David a quatre ans. Il accompagne sa mère à la Maison d’arrêt de Caen pour visiter son père au parloir. Il s’agite sur les genoux de sa mère. Ses doigts jouent avec les petits trous de l’hygiaphone. De l’autre côté de la vitre, son père pose la paume de sa main.
«Le destin d’un jeune délinquant commence à sa naissance. Le mien était tout tracé et commence même avant ma naissance, à l’enfance de mes parents.»
Caen, années 1950. La ville est marquée des cicatrices de la guerre. Les familles pauvres ont été relogées dans des bidonvilles à la sortie de la ville, comme Tonneauville, qui tire son nom des baraques en forme de tonneaux qu’on a érigées à la hâte dans le futur quartier de la Guérinière. Ce qui ne devait être qu’une cité d’urgence a perduré trente ans. Le père de David a grandi là, avec six frères et une sœur, et l’alcool en fond de tableau. De ses 14 à ses 18 ans, il est enfermé au centre de rééducation pour mineurs de l’île de Tatihou, dans la Manche. En permission, il rencontre sa future femme. Quand il revient à Tonneauville, ses petits frères ont été placés par les services sociaux, son père se bat contre un cancer du poumon. Il fait venir sa femme et ils s’entassent tous dans le baraquement. À la naissance de David, le 26 novembre 1973, il est en prison.
David et sa famille déménagent dans une nouvelle cité HLM à la Grâce-de-Dieu. Un trois pièces pour cinq, avec eau courante, salle de bain, cuisine et chauffage. Le luxe. Son père travaille sur les chantiers ou comme éboueur, aux côtés de ses frères et cousins. Les hommes tombent les uns après les autres, emportés par le cancer ou l’alcool. Sa mère tient le foyer malgré la misère. À 5 ans, David va chiner chez des voisins aussi démunis qu’eux un peu de pain ou de lait. «Voyant tout ça, j’avais cette haine contre l’Etat qui défonçait nos parents dans l’alcool. Plus j’ai grandi et plus je me suis débrouillé», raconte David.
La tour des miracles
À neuf ans, nouveau quartier de Caen, nouvelle cité HLM pour un appartement plus grand dans une tour de la Pierre-Heuzé, la «PH», au 43 rue Montcalm. «On l’appelait la rue Non Calme!» David retrouve des cousins, des enfants d’immigrés et tous les gamins nés dans les cites d’urgence de la ville. Les mômes vivent dehors, créent des bandes. C’est la guerre des boutons version béton. Dans les années 1980, la cité HLM est déjà défraîchie. Les pots de fleur sont partis avec ceux qui avaient les moyens de déménager vers les zones pavillonnaires. Restent les familles les plus précaires. Les parents sont au chômage, les enfants squattent les cages d’escalier dégradées. La nuit, il n’y a plus un réverbère en état de fonctionner.
«Nous étions l’héritage de la misère de l’après-guerreet des mauvais choix de ceux qui nous avaient gouvernés. Le rouleau compresseur était en marche. Tout était réuni pour nous broyer: le chômage, l’alcool et les drogues. »
À l’école, c’est la même rengaine. David a des capacités, mais c’est un voyou. Lui s’en fiche, apprend dehors l’école de la vie. Au collège Lechanteur on l’oriente en section d’étude spécialisée. Il sera maçon, comme son grand-père. À 16 ans, fin des études, un passage furtif à l’armée. Sa mère réussit à le rescolariser à l’institut Lemonnier, une école catholique qui cherche à remettre les gosses du quartier dans le droit chemin. Sept mois après y être entré il est cueilli par les policiers dans l’enceinte du lycée. Soeur Catherine le regarde partir tristement: «Mon pauvre garçon, quel gâchis, quel dommage!»
La semaine et même le dimanche
C’est que, depuis l’âge de huit ans, David pratique le vol à l’étalage ou «en filouterie» dans les magasins du quartier. À 14 ans, c’est devenu son quotidien. «Je me rends compte que je suis très bon dans le vol à l’étalage. Et là, je me dis, je vais m’en sortir par la délinquance. Et je vais sortir ma famille de la misère.» À 15 ans, il commence à neutraliser les alarmes. Avec sa bande, ils vident les magasins du quartier. «On fait ça la nuit, enfermé dans le bureau de tabac, on prend notre temps pour le vider. C’est propre, classe, sans trace. On rentre chez nous, on fait le tri. Mais on le fait toutes les nuits.» Bientôt, le gang étend sa zone à toute la ville et à celles d’à-côté et se fait appeler le gang des GILASD, groupe d’intervention locale assurant la semaine et le dimanche. Ils dévalisent les pavillons autour du quartier, mais David est mal à l’aise à l’idée de s’introduire chez les gens. Un jour, ils tombent nez à nez avec les enfants qui rentrent de l’école. C’est fini. Désormais, il ne cambriolera que les grandes surfaces et les magasins de marque.
«On revenait au quartier les voitures pleines à craquer. Le 43 de la rue Montcalm se remplissait chaque soir et le nombre de clients ne faisait qu’augmenter. Ma tour devenait la «tour des miracles». On pouvait y trouver de tout; du shit, des fringues, des baskets, du parfum, du tabac, de l’alcool et même du chocolat de luxe pour les fêtes. Un véritable supermarché. (…) Les problèmes d’argent avaient empiré et je sauvais la situation avec min business. Les seules règles étaient: pas de braquage, pas de drogue dure et surtout pas de balance.»( Extrait de David Desclos, Une histoire vraie, Flammarion, 2019).
Autour de l’aire de jeux pour enfants du quartier, les mamans portent toutes les mêmes paires de chaussures à la mode. Mais la nuit, les vols de voitures, les feux, les trafics se multiplient. Un quotidien local titre «La Pierre-Heuzé deviendra-t-elle Chicago? »
En mars 1993, David a 19 ans pour son premier séjour à la Maison d’arrêt de Caen. Six mois plus tard, après un été en Espagne à dévaliser les hôtels de luxe, il est de retour pour un an ferme. En prison, il retrouve sa bande – tous font des aller-retours entre le quartier et la tôle – et remonte ses trafics. Il est transféré au centre de détention d’Argentan, où il fait la connaissance en cellule d’un type qui sait monter les alarmes. «Je l’ai alimenté en shit et j’ai pris des cours.» Il sort à 20 ans, spécialiste de la neutralisation des systèmes d’alarme et prêt à taper plus fort. Le gang se met à dévaliser des banques.
Le casse du siècle
«De 20 à 24 ans, je gagne 15 à 20 000 euros par mois. J’en fais profiter tout le monde et je me fais plaisir aussi. Mais je commence à fatiguer. J’ai rencontré Nora, mon amoureuse de l’école primaire, et je lui ai promis d’arrêter mes conneries. Mais les potes me disent:
– Tu ne peux pas faire ça David, on a des copains en prison. On a dit: «c’est à la vie à la mort», on ne peut pas les laisser tomber.
En prison, t’as toujours besoin d’argent, pour payer les avocats, pour ta famille, pour toi. Je leur ai répondu:
– OK, on va en faire une dernière, mais pas n’importe laquelle: le siège de la Société Générale à Caen. Soit on est tous riches pour la vie, soit on finit tous en prison.»
L’opération est programmée pour le jour de noël 1998. Pendant quatre mois, les gars ont creusé un tunnel qui mène à la salle des coffres en se faisant passer pour des ouvriers de nuit. À la veille de noël, ils ont déjà entamé les vingt premiers centimètres de la porte blindée. Le lendemain, ils couperont le fil de l’alarme à détection et achèveront le travail. Mais à la sortie du tunnel ce jour-là, ils sont cueillis par les flics. En garde à vue, le commissaire et le directeur de la banque expliquent à David comment ils l’ont eu:
– Tu te souviens le caillou que tu as envoyé dans la vitrine de la banque il y a quatre mois David, pour vérifier qu’il s’agissait bien d’une alarme à détection ? Après ça, le directeur de la banque, ici présent, a demandé à son chef de travaux de poser une alarme par vibration.
«En dégommant les 20 premiers centimètres, on faisait sonner l’alarme depuis 15 jours. Si on n’avait pas jeté le caillou, ils ne changeaient pas l’alarme, on faisait le casse du siècle à Caen. Pour résumer, à cause d’un caillou, je suis allé dix ans en prison.»
Découvrez la suite de cette histoire la semaine prochaine : Ne pas laisser pousser la mauvaise herbe