Respire encore! : le journal au long-cours d'une malade du Covid

Cela commence dans un appartement parisien, sur son parquet poussiéreux, quand elle perd connaissance à plusieurs reprises et appelle le Samu. Originaire de Normandie, Mathilde attrape la Covid-19 quelques jours avant le confinement. Le début d’un enfer qui va bouleverser sa vie. Premier épisode du journal au long-cours d’une malade du covid long, entre souffrances et espoir d’un jour meilleur.

Episode 1

«Certaines interprétations erronées du calendrier Maya prévoyaient la fin du monde pour le 21 décembre 2012. La fin de mon monde à moi a eu lieu le 16 mars 2020. Ce jour-là, pour la première fois, je commençais à ressentir des symptômes du covid. Ce jour-là, puis tous les suivants, depuis presque trois ans…

C’était une autre époque, on ne connaissait pas grand chose du virus. On déconseillait la plupart des médicaments comme la cortisone, on croyait encore que c’était un virus uniquement respiratoire, personne ne portait de masque, et réaliser un test PCR relevait de l’utopie. On ne connaissait pas non plus la plupart des symptômes, tels les gerçures, la perte du goût et de l’odorat…

Pas de chance, ces symptômes, je les ai tous eus, sauf la fièvre, seule à manquer à cette collection du petit musée des horreurs: vertiges, nausées, migraines, vomissements, gerçures, courbatures, impossibilité à me concentrer, faiblesse musculaire, perte du goût et de l’odorat, troubles digestifs, toux et perte massive des cheveux quelques semaines plus tard etc. Mais surtout les plus effrayants, pièces maîtresses de cette abominable collection : cette quasi impossibilité à respirer, cette sensation de suffoquer à chaque instant, et que chaque bouffée d’air durement gagnée était le prix d’un combat dantesque et épuisant, puisque tel Sisyphe, c’était un perpétuel recommencement. Cela, et les pertes de connaissance, brutales, soudaines, et d’autant plus terrifiantes que je vivais seule.

«Je me rappelle m’être dit que, non, je ne pouvais pas mourir comme ça.»

Je me rappelle m’être dit que, non, je ne pouvais pas mourir comme ça, ici, maintenant, parce que vraiment mon appartement était sale et mal rangé, et que ce serait vraiment trop la honte. Je me suis accrochée à cette idée, et je ne sais pas si ça a aidé, mais en tout cas, je suis toujours là pour en parler. Peut-être que parfois, la vie ne tient qu’au fil d’un appartement mal rangé? J’aime assez bien cette idée en tout cas, parce que depuis que je suis tombée maladie, je fais encore moins de ménage, et j’ai donc encore plus de raisons de ne pas mourir. Et puis elle fait rire mes amis, et rire, c’est bon pour la santé.

Le 23 mars 2020, au pire de la maladie, j’ai été en contact plusieurs fois avec une médecin que je n’avais jamais vue auparavant, mais qui avait la bonne idée de proposer des téléconsultations. Elle m’a tout de suite encouragée à appeler le 15, et a même insisté pour le faire pour moi. Mais je n’ai pas voulu, elle avait certainement d’autres patients covid à sauver, et je n’allais pas lui prendre ce temps précieux pour d’autres. Avec du recul, c’était une erreur, même si c’était sans doute tout à mon honneur.

«Une pensée pour ceux qui n’ont pas eu ma chance»

Couchée sur mon parquet (poussiéreux), ce jour-là, j’ai eu de nouveau le temps de perdre connaissance avant que quelqu’un ne puisse prendre mon appel, au bout d’une quarantaine de minutes. On était alors au pic de la première vague, et hôpitaux et urgences étaient saturés. J’ai toujours une pensée pour les gens qui ont eu un infarctus ou un AVC à cette époque, et pour les autres covid qui n’ont pas eu ma chance et qui sont morts chez eux, en attendant désespérément des secours. Pour les médecins aussi, dont beaucoup m’ont fait part de la détresse et de l’impuissance qu’eux-mêmes ont ressenti à cette période.

Ceci dit, atteindre le Graal (quelqu’un qui décroche, même pas la vie éternelle!) n’était pas non plus la panacée… Je reste encore assez traumatisée de mon échange avec le médecin régulateur. Après m’avoir demandé mon âge (j’étais jeune), il m’a indiqué que les hôpitaux étaient pleins, que je respirais encore puisque je pouvais toujours parler (autant dire qu’en effet, si je ne respirais plus, je serais morte), et donc d’attendre le lendemain pour rappeler (juste une éternité pour quelqu’un qui a peur d’arrêter de respirer d’un moment à l’autre). Sur les conseils de la médecin, j’ai précisé que je perdais connaissance et que je vivais seule, ce à quoi il m’a répondu «ce n’est pas notre problème» (difficile de ne pas être touchée par une telle empathie). A ce moment-là, j’ai réalisé que cette nuit-là, peut-être, je mourrais seule chez moi.

«Je suffoquais»

Bizarrement, sur le moment, j’ai pris ça avec beaucoup de philosophie (le fait que mon cerveau ne devait pas être très bien oxygéné a sans doute aidé). J’ai pensé à toutes les choses heureuses que j’avais vécues, à tout l’amour que j’éprouvais pour mes proches, et à tout l’amour que mes proches éprouvaient pour moi. Je n’étais ni effrayée, ni en colère, je n’avais de toute façon plus aucune énergie, j’étais juste reconnaissante de ce qu’avait été ma vie. C’est seulement trois mois après que les cauchemars sont arrivés. J’ai commencé à rêver presque toutes les nuits que je me noyais, qu’on me coulait la tête dans du béton… A avoir des bouffées d’angoisse dès que mon nez se bouchait un peu, ou à la simple vue d’un col roulé. Encore aujourd’hui, certains stimulus ont cet effet sur moi: d’un coup, c’est comme si de nouveau je me retrouvais plongée en mars 2020 et que je suffoquais, suffoquais, suffoquais…

Quelques mois plus tard, j’ai lu dans un article le témoignage d’un homme dont la sœur avait connu la même situation que moi. Le régulateur du SAMU lui avait répondu au téléphone qu’elle respirait encore puisqu’elle arrivait à parler, et avait refusé la prise en charge. Elle n’a pas eu ma chance, elle est décédée juste après.

«Rester malade bien après l’infection»

Moi, j’ai survécu. Et j’ai cru qu’ensuite, tout irait mieux. Je respirais de nouveau à peu près convenablement, il fallait «juste» que tous les autres symptômes disparaissent, et je pourrais reprendre ma vie. Un mois a passé, puis deux. Le ministère de la Santé donnait comme consigne de rester isolé jusque 48h après la fin des symptômes. Pas simple, quand ceux-ci ne s’arrêtaient pas! Du coup je n’osais pas sortir, même si je ne perdais plus connaissance. Trop peur de contaminer quelqu’un, et de lui faire vivre le même calvaire que moi. La médecin était tout aussi perdue que moi.

En mai, on s’est dit qu’il y avait quand même peu de chance que je sois encore contagieuse, et elle a commencé à m’envoyer faire des examens, pour essayer de comprendre ce qui m’arrivait, pourquoi j’étais toujours aussi handicapée, plusieurs semaines après. A l’IRM, normale, la première question du radiologue a été de savoir si j’avais eu le covid. L’IRM ne montrait rien, mais plusieurs patients post-covid montraient des symptômes très handicapants comme les miens. C’est le moment où j’ai compris que je n’étais pas seule, que d’autres que moi avaient la malchance de rester malade bien après l’infection. »

Lire le deuxième épisode.