaires. La vie de ma mère, raconte le «féminisme par les actes», comme Maïram aime à le décrire.

Chacune doit composer avec une identité multiple, pleine de contradictions. Et aussi faire face aux préjugés et au racisme. «Le fait que ma mère soit une femme noire et musulmane ramène à beaucoup d’idées préconçues. Or, on n’a pas à rentrer dans des cases. Et dans le féminisme c’est pareil, il n’y a pas une façon d’être femme, libre, indépendante et féministe.»

La vie de ma mère est sorti le 19 mai et est à découvrir dores et déjà en replay sur France 3 Normandie. Il sera diffusé le 13 juillet à 23h15 sur France 3, dans L’Heure D.

Lucille Derolez

Photos : FX Rougeot

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