Les combines de l’hébergement d’urgence à Caen

Publié le 11 mars 2025

Une nouvelle évacuation de La Feuilleraie, à Mondeville, est prévue dans les jours à venir. Cette ancienne maison de retraite, reconvertie en hébergements d’urgence par un entrepreneur peu scrupuleux, illustre bien la situation de ce secteur, à Caen. Ou quand l’État sous-traite le social au privé.

C’est une histoire à rebondissements et à plusieurs millions d’euros, de charlatans et de marchands de sommeil, de magouilles et de brutalités sur fond de misère sociale. Mais c’est peut-être la fin de partie pour Erwan Laborie, du moins en France, où il détenait le marché public de l’hébergement d’urgence dans le Calvados.

Depuis quelques mois, les habitants de la Feuilleraie ont vu défiler toutes sortes de visiteurs : des agents municipaux, des policiers, madame la maire, des « Tchétchènes » soi-disant mandatés par le nouveau propriétaire, des Audi immatriculées en Hongrie… Ils ont vu aussi les salariés de la société AMC, chargée de l’entretien et de la maintenance du château, déménager des matelas, couper l’eau et l’électricité, enlever les machines de la buanderie et même démonter une porte. Celle d’une habitante accusée d’avoir parlé à la presse. Rares sont les résidents qui parlent français. Même les salariés d’AMC, qui ne sont plus payés depuis des mois, ne savent plus d’où viennent les ordres. Leur patron, Erwan Laborie, qui vit au Maroc, aurait revendu l’entreprise à un certain Ioan Solomès, un Roumain demeurant en Loire-Atlantique, qui aurait lui-même revendu à Sébastien Coint. Les deux hommes ont déjà été associés dans une entreprise de construction. Erwan Laborie prétend avoir rencontré Sébastien Coint en vacances au Maroc, « mais n’avoir aucun contact avec lui ».

Faire payer « 50 euros par tête »

Le château de la Feuilleraie est occupé par des familles étrangères depuis 2016. À l’époque, le propriétaire des lieux, Erwan Laborie, était titulaire d’un marché public de l’hébergement d’urgence dans le Calvados : les habitants étaient orientés par le 115, le service social de l’hébergement d’urgence, et les loyers payés par l’État. Mais, en avril 2024, suite à de « graves dysfonctionnements », la préfecture a résilié le marché. La Feuilleraie a été placée sous arrêté de mise en sécurité suite à péril imminent par la mairie de Mondeville, et les habitants ont été invités à déménager dans des hôtels, parfois à l’autre bout de la région. Beaucoup de familles, dont les enfants étaient scolarisés à Mondeville, ont refusé de partir ou sont revenues et occupent aujourd’hui, sans titre, des chambres insalubres dans un bâtiment qui manque de s’effondrer ou de s’enflammer. 

Officiellement, Erwan Laborie est toujours le propriétaire du château. Mais Sébastien Coint, qui se présente comme le nouvel acquéreur, fait le tour de ses « locataires » pour leur demander 50 euros par tête pour payer les charges d’eau et d’électricité, sous peine d’être mis dehors. Ils sont encore une quarantaine d’habitants. La mairie de Mondeville a alerté le procureur. La préfecture devrait procéder à une nouvelle évacuation du bâtiment dans les jours à venir.

Il y a peu de bons samaritains dans cette histoire, mais des investisseurs sans scrupules. À l’image de la Feuilleraie, la plupart des logements mis à disposition par Erwan Laborie dans le cadre du marché étaient insalubres ou indignes. Ce dernier a pourtant touché 1,5 millions d’euros par an de loyers de l’État entre 2016 et 2023. Des sommes qui, d’après les témoignages obtenus, auraient en partie été envoyées au Maroc où l’entrepreneur caennais a investi dans des appartements de luxe.

Une enquête de Marylène Carre à lire chez nos collègues du Poulpe.