Les clubs de surf, affiliés à une ligue et à la fédération, ont un objectif clair : mener les jeunes vers les métiers du surf, les former et les pousser vers les meilleures performances et le haut niveau. Structure associative, le club paie aussi les déplacements des licenciés lors des compétitions. C’est une structure qui fonctionne toute l’année.
L’essor des écoles de surf, allégorie du capitalisme
En parallèle des clubs se développent des écoles de surf, qui sont quant à elles des entreprises privées à but lucratif et qui ont donc un modèle de fonctionnement bien différent de celui des clubs. Elles fleurissent de plus en plus rapidement sur les côtes françaises un tantinet houleuses et misent sur la période estivale pour réaliser leur chiffre d’affaires. Dans la Manche, ce sont souvent des copains « issus du Cotentin Surf Club » qui montent leurs propres écoles, admet Laurent Latrouitte, bien conscient que cette concurrence grandissante, mais toujours amicale, semble inévitable à l’heure actuelle. Sur le spot breton de la Torche, dans le Finistère, il y a par exemple 11 écoles, souligne le président du club manchois, déplorant l’espace ainsi privatisé dans l’eau et sur la plage, aux dépens des baigneurs et des free-surfeurs.
Bazile, le fils de Thierry Pinel, 32 ans et lui-même surfeur, est du même avis. « C’est toujours ce truc de capitalistes à toujours vouloir faire du blé à tout prix », dénonce-t-il sans détour. « Pour le moment c’est encore plutôt cool dans le coin, mais quand on voit ce qu’il se passe par exemple sur l’Île d’Oléron ou dans le Sud-Ouest, c’est un peu la “cata” ; il y a tellement de monde dans l’eau à cause des écoles que ça en devient dangereux ». Avec les règles de priorité et le défi de chercher sa propre vague, l’exercice peut même en devenir vite frustrant et accentuer les tensions dans l’eau, ajoute le surfeur. Pour son père, qui aimait tant l’esprit anticonformiste et autodidactique du surf d’antan et qui a appris à affronter les vagues en s’y faisant « secouer », la pratique du surf via les écoles est devenue bien fade. « Maintenant, on paie pour apprendre à surfer partout de la même façon, avec les mêmes planches et avec les mêmes tutos ». Le fils opine : « à l’époque on cherchait moins la performance que le plaisir individuel de la glisse. »
La traque de la vague
Ce constat ne s’arrête pas au seul exercice de savoir tenir en équilibre sur la planche. L’étude de la météo pour estimer la houle paraît par exemple aujourd’hui bien futile, à l’heure des réseaux sociaux et des informations de plus en plus précises et en temps réel. A l’époque, chaque « ancien » avait son astuce pour traquer les infos nécessaires : Thierry Pinel achetait « Le Monde » pour y lire les cartes météo de l’Océan Atlantique et « étudier l’évolution des dépressions atmosphériques ». Il complétait ces données avec les bulletins quotidiens de météo marine, autrefois présentés par Marie-Pierre Planchon sur France Inter.
« Nous avons eu la chance de vivre le surf spirit normand. »
Dans les années 70 et 80, Patrick Lhuillery analysait les données météo via la girouette qui oscillait sur le clocher de l’église voisine, ou allait à la capitainerie de Cherbourg pour y observer les dernières cartes météo. Laurent Latrouitte aussi se déplaçait à l’époque à l’antenne Météo France de Cherbourg. « Ensuite, raconte-t-il, nos parents nous emmenaient à la plage, 30 bornes plus loin », avec le risque de se heurter à l’absence de vague. « C’était vraiment une science », continue le président du CSC, qui n’hésitait alors pas à se rapprocher des surfeurs plus expérimentés pour obtenir directement les informations de leur part. Pour le sportif, cette quête est au cœur de ce qui a animé tous les surfeurs normands : « chercher la vague, l’étudier et la surfer », pour enfin « découvrir notre territoire et l’adopter ». « Nous avons eu la chance de vivre le surf spirit normand », poursuit-il. « Nous le cultivons et nous nous battons pour éviter la surf industrie ».
« Le surf, c’était avant tout un choix de vie. »
Plus qu’un sport physique, le surf était donc avant tout un cheminement, qui nécessitait de décrypter l’environnement, de découvrir les spots en partant à l’aventure. « C’était l’époque du camping sauvage et des vans aménagés, on était tarés », sourit le pionnier Patrick Lhuillery. « Maintenant, c’est devenu un sport beaucoup plus compétitif, ce qui s’accommode très bien à la société actuelle, de plus en plus égoïste et individualiste », regrette-t-il finalement.
À l’image de la société moderne, tout s’accélère, et les pratiquants ne prennent plus le temps de contempler les éléments pour mieux les étudier. « Les surfeurs ne savent plus pourquoi ni comment les vagues se forment, et ne cherchent plus à les anticiper », poursuit Laurent Latrouitte. Bazile Pinel est du même avis : « Quand j’étais petit, les surfeurs avaient un mode de vie qui leur permettait de prendre le temps de chercher. Ils étaient un peu des marginaux et des aventuriers », libérés des horaires classiques de bureaux. « Ils profitaient plutôt du chômage pour voyager sans s’arrêter de surfer », continue-t-il.
L’émergence des réseaux sociaux et d’internet a grandement facilité l’accès à toutes ces informations précieuses, « retirant toute la part pédagogique et autodidactique » du sport, analyse le trentenaire devenu shaper (fabricant de planches de surf). Si bien que cette facilité d’accès permet à un grand nombre de personnes amatrices d’être au même endroit, en même temps, au grand dam des initiés autrefois en quête de solitude sauvage. Bazile déplore ce « surf de consommation », où la contemplation des éléments serait devenue marginale, alors qu’il s’agissait jadis de l’essence du surf. « C’était un choix de vie, » insiste-t-il.
Du pain sur la planche
Une pratique qui se standardise donc, au détriment de ce que recherchaient les premiers surfeurs, mais qui permet vraisemblablement de démocratiser l’accès à l’expérience de la glisse. « Jusque dans les années 2000, 2010, le surf était considéré comme un sport de “babos”, très inaccessible », confie Laurent Latrouitte. D’après la Fédération Française de Surf (FFS), de 1000 licenciés en France en 1982, 13 000 étaient recensés en 2021, auxquels s’ajoutent 67 000 licences dites « loisirs ». Cinq étés plus tôt, en août 2016, le surf intégrait la liste des sports au programme des Jeux Olympiques de Tokyo 2020. Une vitrine pour la discipline, qui surfe également sur la survenue de la pandémie de Covid pour attirer de nouveaux adeptes, séduits par les grands espaces pour fuir les restrictions sanitaires successives. En réalité, le nombre total de surfeurs, avec ou sans licence, est estimé à près d’un million aujourd’hui, contre encore 680 000 en 2016.
L’arrivée dans les commerces des planches bon marché a également facilité l’accès du surf aux novices. Décathlon vend sa planche la moins chère pour à peine plus de 100 euros, contre une moyenne de 1000 euros chez les shapers professionnels. Il suffit d’une combinaison en complément, « et n’importe qui peut alors se croire surfeur », relève le président du Cotentin Surf Club. Cette concurrence sur le marché de la planche, qui s’adapte à l’explosion de pratiquants, paraît bien délétère pour les shapers. Thierry Huaux, figure emblématique du shape normand, était l’un d’eux, avant de finalement se consacrer à d’autres projets et de se retirer du monde du surf dès lors que la concurrence a commencé à s’intensifier, en nombre et en rapidité liée aux réseaux sociaux.
Bazile Pinel est bien conscient de la difficulté du métier, puisqu’il a eu le temps depuis ses trois années d’exercice de constater que « c’est un travail très mal rémunéré par rapport au temps qu’on y passe ». D’après celui qui a installé son atelier « Zeuglodon » dans une dépendance chez ses parents, « le prix des matériaux est bien trop élevé par rapport à celui des planches vendues. » Réalisées à l’aide de produits dérivés du pétrole, les planches coûtent de plus en plus cher à Bazile : 300 euros de matière première lui sont nécessaires, auxquels s’ajoutent 20% de taxes à chaque vente. Même si le prix reste dans la grille des tarifs habituels des shapers professionnels, peu de personnes simplement curieuses oseraient investir un millier d’euros quand d’autres planches, certes bien moins personnalisées et performantes, sont disponibles à un prix dix fois inférieur. La concurrence est solide pour le jeune shaper. Un combat quotidien contre le surf de consommation donc, afin d’assurer l’avenir de ces métiers de passionnés.
Découvrez le dernier épisode de ce reportage la semaine prochaine : « À la recherche de l’esprit surf ».