Avril 2021

Malaunay, une ville en transition

Christine Raout (texte et photos), Joëlle Passeron (illustrations)

Vincent Delafosse a quitté l’entreprise familiale de teinture sur fil pour transformer, 10 mètres plus loin l’ancienne usine de confection en brasserie. Un lieu convivial qui sert aussi de prétexte à une multitude de projets avec les habitants et les artisans de la commune.

Vincent Delafosse, devant l’ancien atelier de confection transformé en brasserie. ©Christine Raout

Sur les hauteurs de Malaunay, en amont du Cailly, se trouvent des zones humides laissées à la nature. C’est ce que l’on peut observer près du terrain de Pétanqu’Haapéro aménagé par Vincent Delafosse, sur le terrain à l’arrière de sa microbrasserie de production de bière, Union-B.

«Ici, on a vraiment l’impression d’être ailleurs, constate-t-il. Il faut imaginer que l’été tout ça est vert, et ça fait un écrin entre la brique et la nature. Avec les plants de houblon, ça nous fait un écran de verdure. En été, on utilise les deux jardins ici, un peu en mode guinguette, avec le bar, un food truck, les tables près de l’eau… Un tipi que l’on a confectionné avec les sacs de malt, c’est le camp de base des enfants, avec un terrain de foot et un terrain de jeux pour les enfants. On arrive à avoir comme le font les Allemands un endroit «Biergarten» ultrafamilial. Ce n’est pas uniquement pour boire de la bière. On propose des activités et on va développer la musique.L’idée est d’avoir un moment convivial où l’on peut boire des bières, laisser les enfants jouer et éventuellement apprendre un truc.»

« Il faut imaginer que l’été, tout ça est vert » ©Christine Raout

Ces soirées d’été permettent de faire le lien entre les habitants – y compris les nouveaux – et les acteurs locaux : associations, artisans, artistes… tel un point de rencontre entre tous les aspects de la vie du territoire. Ces soirées ont mis par exemple à l’honneur des associations humanitaires, le Système d’Echange Libre -SEL- de Malaunay, ou la transition écologique avec la BD de «La Transition prend ses quartiers». «L’idée est aussi de profiter de cet espace pour faire passer des idées, des messages, au moins d’ouvrir des portes.»

La transition prend ses quartiers en BD

Pour parler de l’expérience «La Transition prend ses quartiers, une bande dessinée a été publiée avec plusieurs illustrateurs / dessinateurs pour raconter en quelques pages l’expérience de chaque groupe de réflexion. On y retrouve Patricia Colombel, Jean-Louis Levé et Vincent Delafosse, dans leur propre rôle.

Extrait « Le champ des possibles » scénario Céka Dessins Kyungeun Park

Sur le site de l’entreprise familiale

Des idées, Vincent Delafosse n’en manque pas. Sa créativité s’exerce dans les bâtiments à shed, ces caractéristiques toitures à dents de scie, de l’entreprise familiale de teinturerie. «La société Robert Blondel, créée par un aïeul il y a 120 ans, faisait de la teinture sur fil, à l’est de Rouen, raconte très sérieusement Vincent Lafosse. Il a fallu déménager il y a 10 ans. Aujourd’hui, le site fait de la teinture et des cosmétiques appliqués sur les textiles.Une partie textile et une partie brasserie artisanale de bière. Avant, c’était une usine familiale, j’avais un pied dans les deux, et puis il a fallu passer à autre chose: maintenant, je suis les deux pieds dans la brasserie. »

Le site de l’entreprise familiale qui reprend le motif de shed. ©Christine Raout

Mais plus les explications avancent, plus la fabrication de bière semble le point de départ d’un projet bien plus large, tout à la fois ludique et durable. À l’image de ces moutons rustiques qui pourraient bientôt paître pour entretenir les zones humides qui jouxtent les bâtiments, qui fourniraient aussi la laine, lavée et filée dans le sud de la France, avant d’être teinte ici, pour fournir les tricoteuses locales qui, avec cette laine rustique, pourraient confectionner des pièces de décoration…

Dans l’esprit du brasseur se trouve toujours un projet dans le projet du projet… Aucune idée n’est isolée, rien n’est conçu dans le seul but d’exister. Ces idées sont circulaires, tout comme l’économie à laquelle il participe.

Des idées et une économie circulaires

L’ancien atelier de confection, transformé en brasserie. ©Christine Raout

Le point de départ est donc la bière, dans un bâtiment de confection, le plus vieux du site familial, à l’abandon depuis les années 1960, où à l’étage travaillaient des couturières et au rez-de-chaussée, les stocks. La microbrasserie a aujourd’hui deux ans, six tanks, des brassées de toutes les couleurs et dans un esprit surfrider. «C’est un univers très créatif, résume Vincent Delafosse. On n’est pas limité par les créations de recettes ou d’étiquettes. Et on parle aux sens. Je viens plutôt du skate et de tout ce qui est sport de glisse, et je compare ça au mode de vie des surfeurs. Quand on surfe, on a toute une philosophie générale, une relation avec la nature et avec les gens. Et dans la bière, à part l’aspect commercial de certains, il y a quand même cet aspect refuge, convivialité. Pour moi, l’idée était de provoquer des bons moments donc ça avait tout son sens.»

Rien ne se perd, tout se transforme…

La bière d’Union-B voyage peu : consommée ou achetée sur place, en ville et dans une zone de chalandise ne dépassant pas les 30 km. Et dans le bar, vide en ces temps troublés, des objets attirent le regard. Les planches de skate en bois de barrique dont les prototypes ont été conçus pendant le confinement puis réalisés avec un menuisier de Rouen. «Et c’est très amusant car elle donne à la planche une courbure et c’est assez confortable pour les trentenaires et les quadras comme moi qui ont envie de faire les quais aller-retour.» Il y a aussi chez le brasseur cette envie plus large de «faire des choses avec les déchets», ceux de la brasserie : les anciens fûts transformés en prototypes de casque à bière para-Covid en vue de soirées Covid-compatibles, les lampes-fûts, ou les pochettes pour maillots de bain mouillés avec les poches aluminium.

D’autres territoires en transition

En Normandie, d’autres territoires sont engagés dans des démarches de transition écologique. Dans plusieurs quartiers de l’ouest de Caen, l’association Vent d’Ouest organise entre autres, depuis 2019, des balades botaniques musicales, des opérations de ramassage de déchets, des ateliers autour de la permaculture, des animations pour les enfants visant à se réapproprier la rue, des projections de films et de débats. Son objectif: étendre la mobilisation des habitants à travers, en multipliant les initiatives et en imaginant le quartier en 2030.

Pour en savoir plus : le site de l’association.

A Mortagne au Perche, dans l’Orne, ce sont aussi des citoyens et des citoyennes qui se mobilisent depuis 2017 dans l’association Mortagne en transition pour développer les initiatives écologiques et sociales : système d’échanges de biens, de savoirs et de services ; dépôt et échanges de graines de fleurs ou de légumes à la bibliothèque (grainothèque), verger partagé entretenu collectivement et ouvert à tous, jardinage collectif dans l’espace public (incroyables comestibles).

Pour en savoir plus : le site de l’association.

Deux petites mains locales, dont une voisine couturière ont participé au développement et produisent aujourd’hui des cabas de course et cabas à bière pour recycler les sacs de malt. Et pour que rien n’existe uniquement pour être jeté, l’emballage carton des packs d’IPA Dents de l’amer, se transforme en masque de requin. Quand au jeu finlandais en vogue pour les apéros, le Mölkky, Vincent Delafosse l’a recréé avec son Haapéro et des règles du jeu plus conviviales, qu’il a été invité à présenter lors d’une étape mondiale du Mölkky tour.

Si les idées de Vincent Delafosse prennent, c’est aussi parce que son extravagance séduit : les personnes qui viennent à ses soirées d’été séduites par l’ambiance et son enthousiasme ; les autres artisans du territoire, comme Mélanie Cluitten qui recycle et restaure des meubles à quelques dizaines de mètres de là, et qui partage sa passion lors d’atelier ; les habitants qu’il a invités à planter du houblon, pour des brassées un peu plus locales. Un acteur parmi d’autres qui font vivre l’étonnante transition de Malaunay.

Christine Raout

Christine Raout est journaliste pigiste, collaboratrice régulière de La Lettre du Spectacle, Le Moniteur et Ouest France.

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