Ancrées dans leur territoire, les ressourceries construisent une alternative à la surconsommation et développent les solidarités. Pour prendre soin des objets, des individus et de la planète.
À Caen, la Coop5pour100
Aux portes de Caen, la Coop5pour100 remet en mouvement objets et idées. Nichée dans un ancien hangar réhabilité par les bénévoles et les salariés, cette ressourcerie pas comme les autres combine recyclage, alimentation durable et éducation populaire. Son ambition : proposer des services utiles au territoire tout en réduisant les déchets, en soutenant les producteurs locaux et en questionnant nos façons de consommer, de produire, et de faire société.

Sur la route de Trouville, rien ne laisse présager ce qui se cache derrière les arbres qui longent le trottoir. Et pourtant, en s’aventurant derrière cette zone discrète, un bâtiment affiche fièrement ses façades colorées. Peintes à la main, vives et généreuses, elles dessinent les contours d’un lieu atypique. Chaque couleur signale un espace, chaque détail raconte une histoire collective. C’est un endroit qu’on découvre avec étonnement, fait de récup’, d’ingéniosité et de chaleur humaine. Ici, on ne vient pas seulement déposer un objet ou chiner une trouvaille : on entre dans un lieu où l’on questionne nos habitudes, où l’on imagine d’autres manières de consommer, de produire et de vivre ensemble.



Le collectif avant tout
Au 33 route de Trouville depuis 2019, la Coop5pour100 a vu le jour sous forme associative en 2016. Aujourd’hui, elle fonctionne sous le statut de SCIC (Société coopérative d’intérêt collectif), reflet de son ancrage dans l’économie sociale et solidaire. Née de l’initiative de cinq fondateurs, elle a très vite réuni une centaine de coopérateurs autour de son projet, d’où son nom. La structure compte désormais 13 salariés et près de 150 bénévoles investis au quotidien.
Organisée en plusieurs espaces, ce lieu rassemble une ressourcerie, une épicerie avec environ 80 producteurs locaux, un café-cantine et des ateliers participatifs. Le tout fonctionne en circuit court, dans une démarche écologique, solidaire et coopérative. Laetitia est une des personnes à l’origine du projet et souligne l’importance du collectif pour faire fonctionner cette initiative. « C’est un projet qui prouve qu’il y a des choses possibles quand on s’y met à plusieurs, parce qu’on a tout construit ensemble et on n’avait pas de profils particuliers d’entrepreneurs. Ça montre qu’on peut faire une entreprise qui ne soit pas capitalistique, qu’on peut rendre les services du quotidien autrement qu’en étant dans une démarche libérale. », explique Laetitia.

De l’autre côté de la ressourcerie, les espaces sont délimités pour que chaque membre de la Coopérative y trouve sa place, en fonction de ses compétences : réparations multimédias, électroménager, tri de livres et CD, atelier tricot à l’étage, sans oublier le coin menuiserie et métal ouvert aussi aux particuliers qui veulent bricoler. « On a beaucoup de profils très différents : jeunes, retraités ou actifs qui viennent le week-end ou pendant les vacances. Certains sont très investis sur les questions écologiques, d’autres aiment l’idée de la débrouille ou viennent avec l’envie de partager un savoir-faire qu’ils veulent valoriser, ou simplement créer du lien social », dit Laetitia
En plus du collectif, la Coop est attachée à faire participer d’autres acteurs locaux. C’est pourquoi une trentaine de structures partenaires, producteurs de l’épicerie, associations partageant les mêmes valeurs (comme Emmaüs ou Vélisol), acteurs du médico-social, structures d’insertion ou encore collectivités locales comme Mondeville et Giberville, sont impliquées dans la Coop.

« Le moteur, c’est pas le profit, c’est le bien-être humain »
Le mode de fonctionnement de la coopérative repose sur une gouvernance horizontale et partagée, pensée pour garantir l’équilibre entre les parties prenantes et placer l’humain au cœur du projet. « Ici, personne ne domine, tout se décide collectivement », explique Laetitia. « Chacun peut proposer des idées, mais aussi lancer et porter des projets de manière autonome, tant qu’ils respectent les valeurs de la Coop », poursuit-elle.
Pour beaucoup, la Coop devient bien plus qu’un lieu de bénévolat : un espace de reconstruction et de respiration où le collectif fait du bien. « C’est un vrai bonheur de venir ici, c’est beaucoup de bienveillance et d’entraide. Je suis venue directement après ma retraite et quelques années plus tôt j’ai fait un burn-out à mon travail. J’étais dans les banques et dans ce milieu-là, on veut toujours plus, alors qu’ici on cherche à avoir moins », confie une bénévole.


« L’idée c’est de mobiliser aussi les citoyens à venir nous voir, parce que quand on voit le nombre d’objets qu’on récupère, ça interroge sur ce qu’on produit et consomme »

Jean-Charles est bénévole depuis 2017. D’un naturel manuel, il répare et redonne un coup de neuf dans l’atelier menuiserie.
Optique zéro déchets
Ici, le déchet n’est jamais une fin en soi. Bien au contraire, tout est pensé pour lui offrir une seconde chance. Dans l’épicerie comme au café-cantine, rien ne se perd : les invendus sont soit revendus à petit prix, soit compostés, dans une logique assumée de lutte contre le gaspillage alimentaire. Comme le résume Michel, membre actif de la Coop depuis 2019 : « Même un déchet peut devenir une matière première. »




Du côté de la ressourcerie, l’engagement est tout aussi concret : environ 130 tonnes d’objets sont collectées chaque année, et seuls 8 % ne peuvent être ni réemployés ni recyclés. Le reste est trié, réparé, valorisé ou redirigé vers des partenaires spécialisés du recyclage lorsque le réemploi est impossible. La Coop met aussi en place un système de traçabilité pour suivre les flux, notamment lors des collectes en déchèterie organisées avec la communauté urbaine Caen la mer. « On constate que l’on vit dans une société dopée à produire, consommer et jeter », rappelle Michel. « Alors qu’ici, on produit, on consomme et on réemploie. » Une philosophie en circuit court qui s’inscrit dans une économie circulaire, aux antipodes du modèle linéaire dominant. Et qui rappelle au passage qu’on ne vit pas mieux en consommant plus, mais peut-être en jetant moins. « L’idée c’est de mobiliser aussi les citoyens à venir nous voir, parce que quand on voit le nombre d’objets qu’on récupère, ça interroge sur ce qu’on produit et consomme », conclut Laetitia.




Un pont pour changer les habitudes de consommation
Lieu alternatif aux multiples facettes, elle attire petits et grands pour les différents espaces qu’elle propose. « On a tout type de clients ici. On va accrocher des gens sur la partie ressourcerie qui découvrent le zéro déchet et le local. Tandis que d’autres viennent pour l’alimentation bio et en circuit-court, sans forcément fréquenter la ressourcerie et finalement ça les incitent aussi à consommer autrement », souligne Laetitia avec un grand sourire.



Les prix sont minis, calculés selon l’état des objets, leur quantité et aussi du temps de travail des bénévoles, dans une optique de revaloriser les métiers de la réparation. « Nous faisons aussi des dons pour éviter de jeter, comme du matériel scolaire ou de la vaisselle pour personnes en grande précarité » ajoute Laetitia.
Anne, cliente fidèle, raconte : « Pour moi, la seconde main, c’est une évidence. J’aimerais que tout le monde y vienne un jour. » De son côté, Corinne, qui habite à deux pas, aime échanger livres et objets : « Ça permet d’éviter le gaspillage, et puis on fait toujours de belles découvertes. »
La Coop5pour100 est ouverte au public le mercredi, jeudi, vendredi de 11h à 19h et le samedi de 11h à 18h. Les dépôts d’objets se font le mercredi et vendredi de 11h à 18h et le samedi de 11h à 17h. Et pour devenir sociétaire et bénévole à la Coop, il vous suffit d’acquérir au moins une part sociale d’un montant de 10 euros.
Textes et photos : Marine Thomann
Pour en savoir plus :
À Flers, les Fourmis Vertes
Publié le 10 octobre 2025Depuis 2017, à Landisacq près de Flers, la ressourcerie Les Fourmis Vertes redonne vie aux objets… et surtout aux liens entre habitants. Portée par un élan citoyen, elle est devenue un véritable projet fédérateur pour tout un territoire, réunissant bénévoles et salariés autour de trois valeurs : réemploi, insertion et convivialité.

L’aventure commence avec Dimitri Lecoq, un porteur de projet convaincu de l’urgence d’agir face à l’accumulation des déchets dans le bocage. Si l’idée de créer une ressourcerie suscite d’abord la méfiance de certains élus et habitants, elle réussit néanmoins à rassembler rapidement une communauté engagée. Dimitri parvient à fédérer bénévoles et partenaires autour de sa vision, et son énergie de mobilisation est aujourd’hui encore saluée, notamment par Morgane Kot, actuelle responsable de la structure.



Dès le départ, Les Fourmis Vertes est pensée comme un outil au service à la fois du territoire et de l’inclusion sociale. Accompagnée par l’ARDES (Association régionale pour le développement de l’économie solidaire), la structure se dote dès ses débuts de statuts solides, d’un fonctionnement clair, et s’entoure de partenaires variés. Lorsque Morgane rejoint l’aventure en 2021, elle découvre un projet déjà bien structuré : « Je me suis demandé ce que j’allais pouvoir apporter de plus ! », confie-t-elle en souriant.

Aujourd’hui, Les Fourmis Vertes, c’est une équipe de 10 salariés (5 ETP) dont 5 postes en insertion, 45 bénévoles et une vingtaine de stagiaires chaque mois. Mais l’essence même du projet reste la mobilisation citoyenne. « Si demain les bénévoles s’arrêtent, la ressourcerie s’arrête », rappelle Morgane. Ici, on donne des objets, certes, mais aussi de son temps. Chacun s’implique selon ses envies et disponibilités : des temps de convivialité rythment la semaine, et chaque journée commence autour d’un café partagé. Evelyne et Lili, bénévoles fidèles, reviennent chaque mercredi : « Nous, ce qu’on aime, c’est la déco… et se retrouver ! », confient-elles avec enthousiasme.
Pour garantir un fonctionnement collectif, la gouvernance est organisée de façon collégiale. Une coprésidence anime un conseil d’administration actif composé de 13 membres, qui prend les grandes décisions. Un bureau plus restreint accompagne la direction dans la gestion quotidienne, et des temps collectifs permettent d’échanger et de décider ensemble. Cette dynamique démocratique s’appuie aussi sur un modèle économique hybride : appels à projets, contrats aidés, FONJEP, soutien de la part d’éco-organismes via les filières de la loi AJEC (REP), subventions spécifiques (ADEME pour la sensibilisation), vente d’objets, prestations, etc. Enfin, en tant qu’entreprise d’insertion, la structure bénéficie également d’un financement de l’État.


Salarié depuis 1 an et demi, Greg travaille aux côtés de Patrick, bénévole depuis le premier jour. Ils testent et réparent les machines à laver, récupérées notamment dans les grandes enseignes, dans le cadre des engagements d’Écosystème en faveur du réemploi.

Au-delà de sa mission environnementale et sociale, la ressourcerie est surtout devenue un lieu de vie. Plus qu’une recyclerie, Les Fourmis Vertes est un espace de rencontres où les mondes se croisent. « On peut y retrouver un ancien pharmacien notable et un militant cégétiste, côte à côte ! », sourit Morgane. Ce mélange des genres, cette capacité à « faire communauté », résume sans doute la plus belle réussite du projet.
Le rayonnement de la ressourcerie dépasse d’ailleurs les limites de Flers, « on est une sorte de convergence des territoires » s’amuse Morgane. Les habitants de communes voisines comme Tinchebray-Bocage ou Domfront viennent, mais les habitants du Calvados et de la Manche franchissent également les frontières départementales pour se rendre à la ressourcerie.



Forte de son expérience, l’équipe partage volontiers ses conseils à ceux qui souhaiteraient se lancer. Morgane insiste sur trois points clés :
*Bien s’entourer : réaliser un diagnostic territorial (avec l’ADEME, par exemple), et s’appuyer sur des réseaux comme le TRAF pour vérifier la faisabilité.
*Anticiper l’usure : le « syndrome de Sisyphe » guette — trier, vider, revendre… sans fin. L’insertion permet de renouveler les énergies régulièrement grâce à la limitation à deux ans des contrats.
*Prévoir l’adaptation au bâti : en zone rurale, les bâtiments sont souvent mal isolés et l’accès au foncier reste un vrai défi.



Un lieu qui fourmille d’idées !
Malgré les obstacles, Les Fourmis Vertes continuent d’innover. Après avoir surmonté la crise du Covid et plusieurs transitions internes, elles développent de nouveaux projets : atelier de menuiserie, terrain d’aventure low-tech dans les quartiers ou encore le « Fourmibus » pour faciliter l’accès à la ressourcerie aux habitants sans voiture. À terme, l’équipe rêve de transformer la ressourcerie en véritable espace de vie sociale : un lieu de coopération, de rencontres et de solidarité encore plus affirmé.
Les Fourmis Vertes sont ouvertes le mercredi de 14h à 18h, le jeudi de 9h à 12h30, le vendredi de 14h à 18h et le samedi de 9h à 12h30 et de 14h à 18h.
Pour en savoir plus :
Texte : Nolwen Gouhir. Photos : Marine Thomann
À la Ferté-Macé, les Fourmis Fertoises
Publié le 20 octobre 2025À la Ferté-Macé, une ancienne caserne de pompiers est devenue, depuis quatre ans, une caverne d’Ali Baba. Entre les assiettes vintages, les commodes en bois, les jouets pour enfants et objets en tout genre, chacun y trouve son bonheur.

Ce jour-là, une poignée de bénévoles s’activent pour faire marcher la fourmilière. Quand certains emballent les objets, d’autres lavent, testent et réparent les dernières trouvailles rapportées des habitants, qu’ils soient particuliers ou professionnels. À la suite d’un burn-out lié à son ancien poste d’Aide Médico-Psychologique (AMP), Marie décide de s’engager bénévolement pendant deux ans au sein de la ressourcerie Les Fourmis Vertes, à Flers. Cette expérience humaine et solidaire la marque profondément. Si bien que, quelques années plus tard, animée par la même envie d’agir localement et de créer du lien, elle fonde sa propre antenne à La Ferté-Macé : Les Fourmis Fertoises. Désormais officiellement enregistrée, la recyclerie s’inscrit pleinement dans le tissu local.
« Ici, tout le monde va aux fourmis ou tout le monde va chez Marie »
Son implantation ne doit rien au hasard, située entre Flers, Alençon et Argentan, la recyclerie a trouvé sa place en centre-ville, à proximité des HLM : « On est loin de tout ici, il n’y a pas grand-chose. Mais justement, la recyclerie c’est un lieu sans barrière sociale, accessible à tous. Ici, tout le monde va aux fourmis ou tout le monde va chez Marie ! », sourit Marie.
À travers ce projet, elle défend une vision inclusive et solidaire, où chacun peut trouver sa place, quelle que soit sa situation. L’association est aussi soutenue ponctuellement par des subventions, notamment via le FDVA (Fonds pour le Développement de la Vie Associative), Flers Agglo, et suivie par l’ARDES (Association Régionale pour le Développement de l’Économie Solidaire).


Marie, créatrice des Fourmis Fertoises depuis 2019.
Éviter l’isolement et le gaspillage
En plus de deux salariés, l’association compte une vingtaine de bénévoles, sans lesquels elle ne pourrait pas fonctionner. Un planning sur quinze jours est organisé et chacun s’inscrit en fonction de ses envies et de ses disponibilités. « Recycler, c’est sortir du système de consommation de notre société capitaliste » souligne Alexandra, une des bénévoles. « On jette tellement de beaux objets qui peuvent avoir une seconde vie », regrette Ivette, une autre bénévole.


Originaire du Texas, Thomas a rejoint les bénévoles cette année : « Ça m’aide à progresser en français », confie-t-il.

Si les Fourmis Fertoises permettent une réduction considérable des déchets et du tonnage en enfouissement, elles sont aussi et surtout un lieu social, autant pour les bénévoles que les salariés et les clients. « La recyclerie, c’est une activité qui regroupe les gens pour éviter l’isolement, certains clients viennent et ne repartent avec rien, ils viennent juste discuter avec nous », souligne Marie. Pour Marie-Claude, bénévole aux Fourmis Fertoises, s’engager dans cette activité était la suite logique après la retraite. « Je ne voulais pas rester à ne rien faire une fois en retraite, et à l’origine je voulais être brocanteuse, alors pour moi, c’est une évidence d’être ici », dit-elle.






« J’aime les objets anciens mais ce que j’aime par-dessus tout c’est le collectif, les gens et le handicap »
Si une majorité des bénévoles sont des retraités, Marie tient à faire participer un public en situation de handicap : « Nous n’avons pas de gros impératifs, chacun va à son rythme donc nous pouvons accueillir tout public qui souhaite s’engager dans la recyclerie. »


Au-delà de la recyclerie, Les Fourmis fertoises développent des actions tournées vers l’inclusion et la pédagogie : « J’aime les objets anciens mais ce que j’aime par-dessus tout c’est le collectif, les gens et le handicap », affirme Marie. Des ateliers de tri de jeux de société, dans des établissements scolaires et des centres accueillant des personnes en situation de handicap, sont régulièrement proposés. Ces interventions offrent à un public, souvent éloigné des circuits classiques, une occasion de participer à une activité ludique et utile, tout en favorisant le lien social et en valorisant les compétences de chacun.
Côté perspectives, rien n’est encore défini, mais l’idée d’un nouveau lieu fait son chemin. Marie aimerait un jour relocaliser la recyclerie. « Aujourd’hui on partage trois petits bâtiments peu pratiques », souligne-t-elle. À terme, elle aimerait transformer Les Fourmis Fertoises en entreprise adaptée, capable d’accueillir enfants et adultes en situation de handicap, à l’image d’un ESAT, tout en conservant sa vocation écologique et solidaire.
Les Fourmis Fertoises sont ouvertes le mercredi de 14h à 18h30, le jeudi de 9h à 12h30, le vendredi de 14h à 18h30 et le samedi de 9h à 12h30 et de 14h à 18h30.
Pour en savoir plus :
Infos pratiques sur l’annuaire de La Zouille
La charte des ressourceries et recycleries
Textes et photos : Marine Thomann


