Des producteurs laitiers Bio en Normandie trouvent des solutions face à la baisse des prix

Publié le 4 janvier 2022
©Ferme de La Trebisière

Le prix d’achat du lait aux agriculteurs bio a baissé ces derniers mois. La raison est une production trop importante de lait bio en France, avec une hausse de 11 % du volume au premier semestre 2021. Trois agriculteurs bios dans l’Orne trouvent une alternative au changement de prix du lait qui fragilise la filière. Ils fabriquent avec le lait de la ferme des produits laitiers locaux, vendus à un prix équitable en circuit court ou en supermarché.

La vente directe est-elle une chance pour les agriculteurs confrontés à une baisse du prix d’achat du lait ? Sur une exploitation en plein du milieu de champs et des prés, à deux pas de la salle de traite, un grand hangar en bois domine le paysage servant de laboratoire de transformation et d’entrepôt aux yaourts avant leur acheminement dans les magasins et les lieux de restaurations collectives.

Réseau fermier

Stéphane Mesnil et ses deux associés Antoine Garreau et Quentin Fromont, installés en GAEC dans l’Orne, s’occupent de la gestion de la vente des yaourts et de l’élevage des bêtes. Le GAEC La Trébisière fabrique avec le lait de la ferme des yaourts natures et fruités. Il les distribue avec l’aide du réseau fermier Invitation à la ferme à près de 60 magasins et à 40 lieux de restaurations collectives répartis en Normandie. 140 000 litres de lait sur 400 000 produits chaque année, ont été transformés en 2021. En trois années, la ferme laitière s’est peu à peu agrandie. « Le volume de transformation a augmenté de 60 % par rapport à 2019 », explique Antoine, l’un des trois associés dans l’exploitation. Pour la ferme de 100 hectares, dont la grande partie de lait produit est collectée par la coopérative Biolait, la transformation constitue une source de revenus complémentaires.

En effet, la vente des yaourts de la ferme va constituer à l’avenir 60 % du revenu des trois agriculteurs et de leurs trois employés. Pour le moment, ils remboursent encore les emprunts effectués pour le développement des infrastructures et le laboratoire de production. La production de yaourt rendra la ferme moins dépendante de la fluctuation des prix du lait. C’est ce qui a motivé le projet des trois associés en 2018. « Nous avions l’envie d’aller vers plus d’authenticité dans la production en gardant un souci de rentabilité et d’autonomie », rappelle Stéphane Mesnil. Même si les trois associés reconnaissent être touchés par la baisse du prix d’achat du lait, les yaourts, vendus à quelques dizaines de centimes de plus que les yaourts conventionnels, constituent un revenu supplémentaire pour eux. On peut acheter ces yaourts dans les rayons des supermarchés sous le nom de marque du réseau “Yaourt à la Ferme”.

« 200 millions de litres de lait supplémentaires qui vont affluer sur le marché dans les mois prochains »,

La surproduction de lait qui touche la filière bio laitière est liée à plusieurs facteurs. « Une année herbagère favorable, l’arrivée sur le marché d’un grand nombre de fermes convertis en bio et une consommation des produits laitiers qui stagne », explique Guy Bessin, administrateur référent de la coopérative Biolait en Normandie. La coopérative laitière, un acteur historique de la filière laitière bio, avec 1 400 fermes adhérentes en France, a été contrainte de réduire son prix d’achat du lait payé aux agriculteurs de la tonne du lait.

En 2021, elle a ainsi dû baisser le prix de base de 15 euros par rapport à 2020. Consciente du problème, la coopérative solidaire avait déjà demandé aux agriculteurs de gérer leurs productions. « Depuis deux ans, nous demandons en interne à nos adhérents de baisser leur production en échange d’une compensation », rappelle l’exploitant manchois de la coopérative. Mais cela n’a pas suffi à amortir la baisse des prix. Si la crise de croissance n’est pas la première, elle risque encore de durer quelque temps en raison des importants volumes de lait sur le marché avec « 200 millions de litres de lait supplémentaires qui vont affluer sur le marché dans les mois prochains », ajoute Guy Bessin. Ce qui met en difficultés les agriculteurs bios.

Vente à la ferme

À Moncy (Orne), David et Sandrine Sénéchal installés en GAEC, transforment une partie des 180 000 de litres par an en produits laitiers qu’ils vendent localement. Le reste est collecté par Biolait. En ce jeudi ensoleillé, Sandrine Sénéchal, dans son camion de magasin installé au milieu de la ferme de 65 hectares, prépare la vente de yaourts, de crèmes, de fromages blancs et des petits fromages frais transformés sur place. Tous les jeudis, la ferme laitière propose une vente à la ferme. Cet après-midi, les clients, souvent des habitués, viennent acheter sur place les produits locaux du Gaec L’Herbe Autrement.

Vente des produits à la Ferme de l’Herbe autrement

Le même jour, ces paysans participent au marché de Condé-sur-Noireau (Calvados). Ils approvisionnent aussi quelques associations pour le maintien de l’agriculture paysanne (AMAP), ainsi que des magasins Biocoop et des supermarchés locaux.

Les propriétaires de la ferme revendiquent un modèle de production laitier autonome dans une petite structure. La ferme bio qui s’est dotée d’un atelier de transformation en 2017 fonctionne en totale indépendance. « Tout est produit sur place, l’alimentation des vaches comme la fabrication de yaourts avec un volume de production restreint », explique David Sénéchal. En effet, ils ne sont que deux à travailler sur le site de la ferme. Le couple s’efforce de vendre leurs produits dans les communes aux alentours. « L’intérêt de vendre des produits localement est d’avoir un lien de proximité avec les clients », ajoute Sandrine pendant qu’elle discute avec ses clients. Ces derniers fixent eux-même le prix de vente de leurs produits en fonction du coût de production. Si la baisse des prix d’achat de Biolait les a impactés, ils se disent moins touchés par rapport à d’autres agriculteurs bio qui consacrent leurs productions uniquement à la collecte de lait par la coopérative.

Laboratoire de transformation de la ferme de Saint-Auvieu, où est installée Jacques Mousset

Circuits courts et magasin de producteurs

C’est le sentiment partagé par Isabelle et Jacques Mousset, installés en Exploitation agricole à responsabilité limitée (EARL) à Passais La Conception (Orne). Ils y produisent des crèmes crues, des beurres crus, des fromages blancs, ainsi que des yaourts nature et fruités. Sur le site de la ferme de 75 hectares, un laboratoire de transformation se trouve à côté de la salle de traite, où sont transformés 120 000 litres de lait par an.

Aujourd’hui, le choix de produire localement est un pari gagnant pour l’exploitation qui a commencé la transformation de lait en 2003. « Ce projet vient d’un choix d’exercer une agriculture tournée vers l’environnement et de proposer des produits de qualité », explique Jacques Mousset. En plus de vendre ses produits en circuit court à des magasins bio ou des épiceries dans les collectivités autour de Flers, Jacques Mousset approvisionne le magasin de producteurs Halte Paysanne auquel il est associé. Situé à Saint-George-Des Groseillers, près de Flers, le magasin de vente en circuit court offre 80 produits locaux. « Ce sont les producteurs qui fixent les prix », rapporte Jacques Mousset. Les producteurs sont ainsi moins touchés par la baisse des prix des marchés à l’échelle nationale. Malgré les difficultés de la filière laitière, le modèle d’une agriculture raisonnée et respectueuse de l’environnement est toujours possible à réaliser.

Léo Mesnil

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