EDF tentera de relancer le 20 juin la concertation publique autour de son projet de nouvelle piscine d’entreposage de combustibles usés sur le site d’Orano-La Hague. Mais le collectif Piscine Nucléaire Stop, qui réunit de plus de 500 riverains, ne participera pas. Il organise une manifestation ce 18 juin à Cherbourg.
«Trop c’est trop. Laissez la Hague tranquille.» La première banderole du collectif a été déployée en janvier 2022 à l’occasion d’une réunion d’information qu’il organisait à Beaumont-Hague, à deux pas de l’usine de retraitement des déchets nucléaires de la Hague. Une foule inattendue était présente et tout le monde n’a pas pu rentrer. «On n’avait jamais vu ça», s’enthousiasme Delphine Giraud. Institutrice de 52 ans à Beaumont-Hague, elle n’est pas nouvelle dans la lutte anti-nucléaire. «J’ai grandi ici, assisté à l’agrandissement de l’usine (implantée depuis 1966 ndlr) qui occupe aujourd’hui tout le plateau de Beaumont à Jobourg sur trois kilomètres. Le nucléaire est le gagne-pain et le paysage de la Hague. Mais quand je suis revenue en poste ici à la fin des années 1980, on commençait à parler de la pollution de la rivière Sainte-Hélène par les fuites radioactives de l’usine. J’ai pris conscience de l’impact de cette industrie sur mon environnement et j’ai adhéré à l’ACRO, association pour le contrôle de la radioactivité dans l’Ouest.»
Dans la décennie qui suit, l’ONG Greenpeace révèle la présence de déchets nucléaires dans la Manche, à la sortie de la conduite d’évacuation de l’usine et un professeur d’épidémiologie, le Dr Viel, publie une étude sur les potentiels risques de leucémie dans la Hague. Greenpeace aura du mal à se faire entendre et les résultats de l’étude seront contestés. «Les gens se sont accoutumés à tout: aux nuisances, aux pollutions, aux risques», constate Delphine.
Terre du nucléaire
Mais le vent a tourné. Une fronde inédite monte et cette fois, les élus soutiennent le collectif citoyen. Les déboires et retards accumulés de l’EPR à Flamanville (12 ans de retard et un coût multiplié par quatre, porté à 12,7 milliards d’euros) n’y sont peut-être pas étrangers. Tout comme la stratégie touristique engagée par les élus depuis quelques années qui aimeraient gommer l’image de «terre du nucléaire» qui colle à la Hague (avec l’usine de retraitement, la centrale nucléaire de Flamanville et son EPR et l’arsenal de sous-marins nucléaires de Cherbourg). Alors quand, en novembre 2021, EDF a annoncé, en catimini, le lancement de la consultation publique pour une nouvelle installation d’entreposage sous eau de combustibles usés sur le site de l’usine de La Hague d’ici 2034, la concertation a vite tourné court. «D’abord parce que personne n’était au courant, déplore Delphine. Ils auraient distribué 32 000 flyers que personne n’a reçus. L’info était sur le site de la mairie et un arrêt de bus inutilisé!»
En 2034, ce sera déjà trop tard
Dès la première réunion, Delphine comprend que cette consultation n’est qu’un «simulacre. Le projet était déjà bouclé. On allait simplement nous demander notre avis sur l’insertion paysagère», d’un bâtiment 200 m de long, 100 m de large, 25 m de haut pour stocker 6 500 tonnes de combustibles usés à 200 m des premières habitations. Sur un terrain que tout le monde ici sait polluer par les précédents stockages. Il faudra cinq ans au minima pour dépolluer avant de construire la future piscine, destinée à refroidir pendant dix ans les déchets, avant leur retraitement.Or en 2034, ce sera déjà trop tard. D’après un rapport du Haut comité pour la transparence et l’information sur la sûreté nucléaire de 2018, il ne restait que 7 % des emplacements disponibles. L’Autorité de Sûreté Nucléaire avait interpellé EDF dès 2010 sur la nécessité d’augmenter ses surfaces de stockage d’ici à 2030. «Au lieu de ça, EDF a fait la sourde oreille, pour éviter de fermer ses vieilles centrales qui elles, consomment encore du mox», ce combustible hautement radioactif fabriqué à partir de déchets nucléaires. «Si on les ferme, on arrivera à saturation encore plus rapidement. » En attendant, EDF prévoit de surcharger les piscines actuelles et de stocker temporairement une partie des combustibles usés dans des conteneurs de transports sur le site.
Des informations claires et réelles
Delphine n’est pas spécialiste du nucléaire. Tous comme les dizaines, puis les centaines de citoyens, riverains, paysans, pêcheurs, salariés de l’usine, pro et anti nucléaires, jeunes et anciens, qui ont choisi de rallier le collectif. Mais elle et ils s’inquiètent pour leur santé, leur environnement et l’avenir de leurs enfants. Ils réclament des informations claires et fiables, plus de transparence de la part d’EDF, un véritable débat public sur la gestion des déchets nucléaires. En février 2022, soit quatre mois après le lancement de la consultation, ils ont claqué la porte et la Commission Nationale du Débat Public (CNDP), instance coordinatrice, décide de relancer la procédure après les législatives.
A la place, le collectif a organisé ses réunions d’informations publiques en invitant des experts indépendants. Comme cet ancien ingénieur du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), Jean-Claude Zerbib, venu expliquer que l’usine de La Hague, vieillissante, «ne sera plus état de fonctionner dans quinze ans». Les élus locaux sont venus aux réunions du collectif: le conseil municipal de la Hague a voté une motion en réinterrogeant l’opportunité du projet et en demandant à EDF de proposer des alternatives. Invité par Chantal Jouanno, la présidente de la CNDP à Paris la semaine dernière pour renégocier sa participation à la prochaine consultation, le collectif décline. Et appelle à manifester dans la rue le 18 juin.
Manifestation du collectif Piscine Nucléaire Stop samedi 18 juin à Cherbourg. Départ à 10h place de la République. Prochaines réunions de concertation le 20 juin à Saint-Lô, le 28 juin à Cherbourg et le 6 juillet à Beaumont-Hague.
Voir le site du collectif et l’enquête d’Hugo Clément dans Sur le Front, France Télévision.