Janvier 2021

Un lycée pour se raccrocher

Marylène Carre

Dix classes d’un élève

Publié le 13 janvier 2021

Ils avaient décroché du système scolaire depuis plusieurs années. Le microlycée leur a ouvert ses portes. Dans cette structure scolaire expérimentale de l’Education nationale, l’équipe pédagogique tente de les réconcilier avec l’école et avec eux-mêmes. Récit d’une semaine en immersion au MicroLycée de Caen.

Premier jour

9h. Patrice, le coordinateur du MicroLycée, entre dans le bureau des profs, rebaptisé salle Séléné, déesse des solutions. Il vient de faire le compte des élèves manquants. «Pas si mal pour un lendemain de jour férié… En une journée, tu perds le travail de quinze jours. Les retours de vacances, c’est carnaval. Tu t’accroches au bureau et tu attends les vagues. »
La semaine dernière, le taux de présence était de 67 % en première année et 79 % en deuxième année. Adeline, la professeure d’anglais, décroche le téléphone pour appeler les absents. «Allo, c’est Adeline du MicroLycée. Tu n’es pas en cours ce matin. On voulait savoir où tu es et quand tu reviens.» Ici, ceux qui manquent à l’appel ne sont pas stigmatisés. Tous sont entrés au MicroLycée après avoir décroché de l’institution scolaire, plusieurs mois voire plusieurs années. Se lever le matin, c’est la première bataille.

L’entrée au MicroLycée s’effectue par une porte située à l’arrière du lycée Rostand, l’un des plus importants lycées de la ville, avec quelque 1 800 élèves. S’il lui est rattaché administrativement, le MicroLycée fonctionne de manière autonome et à échelle beaucoup plus réduite. Quarante-cinq élèves, sept professeurs, trois salles de classe et une salle commune, où chacun circule librement. Un simple couloir sépare les salles de cours du MicroLycée de celles du lycée Rostand. Une frontière entre deux visions de l’école au sein d’une même institution.

Une réponse au décrochage scolaire

En France, un élève sur dix décroche chaque année. Au début des années 2000, des personnels, pour la plupart issus des équipes éducatives de lycées, ont décidé de prendre en charge ce type de public à travers la création, au sein de l’institution scolaire, de structures pédagogiquement innovantes: microlycée de l’académie de Créteil, collège‑lycée égalitaire pour tous à Grenoble, pôle innovant lycéen à Paris… Depuis 2013, ces Structures de Retour à l’École (SRE) sont reconnues et valorisées par le ministère de l’Education nationale comme une réponse possible au décrochage scolaire. Au nombre de 71 aujourd’hui, elles se sont développées sous différentes formes. À chaque rentrée scolaire, cinq à dix nouvelles SRE sont ouvertes, réparties sur tout le territoire (carte des SRE en France).

Chaque microlycée dispose de son autonomie de fonctionnement, tout en étant rattaché à un lycée support et à son conseil d’administration. Les enseignants, professeurs du secondaire de l’Education nationale, sont volontaires, recrutés par cooptation sur des postes accordés par le rectorat. La nature de leur travail est défini moins par le statut ou la discipline à enseigner que par la globalité du projet pédagogique et éducatif: moins d’heures de cours et davantage de présence hebdomadairedans l’établissement, avec des réunions d’équipe régulières. Les tâches sont multiples et polyvalentes: enseignement, accompagnement éducatif, vie scolaire, administration, relations extérieures… Le nombre d’élèves est limitéà sept ou huit élèves pour un adulte.
Lire la charte commune des microlycées.

En septembre 2018, le MicroLycée accueille sa première cohorte de décrocheurs: dix-sept jeunes âgés de 16 à 25 ans, en rupture scolaire depuis plus d’un an, ayant un niveau d’entrée minimum de seconde. Le parcours s’organise sur deux années – ici on dit «ML1» pour la première année de remise à niveau et «ML2» équivalent à une classe de première. En troisième année, les élèves intègrent une terminale classique au lycée Rostand. L’objectif est de préparer le maximum d’élèves à la réussite du baccalauréat général ou technologique (filière STMG, Sciences et technologies du Management et de la Gestion). Certains n’iront pas jusque-là, mais quitteront l’école avec un projet de formation ou d’insertion professionnelle.

«Le but n’est pas de les envoyer dans le mur, mais de les réconcilier avec l’école, les adultes et un lieu où l’on vient tous les matins. De les remettre en mouvement», explique Véronique, la professeure de français. «Le décrochage est un phénomène complexe. Nos jeunes ont souffert pour toute une conjonction de facteurs: sociaux, économiques, psychiques. Certains ont grandi comme de la mauvaise herbe, sans repères, avec des addictions diverses, des problèmes psychologiques. Ils sont dans l’isolement social ou la phobie des autres. Beaucoup ont des troubles du sommeil ou des problèmes alimentaires. La première année, un tiers de nos élèves ne pouvaient pas manger devant les autres: ça nous a interpellés.»

Véronique a été professeure des écoles pendant huit ans avant de passer le Capes puis l’agrégation et d’enseigner en collège, lycée et BTS. Elle était en poste à Rostand quand Patrice est venu constituer son équipe. Elle terminera ici sa carrière dans deux ans. « Je me dis que je n’ai pas dix élèves, mais dix classes d’un élève.»

La première année, deux jeunes supplémentaires intègrent le MicroLycée en cours d’année; sept arrêtent. À la rentrée 2019, une deuxième cohorte de quinze élèves arrive au lycée; la première cohorte passe en «ML2». En septembre 2020, pour sa troisième année de fonctionnement, le MicroLycée compte une classe de 16 élèves en ML1, une classe de 13 élèves en ML2 et quinze élèves intégrés dans trois classes de terminale du lycée Rostand.

«L’école m’avait abandonnée.»

10h30. Salle commune. Un canapé, une cuisine avec un café au chaud, des tables hautes pour déjeuner, une étagère de livres. Une grande fenêtre vitrée donne sur la salle des profs et une porte, rarement fermée.

Une nouvelle élève arrive ce matin. Avec valise et duvet. Elodie s’installe à l’internat dès ce soir. Patrice l’accueille et charge deux élèves de prendre soin d’elle. «Tu fais tout doux pour commencer, et quand ça fait trop d’infos, tu le dis», lui sourit-il.
Pas trop stressée? lui demande Luna. Tu as des reflets bleus dans les cheveux?
J’avais peur d’arriver en retard. Je me suis répété: ça va bien se passer.

Elodie n’est pas retournée à l’école depuis trois ans. «J’ai quitté en début de première à cause d’une situation de harcèlement. J’étais la victime d’une meute, avec son chef. J’en ai parlé au lycée. Ils disaient que c’était à moi de faire des efforts, d’aller voir un psy, que j’étais le problème. Je n’ai plus voulu y retourner et mes parents ont fini par accepter. Ils ont contacté d’autres lycées. Là encore, on me demandait si j’étais apte à être au contact des autres. Mon père était angoissé. Il ne comprenait pas pourquoi le lycée m’avait abandonnée. J’ai décidé de me reconstruire par moi-même. C’est ma tante qui m’a parlé du MicroLycée, «quand tu iras mieux», m’a-t-elle dit. J’ai appelé la semaine dernière. Le lendemain, j’étais là pour un entretien et aujourd’hui, je redeviens lycéenne…»

11h40. Une jeune fille passe la tête en salle des profs. «Je suis arrivée!» Patrice lui sourit: «Allez, file en classe. Faudra que tu arrives à être là à 9h

Au microlycée, l’éducation est appréhendée au sens large: les professeurs sont à la fois instructeurs et éducateurs. Ils s’emploient à rétablir la confiance avec les élèves par différents moyens: un accueil sans jugement ni a priori, des rapports plus individualisés (tutorat), des propositions de moments et d’espaces de vie partagée (salle commune professeur-élèves, activités partagées, etc). L’emploi du temps se découpe en disciplines et en «temps spéciaux»: heures d’éveil, travail encadré ou accompagné, ateliers d’ouverture culturelle, projets interdisciplinaires… Il évolue au cours de l’année, divisée en période de huit semaines. «En première année, on ne charge pas trop l’emploi du temps pour que ce soit soutenable, explique Véro. On essaie de caler les enseignements traditionnels entre 10h et 13h

Chaque professeur est tuteur d’une dizaine d’élèves qu’il voit individuellement au moins une fois tous les quinze jours, pour faire le point sur sa situation. C’est au cours de ce moment privilégié que naît la confiance entre le jeune et l’adulte, et non plus seulement entre l’élève et l’enseignant. «L’élève est un individu à part entière. On les prend comme un tout», résume Véro.

Floriane, Véronique et Christos, professeurs.

Un microlycée dans l’académie

Mai 2017. Le recteur revient d’une réunion à Paris, où il est question des microlycées. Il veut en monter un dans son académie. Il contacte le proviseur du lycée Rostand, réputé pour son appétence aux dispositifs innovants. En décembre, paraît l’annonce pour le poste de coordinateur au MicroLycée. Patrice hésite, rédige sa lettre de motivation, part faire un tour en vélo, et finit par envoyer le courrier. «En général, dans les projets de l’Education nationale, il y a beaucoup de contraintes et peu de budget. Là, c’était l’inverse. Une page blanche à écrire et des moyens. C’était l’opportunité de mettre en application mes convictions. »

Patrice a enseigné dans une dizaine de lycées, comme enseignant remplaçant. «Tous les ans, tu remontes un projet.» Il a postulé une première fois au Collège Lycée Expérimental (CLE) d’Hérouville-Saint-Clair, sans obtenir le poste. Deux ans plus tard, l’établissement le rappelle pour un remplacement. Il y restera quinze ans. L’approche pédagogique qu’il expérimente au CLE alimentera le projet du futur MicroLycée: enseignements décloisonnés, tutorat, petits effectifs… Là-bas, il imagine le projet «Marche» pour mission d’aide au raccrochage à l’école, qui permet de faire entrer un éducateur dans l’établissement et d’accueillir quelques élèves décrocheurs. «J’avais un confort de travail extraordinaire au CLE. On testait des choses qui fonctionnaient et j’avais envie de les diffuser. Mais je me rendais compte que ça n’intéressait pas l’institution

Patrice, coordinateur.

«Est-ce qu’on est ambitieux ou prétentieux?»

En janvier 2017, Patrice s’installe «avec son crayon» au lycée Rostand pour monter de toute pièce cette nouvelle structure expérimentale.
On va le mettre où?, demande le proviseur. J’ai un bâtiment au fond.
Non, on ne va pas créer un cocon pour enfants fragiles.
Je ne vais pas vous donner la salle des actes du lycée quand même… Eh bien si, je vous la donne.
«Tout était possible, se souvient Patrice. La salle est trop grande? On la divise en deux, on monte un mur.»
Pour écrire le projet et constituer son équipe, Patrice s’est installé dans la salle des archives du lycée. Les profs curieux pointent leur nez. «Petit à petit, on construit le projet, en s’inspirant de l’expérience des autres. Le MicroLycée doit être dans le lycée et la finalité est d’y retourner. Il faut construire quelque chose de poreux.»

La plupart des microlycées recrutent à partir de la première et forment les élèves sur deux ans, pour en sortir avec le bac. Patrice imagine un fonctionnement plus inclusif : recruter en seconde, accompagner en première et remettre les élèves dans le grand bain en terminale. «Est-ce qu’on est ambitieux ou prétentieux?»

«Je ne vais pas révolutionner l’institution, ni résoudre le problème du décrochage scolaire, assume Patrice.On sert à 45 mômes, alors qu’il y a 3 000 décrocheurs dans l’académie, mais ce sont 45 mômes à l’école.» Il regarde les trois jeunes de l’autre côté de la vitre. «Peut-être que sans nous, le premier pousserait encore des brouettes de chantier, le second serait confronté à des problèmes de drogue, la troisième vivrait avec les allocations. Il ne faut pas en attendre plus

Deuxième jour

8h30. Emma a dix-huit ans aujourd’hui. Max a préparé un gâteau et diffuse «Cette année-là» reprise par M. Pokorasur son portable. C’est l’un des rares anniversaires célébrés au MicroLycée. La plupart préfèrent oublier «ce jour comme un autre».

Elodie est restée devant la porte du cours d’anglais. Elle serre son sac et son manteau et fond en larmes. Elle n’a pas réussi à dormir à l’internat. «Le stress, tout ça…» Patrice l’installe dans la salle commune. «Tu te reposes et quand ça va mieux, tu rejoins les autres.» Il avertit Christos avant de filer en cours. «Si tu veux, je t’accompagne en classe, je fais l’élève avec toi», propose le prof d’histoire-géo.

Christos a passé une thèse en géographie sociale à l’université de Caen. Il y a donné des cours, avec le statut précaire d’assistant temporaire d’enseignement et de recherche. Quand son fils est né, il a décidé de passer le Capes, pour s’assurer un poste dans l’éducation nationale. À Lisieux, il s’est occupé des classes relais, avec des élèves expulsés de tous les bahuts. Il a aussi enseigné en prison. C’est Véro qui l’a branché sur le Microlycée alors qu’il était, comme elle, enseignant à Rostand. «Tu vas voir, ça va te plaire.» Il a rencontré Patrice qui constituait son équipe. «On a parlé plus d’une heure, une discussion géniale sur l’éducation.Ici, t’es pas prof comme ailleurs. Tu dois penser ta pédagogie autrement. On te tutoie. T’es tuteur, CPE, psy à deux balles, mais quand même un peu psy. Tu passes beaucoup plus d’heures au lycée, mais pas pour y faire cours. C’est très usant, éreintant psychologiquement. Mais c’est la première fois de ma carrière que j’ai l’impression de faire partie d’une équipe pédagogique. Je ne suis pas tout seul dans le bateau. Ici, tout se partage. J’arrive le matin, je rejoins la petite famille.»

Cours de géographie, projection d’un documentaire sur les conséquences des catastrophes naturelles.

9h10. Salle «Amstrong», Patrice propose un cours d’éveil sur l’actualité aux ML1.
Vous ferez quoi en mai 2022? demande-t-il.
Je me marie, lance un élève.
On vote, répond un autre.
La question est de savoir pour quoi on vote, explique Patrice. Un choix politique, ça se construit. Ce qui le déterminera, c’est votre rapport à l’actualité. À partir de maintenant, tous les vendredis, on va apprendre à décrypter l’actualité.
Il projette sur le grand tableau blanc le JT de la veille et demande aux élèves de noter les principaux titres, leur durée et le type de traitement de l’information. «Ça va à toute vitesse, c’est pas très bien expliqué», font remarquer les élèves. «On va décortiquer», annonce le prof.

«Je suis prof, mais aussi éduc, médecin, psy, maman…»

10h. Véro propose un café. Floriane fait passer un oral d’anglais professionnel à une élève de première, qui a manqué le dernier cours.

Floriane a rejoint l’équipe du MicroLycée l’an dernier, après que son poste d’enseignante d’éco gestion en lycée pro a été supprimé. Elle apprécie «le challenge deraccrocher le jeune à l’école.Dans l’Education nationale, on croise beaucoup de profs désabusés. Ici, c’est une équipe motivée, qui se serre les coudes, se réunit quatre heures par semaine pour analyser chaque situation. Paradoxalement, quand je rentre chez moi, je parle très peu de mon boulot. Parce que j’ai vidé mon sac ici, avec les collègues

Adeline, la prof d’anglais confirme. Agrégée d’anglais, elle a été enseignante remplaçante, jamais plus de deux semaines dans le même bahut. C’est d’abord pour rompre avec ce rythme qu’elle a postulé au MicroLycée. «Ensemble, on a créé quelque chose de nouveau, d’unique dans l’Education nationale. On a une vraie relation avec les élèves. Il faut bien les connaître pour les accompagner. Je suis prof, mais aussi éduc, psy, médecin généraliste, assistante sociale, juriste, maman…On dépasse la relation du prof à l’élève pour celle de l’adulte au jeune. On s’est posé la question du tutoiement. On s’est dit qu’on n’avait rien à perdre et tout à y gagner.»

Adeline, la prof d’anglais, et des élèves.

«Le plus important au MicroLycée, c’est l’équipe, mesure Patrice. On a des moyens, des locaux, mais sans collègues, je ne peux rien faire. Cette priorité est supérieure à toutes les autres.» En trois ans, il n’y a jamais eu de conflit. «La première année, c’est la lune de miel, on s’adore. La deuxième année, on se demande comment continuer dans la routine, ne pas s’effondrer et partir lessivé. Il faut veiller à ce que ça reste stimulant, enthousiasmant. Se reposer, ne pas culpabiliser quand tu pars avant les autres. On n’est pas des militants, pas meilleurs que d’autres. Simplement des profs, à qui on donne les moyens de faire quelque chose différemment.» Aucun n’est titulaire de son poste au MicroLycée. Il n’y a pas d’engagement. Pas de filet de sécurité non plus.

Sept professeurs, dont trois à temps plein :
– Patrice, 49 ans, prof de sciences économiques et sociales et coordinateur du MicroLycée.
– «Véro», 58 ans, prof de français, toujours au courant de l’actualité culturelle caennaise.
– Adeline, 30 ans, prof d’anglais, bilingue et voyageuse, enceinte de son deuxième enfant.
– «Mika», 48 ans, prof de math et sciences, bricoleur et pro de l’informatique.
– Christos, 52 ans, prof d’histoire-géo et d’espagnol, mi-français mi-grec.
– Floriane, 30 ans, prof en sciences et techniques de gestion, la dernière arrivée de l’équipe.
– Fred, 52 ans, prof d’EPS, rôdé aux méthodes de l’éducation populaire.

Patrice dit qu’il a eu un « coup de bol » de recruter la bonne équipe. Ses collègues estiment qu’il a plutôt eu « du nez ». Il a reçu une cinquantaine de candidatures. « Certains cherchaient simplement un poste à Caen, mais la plupart avaient envie de se confronter à un autre public, retravailler leurs pratiques. » Patrice a scruté chaque profil, cherché la diversité : Véro dans l’art et la culture, Mika dans la débrouille… Pour le poste de prof de math, Patrice avait deux candidats agrégés. Il a préféré « un type qui construit des maisons, qui bricole ».

Mika a enseigné à Lyon, Annecy, Bernay, Caen comme TZR, titulaire sur zone de remplacement. Il avait décroché un poste d’administrateur réseau en lycée, qui a été supprimé. «J’ai postulé au MicroLycée moins par vocation que pour avoir des heures», admet-il. En lycée pro, il avait croisé des gamins décrocheurs. «J’avais une idée de ce qui m’attendait, mais pas à ce point-là. C’est comme si tous les maux de la société étaient réunis ici : abus sexuels, difficultés sociales, addictions.» Lors de son entretien de recrutement, il avait prévenu: «Je ne sais pas faire avec un gamin qui se met à pleurer». «Tu apprendras avec nous», lui avait répondu Patrice.

Midi. La plupart des élèves déjeunent dans la salle commune, plutôt qu’au self du lycée. Certains ont leur gamelle, d’autres vont chercher un sandwich. D’autres encore disparaissent pendant une heure. Chips et coca ont la côte. Patrice hausse les épaules. «La notion de repas équilibré, c’est un chantier qui pourra exister quand ils seront prêts. Les attaquer tout de suite là-dessus, ce serait désinvestir la confiance qu’on a mis en place, et on en a besoin.».

15h: «Bingo», s’écrit Patrice, qui vient d’obtenir un rendez-vous avec la psychiatre d’une élève. En trois ans, c’est la première fois qu’une psy se déplace au MicroLycée. «En France, on cloisonne l’éducatif, le soin et le pédagogique, déplore-t-il. Ici, on y est sans cesse confrontés. On a du mal à obtenir des informations sur nos jeunes de la part des professionnels de la santé et du social. On finit par les obtenir des gamins eux-mêmes et bien souvent, on en sait plus que leur psy ou leur éduc. Avec l’accord des élèves, on leur transmet ces informations. Parce que notre rôle, c’est d’abord d’être des profs.»

16h. Devant le lycée, des élèves font une pause clope. La discussion tourne autour des «fichés S» des bahuts. Ils le sont tous.


La semaine prochaine, retrouvez la suite de ce reportage au MicroLycée de Caen : les histoires d’Alexis, Noémie et Enzo, le coup de gueule de Myriam, les confidences entre un élève et son tuteur et les premières évaluations de l’année…

Quarante-cinq casseroles qui bouillonnent

Publié le 19 janvier 2021

9h. Christos n’a pas vu Zoé depuis plusieurs jours. Il appelle la grand-mère. «Elle dort? ne la réveillez pas, mais demandez-lui si elle revient cet après-midi.» Il faut garder le lien.

Troisième jour

«On est toujours sur une ligne de crête », explique Christos, avant de reprendre le téléphone. «Allo, je suis le tuteur de Mathieu. On n’a pas de nouvelles de lui. Vous non plus? Ça fait quinze jours qu’il est chez sa copine? OK.» Il interrompt la conversation et raccroche. «Quand on prend les gamins, on prend la famille qui va avec.Et elle fait souvent partie du problème

Dispositifs de prévention au sein des établissements.

L’inscription au MicroLycée se fait sur la base du volontariat et sur recrutement. La demande dépasse le nombre de places. Les jeunes décrocheurs sont orientés par le personnel des missions de lutte contre le décrochage scolaire, les missions locales, la Maison des adolescents à Caen, des éducateurs, des psychologues scolaires… Le MicroLycée organise des journées d’information en mai et commence à recruter en juin. Un premier tri écarte ceux qui ne sont pas en réelle situation de décrochage pour ne garder que les élèves les plus en difficulté qui ne trouveront pas de solution ailleurs. Chaque candidat est reçu pendant plus d’une heure par une partie de l’équipe. Chaque dossier est ensuite étudié collectivement. Une première réponse est donnée avant l’été, mais l’engagement définitif n’est pris qu’en septembre, après avoir recontacté le jeune. En deux mois, tout peut basculer.

«Ce qu’on doit évaluer, c’est le degré de motivation du jeune, la faisabilité du projet et une forme d’appétence par rapport à l’école, explique Patrice. Le piège serait de faire miroiter quelque chose qui ne se réaliserait pas, faire subir un nouvel échec. Dans l’idéal, il sort d’ici avec le bac et un projet d’orientation, mais il y a d’autres voies possibles. L’essentiel est que le jeune ait le sentiment d’avoir réessayé. S’il doit quitter l’école, c’est parce qu’il l’aura voulu et non que l’école n’aura pas voulu de lui une fois de plus

Il faut donc s’assurer que la reprise d’école sera possible, socialement, scolairement, médicalement. «On écarte du lot les dealers de shit, qui représenteraient un danger pour le lycée, ceux qui truandent à l’entretien ou entendent des voix. Il reste une vingtaine de dossiers sur la table. Est-ce que ce groupe-là va fonctionner ensemble? » La première année, ils ont recruté trop de «cas psy». Les profs ne sont pas des blouses blanches. La deuxième année, fort de leur expérience, ils mettent à l’écart les cas les plus lourds. «On finit le recrutement contents de nous. Finalement, on a eu plus de problèmes: sept gamins ont arrêté en cours de route, avec de vrais échecs. Il y a tellement de facteurs et de gamins qu’il faut savoir rester humbles. Ce qui est vrai en septembre ne l’est plus deux mois après.» La troisième année, ils ont essayé d’établir des «idéaux types» de décrocheurs, en s’inspirant de la méthode du sociologue Max Weber. Ils ont caractérisé des groupes: les égarés, les réfugiés, les inadaptés, les effacés, les accidentés. Mais les jeunes rentrent souvent dans plusieurs catégories. «On continuera de se planter», prédit Patrice.

«On dit que ce sont des vacances, mais en réalité, tu passes ton temps à brasser des idées noires.»

Alexis est arrivé cette année. C’est un garçon jovial, curieux, sociable, qui ne manque jamais un cours. Il y a deux mois pourtant, il ne parlait pas. Il ne parlait plus depuis des mois. Sa mère était désespérée. Elle a contacté le MicroLycée. Au premier rendez-vous, Alexis est resté dans la voiture. Au second, il est resté à côté de la voiture. «Alexis, si tu veux venir ici, il faut que tu l’exprimes», lui dit gentiment Patrice. Sa mère le supplie. Il ne dit rien. Au troisième rendez-vous, Patrice n’y croit plus. Il confie le jeune à une collègue et s’occupe de la mère. La collègue revient victorieuse : «Il m’a dit qu’il voulait venir

Assis avec ses copains sur le canapé de la salle commune, Alexis a retrouvé la parole. «On voulait m’envoyer en HP», confie-t-il. Noémie a connu l’hôpital de jour. «Enfermée dans un bâtiment, ils ne savaient pas quoi faire de moi.». Elle a été déscolarisée pendant un an et demi. «Je restai à la maison à ne rien faire. C’est le pire truc qui peut t’arriver. On dit que ce sont des vacances, mais en réalité, tu passes ton temps à brasser des idées noires.» Enzo a passé deux ans accro aux jeux vidéos, une nuit blanche tous les deux jours. Il a voulu raccrocher. «Ici, c’est ouf. Mais faut bosser.» Simon fustige ceux qui ne viennent jamais, qu’il appelle «les chômeurs». «Ils ont une seconde chance, mais ils ne la prennent pas. On les suit sur snapchat, on sait ce qu’ils font. Ils zonent en ville, ils font leur vie. Moi j’ai arrêté en troisième. J’ai fait peintre en bâtiment pendant sept mois. J’étais leur esclave.» Il veut passer son bac pour devenir coach sportif. Noémie aimerait «aider les autres, sans en faire mon boulot, c’est trop dur. J’ai du mal à voir les choses de manière positive.» Enzo la bouscule gentiment de l’épaule. Elle repart dans un grand éclat de rire.

« Mon MicroLycée ». Reportage photo réalisé par les élèves du MicroLycée.

11h. Cours de français sur Dom Juan. Pas un bruit dans la classe. Mathieu lit la première scène et s’arrête sur le mot « scélérat». «C’est quoi?» demande la prof. «Un mec mal aimé», répond Mathieu. Depuis quelques semaines, le jeune homme provoque ses profs, cherche le conflit, reproduit la posture qui a entraîné son expulsion de l’école. Il a dit à ses parents : «les profs ne m’aiment pas.»

14h. Cléa arrive à la grille. Elle n’est pas revenue depuis trois semaines. Depuis le jour où elle a tapé dans le mur du lycée et s’est blessée aux mains. En la soignant, Patrice lui a demandé si elle avait d’autres plaies. Elle a montré ses scarifications. Il lui a dit doucement: «Tu dois mettre au courant ton éduc. Moi je suis prof. Si tu veux, on l’appelle ensemble.» Elle a accepté. L’éducateur a répondu qu’il s’en occuperait dès qu’il serait disponible. Cléa a disparu au retour des vacances de la Toussaint. Patrice a appelé la famille. Au final, l’éducateur est allé voir l’adolescente, elle a été hospitalisée. «Mais on a perdu trois semaines».

16h. Dans la salle commune, la tension est montée très vite. Myriam a lancé des insultes homophobes, tout le groupe lui est tombé dessus, l’un a failli en venir aux mains. Ce n’est pas la première fois que la jeune fille explose au sein du groupe. «Pour des raisons qu’on ne maîtrise pas trop, au retour des vacances, Myriam est devenue violente, insultant ses profs et ses camarades», explique Véro. Elle a déjà été exclue quatre jours de l’établissement. Elle doit passer son bac cette année, mais ce nouvel incident remet en question sa présence au MicroLycée. Son comportement menace le fragile équilibre de tout le groupe.

16h30. Réunion d’équipe. Patrice revient sur l’incident:
Myriam a passé sa journée à chercher la mouise. Elle invective, insulte. Le groupe s’est révolté.
On les oblige à supporter ses excès, ajoute Floriane, la prof de gestion. Le jeune qui a voulu l’encastrer aurait pu le payer cher. On avait dit qu’elle n’aurait plus de nouvelle chance.
On a réessayé, concède Patrice. On est arrivés au bout de ce que l’on pouvait faire pour elle. Le problème aujourd’hui est qu’elle est nocive pour les autres.
L’équipe décide de prendre un rendez-vous avec les parents.

Réunion d’équipe.

La discussion se poursuit sur l’atelier slam qui a eu lieu la semaine dernière. Une jeune fille a écrit un texte sur le viol, qu’elle n’a pas réussi à lire. Dans le cadre du concours de plaidoiries organisé par le Mémorial de Caen, une autre élève a choisi de défendre le cas de Jacqueline Sauvage, symbole des violences conjugales. L’élève a écrit: «Jacqueline avoue: elle s’est fait violer.» Floriane relève le discours de culpabilité. «La victime se sent responsable des actes de son violeur.» L’année dernière, l’équipe a dû faire un signalement au procureur après qu’une jeune mineure lui a révélé avoir été violée. La moitié des jeunes filles accueillies au MicroLycée ont été victimes d’agressions sexuelles.

Quatrième jour

9h. Le proviseur du lycée Rostand est venu discuter avec l’équipe du cas de Myriam. C’est lui qui devra prononcer la radiation de l’élève. «Alors on fait quoi? », interroge Christos. «Je cherche, répond Patrice. Moi je m’interroge sur ce qui est le mieux pour cette jeune fille et pour tous les autres.» Ce matin, un élève est arrivé en kilt au lycée, sa réponse aux insultes homophobes de Myriam.

Véro anime une heure d’éveil en français. Ils sont quatre en début de cours, six une demi-heure après et termineront à onze. La prof a préparé une séance sur les commémorations du 13 novembre 2015.
Est-ce que cette date vous évoque quelque chose? Vous aviez quel âge à l’époque?
Elle présente le Mémorial virtuel du Monde: un kaléidoscope des photos des victimes et leurs portraits écrits à partir des témoignages de leurs proches. Les élèves choisissent un personnage et racontent son histoire.
Pourquoi sont-ils une cible?, demande la prof.
Parce que les terroristes veulent interdire qu’on profite de la vie, répond un élève.

10h. Elodie a retrouvé le sourire. Cette nuit, à l’internat, elle a réussi à dormir. «J’ai moins peur. Je m’entends bien avec ceux de ma classe. Chacun d’entre nous a vécu quelque chose qui fait qu’il en est là aujourd’hui. On n’a pas besoin de mots pour se comprendre.»

Assis à son bureau, Patrice écrit quelques notes pour le rendez-vous du soir avec les parents de Myriam. Il dresse la liste des impossibilités. Est-ce que Myriam peut rester dans sa classe? Est-ce que Myriam peut rester au MicroLycée ? Est-ce que Myriam peut travailler par elle-même? «Le projet bac n’est plus pertinent, conclut Patrice. On est dans l’impossibilité de la garder dans un collectif.»
Ça questionne le projet, l’interpelle Véro.
On n’y arrivera pas avec tous.

Photographie Virginie Meigné

«Elle a fait le tour du monde et a coulé le bateau en arrivant au port.»

«On peut pas faire du 100%, commente Patrice. On a 45 casseroles qui bouillonnent et peuvent déborder à n’importe quel moment.» Louis passe la tête dans l’entrebâillement de la porte. «Patrice, tu peux nous aider en éco?» Il prépare le bac avec une amie. Les deux font la paire, inséparables. Pour le meilleur et pour le pire. Un jour, ils ont parlé d’un suicide en commun. «J’ai prévenu les toubibs, les éducateurs, se souvient Patrice. J’avais deux solutions: appeler les pompiers et c’est l’explosion au lycée ou les laisser repartir. J’ai toujours dit aux collègues qu’un jour on pourrait avoir un gros pépin. Si on ne veut pas se confronter à ça, on n’est pas là

La première année, le MicroLycée a recruté trois jeunes qui sont passés très vite en année supérieure. Deux ont eu leur bac l’an dernier. Une s’est arrêtée en décembre. «J’ai passé des dizaines d’heures à discuter avec elle, raconte Patrice. Elle a tout détruit. Elle a fait le tour du monde et en arrivant au port, elle a coulé le bateau. Elle aurait eu son bac, mais elle était envahie de trop de pensées destructrices, face auxquelles on était impuissants.» Blanche est la première à avoir eu son bac. «Elle a éclairé sa classe de terminale. Elle travaillait déjà dans une boîte en alternance qui l’a recrutée. Aujourd’hui, on lui propose un CDI. Elle est venue nous demander l’autorisation d’arrêter ses études! Ça, c’est une belle histoire.» Le second à avoir décroché le bac, c’est Emmanuel. En arrivant, au bout de deux mois, il voulait tout arrêter. Patrice l’a relevé une fois, deux fois, trois fois. Il lui disait: «on se revoit quand tu veux arrêter et je te dirai non».
«Le plus souvent, notre boulot consiste à tenir bon, être patient et peut-être qu’à un moment, l’opportunité de travail sera là

Photographie Virginie Meigné

Midi. Véro a un rendez-vous de tutorat avec une élève de terminale. Elle vit chez sa mère, qui lui a annoncé hier soir qu’elle arrêtait de travailler pour repasser le bac. La dernière fois, elle voulait monter un salon de coiffure.
Ma mère change de projet tout le temps.
Tu lui en veux?
Ce qui me dérange le plus, c’est qu’il faudrait qu’elle arrive à se poser.
Et toi?
Moi ça va.
T’as mis du temps à être stable toi aussi?
Oui, mais moi j’ai personne à charge. Je veux dire, pas d’enfant.
Tu as très bien progressé, quel bilan tu fais de ton parcours?
Je suis contente. Il y a des hauts et des bas, mais c’est la vie. J’ai 10,5 de moyenne.
Super, on a le bac avec ça. Tu es en progression constante. Tu t’es projetée sur la suite?
Je veux continuer mes études.
Dans l’enseignement supérieur, tu es davantage livrée à toi-même. Il faudra qu’on règle cette histoire de logement. Tu ne pourras pas gérer ta maman et toi. Tu ne dois pas avoir le sentiment de l’abandonner. Et au niveau des relations dans ta classe?
Je parle pas à grand monde, j’aime bien être tranquille. J’ai envie d’être sérieuse, d’avoir un bon bulletin. Pour une fois dans ma vie, avoir de bonnes appréciations.

Photographie Virginie Meigné

13h. Rendez-vous de tutorat entre Véro et Fanny. La jeune fille souffre de troubles alimentaires. Après l’été, elle avait perdu trop de kilos pour être en capacité de réintégrer le MicroLycée. De retour depuis quelques jours, elle bénéficie d’un emploi du temps aménagé qui tient compte de son état de santé. Elle vit en foyer de jeunes travailleurs.
Ça te convient ton emploi du temps?
Quand je commence à 8 h, c’est très compliqué. En fin de matinée je m’écroule.
Tu as de bons résultats, ça te rassure?
Beaucoup. Je ne pense plus aux notes. Se donner à fond, c’est ce qui compte.
Et ton rapport à la nourriture?
Ça reste pas évident. Mais hier soir, en plus de la soupe, j’ai mangé une portion de fromage et une petite boite de pois carottes. Je n’ai pris que la moitié d’un anxiolytique et du moins fort. J’adore venir ici et ça m’aide à manger.
Pour que tu puisses venir, il faut que tu mettes du carburant dans la machine.
J’ai envie d’essayer le self la semaine prochaine, avec le groupe qui y va. Je les apprécie beaucoup.

Fanny peut toucher le RSA pendant deux ans. «Théoriquement, ce n’est pas compatible avec le lycée, mais on a fait une demande dérogatoire, explique Véro. Elle n’a pas d’autres ressources pour payer le foyer où elle vit. On essaie de trouver des solutions. Avec sa psy, on a fait le pari du retour à l’école: ou elle chute et c’est l’hospitalisation, ou ça se réenclenche. Rien n’est jamais gagné. Fanny, je l’adore. Elle a le chic pour faire sortir les gens de leur posture professionnelle. Je ne comprends pas comment on a laissé cette gamine si longtemps dans cette situation. Elle n’a jamais eu de câlins, ne savait même pas que les anniversaires se fêtent. Est-ce qu’elle peut avoir une seconde chance? On n’y croyait pas et c’est l’une des meilleures élèves

Photographie Virginie Meigné

Cinquième jour

10h. Une avocate est venue animer une séance avec les ML1 qui devront bientôt être jurés lors des plaidoiries de leurs collègues de deuxième année. Patrice a choisi de leur montrer un reportage sur les coulisses du procès de Carmen Bois, une jeune femme accusée d’avoir tué son père maltraitant. Elle ne nie pas le meurtre, mais est-elle coupable d’avoir donné intentionnellement la mort? Chacun donne son avis, prend le temps d’écouter les autres.
Elle n’a eu que très peu d’éducation. Son père était au dessus de tout le monde, elle ne mérite pas d’aller en prison.
Elle a fait le geste.
Elle a frappé pour se défendre.
L’avocate les accompagne: «Votre avis est propre à votre histoire aussi. Les jurés tranchent dans leur intime conviction. Votre avis est légitime et subjectif.»
Elle n’avait pas l’intention, pourquoi la condamner? Elle ne va pas ressortir pour tuer d’autres gens!
Elle a tué.
«En prison, votre vie s’arrête, ajoute l’avocate. À 23 ans, ce n’est pas anodin. Juger c’est faire un choix et ça a forcément un impact sur la vie des gens
Fin du vote. La majorité des élèves jugent que Carmen n’a pas agi avec l’intention de tuer son père. Patrice est content. La séance est très positive. Les élèves se sont exprimés.

13h. Fanny est venue s’allonger sur le canapé de la salle commune. À la mi journée, la frêle jeune fille n’a plus la force de tenir assise en classe.

14h. Cet après-midi, c’est un temps d’échange sur l’évaluation de première période des ML1. Il n’y a pas de notes. L’objectif est de faire le point avec chacun des élèves sur ses réussites et ses difficultés. Des compétences transversales sont évaluées : «mémoriser et réinvestir», «communiquer» «analyser, organiser son propos», «être capable de suivre un parcours de lycéen». Les élèves passent à tour de rôle devant les professeurs réunis dans la grande salle Picasso.

Ecoutez des extraits :

«Viens en retard, un jour sur deux, mais viens!»

Charly entre.
On est très content que tu sois là. Ce qui nous inquiète, c’est ton taux de présence, 38 %.
Je pensais pas que ce serait si compliqué de reprendre. Il faut que je me fasse violence. Ce qui est dur, c’est de sortir tous les jours. J’ai vécu enfermé longtemps.
Comment on peut t’aider? On va y aller jour après jour. Chaque fois que tu n’es pas là, ça nous embête, mais on t’accueillera toujours. À chaque nouveau cours, c’est une nouvelle opportunité de venir. On ne te reprochera jamais ton absence. Il faut que tu dépasses ta peur de venir. Viens, en retard, un jour sur deux, mais viens!

Claire entre.
Ça va pas très bien…
Tu n’as pas envie de venir, nous sommes perplexes sur ton projet. Nous, on peut te donner des repères. Mais arriver à 14h30 pour aller fumer dehors avec les copains, c’est n’importe quoi. On n’est pas un lieu pour s’amuser et voir les copains seulement. On peut tout accepter dans un objectif de travail. On veut retrouver une élève, on ne l’a plus. Il n’y a plus d’autres possibilités Claire.
Elle repart les larmes aux yeux. Son tuteur l’accompagne. «Ça va pas bien, ses mains tremblent. Elle prend des trucs.»

Simon entre.
– Bravo pour ton assiduité et ta bonne humeur. T’es un gars sympa. C’est pas une compétence, c’est une qualité. T’es plein de qualités, si tu travailles, ça va marcher.
C’est un peu rouillé.
Ne lâche rien, on progresse toujours quand on travaille.

Mathieu entre.
Je suis entre deux mondes, c’est mon psy qui me l’a dit.
Bon élève ou les conneries avec les potes, t’as pas encore choisi. Le déclic, le seul qui le possède, c’est toi.
J’ai honte d’être un bon élève devant mes potes déscos (déscolarisés, ndlr).

17h30. Patrice va rencontrer les parents de Myriam. Le reste de l’équipe se réunit.

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On tient le lieu et on attend

Publié le 26 janvier 2021

10h. Adeline, la prof d’anglais, a rendez-vous avec l’éducatrice d’une élève. L’éduc est arrivée, mais pas l’élève. Personne ne sait où elle est.

Sixième jour

– «Elle ne parle ni à la psy ni à nous. On ne peut pas l’aider si elle ne veut pas», fait remarquer Adeline.
Son absence aujourd’hui n’est pas un hasard: elle ne veut pas qu’on s’occupe de ses affaires. Elle est en foyer depuis deux semaines. Elle a réglé la question du logement et elle se rend compte que le problème reste entier, répond Patrice. Elle a peut-être besoin d’aller gratter un traumatisme. Le jour où elle aura fait ça, on sera là pour l’accompagner dans sa scolarité.
Elle est fuyante.
– Personne n’a jamais rien obtenu d’elle. Elle cherche tout pour ne pas se faire aider. La seule chose qu’on peut faire, c’est lui dire qu’on sera là, on ne lâchera pas. On tient le lieu et on attend.

Echange de textos avec un élèvede terminale :
Jeudi
L. Salut Patrice, désolé, j’avais complètement zappé notre RV. On peut faire ça demain?
P. Non aucun créneau dispo. RV lundi à 9h50 pour aller en cours ensuite à 10h20.
L. D’accord à lundi.
Lundi, 11h
P. Seras-tu présent aux cours cet après-midi?
L. Oui.
P. Passe au ML avant.
L. Je sais pas si j’aurai le temps, au cas où, je passerai après 17h si tu es toujours là.
P. OK essaie avant.
Lundi, 17h.
P. Passe me voir si tu veux.
Mardi
L.Je passerai demain, je suis rentré Patrice.

«L’intégration au groupe, ça marche pas avec lui. Il veut passer le bac, sans aller en cours, explique Patrice. Qu’est-ce qu’on peut faire pour lui? Une préparation particulière? Le coacher à distance? On s’était dit qu’il fallait qu’on les suive en terminale.
Sera-t-il capable de faire le travail sur le long terme? Il va nous poser des lapins, prédit Adeline.
Ce qui m’inquiète, c’est sa vie à côté, dans quelle merde il s’est foutu.
– Il est fermé, il ne veut rien dire.
– Il ne peut pas. Est-ce que c’est une bonne raison pour le laisser tomber? Où il est, qu’est ce qu’il fait tout de suite à cette heure-là, je ne sais pas. Il a des impératifs autres qui l’empêchent d’être à l’école.

« Redresser les corps. »

13h. Fred, le professeur de sport est arrivé. Il enseigne au lycée professionnel de Dives-sur-mer et quatre heures par semaine au MicroLycée. Avec Patrice, «ça a matché aussitôt. On parlait le même langage.» Il a 51 ans. Il a passé deux fois le bac philo, a fait Staps à la fac «surtout comme organisateur de soirée», a été objecteur de conscience à la Ligue de l’Enseignement puis prof de sport en lycée pro. Le MicroLycée est sa «bouffée d’air». «Intellectuellement, je cultive mon jardin personnel

Les jeunes ont un rapport au corps compliqué, une estime de soi faible. «Ils arrivent courbés, la tête basse; le but est qu’ils se redressent progressivement. Je n’ai pas vécu ce qu’ils ont vécu, mais j’arrive progressivement à construire quelque chose avec eux. » Pour rejoindre le gymnase, il faut traverser le lycée Rostand. «Ça me donne le temps de humer l’ambiance, voir à qui je devrais être attentif durant la séance.» La plupart arrivent en tenue de sport pour éviter le passage au vestiaire, souvenir souvent traumatique. Ils sont huit aujourd’hui sur les terrains de badminton. Impossible de se planquer. Fred lance l’exercice, montre les gestes, rectifie une position, redresse les corps. «Prof, il faut être sévère, pédagogue, démago, joueur… tout utiliser, ne pas rester sur la même posture».

Luna annonce fièrement à Fred qu’elle a gagné son match. Lorsqu’elle est arrivée au MicroLycée, elle dissimulait son corps sous des t-shirt amples. Aujourd’hui, elle porte un mini-short et exhibe ses tatouages. Marie retrouve les réflexes de la sportive qu’elle était avant de décrocher. Sujette aux crises de boulimie, elle essaie de perdre du poids. Sur le terrain de sport, elle semble s’épanouir. Le lendemain pourtant, elle replongera. Trois jours d’arrêt de son médecin. Marie se bat.

17h30. Réunion d’équipe. Deux élèves sont venus présenter un projet autour d’Harry Potter. Ils proposent de répartir les élèves du lycée par maisons, comme dans la série littéraire. Chaque maison gagne des points en fonction de la participation à la vie collective, de l’assiduité et des résultats scolaires des «habitants». Les professeurs saluent l’initiative et l’esprit collectif du projet, mais refusent que le scolaire devienne un enjeu de compétition. «On va retravailler le projet et garder les points positifs.» Les deux élèves quittent la réunion.

Curieusement, la discussion glisse sur les pronostics de réussite des élèves. Dix pourraient avoir le bac cette année, sur les quinze inscrits. Plus de 60%. « La statistique ne veut pas dire grand-chose, nuance Patrice. Je la connais déjà: un tiers de jeunes qui auront le bac sans problème, un tiers en équilibre fragile, pour qui on n’en sait rien et un tiers qui décrocheront. Il y aura des années à 70%, où on se dira qu’on est les meilleurs, et des années à 50% où on doutera du projet. Ne rien lâcher, c’est ma conviction personnelle. Ce qui n’est pas possible aujourd’hui peut l’être demain.» Christos rappelle «la jurisprudence Emmanuel» : personne ne croyait plus en lui et il a eu son bac.

Septième jour

9h. Dans la salle commune, Adeline, la prof d’anglais, motive les troupes pour ranger la vaisselle de la veille. Elle doit s’y prendre à trois reprises, mais finit par être entendue. La corvée devient vite un jeu. Dans un coin de la pièce, un jeune baisse la tête. «Il y a eu un clash hier», commente Patrice, avant de rejoindre sa salle de classe.

Ce matin, avec Christos, ils animent une séance de géopolitique avec les ML2, sur la démocratie et la dictature. Les élèves présentent à tour de rôle sur le tableau numérique les cas qu’ils ont étudiés. Patrice jette un coup d’oeil dans la salle d’à côté, où les premières années font leurs devoirs en autonomie. Simon a décidé de motiver tout le monde pour préparer le contrôle de math. Patrice sourit: «Tout le monde est au travail. Il a fallu une demi-heure pour en arriver là et il reste dix minutes…»

À la fin du cours, Patrice et Christos retiennent les trois jeunes concernés par l’incident de la veille. Un élève a parlé de «cassos» à propos de deux de ses camarades. Les propos leur ont été rapportés et les ont mis à cran. Une altercation a eu lieu, qu’une élève s’est empressée de filmer avec son portable. Ce matin, des élèves s’échangeaient les images. Le premier s’excuse pour ses propos «inappropriés». «Je n’ai pas à dire ça», reconnaît-il. Le second enchaîne: «C’est dur pour mon ego, mais je m’excuse aussi». Le troisième reste muet. «Vous vous êtes embrouillés, ça arrive, conclut Patrice. Mettez votre énergie ailleurs! Est-ce que vous avez appris quelque chose de tout ça?»

10h20. En salle des profs, Patrice raconte l’entrevue avec les parents de Myriam. «Ils sont à bout. Ils ont accepté de faire une croix sur le bac. J’ai pris rendez-vous avec la mission locale pour Myriam. On a été au bout de ce qu’on pouvait faire. Il fallait accompagner la maman.»

11h. Manu vient prévenir qu’il est arrivé. Problème de réveil, de bus. Patrice l’interrompt: «Est-ce que tu vas bien? Tu ne te décourages pas?» «Non!» répond le jeune, pressé de rejoindre sa classe.

Midi. Pause sandwich.
David avait commencé un bac pro cuisine. Il s’est arrêté en cours de route, à court de motivation. Il n’a rien fait pendant un an. La mission de lutte contre le décrochage l’a orienté ici. Il y a trouvé une «micro famille». Luna a enchaîné une seconde commerce, une seconde PAO et trois mois en maison familiale rurale. À 18 ans, sa mère la met dehors. Dépression, foyer d’urgence. Elle fait l’école d’aide soignante et travaille pendant dix mois, avant de replonger. Au sortir de la crise, elle veut reprendre les études. En arrivant au MicroLycée, elle passe très vite en deuxième année. «Ça m’avait manqué d’apprendre des trucs. Je vise le master psycho ou philo.»

Sébastien a 25 ans. Il a arrêté l’école pendant cinq ans, en première. Il a travaillé en intérim comme livreur, transporteur, serveur chez McDo. Quelques stages en vente aussi qui lui ont plu. «Je me suis dit que c’était une connerie d’avoir arrêté. Je me suis inscrit il y a trois ans, j’ai refait tout le parcours, de la seconde à la terminale. Je veux décrocher mon bac et poursuivre en BTS vente. Je suis revenu vivre chez mes parents. Ils me soutiennent. Ma mère me dit que j’ai de la chance de pouvoir envisager un autre avenir.Le plus dur dans la reprise, c’est de redevenir dépendant. »

«Ici, on n’est pas anonyme. Quand il y a des moments compliqués, on peut le dire

14h. Arnaud, enseignant détaché par l’Education nationale à la Maison des Adolescents de Caen, arrive avec une jeune fille déscolarisée depuis plusieurs mois. Ils sont devant l’entrée depuis de longues minutes déjà. Le temps de la convaincre de franchir la porte. Elle entre, intimidée, traverse tremblante le couloir où les profs du lycée Rostand font cours toutes portes ouvertes à cause du protocole sanitaire. La scène lui rappelle de mauvais souvenirs. «Elle a peur de revenir au lycée», traduit Arnaud. «Ici, on ne fonctionne pas comme dans cette classe où le prof parle fort à des élèves qui restent figés au fond de la pièce, tente de la rassurer Patrice. Ici, on accueille d’autres élèves qui sont tous passés par cette case-là, à ne plus oser franchir la porte. Ici, on n’est pas anonyme. Quand il y a des moments compliqués, on peut le dire
«Elle a peur d’être trop âgée, de ne plus savoir comment apprendre », continue l’éducateur. «On est dix par classe. Poser des questions, c’est facile. Tous les lundis après-midi, on fait les devoirs ensemble. On a des temps d’ateliers pour apprendre différemment. Si tout va bien, à 20 ans, t’as le bac; à 22 ans, tu passes un BTS; à 23 ans, tu bosses. Tu crois que tu seras vieille?» La jeune fille sourit. «Si tu nous dis que tu as envie de venir, nous on voit ce qu’on peut faire pour toi et après, on le fait ensemble », conclut Patrice en la raccompagnant. La semaine suivante, la jeune fille sera intégrée au MicroLycée.

16h. C’est le «speed dating», moment de retour sur l’évaluation des ML2. Sept tables sont installées en cercle. À chaque table, un professeur et un élève. Ils ont quatre minutes chrono pour discuter. Puis ça tourne. Dans la salle de classe, les voix entremêlées créent un curieux brouhaha.

Huitième jour

9h. Peu de ML1 ce matin. Patrice est soucieux. «On en a trois ou quatre dans le dur. On est en phase d’éloignement. J’aime pas la couleur que ça prend. Ils nous provoquent, nous testent. Ils reproduisent ici ce qui se passe à la maison ou ce qui s’est passé au lycée: la recherche du conflit.» La consommation de drogue biaise la relation. «On est coincés et j’aime pas être coincé. Le discours moralisateur, ça sert à rien. La confiance ne prend pas pour le moment, donc c’est désarmant. Tout peut déraper du jour au lendemain
«C’est jamais gagné, mais c’est jamais perdu!», lui rappelle Adeline. Patrice sourit: « Il y aura toujours l’un d’entre nous pour dire on essaie encore

11h. Véro déboule dans le bureau avec Mathias. Il est arrivé au milieu de son cours qu’il n’a cessé de perturber. «Je voudrais que tu cogites un peu», s’agace-t-elle. Christos prend le relais. « Tu viens pour la récré ici? Ta place n’est pas pérenne. Il faut que tu te poses la question: tu fais quoi ici? Et quand on part d’ici, on ne retrouve pas un autre établissement.
– «Je sais», répond Mathias, le visage dissimulé derrière ses cheveux.
T’es venu pour quoi ici?
– Pour suivre des cours.
– Ça fait une semaine qu’on te redit la même chose, t’es explosé du matin au soir.
– Mouais, un peu.
– Arrête ta drogue, tu te détruis. Tu te flingues ta journée, le cerveau. Au final tu vas te retrouver expulsé et alors tu feras quoi? J’en parle à ta mère?
– Non, tranquille, elle va s’inquiéter.
– On n’est pas là pour te servir d’alibi. Arrête de te mentir, ce n’est pas de la petite consommation et tu vas manquer d’argent.
Patrice arrive: Est-ce que pour toi c’est un problème?
– Oui
– Si t’as conscience que c’est un problème, il va falloir trouver des solutions. C’est très bien que tu aies pu le sortir, parce que ça veut dire qu’on va être vigilant là-dessus, parce qu’on veut t’aider. Tu es important pour nous. On va pas appeler maman, mais un jour ce sera une bonne idée de lui dire et tu peux compter sur nous pour t’aider à lui dire et trouver des solutions. Une solution, c’est peut-être de t’accrocher à tes études. Tu fais les bons choix: être avec nous ce midi et en parler. On va t’accompagner si, toi, tu as envie d’être accompagné. On tient à toi. Je suis persuadé que tu as quelque chose à faire à l’école.

« Tu finis par te demander toi-même pourquoi tu ne viens pas: j’aime les profs, j’aime les cours. Pourquoi je ne raccrocherais pas?»

La salle commune s’est vidée. Les trois amis de terminale ont repris possession des lieux. Le protocole sanitaire instauré à Rostand les oblige à suivre les cours à distance une semaine sur deux. Les semaines en distanciel, ils reviennent à la maison: le MicroLycée.

À 24 et 25 ans, Esteban et Sébastien sont les plus âgés, mais aussi les premiers de leur classe. «On a été bien préparés. L’équipe du ML fait du bon taf. Ils jouent sur tous les terrains: la pédagogie, la psychologie. Toujours à fond et toujours disponibles.» Esteban avait cessé de fréquenter le lycée. «Je fumais, je faisais la fête. J’ai décroché et je me suis mis à bosser sur des chantiers, en centre d’appels. Je croyais le bac définitivement enterré. Et le ML s’est présenté à moi. C’est là que j’ai raccroché, grâce aux profs. En arrivant, je ne faisais plus confiance à personne. Ils ont réussi à canaliser ma colère
«Au début, tu loupes des cours, tu décroches, poursuit Sébastien. Ils t’appellent tous les jours, sans t’engueuler, juste pour savoir comment ça va. Tu finis par te demander toi-même pourquoi tu ne viens pas: j’aime les profs, j’aime les cours. Pourquoi je ne raccrocherais pas?»

«Ce qu’on cherche tous, c’est à être écoutés, pas jugés», estime Violette. Elle a décroché à 16 ans en seconde pro de services à la personne. Elle avait atterri là, parce que le reste «n’était pas fait pour moi». Elle rêvait de faire des études, «mais pour moi, c’était fichu». Le MicroLycée l’a rattrapée in extremis. «Mon projet professionnel, c’est pas rien: je veux faire du droit. J’ai soif de justice. Je donnerai tout ce que je peux pour essayer de faire changer les choses et laisser ma trace.» Ils ont tous les trois traversé des coups de mou dans leur vie personnelle, certains plus durs que d’autres. «À chaque fois, les profs étaient là, bienveillants, poursuit l’adolescente. Reviens quand tu peux. On t’attend.Sans leurs appels, j’aurais lâché, même avec mon super projet

Il y a aussi les copains. «Au début, on ne veut côtoyer personne, ne pas se faire d’amis ici, reprend Esteban. On se rend compte qu’on a un vécu, des pensées similaires. Ça fait un point commun. En terminale classique, ils ne comprennent pas ça. Les difficultés de la vie, ça forge le caractère. Forcément, on est plus matures.» En première année, ils avaient constitué un groupe soudé. Certains ont pourtant abandonné. «Ils ont eu la même chance que nous, mais ils n’ont pas su ou pas pu la prendre, persuadés de ne pas être aimés.»

Les trois amis sortent livres et cahiers et se mettent au travail. Ils ont leur avenir entre leurs mains.

Pour aller plus loin: La Revue dessinée n°16, «Repris de justesse» sur les élèves du micro-lycée de Vitry-sur-Seine dans le Val-de-Marne, par Amélie Mougey et Gaëlle Hersent.

Le making-off

Pour réaliser ce reportage, j’ai eu la chance d’être accueillie pendant huit jours au MicroLycée de Caen dans le cadre du dispositif jumelage-résidences d’artistes (DRAC Normandie, Rectorat de Caen), en partenariat avec le théâtre de La Renaissance à Mondeville. J’ai pu suivre le quotidien de cette structure scolaire expérimentale, participer aux différents temps de cours et d’échanges. Pour respecter les histoires qui m’ont été confiées, j’ai changé les prénoms de tous les élèves. Le projet se poursuit avec des ateliers de journalisme au MicroLycée.

Marylène Carre

Journaliste et auteure née en 1976. Travaille pour la presse régionale et nationale, explore les nouveaux médias, le documentaire sonore et le film documentaire, anime des ateliers médias et des résidences de journalisme. 

Virginie Meigné

Virginie Meigné capte le mouvement artistique et restitue l’ambiance live avec son regard propre. Elle parvient à transmettre l’éventail de couleurs qui baigne l’image. Sa collaboration avec plusieurs compagnies de danse et de théâtre lui a permis de diversifier ses approches. Dans ses reportages sociétaux, elle se place à même hauteur que le sujet. Jamais une image « prise d’en haut ».
https://www.virginiemeignephotographe.com/

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