Avril 2022

Ukraine, résister face à la guerre

Laura Bayoumy, Simon Gouin, Marylène Carre (texte), Lucie Mach (photo)

Jeune étudiant caennais, Sergey est arrivé d’Ukraine, à Vire, dans le Calvados, quand il avait deux ans. Face au conflit qui détruit son pays, il déploie son énergie pour récolter des vivres et les envoyer à l’intérieur de l’Ukraine.

Agir… à 2500 kilomètres de son pays. Pendant quelques heures, ce 24 février, lorsque la guerre a éclaté, Sergey Shmyhovskyy a hésité à rejoindre le pays où il est né il y a 20 ans. Combattre avec son père, ancien parachutiste, réengagé avec l’armée ukrainienne face à l’invasion russe.

Au téléphone, Sergey, bouleversé, par la nouvelle, lui demande:

«Est-ce que je dois venir à tes côtés?»

«Ne viens pas, ce n’est pas la peine. Ce n’est pas un jeu vidéo», lui répond son père.

«Quand on n’est pas militaire, aller se battre en Ukraine sans expérience, c’est se jeter vers la mort», raconte aujourd’hui Sergey, étudiant en économie et gestion à l’université de Caen. Le jeune homme décide alors d’aider comme il le peut, ici, en Normandie. Le lendemain, il achète des vivres, des produits d’hygiène, pour le donner à une association qu’il découvre: les Enfants d’Ukraine. Basée à Mathieu, au nord de Caen, elle récolte des dons pour les envoyer directement en Ukraine. «Il n’y a plus d’exportations en Ukraine. Il est très important de faire des dons, notamment alimentaires, qui arrivent directement au pays. Car beaucoup d’aides humanitaires s’arrêtent à la frontière, pour soutenir les réfugiés. Mais à l’intérieur, il manque de tout!»

Photographie: Lucie Mach / Grand format

«C’était énorme. Cela ne rentrait pas dans la voiture!»

C’est à Vire, où le jeune homme est arrivé quand il avait deux ans, que Sergey part dans les jours qui suivent. «J’ai grandi là-bas, j’ai des amis, des contacts. Je voulais aller chercher moi-même les dons pour les rapporter ensuite à l’association.» Sur Instagram, Sergey fait un appel: il compte remplir sa voiture… il repartira finalement avec un mini-bus prêté par le club de football où il a joué toute son enfance. «C’était énorme. Cela ne rentrait pas dans la voiture!» Une amie met à disposition sa salle de sport pour récolter les dons des particuliers; le président du club de foot organise une collecte à l’occasion d’un match, le samedi soir. Tout un réseau de solidarité se met en place autour de lui. Jusqu’au Stade Malherbe de Caen, où le club met à disposition sa boutique pour centraliser ses dons. Lors du match contre Toulouse, le samedi 12 mars, deux réfugiés ukrainiens arrivés début mars sont invités à regarder le match. «Le petit est fan de foot. Il était trop content d’être au pied du terrain», raconte Sergey.

L’association pense remplir une fourgonnette, c’est finalement un semi-remorque qui partira jusqu’au point de passage de Medyka, au nord de l’Ukraine. À la frontière, il déverse son contenu dans un camion ukrainien, qui rejoint la ville de Lviv, au nord ouest de l’Ukraine, par le couloir humanitaire. Des livraisons de vivres et de matériels, Sergey publie des photos sur ses réseaux sociaux, «pour montrer que tout est bien arrivé» à ceux qui donnent, explique-t-il. Mais il prend soin d’attendre au moins une journée avant de diffuser ces clichés. «On ne sait jamais comment une photo peut être utilisée. Il ne faut pas montrer de plaque d’immatriculation. Les militaires russes pourraient les utiliser.»

«Là-bas, c’est la nature, les forêts, les grandes plaines…»

Tous les jours, Sergey a des nouvelles de son père. Posté à la frontière avec la Biélorussie, il ne combat pas, pour le moment. « La dernière fois, il m’a fait écouter l’alarme qui retentit le soir, pour se mettre à l’abri en cas de bombardements. C’est la même qu’on entend chez nous, le premier mercredi du mois.» L’étudiant se renseigne sur les réseaux sociaux, regarde les petites vidéos des Ukrainiens, qui, inlassablement, documentent la guerre dans leur quotidien. «On voit les missiles, les bombes, tombés à cinq mètres de leur caméra.»

Du haut de son balcon où il aperçoit la ville de Caen, le soir, Sergey se pose et imagine la ville normande sous le feu des bombes.

Du haut de son balcon où il aperçoit la ville de Caen, le soir, Sergey se pose et imagine la ville normande sous le feu des bombes. Ce que vit sa famille dans ce pays qu’il devait rejoindre cet été, pour s’y ressourcer, après plusieurs années sans avoir pu s’y rendre. «Là-bas, c’est la nature, les forêts, les grandes plaines…»

En attendant, Sergey poursuit son engagement ici. Il se réjouit de l’engouement qu’il y a autour de l’aide pour les Ukrainiens, en France. Mais il regrette que les autres pays, France en tête, regardent ce qui se passe là-bas sans intervenir militairement pour faire cesser la guerre. «Poutine pisse sur tout le monde», résume-t-il avec ses mots. «Il impose ses règles. Quand cela va-t-il s’arrêter? […] Il ne faut pas s’habituer à une guerre quotidienne là-bas. La bonne nouvelle, c’est qu’on se défend mieux que ce qu’on aurait dû subir!»

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