Etudiants : écolos mais fauchés

Publié le 31 décembre 2023

Face à l’escalade de la crise écologique, les étudiants jonglent avec un défi de taille : concilier la nécessité d’une consommation éthique avec les réalités d’un budget serré. En France, 20% des étudiants vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Cette enquête explore le fossé entre les ambitions vertes et les contraintes financières des étudiants.

Par Marylou Pautrat Chereau & Adeline Brard, étudiantes en L3 Humanités numériques de l’Université de Caen Normandie.

Révélant les nuances de leur engagement, notre étude, enrichie par une analyse détaillée des habitudes de 65 étudiants répartis sur l’ensemble du territoire français ainsi que par des discussions approfondies avec sept d’entre eux, dresse le portrait d’une génération souhaitant harmoniser conviction écologique et contrainte économique.

“Si je le pouvais, j’achèterais du bio.” – Lucie

Aujourd’hui, 60% des étudiants autonomes financièrement se perçoivent comme des consommateurs éthiques, attentifs aux procédés de fabrication des biens qu’ils consomment. Cependant, le coût plus élevé de ces produits éco-responsables est souvent pointé du doigt.

Cette différence du prix du bio est justifiée par un mode de production nécessitant plus de main d’œuvre et créant des rendements plus faibles. Estelle, étudiante en licence Sciences de la Vie, partage une perception largement répandue parmi ses pairs : celle que “le bio est plus cher” affirme-t-elle. Il en va de même pour Ilan, étudiant en licence LLCER franco-allemand, qui explique qu’il achètera davantage de produits éco-responsables “quand j’aurai plus les moyens”.
La consommation consciente et éthique ne s’avère donc pas simplement une affaire de choix, mais aussi de moyens.

Néanmoins, l’intérêt pour une consommation réfléchie reste vif chez ces jeunes adultes : Aurore, étudiante en école d’art, nuance : « Je ne peux pas me permettre d’acheter du bio. Par contre, j’achète les produits les plus sains possibles dont des produits provenant de ma région avec des ingrédients respectueux de l’environnement ». Cette citation témoigne d’une volonté de faire des choix plus durables, tout en jonglant avec les restrictions budgétaires inhérentes à la condition étudiante.

“C’est toute sa consommation qu’il faut revoir.” – Aurore

Cette conscience écologique qui guide les choix de consommation se reflète également dans le secteur de la mode, où l’industrie de la mode rapide est désormais remise en question par la jeune génération. Entre 2000 et 2014, l’engouement pour la fast fashion que les environnementalistes appellent “l’industrie de la mode jetable”, a enregistré une hausse de plus de 60% en Occident, engendrant une empreinte carbone estimée à 1,2 milliard de tonnes de CO2 et pesant lourdement sur les émissions globales de gaz à effet de serre.

Cependant, face à cette expansion, nos recherches révèlent un virage chez les étudiants vers des choix plus éthiques, privilégiant une consommation de mode plus consciente, marquée par un attrait pour les achats de seconde main et les friperies. On appelle ce mode de consommation la slow fashion, une approche durable et attentive aux conséquences sociales et environnementales, qui est contraire aux idéaux de la fast fashion.

Parmi eux, 15,6% s’engagent à acheter exclusivement des vêtements de seconde main, tandis que 62,5% y recourent régulièrement. Pour des étudiants comme Aurore, la raison est économique : ”Je n’achète presque rien au-dessus de 10 euros”, une déclaration qui met en relief les contraintes budgétaires des jeunes adultes. Estelle, elle, évoque un choix motivé par la lutte contre la surconsommation, un comportement pertinent quand on considère que 60% des Français ont des vêtements qu’ils ne portent jamais et qu’un vêtement sur deux est jeté dans l’année qui suit son achat: “J’achète très peu de vêtements et si j’en achète, je m’assure de les porter”.
Ces comportements témoignent d’une évolution vers un mode de consommation plus durable, qui pourrait bien façonner l’avenir de la mode.

Ilan et Estelle, deux étudiants de l’Université de Caen.

“Le tri n’est pas qu’un geste, c’est un engagement
pour l’avenir.” – Ilan

Toutefois, l’engagement ne s’arrête pas à la consommation de produits éco-responsables : il s’étend aux pratiques quotidiennes telles que le recyclage, où les habitudes varient grandement parmi les étudiants. Le recyclage des déchets, qui est essentiel au développement durable en préservant les ressources planétaires et limitant la pollution, n’est pas encore une pratique universelle.
Introduit en France en 1992, il est aujourd’hui adopté par environ 55% des étudiants, tandis qu’environ 47% ne s’y adonnent pas régulièrement. Les raisons varient : pour certains, comme Océane, en Master MEEF, c’est une question de convenance : « J’avais la flemme. Du coup, je mettais le verre dans la poubelle jaune consacrée aux papiers et aux emballages. » Pour d’autres, l’obstacle est logistique. Estelle admet : « Je ne sais pas trop comment ça fonctionne dans mon immeuble, donc je ne recycle pas vraiment. »

D’autre part, même si certains étudiants bénéficient d’un composteur qui réduit le volume des déchets ménagers résidentiels et génère un compost réutilisable localement, tous n’ont pas accès à cette option. « J’aimerais avoir un compost, » confie Aurore, soulignant un intérêt pour cette alternative écologique. Le compostage, qui permet de transformer les déchets alimentaires en matière organique grâce à l’action des microbes, reste une voie prometteuse pour réduire l’impact environnemental des déchets domestiques.

“J’essaye d’être flexitarien […] quand je prends conscience
de mon impact écologique.”– Lau

Parallèlement à la gestion des déchets, le choix de l’alimentation représente une autre facette de l’éco-responsabilité étudiante, avec des décisions reflétant une prise de conscience profonde des enjeux environnementaux. Depuis plusieurs années, on remarque une prise de conscience croissante quant à l’origine et la qualité des aliments, qui mène à une évolution de nos habitudes alimentaires.

Répondant à des valeurs éthiques et environnementales émergentes, de nouveaux régimes alimentaires gagnent du terrain dans notre société. Les étudiants, jeunes acteurs de cette dernière et souvent à l’avant-garde de ces évolutions, adoptent et façonnent ces nouveaux modes de consommation.L’attention se dirige vers des régimes limitant les produits d’origine animale, donnant lieu à des pratiques telles que le végétarisme, qui omet viande et poisson, et le véganisme, qui renonce à tous les produits issus d’animaux. Si le véganisme reste moins répandu, le végétarisme, quant à lui, s’intègre progressivement dans les mœurs. Toutefois, une portion significative de la jeunesse, représentant 40,6%, préfère manger “de tout”. Parmi les 39% qui restreignent certaines de leurs consommations, plus de 8 personnes sur 10 ont fait le choix de devenir végétarien à l’instar de Lucie, étudiante en école de cinéma. D’autres ont choisi d’être flexitarien, une approche alimentaire qui se situe entre un régime omnivore et un régime végétarien. “J’essaie d’être flexitarien, de consommer moins de viande, déjà car ça me dégoûte de plus en plus, mais surtout car je prends conscience de mon impact écologique et des atrocités des abattoirs” partage Lau, étudiant en école d’art et flexitarien.

“L’avion émet une émission de CO2 de 250 voitures environ.”
Océane

Au-delà de l’alimentation, les comportements de mobilité des étudiants révèlent aussi leur volonté de minimiser leur empreinte carbone, comme le démontre leur utilisation des transports en commun et leurs efforts pour une mobilité plus verte.

L’intégration croissante des transports en commun dans le quotidien est une tendance qui s’affirme, avec un réseau qui s’étend de 1% à 2% annuellement depuis 2014. Les étudiants, fréquemment dépourvus de véhicules personnels et résidant souvent en centre-ville, constituent une part significative de la clientèle. En effet, plus de la moitié d’entre eux privilégient régulièrement les transports publics, 46% optent pour la marche et 35% se déplacent en voiture, qu’ils conduisent seuls ou à plusieurs. “Selon moi, il est essentiel de privilégier les transports en commun” explique Olivier, étudiant en licence Informatique.
L’attrait pour les moyens de transports collectifs est, certes, une question de commodité, comme le souligne Ilan : « C’est plus commode, pratique », mais s’inscrit également dans une démarche respectueuse de l’environnement. « Je prends les transports en commun tous les jours pour consommer moins d’essence », explique Lau.

Par ailleurs, certains étudiants vont plus loin dans leur engagement écologique en réduisant leur recours même aux transports en commun, préférant la marche ou le vélo. « Je fais tout à pied, j’utilise le moins possible les transports en commun et privilégie le vélo », témoigne Aurore. Estelle ajoute que cela est “plus écologique, surtout pour les petits trajets”.

Cette conscience écologique se manifeste aussi dans les choix de mobilité à longue distance, comme l’illustre le cas de Lucie qui déclare : « Je ne prends jamais l’avion ». Ces comportements témoignent de l’importance croissante accordée par la jeunesse à la mobilité durable et à la réduction de l’empreinte carbone.

Le tramway de Caen marque un arrêt directement devant l’Université.

“Nous vivons trop dans le confort sans vraiment chercher à changer nos habitudes de vie. Il faut sensibiliser les gens à leur impact” – Aurore

Que ce soit par la consommation d’aliments biologiques ou végétariens, par le fait de trier ses déchets, par l’utilisation des transports en commun ou encore par l’achat de prêt-à-porter de seconde main, les étudiants sont mobilisés pour diminuer leur empreinte carbone dans la vie de tous les jours. La convergence de ces différents aspects de la vie étudiante illustre une tendance claire : la volonté d’un changement profond en matière de développement durable. Illustrant ce point, bien que la surproduction rapide de vêtements séduit une large part des jeunes, une majorité écrasante de 77% des étudiants se disent prêts à boycotter des marques qui négligent les principes du développement durable, souvent le talon d’Achille de la fast fashion.

De plus, beaucoup d’étudiants appellent à une sensibilisation accrue de la part de notre société. “Nous vivons trop dans le confort sans vraiment chercher à changer nos habitudes de vie. Il faut sensibiliser les gens à leur impact” explique Aurore. Elle suggère également un besoin d’éducation approfondie sur l’environnement : “il faut avoir des prises de conscience plus importantes sur l’environnement. On devrait avoir des cours spécialisés sur l’environnement, sur notre impact écologique et cela, dès le collège.” D’autres, comme Lucie, pensent que de “petites actions, provenant de tous les mondes sont nécessaires” et certains, comme Lau, souhaitent une vie en accord avec leurs principes éthiques : “La solution la plus efficace pour réduire mon empreinte carbone serait d’avoir mon potager et mes poules et de ne consommer que mes légumes, œufs…”.

Cet élan vers une sensibilisation amplifiée et vers des pratiques plus durables de la part des étudiants résonne avec un mouvement plus large en France, où l’on observe une réduction significative de la production de déchets de 9,7 % entre 2018 et 2020. Cette tendance illustre un engagement national accru pour la préservation de l’environnement, marquant un pas vers l’avenir que nous souhaitons tous plus vert et responsable.




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