Face à la montée des eaux, le Conservatoire du littoral accompagne les acteurs publics dans leurs projets. Son objectif: anticiper pour mieux s’adapter face à une mer, qui, de toute façon, sera toujours plus forte que l’Homme. Interview avec le délégué adjoint en Normandie, Régis Leymarie.
Quelles sont les zones vulnérables à l’élévation du niveau de la mer, en Normandie?
Les grands estuaires, la Seine, l’Orne, les Havres du Cotentin… Tous ces espaces de zones humides littorales sont presque au niveau de la mer ou en dessous, comme la baie des Veys. Mais en Normandie, nous avons une accélération d’une prise de conscience avec le Giec Normand! Les sujets littoraux sont prioritaires. Ce n’est pas le cas ailleurs en France, donc on peut s’en féliciter.
Qu’est-ce que le Conservatoire met en place face à ce phénomène?
Depuis bientôt 15 ans, un peu avant les autres, on a mené des projets sur l’adaptation au changement climatique. On a mis en perspective la longue histoire des littoraux: on a recherché toutes les cartes anciennes. On a démontré que le littoral a toujours évolué. Et qu’il continuera d’évoluer. La mer est puissante, elle rentre dans les marais. Cela bouleverse l’activité agricole, la biodiversité, les paysages…
Le Conservatoire est amené à modifier le tracé des sentiers du littoral, dans certains lieux, par exemple dans le Val de Saire (Cotentin). Cela demande beaucoup d’explications, de concertations, de dialogue, pour expliquer que le monde d’avant ne pourra pas revenir. Et que les paysages que les personnes n’ont plus ne reviendront pas. Cela renvoie à la solastalgie, l’inquiétude par rapport aux paysages de leur jeunesse.
En acquérant des terres, le Conservatoire a freiné la boulimie d’artificialisation du littoral. Mais il ne peut pas arrêter ce phénomène. En terme de pression, l’urbanisation sur le littoral est deux fois et demi supérieure au reste de la France.
Votre approche est celle des solutions fondées sur la nature. Qu’est-ce que cela veut dire?
La mer est de toute façon plus forte que nous. Plutôt que de lutter contre la nature, on accompagne et on anticipe son retour. On est dans des solutions fondées sur la nature: on ne va pas mettre des enrochements, parce qu’il faut des autorisations, et qu’en espaces naturels, cela n’a pas de sens. Mais on accompagne les phénomènes sur les usages économiques ou la nature. On aide à modifier les usages les équipements qui peuvent l’être.
C’est le sens de l’histoire, étant donné ce que nous annoncent les scientifiques du GIEC. L’élévation du niveau de la mer nous force. Et plutôt que de le subir, on anticipe. L’adaptation n’est pas une punition, mais il faut que chacun accepte de changer ses habitudes. La mer modifie les écosystèmes, les usages. Elle peut se déplacer. Il faut sortir d’une logique fixiste, pour aller vers une approche dynamique. Vous passiez là, maintenant, on ne passera plus là.
Les tempêtes ou les catastrophes sont-ils des moments qui forcent à changer de cap?
En cas de tempête, on a des dégâts matériels, humains. Le problème est que quand on est en gestion de crise, on n’est pas dans une démarche d’adaptation. On va refaire le même système, dans l’urgence. Nous, nous proposons d’anticiper. Soit on subit, soit on résiste, c’est ce que font les Hollandais : ils font des digues, ils mettent des pompes. Mais ils sont en partie sous le niveau de la mer, il faut avoir beaucoup d’argent pour faire ça. En France, on n’en a pas les moyens : il y aura de l’argent pour Ouistreham, Caen, le Havre… mais pas pour les territoires à faible densité.
Donc on propose de s’adapter: chaque territoire doit définir sa stratégie en fonction des enjeux humains et économiques qu’il veut protéger, des moyens qu’il a à y mettre dans une durée. Mais l’adaptation n’est pas une posture unilatérale: il y a des endroits où il va falloir résister, parce qu’il y a des enjeux économiques forts. A l’inverse, il va falloir relâcher la pression à certains endroits.
C’est ce qui a été fait à Sallenelles, dans la baie de l’Orne, où des polders ont été remis à l’eau pour que des écosystèmes soient restaurés. La finalité, c’est aussi que cette adaptation favorise les nourriceries pour les poissons, qu’ils puissent frayer, et que ça participe à une biodiversité locale, qui sera aussi bonne pour les activités économiques.»
Propos recueillis par Simon Gouin