Respire encore! - Episode 2

Cela commence dans un appartement parisien, sur son parquet poussiéreux, quand elle perd connaissance à plusieurs reprises et appelle le Samu. Originaire de Normandie, Mathilde attrape la Covid-19 quelques jours avant le confinement. Le début d’un enfer qui va bouleverser sa vie. Deuxième épisode du journal au long-cours d’une malade du covid long, entre souffrances et espoir de jours meilleurs.

La première neurologue que j’ai vue, tel Nostradamus, lisait les maladies non pas dans les astres, mais dans les dates des premiers symptômes. C’est l’unique chose qu’elle m’a demandée pour poser un diagnostic. Lorsque je lui ai répondu que j’étais tombée malade le 16 mars, avec une clairvoyance que beaucoup doivent lui envier (et notamment les quatre médecins vu précédemment qui en avaient conclu à un covid, ces ânes), elle en a immédiatement déduit que c’était une dépression. J’ai essayé de lui parler des différents symptômes assez peu équivoques, la sensation d’étouffer (crises d’angoisse!), la perte du goût et de l’odorat (perte du goût de vivre!), les gerçures (puissance de l’esprit???), les pertes de connaissance (un peu de tout le reste, elle commençait à être à court d’arguments), de la toux, des symptômes digestifs etc. Rien n’y faisait. Le 16 mars, c’est dépression, il n’y a pas à chipoter. Tout simplement parce que le 17, c’était confinement. Moi je ne l’avais pas trop vu passer, ce confinement, trop occupée à survivre, mais ça m’a donné le sentiment qu’elle, elle n’avait pas dû très bien le supporter… Au bout d’un certain temps, j’ai renoncé à essayer de discuter, et j’ai juste abrégé nos souffrances, et la consultation.

Honnêtement, je ne peux même pas dire que j’étais surprise. J’avais fait un début de péritonite il y a 20 ans car le médecin s’était ouvertement moqué de mes maux de ventre en disant que j’étais certainement stressée. J’ai des douleurs de dos depuis l’adolescence, et comme la langue française a le malheur de compter parmi ses expressions «en avoir plein le dos», ma médecin avait beaucoup ri en accusant une nouvelle fois le stress (j’ai finalement su 15 ans après que je souffrais d’une dystrophie rachidienne, avec des déformations des vertèbres). L’endométriose? Le stress aussi, et dix ans de retard diagnostic. Je suis habituée à ne pas être entendue, et à ce que systématiquement des symptômes inconnus conduisent à une cause rassurante, la malheureuse psyché défaillante du patient. C’est surtout elle qui a bon dos, la pauvre.

Pourtant, je suis sortie de cette consultation extrêmement abattue. J’avais tenté de reprendre mon travail, et ça avait été une souffrance sans nom. Moi qui culpabilisais horriblement le très peu de fois où j’avais été trop malade pour pouvoir travailler, j’ai été soulagée que la médecin propose de me réarrêter. Je ne comprenais plus rien et c’était terrifiant. J’étais incapable de me concentrer, et les bruits alentours me faisaient étonnement mal, comme s’ils venaient directement cogner dans ma tête. J’étais constamment épuisée, obligée de m’aliter souvent pendant mes heures de travail, sans que cela m’aide pour autant puisque j’étais rongée par la culpabilité. Et je vivais perpétuellement dans un monde de vertiges, de nausées, de migraines…

Ce rendez-vous, c’était tout pour moi. La perspective de solutions, d’essais de médicaments… peut-être de réponses aussi, ou juste d’un peu de réconfort. Je misais tout sur lui. Et en sortant, j’avais l’impression d’avoir perdu tout espoir.

Heureusement, cela n’a pas duré. Sur ce point, j’ai vraiment de la chance, le covid m’a privée de beaucoup de choses, mais pas de ce trait de caractère-là. Je suis persévérante. Parfois jusque l’extrême, ce qui n’est pas toujours une qualité, mais quand on est malade et affaiblie, cela peut vraiment en être une. L’autre point positif, aussi, c’est que ma médecin traitant, qui elle est formidable, me dit régulièrement qu’elle sait que je ne fais pas une dépression (elle n’a sans doute pas eue la formation d’astrologie des maladies) parce que justement, je continue sans cesse à essayer.

D’abattue, je suis redevenue d’autant plus combative que cette neurologue m’avait mise en colère, et j’ai décidé d’aller dès le lendemain pour faire une sérologie covid. Jusque-là, prouver que j’avais eu le covid me semblait anecdotique. J’étais sûre d’avoir eu le covid, mais que ce soit cela ou autre chose, je voulais juste guérir, le reste n’avait pas d’importance. Cette neurologue m’a prouvé l’importance, pour certains médecins (pas mes préférés), d’avoir ce sésame. Évidemment, la sérologie est revenue positive.

Finalement, comme beaucoup de choses négatives dans la vie, ce rendez-vous a donc aussi eu un côté positif. Sans cette neurologue, je n’aurais pas compris l’importance de prouver mon infection, et j’aurais été privée d’une partie du suivi dont j’ai pu bénéficier par la suite. Quelque part, donc, merci Madame Irma!

Et aujourd’hui, me direz-vous? Suis-je de nouveau capable de partir en quête d’aventures incroyables ou de danser jusqu’au bout de la nuit?

Malheureusement, non.

Depuis 3 ans, les choses ont malheureusement peu avancé. Et sur certains points, elles ont même grandement empiré.

Les résidences

De quelques jours à plusieurs semaines, les journalistes et photographes de Grand-Format s’immergent dans un établissement scolaire, une médiathèque, une ville... pour y mener des ateliers d’éducation aux médias et un travail journalistique. Avec des jeunes et des moins jeunes, nous construisons ensemble ces éditions spéciales de Grand-Format issues de ces résidences.