Août 2022

Houle sentimentale

Texte et photo : Pierre-Yves Lerayer (sauf mention)

Des générations de passionnés

Publié le 3 août 2022

Dans les années 1970, le surf débarque sur la côte ouest du Cotentin. Le matériel de l’époque réserve la pratique aux mordus. Un demi-siècle plus tard, le surf devenu populaire, le Cotentin s’affiche comme la nouvelle Californie, parfois aux antipodes de l’attitude contemplative et libertaire des pionniers.

Au Cotentin Surf Club, à Siouville (Manche), une photo en noir et blanc attire l’attention des visiteurs : celle d’un homme qui pose avec une planche de surf sur la plage de Sciotot, à cinq kilomètres de là. Qui est-il ? D’après Guillaume, l’entraîneur qui tient le blog du club, il s’agirait de la première documentation d’un surfeur en Normandie : un certain Pierre Poncet, sur une photo datant de 1964. « Mais les informations ne sont pas vérifiées », reconnaît-il. Alors, lorsque Grand-Format a contacté le seul Pierre Poncet qui réside encore en Normandie, et dont l’âge (77 ans) pourrait correspondre à celui de l’homme sur la photo, l’intéressé répond qu’il n’a jamais pratiqué le surf et qu’il n’a même jamais entendu parler d’un homonyme dans la région… Grand-Format est donc remonté, génération après génération, jusqu’à ceux qui se considèrent comme les pionniers du surf dans l’Ouest-Cotentin.

Le 11 juin 2022, en début d’après-midi, le soleil frappait fort sur le sable de Siouville, tandis que les embruns s’élevaient en nuages sous le vent de sud-ouest. Des conditions idéales pour organiser le Siouville Surf Open, qui ne s’était pas tenu depuis deux ans pour cause de pandémie. Plus de 80 personnes, jeunes et moins jeunes, ont ainsi pu gratuitement s’initier au surf. Sous les yeux des curieux et des professionnels, les jeunes espoirs du club ont également profité des vagues lors d’une démonstration finalement ponctuée par la « Daron Surf Contest », la compétition entre les « vieux » du club. À en croire la foule sur la plage, sur les stands et à la buvette, le doute n’est plus permis : la Normandie, elle aussi, peut se targuer d’être une terre de surf.

Des pionniers normands qui continuent de marquer les esprits

Dans le monde de ce sport de glisse, ce ne sont pas les côtes normandes qui sont les plus réputées en France. Et pourtant, c’est bien dans les eaux de la Manche que s’est installé le surf en Europe pour la première fois. Dans les années 1920 à Jersey, les garde-côtes australiens débarquaient en été, laissant l’hiver chez eux dans l’hémisphère Sud. Pourtant, côté français, c’est plutôt vers Biarritz que les premières vagues françaises ont été domptées, bien plus tard, dans les années 1950. Premiers clubs et ébauches de compétitions y voient le jour dès les années 1960 avant que la Fédération Française de Surf (FFS) y soit créée en 1964.

Mais tous les témoignages abondent dans le même sens : ce ne sont que plusieurs années plus tard, dans les années 1970, que les côtes normandes ont accueilli leurs premiers surfeurs avérés, en particulier sur la côte ouest du Cotentin. Une décennie après la première mention de 1964 et du mystérieux Pierre Poncet, quelques rares passionnés sont ainsi devenus les pionniers du surf normand. Patrick Lhuillery est l’un d’eux. A l’évocation de ses premières sessions, ce Cherbourgeois de 67 ans se voit encore en 1976 à l’arrière d’une moto BMW verte que conduisait son pote Serge Chaulieu. Il tenait bien fermement la planche de surf qu’ils venaient tous les deux de « choper quelque part parce qu’elle trainait là ». Patrick avait alors 21 ans, « le surf n’existait pas encore dans la région » et c’est la première fois que le futur féru de glisse se tenait debout sur une planche.

©Thierry Delange.

Plus tard se sont greffés au binôme Pierre Marrec, dit « La Mouette », ainsi que le beau-frère de Patrick, Serge Renard. Eux quatre sont finalement parvenus à imposer leurs noms dans les esprits des surfeurs du coin comme étant les pionniers du surf normand « et d’une superbe aventure humaine ». Leur réputation demeure solide, malgré les comportements parfois « peu chaleureux » de Chaulieu. « Quand on était sur l’eau, il faisait le ménage », explique Patrick. Le nouveau ou le Parisien n’avait qu’à bien se tenir s’il ne voulait pas être refoulé des vagues.

« J’aimais me faire secouer par les vagues »

Thierry Pinel est un de ces curieux. Il a commencé à surfer en 1986, à l’affût de la moindre tempête pour aller se « faire secouer par les vagues », se souvient-il, la moustache souriante et joueuse, conscient du danger qu’il courait alors. A cette époque, la culture du surf et les écoles n’étaient pas encore implantées dans la région, et c’est la recherche du frisson qui animait les amateurs de sensations iodées, quelles que soient les conditions et le matériel à disposition. Outre les combinaisons lourdes et les planches inadaptées, « on n’utilisait que des magazines, avec des photos qui ne représentent pas du tout les vagues normandes », rappelle Thierry Pinel. « On n’avait pas les vidéos et les tutos qu’on peut avoir aujourd’hui ». L’homme se rappelle par ailleurs la difficulté d’intégration par ces surfeurs parfois « très localistes et pas très accueillants ». « Il fallait faire ses preuves », assure-t-il.

Les amoureux de la glisse à l’assaut des vagues

À en croire les témoignages, la seconde moitié des années 1980 puis les années 1990 ont été le terreau d’un essor du surf local, lui-même à l’origine d’une impulsion de la discipline en Normandie. Laurent Latrouitte a aussi commencé le surf en 1986, à 16 ans, lorsqu’il est revenu à Cherbourg après quelques années de ski à Grenoble. Cet « amoureux de la glisse », grâce à ses nouveaux potes surfeurs du lycée, a pu s’approcher plus aisément des groupes déjà en place et n’a depuis jamais cessé d’aimer taquiner la houle. Il se souvient lui-aussi de Chaulieu qui « était réputé jusque dans les Landes pour son côté… local ». Mais avec Laurent, Serge était plutôt accueillant. « Il nous montrait des trucs, et il savait quand-même être super cool », reconnaît-il, insistant sur ce qui allait surtout devenir une superbe aventure du «surf spirit normand»: «encore maintenant on cherche et on découvre tous les spots entre potes et on partage notre passion à nos enfants».

Si bien que cette lente intégration d’une nouvelle génération a permis d’insuffler un vent nouveau sur l’esprit du surf normand. Des groupes se sont alors progressivement créés, avec des jeunes locaux, talentueux, et qui voulaient partager leur activité favorite.

L’émergence d’un surf festif

« C’est de là qu’a démarré l’histoire du club », raconte Christophe Binet, 56 ans. Celui qui profite aujourd’hui des vagues réunionnaises a créé et présidé le tout premier club de surf du coin, le Crevette Surf Club, en 1988. L’idée d’origine était simple : « ne pas se prendre au sérieux ». Avec « une petite caravane devant la plage », l’objectif était alors de fédérer les amateurs de glisse dans une ambiance festive pour pouvoir participer à des compétitions, « ce qui n’existait pas encore en Normandie ». Si bien que le club était à ses débuts rattaché à la ligue bretonne. « On avait une trésorerie qui nous permettait d’emmener les jeunes en Bretagne, » raconte le surfeur. Et les compétiteurs normands n’avaient rien à envier aux autres. « Un ou deux en particulier faisaient trembler les concurrents, comme notre “tahitien” qui avait une année surclassé toute la compétition à La Torche (un spot breton, ndr) ». La Normandie commençait à avoir son mot à dire dans le surf français.

En 1991, le Crevette Surf Club est rebaptisé Channel Surf Club. La structure vivote quelques années, faute de développement plus important, avant finalement de doucement disparaître. Pendant ce temps-là, les générations de jeunes se succèdent et se joignent à celles déjà présentes. Enfin en 2000, un tournant majeur dans le surf normand s’opère : la création du Cotentin Surf Club (CSC). La structure associative, créée à Cherbourg, se délocalise en 2001 sur la plage de Siouville, qui deviendra alors une place forte du surf normand. A tel point que le club devient le sixième de France par son nombre de licenciés (plus de 200). Pourtant, en Normandie, « on est en retard de 10 ans », analyse Ben, entraîneur permanent du club qui s’est lancé dans le surf au début des années 90.

Laurent Latrouitte, devenu bénévole pour sa passion est aujourd’hui président du club, après l’avoir été une première fois au début des années 2010. À l’époque, sous l’impulsion de son pote Sébastien Laronche, le groupe a organisé une réunion avec tous les surfeurs du coin qu’ils connaissaient de sorte à s’assurer de « faire les choses bien ». Ils savaient en effet que certaines personnes étaient opposées au développement du surf par le biais d’une structure dédiée. Mais au vu de l’essor du sport en France, « on savait que le nombre de participants allait dans tous les cas s’amplifier », confie le membre fondateur. Il n’y avait alors pas d’autre choix que de s’adapter.

Suite de notre reportage la semaine prochaine : comment l’essor des écoles de surf a démocratisé la pratique tout en la faisant entrer dans une nouvelle ère consumériste.

Sur l'eau, un reflet de la société

Publié le 10 août 2022

Les clubs de surf, affiliés à une ligue et à la fédération, ont un objectif clair : mener les jeunes vers les métiers du surf, les former et les pousser vers les meilleures performances et le haut niveau. Structure associative, le club paie aussi les déplacements des licenciés lors des compétitions. C’est une structure qui fonctionne toute l’année.

Les écoles de surf fleurissent un peu partout sur la côte normande, ici aux Pieux (50).

L’essor des écoles de surf, allégorie du capitalisme

En parallèle des clubs se développent des écoles de surf, qui sont quant à elles des entreprises privées à but lucratif et qui ont donc un modèle de fonctionnement bien différent de celui des clubs. Elles fleurissent de plus en plus rapidement sur les côtes françaises un tantinet houleuses et misent sur la période estivale pour réaliser leur chiffre d’affaires. Dans la Manche, ce sont souvent des copains « issus du Cotentin Surf Club » qui montent leurs propres écoles, admet Laurent Latrouitte, bien conscient que cette concurrence grandissante, mais toujours amicale, semble inévitable à l’heure actuelle. Sur le spot breton de la Torche, dans le Finistère, il y a par exemple 11 écoles, souligne le président du club manchois, déplorant l’espace ainsi privatisé dans l’eau et sur la plage, aux dépens des baigneurs et des free-surfeurs.

Bazile, le fils de Thierry Pinel, 32 ans et lui-même surfeur, est du même avis. « C’est toujours ce truc de capitalistes à toujours vouloir faire du blé à tout prix », dénonce-t-il sans détour. « Pour le moment c’est encore plutôt cool dans le coin, mais quand on voit ce qu’il se passe par exemple sur l’Île d’Oléron ou dans le Sud-Ouest, c’est un peu la “cata” ; il y a tellement de monde dans l’eau à cause des écoles que ça en devient dangereux ». Avec les règles de priorité et le défi de chercher sa propre vague, l’exercice peut même en devenir vite frustrant et accentuer les tensions dans l’eau, ajoute le surfeur. Pour son père, qui aimait tant l’esprit anticonformiste et autodidactique du surf d’antan et qui a appris à affronter les vagues en s’y faisant « secouer », la pratique du surf via les écoles est devenue bien fade. « Maintenant, on paie pour apprendre à surfer partout de la même façon, avec les mêmes planches et avec les mêmes tutos ». Le fils opine : « à l’époque on cherchait moins la performance que le plaisir individuel de la glisse. »

Les écoles de surf privatisent des zones de mer, au dépens des autres baigneurs.

La traque de la vague

Ce constat ne s’arrête pas au seul exercice de savoir tenir en équilibre sur la planche. L’étude de la météo pour estimer la houle paraît par exemple aujourd’hui bien futile, à l’heure des réseaux sociaux et des informations de plus en plus précises et en temps réel. A l’époque, chaque « ancien » avait son astuce pour traquer les infos nécessaires : Thierry Pinel achetait « Le Monde » pour y lire les cartes météo de l’Océan Atlantique et « étudier l’évolution des dépressions atmosphériques ». Il complétait ces données avec les bulletins quotidiens de météo marine, autrefois présentés par Marie-Pierre Planchon sur France Inter.

«Nous avons eu la chance de vivre le surf spirit normand.»

Dans les années 70 et 80, Patrick Lhuillery analysait les données météo via la girouette qui oscillait sur le clocher de l’église voisine, ou allait à la capitainerie de Cherbourg pour y observer les dernières cartes météo. Laurent Latrouitte aussi se déplaçait à l’époque à l’antenne Météo France de Cherbourg. « Ensuite, raconte-t-il, nos parents nous emmenaient à la plage, 30 bornes plus loin », avec le risque de se heurter à l’absence de vague. « C’était vraiment une science », continue le président du CSC, qui n’hésitait alors pas à se rapprocher des surfeurs plus expérimentés pour obtenir directement les informations de leur part. Pour le sportif, cette quête est au cœur de ce qui a animé tous les surfeurs normands: «chercher la vague, l’étudier et la surfer», pour enfin «découvrir notre territoire et l’adopter». «Nous avons eu la chance de vivre le surf spirit normand», poursuit-il. «Nous le cultivons et nous nous battons pour éviter la surf industrie».

©Thierry Delange. Plage du Rozel.

« Le surf, c’était avant tout un choix de vie. »

Plus qu’un sport physique, le surf était donc avant tout un cheminement, qui nécessitait de décrypter l’environnement, de découvrir les spots en partant à l’aventure. « C’était l’époque du camping sauvage et des vans aménagés, on était tarés », sourit le pionnier Patrick Lhuillery. « Maintenant, c’est devenu un sport beaucoup plus compétitif, ce qui s’accommode très bien à la société actuelle, de plus en plus égoïste et individualiste », regrette-t-il finalement.

À l’image de la société moderne, tout s’accélère, et les pratiquants ne prennent plus le temps de contempler les éléments pour mieux les étudier. « Les surfeurs ne savent plus pourquoi ni comment les vagues se forment, et ne cherchent plus à les anticiper », poursuit Laurent Latrouitte. Bazile Pinel est du même avis : « Quand j’étais petit, les surfeurs avaient un mode de vie qui leur permettait de prendre le temps de chercher. Ils étaient un peu des marginaux et des aventuriers », libérés des horaires classiques de bureaux. « Ils profitaient plutôt du chômage pour voyager sans s’arrêter de surfer », continue-t-il.

Longboards, shortboards, asymétrique ou non, avec ou sans «channels»… les types de planches sont nombreux.

L’émergence des réseaux sociaux et d’internet a grandement facilité l’accès à toutes ces informations précieuses, « retirant toute la part pédagogique et autodidactique » du sport, analyse le trentenaire devenu shaper (fabricant de planches de surf). Si bien que cette facilité d’accès permet à un grand nombre de personnes amatrices d’être au même endroit, en même temps, au grand dam des initiés autrefois en quête de solitude sauvage. Bazile déplore ce « surf de consommation », où la contemplation des éléments serait devenue marginale, alors qu’il s’agissait jadis de l’essence du surf. « C’était un choix de vie, » insiste-t-il.

Du pain sur la planche

Une pratique qui se standardise donc, au détriment de ce que recherchaient les premiers surfeurs, mais qui permet vraisemblablement de démocratiser l’accès à l’expérience de la glisse. « Jusque dans les années 2000, 2010, le surf était considéré comme un sport de “babos”, très inaccessible », confie Laurent Latrouitte. D’après la Fédération Française de Surf (FFS), de 1000 licenciés en France en 1982, 13 000 étaient recensés en 2021, auxquels s’ajoutent 67 000 licences dites « loisirs ». Cinq étés plus tôt, en août 2016, le surf intégrait la liste des sports au programme des Jeux Olympiques de Tokyo 2020. Une vitrine pour la discipline, qui surfe également sur la survenue de la pandémie de Covid pour attirer de nouveaux adeptes, séduits par les grands espaces pour fuir les restrictions sanitaires successives. En réalité, le nombre total de surfeurs, avec ou sans licence, est estimé à près d’un million aujourd’hui, contre encore 680 000 en 2016.

Bazile Pinel est «shaper» depuis 3 ans dans son atelier «Zeuglodon».

L’arrivée dans les commerces des planches bon marché a également facilité l’accès du surf aux novices. Décathlon vend sa planche la moins chère pour à peine plus de 100 euros, contre une moyenne de 1000 euros chez les shapers professionnels. Il suffit d’une combinaison en complément, « et n’importe qui peut alors se croire surfeur », relève le président du Cotentin Surf Club. Cette concurrence sur le marché de la planche, qui s’adapte à l’explosion de pratiquants, paraît bien délétère pour les shapers. Thierry Huaux, figure emblématique du shape normand, était l’un d’eux, avant de finalement se consacrer à d’autres projets et de se retirer du monde du surf dès lors que la concurrence a commencé à s’intensifier, en nombre et en rapidité liée aux réseaux sociaux.

Des planches neuves sont exposées lors du Siouville Surf Open.

Bazile Pinel est bien conscient de la difficulté du métier, puisqu’il a eu le temps depuis ses trois années d’exercice de constater que « c’est un travail très mal rémunéré par rapport au temps qu’on y passe ». D’après celui qui a installé son atelier « Zeuglodon » dans une dépendance chez ses parents, « le prix des matériaux est bien trop élevé par rapport à celui des planches vendues. » Réalisées à l’aide de produits dérivés du pétrole, les planches coûtent de plus en plus cher à Bazile : 300 euros de matière première lui sont nécessaires, auxquels s’ajoutent 20% de taxes à chaque vente. Même si le prix reste dans la grille des tarifs habituels des shapers professionnels, peu de personnes simplement curieuses oseraient investir un millier d’euros quand d’autres planches, certes bien moins personnalisées et performantes, sont disponibles à un prix dix fois inférieur. La concurrence est solide pour le jeune shaper. Un combat quotidien contre le surf de consommation donc, afin d’assurer l’avenir de ces métiers de passionnés.

Découvrez le dernier épisode de ce reportage la semaine prochaine : « À la recherche de l’esprit surf ».

À la recherche du surf spirit normand

Publié le 17 août 2022

Le Siouville Surf Open continuait de battre son plein sous un soleil hégémonique. La mer s’était retirée en fin d’après-midi après les dernières démonstrations de surfeurs, tandis que le jardin du CSC accueillait encore une foule qui ne tarissait pas, contrairement aux fûts de la buvette. Ce n’est pas pour rien que le club et la ville de Siouville ont reçu respectivement les labels « Club Or » et « Ville de surf » depuis 2017, félicitant les potentialités locales de pratique ainsi que les infrastructures liées au surf et à l’accueil de manifestations d’envergure nationale ou internationale. Une fierté locale qui ferait de la position de Siouville-Hague, un des 8 meilleurs spots de surf métropolitains, d’après le site du club.

Encore un peu de liberté

Malgré l’explosion du nombre de surfeurs sur les côtes du Ouest-Cotentin, les environs semblent plutôt préservés d’une prédation totale par le « surf de consommation » dénoncé par beaucoup d’anciens et de jeunes. Le « localisme » (une règle implicite qui consiste à laisser la priorité aux locaux et habitués) existe ici, comme sur tous les spots de surf « Au début, je faisais profil bas, parce qu’il y a une forme de respect qui s’impose, remarque Thierry Pinel. La particularité d’ici, c’est que les gens sont sympas et plus détendus.» « On a encore de l’espace pour bien s’entendre », renchérit Carole, surfeuse avec son groupe d’amies depuis deux ans. Elle compare le Cotentin à la Bretagne, « où les spots sont pris d’assaut et où les places sur l’eau sont bien plus chères. »

Surf et nucléaire : je t’aime, moi non plus

La centrale de Flamanville domine les spots manchois de surf.

Mais en Bretagne, le nucléaire est inexistant. Car l’autre particularité de la Normandie est la forte présence de la filière atomique à proximité immédiate des meilleurs spots de la région, participant d’après certains à repousser les touristes. La Normandie est en effet une des régions les plus nucléarisées du monde. Ne serait-ce que dans la Manche, l’usine de retraitement des déchets nucléaires de la Hague est en service depuis 1966. 15 kilomètres au sud, de l’autre côté de l’anse de Vauville, le site de production nucléaire de Flamanville est entré en service dès la fin des années 1980, avec deux réacteurs, tandis que la mise en service commerciale de l’EPR est prévue pour 2023. En comptant le site de construction de sous-marins nucléaires à Cherbourg et le centre de stockage de la Manche (CSM), la région Normandie (qui possède également deux usines nucléaires en Seine-Maritime) est en passe de devenir la deuxième région la plus nucléarisée de France.

Parmi les manchois, beaucoup s’accordent à dire que cette industrie est inhérente à la présence locale du surf. « Sans lui, on ne serait pas là, » estiment beaucoup de surfeurs qui précisent qu’un grand nombre d’entre eux ont des proches, si ce ne sont eux-mêmes, qui travaillent dans le secteur nucléaire. Un pilier économique local donc, puisque dans la moitié nord du Cotentin, « la filière énergie représente plus de 5% de l’emploi salarié en 2013, » indique une infographie du journal « Le Monde » parue en 2021.

Bazile (à gauche) et Thierry Pinel (à droite), fils et père, chez eux aux Pieux.

Chez les Pinel, « on a toujours été anti-nucléaires depuis plusieurs générations ». Un combat qui irradiait jusque dans le quotidien du père, Thierry, sans que cela n’ait de lien direct avec le surf, promet-il. C’était plutôt une idéologie. Car pour chaque surfeur local, la présence de la filière atomique ne change au final pas grand-chose à leur pratique. « On oublie sans oublier, on vit avec » ; « ça fait partie du paysage, on n’y pense pas » ; « si ça nous posait un problème, on ne ferait pas de surf ici », énoncent par exemple certains sportifs.

Pour autant, à la création du Cotentin Surf Club en 2000, le groupe Areva (aujourd’hui Orano), qui officiait sur le site de retraitement de la Hague, s’est vu refuser un partenariat par le groupe de surfeurs à l’origine de la structure associative du club. Un des principes de celui-ci était de ne pas s’allier à de grandes entreprises au risque de ne pas pouvoir s’exprimer en cas de conflit avec le partenaire financier. Mais l’actuel directeur du club reconnaît que derrière les financements octroyés par la mairie de Siouville et par le département, se cachent inévitablement des fonds issus de l’atome. Finalement « le nucléaire finance indirectement le surf local, » note-t-il. Une histoire intime à sens unique donc, mais dont dépendent des générations de plus en plus prometteuses.

Siouville reçoit depuis 2017 le label «Ville de surf», félicitant les potentialités locales de pratique.

Au collège de Flamanville, le terreau de l’excellence

Allier surf et études au collège, c’est possible. Au collège Lucien Goubert de Flamanville, la section sportive scolaire de surf est ouverte depuis la rentrée de septembre 2012. «Depuis, le nombre de candidatures n’a cessé de croître», assure Laurent Patissier, référent de la section. Avec 16 places libres chaque année, la sélection est rude. Outre l’étude des dossiers scolaires et les tests physiques, les élèves doivent être inscrits à un club et au minimum posséder un niveau «vague d’argent», démontrant une certaine aisance sur les vagues et une connaissance du milieu marin ainsi que des règles de sécurité.
L’objectif de la section est donc clair : former les jeunes vers l’excellence sportive. Mais une autre part importante de la section est l’apprentissage du sauvetage côtier, activité dans laquelle le collège a d’ailleurs obtenu un titre de vice-champion de France UNSS en 2018. «C’est un complément par rapport au club, où cette discipline est pratiquée plus occasionnellement», explique le professeur, conscient des liens forts créés avec le Cotentin Surf Club, partenaire essentiel de la section et dont «les moniteurs prennent en charge les entrainements sportifs et physiques des élèvesainsi qu’une partie des formations théoriques».
Autre atout de la formation, l’offre interdisciplinaire proposée il y a quelques années avec des profs d’histoire, de maths, de SVT ou encore d’arts plastiques. Les jeunes se voyaient proposer des interventions «sur des sujets variés en relation avec le milieu marin et son écosystème». Des cours interdisciplinaires que Laurent trouvait «très positifs pour sensibiliser les élèves». Mais cette offre a finalement disparu, car «en dix ans, les moyens ont fondu au fil des années», regrette-t-il finalement.

La promesse d’une nouvelle génération

La jeunesse représente une part importante du surf français. D’après la FFS, 55% des licenciés auraient moins de 18 ans et 25% moins de 12 ans. Si bien que quelques jeunes du club commencent à avoir de belles performances aux championnats. Parmi eux, Naya Sorlut est une des nouvelles figures prometteuses de la discipline. La Normande de 17 ans, qui fait partie de l’équipe régionale, participe aux compétitions depuis qu’elle est en cinquième au collège de Flamanville, dans la section sportive surf. Pour elle, les bons résultats s’enchaînent.

Des novices ont pu s’essayer gratuitement au surf lors du «Siouville Surf Open».

« Surtout des mecs »

Mais quelques décennies plus tôt, Naya n’aurait peut-être pas pu déployer à ce point ses qualités sportives. « Dans les magazines de mon père qui datent des années 1980 et 1990, il n’y avait pas beaucoup de place pour les femmes, ou simplement en tant que sex symbol », remarque la lycéenne. Aujourd’hui, de grandes sportives se placent en égérie pour les jeunes, comme Johanne Defay, qui « se présente sur les réseaux sociaux comme une figure forte, douée, avec des valeurs écologiques », ou encore comme la Normande Léa Brassy, suivie par près de 23 000 abonnés sur Instagram.

En changeant ainsi l’image des femmes dans le monde du surf, le nombre de pratiquantes a augmenté ces dernières années. Un constat partagé par Carole et ses copines, qui ont observé que « c’étaient surtout des mecs qui étaient à l’eau il y a 20 ans, » témoignent-elles en groupe. Le site de la Fédération Française de Surf leur donne raison, indiquant que « les femmes représentent 35% des licenciés de la FFS » et que « leur nombre a augmenté de 10% au cours des 10 dernières années. »

Cependant, le sexisme illustré par les magazines de l’époque semble encore présent dans le monde du surf. A Siouville-Hague, les témoignages abondent dans le sens d’une discrimination parfois qualifiée de « positive », où l’on laisse parfois les plus belles vagues aux femmes. Mais en général, les témoignages d’actes sexistes fleurissent jusque dans les plus hautes sphères de la discipline (entre autres sports de plage). Un sondage réalisé en 2021 a montré que plus d’une femme sur quatre avait déjà été victime de harcèlement de plage. Ce chiffre s’élève à 48% chez les femmes de 18 à 24 ans.

Pour favoriser la pratique féminine du surf, des dispositifs ont ainsi été imaginés. « Le club met en place des stages filles en Vendée ou en Bretagne, » explique Naya. En Normandie, « on voit qu’il y a un réel effort de fait ». Mais la jeune surfeuse déplore cependant le nombre de filles qui représentent les couleurs de la Région : « nous ne sommes pas souvent plus de deux ou trois par catégories, contre une dizaine dans les clubs du Sud. » Le Cotentin Surf Club est bien conscient de ce constat, relevant sur son site à l’issue du Siouville Surf Open de 2022 « l’absence de daronnes » pour accompagner la « Daron Surf Contest » annuelle. La structure reste optimiste : « quand on va au line up (la liste des participantes, ndr) aujourd’hui, on se dit qu’elles seront très nombreuses dans quelques années. Vivement la Daronnes and Darons surf cup ! »

La Manche regorge encore de coins sauvages propices au bivouac et à la déconnexion.

À la recherche du surf perdu

En attendant, les adeptes comptent bien profiter de l’environnement local pour s’emparer du mode de vie « surf » qui perdure malgré tout. À écouter le groupe de copines quarantenaires, pourtant « pas du tout issues du milieu du surf », ce sont justement les spots normands encore sauvages et exotiques, comme le qualifie Anouck, qui permettent de maintenir l’esprit d’autrefois ; celui du temps long, de la contemplation et de l’écoute des éléments. C’est de cette façon que celles qui se définissent comme des baroudeuses dans l’âme apprécient la discipline : « on a toujours voyagé en sac à dos ou dormi en camion, donc le surf s’allie très bien avec notre mode de vie ». Laurent Latrouitte quant à lui se souvient même de ces hivers, «bleus en sortant de l’eau, mais prêts à y retourner à la renverse de marée». Une démarche qui refuse le confort facile, qui préfère choisir le plaisir de se heurter à la nature et à ses aléas, et où la recherche des lieux préservés en devient un plaisir à part entière.

Jamais sans une planche à l’arrière d’une voiture, « parfois encore en allant chercher les enfants à la garderie », comme Clémence, certains groupes et puristes parviennent ainsi à profiter du plaisir de l’attente, du bivouac, du partage, et de tout l’esprit qui enrobe la pratique du surf. Le sport et l’adrénaline qu’il procure n’en deviennent alors qu’une excuse pour « se retrouver à pique-niquer, apporter le thé en hiver et les bières en été, se heurter à la nature, etc. » Un tout, un mode de vie dont l’apogée ne serait que le court instant de glisse et d’équilibre sur la planche. Court instant certes, mais qui peut rapidement devenir addictif. « Je me suis interdite de sauter sur mon téléphone en fin de session pour chercher la prochaine bonne vague », avoue Carole.

©Thierry Delange. Les dunes de Surtainville.

Car la vague parfaite ne semble jamais exister, et sa quête paraît interminable. « Une vague, c’est comme un feu de cheminée, il n’y en a pas deux similaires », philosophe Patrick Lhuillery, pionnier du surf normand qui a depuis perdu son pote Serge Chaulieu de vue mais qui continue de pratiquer la glisse en famille. Et parfois, cerise sur le gâteau au détour des embruns vivifiants : « la présence de dauphins » pour accompagner les plus téméraires, comme si la liberté qu’inspire l’esprit surf était toujours dissimulée sous la houle manchoise.

Vous avez apprécié cette histoire vraie? Grand-Format s’est donné comme mission d’en raconter une tous les mois. Des histoires qui inspirent, émerveillent, suscitent le débat. Des histoires qui vous font voyager à côté de chez vous, en Normandie, grâce à des témoignages et des portraits.

Notre objectif depuis mai 2019 : proposer des articles longs, fouillés, sur les grands enjeux de notre époque, traités localement, pour retrouver du sens face aux incessantes tempêtes médiatiques.

Depuis octobre 2021, nous avons décidé d’ouvrir nos articles au plus grand nombre, en les rendant en accès libre. Notre but: permettre à tous de les lire, de les partager… et de contribuer financièrement à notre travail, chacun à sa mesure.

Plutôt que la publicité ou le mécénat, nous développons des actions d’éducation aux médias auprès des jeunes. Avec les aides à la presse que nous recevons, ces ateliers nous permettent de financer les salaires de nos trois salariés permanents et des contributeurs occasionnels. Et nous comptons sur nos lecteurs pour renforcer notre indépendance et poursuivre notre travail journalistique d’intérêt général.

Vous pouvez nous soutenir en faisant un don à notre association, grâce à la plateforme OkPal. Si vous payez des impôts, un don de 30 euros ne vous coûtera que 10,20 euros. Merci pour votre implication à nos côtés!

Pierre-Yves Lerayer

Journaliste, géographe et autodidacte, je m’essaie à plusieurs projets tous différents les uns des autres. Selon les défis que je me lance, je suis tour à tour pigiste, photographe, vidéaste, chroniqueur radio, podcasteur, et parfois même peintre ou écrivain… Friand de micro-aventures à la force des bras ou des jambes, je suis toujours à l’affût de reportages « long format », d’humains du monde et d’histoires à raconter.