Des restos et bars de nuit mis à l'épreuve du testing de SOS Racisme

Publié le 25 septembre 2023

Les opérations de testing de SOS Racisme avaient fait un raffut médiatique, l’an dernier. Pour la première fois, cette année, des établissements en Normandie ont aussi été testés pour vérifier qu’il n’y avait pas de pratique discriminatoire.

11h30, ce samedi 22 juillet 2023, je guette l’entrée d’un restaurant de Ouistreham (Calvados) pour SOS-Racisme, l’air de rien, seule, assise sur un banc. Ça me rappelle un stage avec un détective privé, mais c’est une autre histoire. Ici, on ne traque personne, juste les pratiques discriminatoires.


Depuis quelques années, l’association connue pour son slogan « Touche pas à mon pote » mène des campagnes de testing pour relever d’éventuelles discriminations raciales à l’embauche ou au logement. Résultat : en 2022, sur 146 agences immobilières réparties en France, 49% acceptaient de pratiquer une sélection discriminatoire. En 2021, c’était près d’une agence d’intérim sur deux.


« On a constaté que les personnes typées noirs et arabes pouvaient aussi être victimes de discrimination dans leur temps de loisirs », regrettent Anne Guérin, présidente de l’antenne caennaise de SOS-Racisme et Désiré Kalombo, président de l’antenne rouennaise (Seine-Maritime). Les testings d’été, de plages privées, bars, restaurants et boîtes se sont exportés en Normandie pour la première fois cette année. Onze établissements, à Ouistreham et à Deauville, ont ainsi reçu la visite de couples de personnes perçues comme typées blanches, maghrébines et noires. Leur mission ? Se présenter, demander une table et comparer avec le couple blanc comme « couple témoin », comment ils ont été accueillis, observer s’il y a une différence de traitement, et à fortiori, une discrimination raciale.

« Une discrimination, ce n’est pas juste un refus »

Une affaire sérieuse qui peut entraîner un dépôt de plainte. Comme ce fut le cas contre des boîtes de nuit de Bordeaux, Marseille ou encore à Nice. Pour prouver la discrimination raciale, les testeurs doivent donc être irréprochables : « tenue correcte exigée », comportement approprié, politesse sont de mise.


Alors quelques jours avant, Anne Guérin et Désiré Kalombo ont validé les tenues à partir des photos envoyées par leurs testeurs. Avant de partir sur le terrain, une réunion a eu lieu la veille afin que chacun se rencontre et que l’exercice, qui est filmé pour apporter des preuves à la justice, soit clarifié. « Une discrimination, ça n’est pas forcément un refus pur et simple d’accéder à l’établissement. L’an dernier, dans le sud, un videur de boîte de nuit a accepté que l’un des groupes typés entre à condition de prendre une table et une bouteille à un prix exorbitant. De quoi dissuader quiconque ! Tandis que le groupe de ‘blancs’ pouvait rentrer pour moins cher », témoigne Kyra, franco-algérienne et rompue à l’exercice de ces testings estivals. De double culture, son premier prénom, c’est Laura, mais elle aime mieux se faire appeler par son deuxième prénom, Kyra. « Cela m’a déjà causé du tort. Au travail, on m’avait demandé d’utiliser mon premier prénom, Laura, parce que Kyra faisait trop arabe », ajoute la jeune femme.


Amine, lui, est Marocain. Lorsqu’il était étudiant en journalisme au Maroc, il a eu l’occasion d’étudier à l’école de journalisme de Nice, où il a collectionné les méfaits racistes. « Un jour, on m’a dit que mon devoir valait une très bonne note mais qu’on me l’avait descendue à cause de mon accent », raconte, encore choqué, celui qui a travaillé par la suite à la BBC, en Angleterre.
« Je croyais qu’en revenant en France avec mon expérience à la BBC, j’allais trouver du travail plus facilement dans le journalisme, mais le racisme est si ancré ici que j’ai fini par renoncer », analyse celui qui se disait « candide » quant à cette question, avant d’arriver sur le territoire hexagonal. Autant d’expériences qui ont convaincu le jeune homme de prendre un engagement militant et politique, auprès de la France insoumise.

Pendant que les faux couples défilent de restaurants en restaurants, en coulisses, on revisionne les vidéos, échange, planifie les prochains établissements à tester. La journée alterne entre allers et venues et longues attentes.

Vers un dépôt de plainte ?

En tout, ils sont treize testeurs à se relayer dans cette journée marathon. Sitôt un restaurant ou un bar testé, ils enchaînent avec les suivants. De mon côté, je veille au grain, car je suis témoin de moralité. En tant que journaliste, j’incarne une certaine « neutralité » et atteste notamment de la présence des testeurs dans les établissements, ainsi que du bon respect du protocole du testing, en cas de dépôt de plainte.


« Dans ce rôle, on peut aussi observer des élus, par exemple », souligne Anne Guérin. L’ambiance de colonie de vacances et la bonne humeur règnent en maître tout au long de la journée. Chacun se félicite du parcours sans faute des établissements qui avaient pourtant été sélectionnés sur la base d’avis laissés en ligne peu reluisants.

Jusqu’à ce qu’à 21h30, un restaurant, à Deauville, amène une ombre au tableau. Postée à une boutique, en face, je suis aux premières loges pour voir défiler les couples. Il faut dire que la queue est longue et étoffée devant le restaurant bondé situé face à une brasserie tout aussi convoitée. Tous les couples ont en commun de s’être présentés sans réservation. Le premier couple, de type maghrébin, Kyra et Amine, a été refusé, faute de place. Même refus pour le couple « noir », Ségolène et Martin-Charles, et pour le couple « blanc », Fiona et Jérémy qui est passé juste derrière Ségolène et Martin-Charles.

À ceci près que la serveuse les a enjoints du tac au tac à patienter quelques minutes le temps de leur trouver une table. Vidéo à l’appui, on repasse les scènes en boucle. Les autres bars et boîtes de nuit testés par la suite n’ont présenté aucune difficulté. La journée se termine à plus d’une heure du matin. On est tous exténués. Le lendemain matin, on se retrouve, on débriefe. Doit-on porter plainte ou non ? La discrimination est-elle caractérisée ou non ? Dans le doute, on remplit la documentation pendant que les faits sont frais dans nos têtes. Finalement, aucune plainte n’aura été déposée. Au total, 56 établissements auront été testés au Touquet, Ouistreham, Deauville, Nantes, La Baule, Bordeaux, Palavas-les-Flots, La Grande-Motte, Montpellier, Cannes, Juan-les-Pins, Marseille et Aix-en-Provence.

Infos pratiques : A Caen, SOS Racisme Basse-Normandie, organise une permanence juridique pour conseiller et soutenir les témoins ou victimes de racisme dans leur démarche. Tél : 07 66 35 61 23. Page Facebook : SOS Racisme Basse-Normandie.

Contact : A Rouen, mail : sos.racisme76rouen@gmail.com ou via Facebook : SOS Racisme Rouen.

Laura Bayoumy

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