Du 29 juin au 5 juillet, les championnats du monde de char à voile ont réuni à Asnelles, Ver-sur-Mer et Graye-sur-Mer des participants venus de 21 pays et des cinq continents. Sur les plages de Gold et Juno Beach, l’esprit de compétition était mêlé à une émotion palpable parmi les pilotes, notamment entre Américains et Allemands. Reportage et témoignages recueillis par notre stagiaire Jule Violette.
Sur la plage d’Asnelles, face aux vestiges du port artificiel d’Arromanches-les-Bains, Waldemar attend le départ de sa régate. En ce quatrième jour de compétition, le pilote d’une soixantaine d’années est stressé, trop pour se confier aux journalistes. Pas seulement par l’enjeu de la course, mais aussi à cause du symbole des lieux. «J’ai longuement hésité avant de venir ici. Est-ce que j’étais légitime pour fouler la terre que nos ancêtres avait souillée?» Waldemar est polonais mais dispute la compétition sous les couleurs de l’Allemagne. Derrière sa pudeur, on devine un passé tourmenté. Peut-être un père, ou un oncle, qui a combattu aux côtés de l’armée allemande… On n’en saura pas plus, à part son soulagement d’avoir vaincu ses appréhensions.
«Finalement, je ne regrette absolument pas d’être venu ici. J’ai fait de merveilleuses rencontres, et j’espère revenir bientôt en France!» Dans l’importante délégation allemande, Waldemar n’était pas le seul à être troublé. «Je n’ai pas les mots, begaie l’une des accompagnatrices de l’équipe. C’est tellement spécial d’être ici, sur ces plages magnifiques, 80 ans après… Ça ne laisse pas indifférent.» Non loin de là, Anke, une autre pilote allemande résume le sentiment de plusieurs compatriotes. «Bien sûr, pour nous, ces plages représentent une très triste période de l’histoire de notre pays, mais nous sommes aujourd’hui heureux et fiers d’être réunis comme une seule nation européenne et de partager notre passion du char à voile avec nos amis du monde entier.»
«On garde toujours un bateau de libre pour quand [nos amis allemands] viennent nous rendre visite en Californie.»
Alors que sonne le départ de la classe «Standart», celle de François, Waldemar et Anke, la discussion se poursuit avec Sheila et Carl. Ce couple de sympathiques retraités californiens attend le départ de sa catégorie (NSF), prévu un peu plus tard dans l’après-midi. Eux-aussi foulent et roulent pour la première fois sur les plages normandes. La veille, ils ont découvert Omaha Beach et Arromanches-les-Bains, où ils se sont offerts une visite en kayak autour des caissons phoenix du port artificiel. «C’était super intéressant de pouvoir les approcher de si près et de les toucher, raconte Sheila. C’est incroyable de penser que ces énormes blocs ont été tractés depuis l’Angleterre, remplis d’eau et coulés. Ça donne envie de m’intéresser plus à cette partie de l’histoire quand on rentrera à la maison. Mes deux parents étaient dans la « Navy », mon père a combattu aux Philipines pendant la seconde Guerre mondiale. Forcément, ça me fait quelque chose d’être ici.» Après l’Allemagne en 1979, le Belgique en 1989 et l’Irlande en 2017, ils participent à leur quatrième championnat du monde. «Avec les pilotes allemands, nous sommes devenus très bons amis depuis l’Irlande. Certains sont même venus nous voir pour naviguer sur nos lacs salés. On garde toujours un bateau de libre pour quand ils viennent nous rendre visite en Californie!»
«On est avec nos amis allemand, à passer du bon temps, à danser le soir et le lendemain à faire la course sur les plages où il y a 80 ans des scènes d’une violence inouïe ont opposé nos nations.»
À ses côtés depuis son premier de tour en char à voile en 1971 sur les bords du lac Mohave, entre le Nevada et l’Arizona, Carl partage l’enthousiasme de sa femme. «Nous sommes venus ici pour la compétition, on est des pilotes avant tout, mais j’étais vraiment impatient à l’idée de pouvoir voir les plages du D-Day. Je suis passionné d’histoire. Mon père était dans la Navy, lui aussi. Il était à Pearl Harbour en décembre 1941. Heureusement pour lui, il a été envoyé à Java deux jours avant l’attaque par les Japonais. Il a rencontré ma mère peu après, en Australie. C’est émouvant de venir ici. Le contraste entre le passé et le présent est très étrange. À Omaha Beach, nous étions tous surpris que la plage ne soit pas sanctuarisée – il y avait même un mariage, ce jour-là! Et nous, on est ici avec nos amis allemands, à passer du bon temps, à danser le soir, et le lendemain à faire la course sur les plages là où il y a 80 ans des scènes d’une violence inouïe ont opposé nos nations…» Quelques semaines après la commémoration du Débarquement et avant les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, les Mondiaux de char à voile d’Asnelles ont réussi la transition entre histoire et sport.
Jule Violette (avec Camille Vandendriessche)