Juillet 2021

Valse, potager et vieux château

Mélanie Dornier (texte et photos)

En février 2017, il apparait pour la première fois sur les réseaux sociaux. Sa vie et son univers paraissent à cette époque bien loin, mais très rapidement Richard devient «une star» sur le net. Il se fait appeler «Papy Gardien» sur Youtube puis «Papy le Thug» sur Tic Toc. C’est «un jeune» du coin qui co-opère avec lui pour créer le personnage médiatique. Richard aime converser avec les jeunes, «c’est l’avenir» comme il dit.

Richard habite dans un petit village de l’Orne, à la frontière du Calvados. Il est un local, un «gars du cru» comme on dit ici. Son crucifix et lui font partie du paysage de la Suisse Normande. Il a toujours habité dans le coin. Il est aimé ou critiqué mais Richard est là ; il récupère et collectionne. Son univers et son mode de vie ne passent pas inaperçus.

C’est Mamytwink, un célèbre collectif d’urbexeurs et youtubeurs qui, lors d’une de leur exploration nocturne d’un château abandonné, rencontre Richard. La caméra tourne pendant qu’ils se font chasser à coup de pelle. La vidéo fait des millions de vues. Richard apparait sur les réseaux pendant qu’il «gardaitle château des maffiosi », il s’occupait du lieu depuis 2011. Un homme d’affaires anglaisavait dans les années 90 transformé la bâtisse en hôtel et golf de luxe. La légende veut que le propriétaire John Palmer, alias Goldfinger, lors du braquage d’un dépôt de lingots de la Brink’s en 1983, détourne la moitié de l’argent. Avant son arrestation en 2001, sa fortune était évaluée à plus de 300 millions de livres sterling le plaçant comme le plus riche criminel du Royaume-Uni. Les «affaires» judiciaires le rattrapent et l’hôtel est abandonné. Le château est alors fouillé régulièrement, à la recherche du magot manquant. Il devient également un lieu connu dans la communauté de l’urbex. John Palmer décède en 2015 et depuis, sa succession est en cours.

L’urbex est un terme anglophone qui définit une pratique consistant à visiter des lieux construits et abandonnés par l’homme. Ces visites, souvent sans autorisation, plongent les visiteurs dans un univers où le temps s’est arrêté, comme figé. On entre dans l’intimité de personnes absentes et l’histoire s’imagine. Ce type d’exploration aujourd’hui prend de plus en plus d’ampleur sur les réseaux sociaux.

Richard pratique l’urbex depuis plus de 40 ans. Il sillonne les alentours à la recherche de lieux et d’objets. Il s’intéresse à ce que plus personne ne veut. Il est toujours à la recherche d’un nouveau «trésor». Il récupère et collectionne des objets de la Seconde guerre mondiale, mais également tout ce qui a une histoire. C’est un passionné. Il aime entre autres les voitures et autres engins à moteur, les horloges comtoises, les armoires normandes, les croix, les vierges….

La mère de Richard était brocanteuse. Depuis son plus jeune âge, il a baigné dans le milieu. Richard garde tout et ne jette rien: «tout a une utilité. Il y a bien quelqu’un qui va être intéressé par l’acheter. Il y a bien des gens qui font des maisons avec des bouteilles ou des pneus» explique-t-il.

Richard a commencé à récupérer les véhicules et matériel de la Seconde Guerre mondiale dans les campagnes meurtries. «Personne n’en voulait. J’ai acheté les chars au prix de la ferraille pour éviter qu’ils finissent en boites de conserves».

L’accumulation d’objets et de véhicules liés à la guerre, lui fait acheter à Condé-sur-Noireau une ancienne usine. Il y stockera et mettra en scène sa collection. Pour des raisons d’autorisation, son projet d’ouverture de musée ne verra pas le jour. Pourtant, Richard a toujours voulu partager sa collection. Ce n’est pas son premier essai. Dans les années 2000, il avait créé un musée dans le village de Saint-Pierre-d’Entremont en Isère.

Richard aime le patrimoine et sa région de Normandie. Il préserve et collectionne. Dès notre première rencontre, en février 2018, il explique qu’il aimerait bien acheter un château avant que ce dernier ne tombe en ruine. Les lieux livrés à eux-mêmes se détériorent rapidement entre les intempéries et le temps qui passe. Il ne comprend pas comment les propriétaires, l’Etat ne font rien… Les planchers cèdent, les murs tombent et petit à petit les propriétés s’écroulent.

Il aime «se promener et faire des bêtises». Depuis des années, à temps perdu, il sillonne la campagne. On l’appelle, on vient le voir pour lui dire ce qui se passe. ll connait du monde dans la région, les «clients» comme il dit : maire, militaire, notaire, brocanteur, collectionneur, paysan, mécanicien, curieux…. Quand on vient voir Richard, le café, c’est un rituel. Il y a toujours la casserole prête à le réchauffer sur le gaz.

On s’assoit autour de la toile cirée et on prend le temps de discuter. Richard raconte les dernières nouvelles. Il donne son avis sur l’actualité et écoute ce que l’on a à lui dire. La sonnerie de son téléphone ou l’arrivée d’une voiture interrompt la conversation. Une nouvelle tasse de café est versée et «alors quoi de neuf, que du vieux ?» demande-t-il. L’histoire, il ne l’a pas apprise dans les livres. Il a quitté l’école trop jeune mais il en connait des choses.

Les informations que Richard collectent, sont plus ou moins précises. Il fait des kilomètres et tourne plus ou moins longtemps pour dénicher un nouvel endroit. La région, il la connait par coeur, il a exploré petits chemins et voies sans issue. Sa mémoire visuelle lui est d’une grande aide dans ses recherches. Il aime également se renseigner sur l’histoire des lieux auprès des voisins, du maire, et de ses connaissances… Peut-être qu’un jour il pourra l’acheter ce château ou un de ses «clients» sera intéressé.

Dans les endroits favoris de Richard, il y a bien-sûr le château des maffiosi, mais aussi celui où le propriétaire aimait un peu trop les femmes et le vin, le manoir de l’écrivain un peu fou, la maison de campagne du dealer parisien et de ses maitresses bisexuelles… Les affaires de ces propriétés ne sont jamais simples. Il y a souvent des successions interminables, des affaires de justice. Pendant ce temps, l’état des propriétés se dégrade.

En septembre 2020, le rêve de Richard se réalise. Il devient châtelain. Il a les clefs d’un de ces manoirs abandonnés de la région. La porte y était restée ouverte depuis des années. Ce n’est pas le fameux «château des maffiosi» mais le projet a abouti. Richard a réussi à asseoir tous les héritiers autour d’une table. Rapidement, il commence à le rénover avant qu’il ne soit trop tard.

Richard se rend compte que sa propriété est régulièrement visitée. Le lieu est connu dans la communauté des urbexeurs. Et il y a également les envieux des alentours. Les nouvelles vont vite en Suisse Normande! Alors il condamne les issues et installe une vidéo-surveillance. À l’intérieur, après avoir tout vidé et nettoyé, il commence à apporter ses affaires. Des remorques et des camions remplissent vite le manoir. À chaque visite, on entre un peu plus dans l’univers de Richard.

Les choses prennent du temps. Le château à ce jour n’est toujours pas raccordé au réseau et habitable. Richard bricole le lieu avec l’aide de ses copains. Les travaux avancent et bientôt on espère pouvoir y venir prendre le café. Alors tasse à la main, on imagine Richard dans son manoir qui contera exploits et nouvelles du coin. Comme il le dit si bien:«il faut bien un peu de folie pour vivre dans ce monde».

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