Juillet 2020

Mini-maisons

Angèle Hiverlet (texte), Emmanuel Blivet (photographie)

Dix-neuf mètres carrés pour se loger : une utopie ? Pour des raisons écologiques, économiques et solidaires, certains font le choix de construire ou de vivre dans des mini-maisons. Bienvenue dans l’univers des « tiny houses »

Janvier 2017. Il nous faut une remorque pour commencer à bâtir notre «tiny house». Littéralement, il s’agit d’une « minuscule maison» sur roues, un concept créé aux États-Unis suite à la crise économique de 2007. Une mini-maison pour pouvoir se déplacer ponctuellement ou au long court, et pour s’engager dans une vie minimaliste et plus simple, en réduisant son espace.

En juin 2016, Nathanaël et moi sommes à un déjeuner chez mes parents, mon frère aîné est là. Il revient d’un voyage itinérant de 9 mois en Asie et il a déjà la bougeotte. Il nous parle d’un concept qu’il vient de découvrir dans un reportage: les «tiny house»! C’est un mini habitat nomade… Lui qui rêve de randonnées, de grands espaces, de nature… il est un peu frustré de son retour à la vie parisienne, et nous montre une vidéo.

Pouvoir voyager en étant autonome… ne serait-ce qu’aller chez des amis vivant dans des logements trop petits pour nous recevoir à cinq.

Nathanaël, mon conjoint, connaît déjà les tiny house. Menuisier, il rêve de construire sa maison. Depuis presque un an, l’entreprise dans laquelle il travaillait a fait faillite. Il travaille de petits travaux de rénovation pour des particuliers et l’idée germe de créer une entreprise. Il choisit pour cela de s’associer avec un ami électricien, et de rejoindre une coopérative d’activité et d’emploi spécialisée dans le bâtiment. Il prend donc le statut d’entrepreneur salarié.

Moi, Angèle, après un parcours en cabinet conseil comme consultante handicap, et la venue de notre troisième enfant, je choisis de prendre un congé parental. Avec l’arrivée des enfants, notre désir de découverte de la France et du monde sans avion, et notre budget restreint, nous commençons à réfléchir à l’achat d’une caravane… Je scrute régulièrement les annonces du Bon coin. Mais quand je découvre ce concept de tiny house, je suis conquise par l’idée! Pouvoir voyager en étant autonome… ne serait-ce qu’aller chez des amis vivant dans des logements trop petits pour nous recevoir à cinq…

Une envie de liberté et de voyage

Encore faut-il la concevoir et l’auto-construire. Avant toute chose, et pour me rassurer, nous partons quelques jours en Bretagne, dans une tiny toute neuve, avec de grands espaces de salle de bain et de cuisine. Le canapé sert de lit, au-dessus duquel se trouve un lit superposé. On y trouve également une mezzanine parentale. Le tout est prévu pour trois ou quatre personnes… Qu’à cela ne tienne, nous souhaitons vraiment tester cet habitat minimaliste!

Notre deuxième fille est tombée du lit superposé (à la suite de son doudou), les enfants étaient surexcités, et nous n’avons pas très bien dormi… Bref, ce ne fut pas vraiment un week-end de rêve. Pourtant, nous sommes repartis avec la conviction que nous souhaitions auto-construire notre tiny house, adaptée à nos besoins. Il nous faut:

– Une chambre séparée de l’espace de vie pour les enfants. Car se retrouver à 20 h dehors sur un transat puis dans la voiture et enfin couchés avec une minuscule lumière pour lire… n’a pas été notre expérience favorite.

– Un grand espace comme la salle de vie(grand à l’échelle d’une surface totale de 19 m², mezzanine comprise).

– Le minimum pour la salle de bain: bac de douche et toilettes sèches. L’évier servira aussi de lavabo.

– Une cuisine optimisée, mais néanmoins confortable pour cuisiner car nous sommes gourmands et gourmets.

– Une mezzanine pour nous, les parents, qui laisse de la hauteur de plafond au-dessus de l’espace de vie.

Notre transition se fait au fur et à mesure, non sans interroger notre entourage.

Ce projet et le questionnement sur nos besoins nous ont amenés à croiser le chemin du minimalisme et de l’écologie pour trouver des solutions afin d’allier respect de l’environnement et vie à cinq. C’est ainsi qu’à la suite de beaucoup de lectures, sur des groupes facebook notamment, nous avons initié une transition écologique via le zéro déchet. De la recherche de matériaux écologiques, économiques et locaux, à la réflexion sur les eaux grises (avec le plus de produits naturels possibles), en passant par les toilettes sèches et la nécessité d’accès à un composteur, notre transition se fait au fur et à mesure – non sans interroger notre entourage.

Nous commençons à parler de notre projet fou. Nos amis trouvent ça génial Nos familles ne nous comprennent pas trop. Nous sommes locataires et nous faisons le choix de construire une tiny house pour un usage vacancier, de loisirs… en somme, une maison secondaire. Notre choix en étonne plus d’un, surtout quand on expose le rêve ultime: quitter notre maison et partir sur les routes de France en famille pour découvrir notre beau pays. Cela fait peur, donne un sentiment d’insécurité notamment à l’égard de nos enfants.

La construction

Octobre 2016. Au mariage d’amis, nous évoquons notre projet de construction. Plusieurs invités sont emballés. «On viendrait bien vous aider pendant un week-end.» Ce sera début mars 2017. D’ici là, il faut trouver la remorque, finaliser les plans, calculer le poids estimé, la quantité de bois, choisir les fenêtres et les autres matériaux nécessaires. Pour arriver à un budget approximatif de 20000 euros.

Ça y est, nous sommes dans le cœur du projet. Des amis nous ont proposé de construire la tiny dans leur «jardin» de 3 000 m². Le bois arrive aussi dans les temps, ainsi que nos amis, pour le week-end de lancement où nous montons l’ossature des murs de notre mini maison. C’est un moment d’excitation et de joie intense, partagé avec les enfants qui sont très heureux de participer à leur mesure au chantier! Ils ont respectivement presque quatre ans, deux ans et onze mois.

Les « tiny houses », des États-Unis à la Normandie

Entre romantisation et esthétisation du dépouillement (cf « Ça peut toujours servir », de G. Faure, ou cet article du Monde Diplomatique), et aspiration sincère à des modes de vie mieux intégrés à leurs milieux, le mouvement Tiny suscite curiosité et critiques, espoirs et engouement. Il puise dans des formes architecturales pré-existantes (yourte, roulotte, tente, refuge), entre autoconstruction « do it yourself », savoir-faire de la charpente-menuiserie, et standardisation.

Les qualités écologiques de ce micro-habitat sont multiples, en théorie : sans fondation, pas d’artificialisation des sols ; faible emprise au sol car faible superficie ; installation quasi-systématique de toilettes sèches ; matériaux souvent plus qualitatifs car surface moins grande, donc réorientation du budget possible vers des matériaux locaux, écologiques ou de réemploi ; petits espaces appelant une réduction de la consommation (de biens, de chauffage, d’eau si l’on n’est pas raccordé) ; possibilité de maintenir un habitat au moins temporaire dans des espaces fortement exposés au changement climatique (littoraux, zones humides) sans les artificialiser (sous réserve que la législation aille dans cette direction), aussi pour du travail saisonnier.

En 2007, l’étasunien Jay Shafer a popularisé ces mini-maisons aux Etats-Unis : lui qui a grandi dans une maison de trois cent soixante-dix mètres carrés vit alors dans neuf mètres carrés ! Il lance une entreprise de construction de petites maisons, dont les prix ne dépassent pas 30 000 euros (source). Quelques années plus tard, ces mini-maisons sont utilisées dans des programmes d’aide aux sans-abris. Quant à Jay Shafer, marié et père de deux enfants, il a finalement déménagé dans une maison de 46 mètres carrés.

En France, les premiers constructeurs professionnels de Tiny Houses étaient normands, manchots même ! Bruno Thiéry et Michaël Desloges ont fondé « La Tiny House » en 2005 dans la région d’Avranches. Ils ont d’ailleurs collaboré avec Yvan Saint Jours – autre influenceur du mouvement, à l’échelle hexagonale cette fois – en 2013. Parmi les blogs vidéos qui influencent le mouvement, on peut citer le francophone « Tiny House Livingston » (France), et l’anglophone « Living Big in a Tiny House » (Nouvelle-Zélande).

Sandra Eno

Le contreventement est un système statique destiné à assurer la stabilité globale d’un ouvrage vis-à-vis des effets horizontaux issus des éventuelles actions sur celui-ci (par exemple : vent, séisme, choc, freinage, etc.)

À partir de là, tout va très vite, les murs sont montés, contre-ventés, en quelques jours d’autant que le soleil est de notre côté. Nous arrivons en quelques semaines à avoir une maison hors d’eau – hors d’air ! Une fois le tout au sec, je peux m’atteler à l’isolation du plancher en étoupe de lin. C’est une matière très économique et ultra locale. 100 kg = 96 euros = l’isolation de 80% de la tiny house.

Le seul bémol, c’est qu’il faut la carder, c’est-à-dire l’aérer, car c’est l’air contenu dans le matériau qui le rend isolant. Et c’est très long de carder à la main! Pendant ce temps, Nathanaël, qui a récupéré des planches de chêne déclassé comme bois de chauffage, s’attelle à les transformer en plancher en chêne massif. Une fois celui-ci posé, nous posons les fenêtres et nous reprenons l’isolation des murs. Des amis et la famille de passage viennent nous aider, ce qui nous donne du baume au cœur et des bras à l’ouvrage! En parallèle, nous commençons à poser le bardage extérieur.

Une fois l’isolation en étoupe finie, nous posons la fibre de bois au plafond. Cette étape laisse place à l’électricité et au parement intérieur. Nous sommes en juillet 2017. La rapidité de la construction nous grise. Fin août, la répartition des pièces est finie, les cloisons sont posées: la salle de bain avec le bac à douche, le triple lit superposé pour les enfants, enfin la porte d’entrée en chêne massif est installée. Nathanaël a aussi eu le temps de repasser son code et a obtenu le permis remorque (BE), indispensable pour tracter plus de 3,5 tonnes.

Reste le plus long: les réglages électriques, l’installation de la cuisine, la gestion des outils non professionnels qui tombent en panne à cause d’un usage intensif, l’hiver et la pluie, les infiltrations d’eau au niveau de la porte d’entrée…

Nous reprenons vraiment le chemin de la tiny au printemps, en espérant partir en vacances l’été 2018 avec notre maison roulante…

Quelques semaines avant le départ, s’enchaînent les finitions:

– couture des rideaux (je suis alors débutante mais avec ma mère et une de ses amies, nous avons réussi à mener à bien le projet),

– ponçage et huile sur le plancher, table et plan de travail,

– création des toilettes sèches, du lit (et les achats en chinant différents matelas)…

Le grand départ

La surface moyenne d’une tiny house pour pouvoir rouler sans permis poids lourd et être posée sans permis de construire se situe entre 10 et 19 m², et ne doit pas dépasser 3.5 tonnes.

Fin juin 2018 à quelques jours du départ en vacances, alors que les enfants sont chez les grands-parents, nous goûtons la joie de dormir pour la première fois là-bas… Quelle euphorie ! Quel sentiment d’accomplissement… et en même temps, de nouvelles questions nous taraudent. Est-ce que nous serons dans les clous pour le poids ? Nous ne devons pas dépasser 3,5 tonnes. La sortie du terrain sera-t-elle aussi facile qu’espérée ? Que pouvons-nous retirer pour réduire son poids ? La gazinière ? Nous avons peu de marge de manœuvre car tout est conçu et réalisé en s’imbriquant.

Après les dernières nuits agitées, nous y voilà! «Baptême du feu»: sortie, pesée, départ en vacances, tout cela se fait dans la matinéedu 16 juillet. Des amis nous aident à faciliter cette sortie… qui se fait sans encombre. La pesée est effectuée chez le producteur d’étoupe de lin… Verdict: 3,350 T. Sauts de joie et soulagement intense! Nous voilà parés – mais pas très fiers car nous prenons quand même beaucoup de place avec notre convoi camion + tiny! Direction la Mayenne où nous rejoignons l’écolieu Les loups pour quinze jours. La rencontre s’est faite grâce à la carte «je prête un bout de chez moi». Rentrer la tiny sur le terrain se fait avec beaucoup de manœuvre et d’excitation chez les enfants.

La première nuit, nous sommes encore grisés par toutes ces émotions. Et inquiets: notre installation se trouve en bordure d’un ravin. Les enfants se réveillent, ont dû mal à s’habituer aux bruits de la maison. Puis tout s’apaise.

Trois ans plus tard, nous avons acheté un terrain en zone naturelle, où installer la tiny qui est restée sur le parking du lotissement. Nous souhaitons aller nous y ressourcer, développer un potager un peu plus grand que ce que permet notre jardin actuel. Nous n’avons pas encore parcouru la France, mais nous avons touché du doigt notre rêve: être plus autonome et avoir une petite maison à nous.

Alexandre, lui, avait un autre rêve : quitter la rue. Je vous raconte son histoire la semaine prochaine.

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