«Vous savez, dans la rue, il n’y a ni chauffage, ni toilettes. Et là je suis tellement bien! » Ainsi commence ma rencontre avec Alexandre, ancien sans domicile fixe, qui habite une tiny house depuis le mois de mars 2020. Alexandre fait partie du projet «Un toit vers l’emploi». L’idée : aider des personnes qui vivent dans la rue à sortir de la précarité en leur permettant de vivre dans des tiny houses et de retrouver un emploi.
Les tinys de Vincent et Alexandre sont installées à proximité d’une résidence sénior en plein centre de Rouen. Pourtant, c’est au milieu des arbres et des herbes hautes qu’elles sont nichées. « Bienvenue chez moi ! », me lance Alexandre en me faisant visiter sa nouvelle maison. Pour entrer, il faut monter les marches formées par trois palettes. La cuisine s’ouvre à nous avec son plan de travail et ses placards en fin de réalisation. Les livres sont partout chez Alexandre: « Je les avais confiés à un copain. Je les récupère dans les boites à livres de la ville. » Depuis qu’il a du travail, Alexandre recommence à aller dans les librairies pour s’acheter la suite de séries qu’il découvre.
Le mobilier reste simple et va progressivement s’accroître. Au niveau de la mezzanine, son lit est fait de couvertures et d’une couette. Il y a deux petites étagères pour ses vêtements. Cela lui convient… Il y est, chez lui! Il a même peint les murs en gris à son arrivée, et a installé des bonzaïs qui apportent une touche de verdure à l’intérieur. Il y a quelques mois, Alexandre dormait encore dans la rue.
Des petites maisons pour sortir de la précarité
C’est Franck Renaudin qui est à l’origine de ce projet un peu fou. «Moi, j’ai grandi avec des parents très ouverts sur les autres, pas forcément sur le monde, mais beaucoup sur les autres, extrêmement accueillants, raconte l’initiateur d’un Toit vers l’emploi. J’ai grandi dans une maison ouverte à toute personne en difficultés, des personnes droguées… Cela m’a beaucoup marqué.»
Franck Renaudin choisit de faire une école de commerce. À la sortie, il s’engage «dans des boites archi-classiques» : une banque aux États-Unis, une entreprise industrielle de chaudronnerie. «Mais au bout de quatre ans de cette vie professionnelle, j’ai rejoins ce qui m’attirait depuis tout le temps: la solidarité. J’ai claqué mon boulot pour intégrer une petite ONG en France puis une plus grande, Inter Aide.»
C’est donc avec femme et enfants qu’il part vivre en Haïti cinq ans, puis aux Philippines trois ans. Il accompagne des porteurs de projet en développement rural puis dans les bidonvilles grâce au micro-crédit. Ces expériences le façonnent. À son retour en France, il fonde l’ONG Entrepreneurs du monde dont il sera à la tête jusqu’en 2018.
Son travail a du sens, mais ne lui ôte pas certaines questions qui le titillent de plus en plus. Que dire de son empreinte carbone avec les nombreux voyages internationaux qu’il effectue pour visiter les projets soutenus par l’ONG ? Comment assumer l’éloignement familial, sept à huit fois par an, alors qu’il a de jeunes enfants dont un enfant handicapé ? Que faire de son désir de renouer avec un travail de terrain, ancré dans le local… ? Et enfin, comment rester indifférent au fait que 150000 personnes vivent dans la rue en France ?
«Comment trouver un travail quand on ne sait pas où l’on va dormir le soir?»
En janvier 2017, il découvre dans un magazine un reportage sur les tiny house. Porté par Entrepreneurs du monde, le projet « Un toit vers l’emploi » prend forme: grâce à ces petites maisons, il va aider les personnes de la rue à sortir de la précarité en leur permettant d’abord d’avoir un toit, pour ensuite se réinsérer et retrouver un emploi. L’aventure commence par les ateliers de fabrication de meubles, proposés tous les vendredis, en attendant l’arrivée des petites maisons. Alexandre y participe. Il sera le second bénéficiaire d’une des tiny houses pilotes de l’association.
Toilettes sèches, meubles, composteur… La construction du mobilier fait partie du projet: rendre la personne acteur de son installation dans son logement, réaliser des meubles sur mesure et apprendre de nouvelles compétences. «Mettre la main à la patte et avoir la fierté de se dire, c’est moi qui l’ai fait!», résume Alexandre.
Être en sécurité
Franck connaît la valeur de ce que représente un toit, avoir un chez soi, un endroit où on se sente en sécurité… Il a connu l’insécurité à la fin de sa mission en Haïti en 2004 : « On était en plein coup d’état, embargo, blocus… le tout avec deux petits enfants, c’était humainement riche, on va dire…» Après le terrible séisme de janvier 2010, il a beaucoup œuvré par la suite avec Entrepreneurs du monde à aider à la reconstruction. «C’est un pays où on avait laissé des amis, que je connaissais par cœur pour y avoir développé de nombreux programmes.»
Ce manque de sécurité, Alexandre l’a expérimenté directement pendant plusieurs mois. «La première nuit que j’ai passé dehors, j’ai dormi sous le pont Corneille, à Rouen. J’avais le couteau à portée de la main. Tout le temps que j’ai dormi dans la rue, j’ai très mal dormi. Au moindre bruit ,on sursaute, même pour un sac plastique qui vole à cause du vent. Et même quand je dormais en foyer, nous étions quatre dans une chambre. Et quand tu en as trois qui foutent le bordel… On ne peut pas dire que je me sentais en sécurité.»
«Pour la première fois en six mois, j’ai dormi paisiblement. J’étais chez moi. »
Alors quand Alexandre a reçu la clé de la tiny house – une clé qui ferme la porte d’entrée – le 6 mars dernier, lors de l’inauguration de deux mini-maisons, il a pu relâcher le qui-vive permanent. « C’est monsieur le Maire qui m’a remis la clé. Il ne m’a pas pris de haut, moi un SDF. J’ai eu les larmes aux yeux, raconte Alexandre, encore empli d’émotion. Pour la première fois en six mois, j’ai dormi paisiblement. J’étais chez moi. » Finis les foyers, les cages d’escalier ou les ponts…
Pour le moment, sa tiny n’a ni eau, ni électricité, ni chauffage. «Mais ce n’est pas la priorité quand tu as dormi sous un pont», note Alexandre. En attendant, il peut utiliser les sanitaires de la résidence senior voisine et se laver à l’Ehpad où il travaille comme auxiliaire de vie. En discutant avec ses collègues pendant le confinement, il savoure la chance d’être dans un écrin de verdure et pas dans un appartement où il ne pourrait pas vraiment sortir. «Me retrouver en appartement au 3e étage, sans balcon parce que j’aurais réussi à m’en sortir… Non merci! Ici je suis le roi du monde».
Des loyers accessibles et adaptés
La fierté d’avoir un logement, aussi petit soit-il, est aussi corroboré à un retour à un certain statut: celui de locataire. Chacun paie en fonction de ses revenus. «Alexandre et Vincent n’ont pas le même loyer, précise Franck Renaudin. L’un travaille à temps plein, et le second est en chantier d’insertion. Mais demain, si Alex perd son travail et Vincent en trouve un, la situation s’inversera.»
D’ailleurs, ce travail obtenu, c’est une sacrée histoire de rencontres! En blaguant, les deux hommes sourient en se disant que le projet s’appelle «un toit vers l’emploi», et qu’au final Alexandre aura commencé à travailler avant d’entrer dans la mini-maison!
Alexandre est arrivé dans la rue «par choix», me dit-il. Il a choisi de tout quitter pour ne pas subir une expulsion. «Je ne savais plus comment faire, je ne pouvais plus payer mon loyer, je savais me que ma propriétaire allait faire un avis d’expulsion, chose qui est normale. Je ne voulais pas que les voisins voient les gendarmes, le notaire arriver… Donc je suis parti avant. » Maraudes, accueil de jour, foyer… Malgré sa situation, il s’est efforcé de ne pas s’isoler et de se rendre dans les lieux où il pouvait recevoir de l’aide. C’est avec fierté qu’il me dit avoir toujours veillé à être propre. À la Chaloupe, accueil de jour des SDF, il pouvait avoir un café, un repas le midi, un accès au lavomatique, participer à des activités et bénéficier d’un accompagnement social.
Là-bas, il a refait son CV avec un travailleur social: « Il était impressionné», se souvient Alexandre, qui a été intérimaire, vendeur de jeux vidéos et de peinture, libraire, cariste. «Je ne pouvais pas rester sans travailler.» Tout s’arrête quand Alexandre se retrouve à la rue. Il souffre de ne plus avoir d’activités professionnelles. Un jour, Franck Renaudin vient à l’accueil de jour de la Chaloupe pour présenter son projet. Alexandre est là, enthousiaste, et avec l’espoir de s’en sortir.
« On m’a tendu la main… là c’est moi qui aide.»
Quelques semaines après la rencontre avec Franck et l’attribution de la deuxième tiny pour lui, Alexandre rencontre une dame de la maraude qui distribue des cafés. «Je lui disais que j’avais travaillé avec des personnes handicapées et un jour, au foyer du Cèdre, une animatrice vient me voir en me disant:
– «c’est bien toi Alex?» Surpris, je réponds «oui».
– «Il y a quelqu’un qui te cherche, t’as discuté avec elle, tu t’es déjà occupé de personnes handicapées. Elle voudrait te revoir et que tu lui donnes ton CV. Un Ehpad cherche un auxiliaire de vie.»
Alexandre est embauché le 24 février à l’Ehpad. Mi-juin, il m’apprend que son CDD s’est transformé en CDI. Il est fier de ce travail: «Je me sens bien. Je n’enrichis pas un actionnaire, j’aide des personnes physiques. On m’a tendu la main… là c’est moi qui aide.»
« Tu m’as sauvé la vie. »
Cette main tendue par Franck et ses tiny houses en construction a marqué un tournant dans la vie d’Alexandre. Assis sur le même banc, Alexandre s’adresse à Franck, la voix chargée d’émotion. «Tu as été mon bon samaritain. Depuis que je t’ai rencontré, les choses positives s’enchaînent. Encore merci… Tu m’as sauvé la vie»
Nous sommes à la fin de la première semaine de déconfinement. Les distances sociales sont de mises. Franck et Alexandre ont beau être situés à plus d’un mètre sur le banc, c’est d’une accolade à bout de bras dont je suis témoin. Le moment en dit long sur l’amitié qui est née de cette rencontre.
Les différents aspects du projet « un toit vers l’emploi »
Aujourd’hui le projet est porté par Entrepreneurs du monde et va se structurer autour de plusieurs entités:
1 / l’association «la case départ»: un lieu d’accueil de jour avec de l’écoute sociale et des ateliers thématiques, notamment ceux de construction du mobilier des futurs «tinystes.»
2/ une SAS pour produire les maisons en série. Ce procédé permet de réduire les coûts de construction. Les deux tiny house pilotes ont été construites par un constructeur breton pour un prix unitaire de 31 000 euros. Deux autres mini-maisons du même constructeur viennent d’être livrées. Ces maisons ont été financées par une campagne de crowdfounding qui a réuni 100000 euros auxquels s’ajoutent des dons particuliers. L’objectif est d’abaisser les coûts, de créer de l’emploi local, d’obtenir l’agrément Entreprise de Travail Temporaire d’Insertion pour deux ou trois postes et de réduire l’empreinte carbone au maximum. Une réflexion est en cours sur l’autonomie de ces logements: poêle à bois, phyto-épuration, toilettes sèches, composteur, panneaux solaires…
3/ Une troisième entité serait la structure chargée de la location des maisons. Pour cela, un cabinet d’avocats immobiliers accompagne le projet.
Alexandre est aussi devenu bénévole à «Un toit vers l’emploi». Le 6 mars, dernier, il participait aux côtés de 350 bénévoles et 75 personnes sans-abri à Rouen, à la nuit de la solidarité organisée par l’association. Il s’agissait de recenser le nombre de personnes vivant dans la rue et d’estimer le nombre de tiny houses nécessaires pour loger les personnes désireuses de retrouver un emploi. Aujourd’hui, l’objectif de l’association est de réaliser 30 mini-maisons par an, pour répondre aux besoins et en fonction des terrains disponibles pour accueillir ces mini-maisons. C’est pour le moment la mairie de Rouen qui a prêté le terrain sur lequel sont installées les deux premières tiny.
Les futures maisons se feront sans remorque mais permettront néanmoins la mobilité par un système de pieux réhaussables. Franck Renaudin m’explique: «La mobilité est capitale pour ce programme. Beaucoup d’acteurs nous expliquent que les personnes en situation de rue n’ont pas de mobilité ou très peu. Il y a beaucoup d’opportunités ratées. Nos mini-maisons doivent pouvoir permettre la mobilité… » Et pouvoir aussi s’installer au plus près du lieu de vie initial de la personne.
La tiny house est exploitée dans ce projet comme support de transition, de la rue vers un chez soi assurant une sécurité, indispensable pour se réinsérer socialement et familialement. « J’ai le toit, j’ai le boulot. Maintenant, l’objectif est de retrouver ma fille…», conclut Alexandre.
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