Avril 2022

Ukraine, résister face à la guerre

Laura Bayoumy, Simon Gouin, Marylène Carre (texte), Lucie Mach (photo)

Régis a attendu deux semaines, sans avoir de nouvelles de sa compagne, Alina, et de leur enfant. Ils ont fui l’Ukraine pour échapper à la guerre. Depuis le 13 mars, la famille est enfin réunie ; une nouvelle vie à reconstruire.

Dimanche 13 mars 2022, Alina, 33 ans, Ukrainienne, arrivait à Caen, de Kriviy-Rih, ville connue pour être la plus longue d’Europe – environ 150 km de long – avec son jeune fils, Malvii, 7 ans, après plus de deux semaines de périple. Le père d’Alina les a accompagnés jusqu’en Pologne, où «on leur a dit qu’ils obtiendraient une protection jusqu’à la destination de leur choix», raconte Régis, le compagnon d’Alina, resté en France depuis un an et demi. Rassuré, le père de sa femme est retourné sur le champ de bataille, en Ukraine.

«Les Ukrainiens n’aiment pas voyager, même pour visiter d’autres villes de leur pays. Ils sont patriotes, ils demeurent là où ils sont nés et quelle que soit la guerre qui sévit, beaucoup ont choisi de rester», confie Régis. Lui est d’origine gabonaise, en Afrique centrale, et a vécu dix ans dans le “Grenier à blé de l’Europe“, pour étudier, comme les 23.000 autres étudiants africains qui se trouvaient en Ukraine au moment où Vladimir Poutine a lancé les hostilités.

« Quelle que soit la guerre qui sévit, beaucoup ont choisi de rester »

Pour celui qui a vu la « très belle ville » de Donetsk se transformer en « ville fantôme », en 2015, lors de la coupe d’Europe de football, le conflit était « prévisible ». S’il n’a pas éclaté avant, ce n’est que grâce au Covid-19, assure Régis. « Poutine avait cette intention de reconstituer le territoire de l’URSS depuis la Crimée, déjà. Ce n’est pas la diplomatie qui peut l’arrêter et il est prêt. »

Celui qui observe les scènes de guerre depuis son poste de télévision, est affecté mais pas surpris d’apprendre que certains de ses amis ont choisi de prendre les armes, là-bas. Mais pour l’heure, il lui faut prendre soin de sa compagne et de son fils qui sont arrivés à la gare de Caen, la boule encore coincée dans le ventre: «Le dialogue est difficile, je ne sais pas encore de manière détaillée ce par quoi ils sont passés mais la peur est là.» Pendant une bonne partie de ces deux semaines de trajet, Régis n’a pas pu communiquer avec sa femme.

Ce n’est qu’une fois qu’Alina et son fils sont arrivés à la frontière, en Roumanie, qu’elle a pu le joindre pour «demander le chemin le plus court. Et quand je l’ai vue arriver, elle n’avait qu’un pantalon et une paire de basket, même l’argent de poche, elle n’en avait plus pour subvenir à leurs besoins immédiats. Quand on connaît la personne…», s’étrangle Régis.

Une solution d’hébergement temporaire

Alina et leur fils ont été installés, avec une cinquantaine d’autres réfugiés ukrainiens dans l’ancien centre d’hébergement militaire mis en place par l’État à Bretteville-sur-Odon (Calvados). Une majorité de femmes et d’enfants ont été reçus dans ces deux bâtiments pouvant accueillir jusqu’à 90 personnes. C’est une solution temporaire en attendant qu’un logement individuel soit proposé.

«Nous sommes allés à la préfecture et nous avons été bien reçus. Nous avons obtenu un récépissé qui fait office de titre de séjour et la procédure a été facile, même l’assurance maladie a été mise en place. Tout se passe comme annoncé dans les médias», confirme Régis, reconnaissant, qui doit désormais réfléchir à la scolarisation de son fils et à l’intégration de sa femme, avec qui il parle désormais en français. Alina a d’ailleurs commencé à prendre des cours de français, en ligne.

L’homme de 35 ans vit en France depuis un an et demi, où il a rejoint de la famille. Il habite lui-même chez des proches : c’est pourquoi il ne peut recevoir sa femme et son fils. Mais avant de chercher du travail dans le chef-lieu du Calvados, il a vécu dix ans en Ukraine. En venant en France, il y a un an, il a échappé à l’exode des Africains que l’on voit fuir aux côtés des Ukrainiens. Francophone, Régis aurait pu choisir de venir étudier en France, mais c’est vers l’Ukraine qu’il s’est orienté pour poursuivre sa formation d’ingénieur des mines, en 2008.

«L’école coûtait moins cher qu’en France, le coût avoisinait 1200 € pour l’année et je voulais tout de même une bonne formation. J’ai commencé par une année préparatoire en langues et maths appliquées, physique et géologie pendant un an. Puis j’ai obtenu mon diplôme en 2010, en langue ukrainienne et russe avant d’obtenir mon titre d’ingénieur en 2014 et le master 2 en exploitation et extraction minière en 2015.»

«Il y avait une très bonne politique d’intégration pour les étudiants étrangers. L’école facilitait nos démarches pour nos papiers: on déposait notre passeport et ils s’occupaient de notre titre de séjour.»

A Kriviy-Rih (au sud-est de l’Ukraine), le jeune Africain s’est retrouvé avec dix autres Gabonais, une vingtaine de Camerounais, des Congolais de République Démocratique du Congo, des Éthiopiens ou encore des Marocains… «Il y avait une très bonne politique d’intégration pour les étudiants étrangers. L’école facilitait nos démarches administrative: on déposait notre passeport et ils s’occupaient de notre titre de séjour.»

C’est là qu’il a rencontré la mère de son enfant, elle aussi ingénieure de formation. «Sa famille m’a tout donné et m’a reçu comme si j’étais leur fils», confie-t-il. L’intégration est réussie mais le salaire est trop faible pour subvenir à ses propres besoins et pour celui qui tient à soutenir ses parents financièrement. «Je n’ai pas été confronté longtemps à la recherche d’emploi, mais à 150 € de revenu mensuel, ce n’était pas tenable alors je suis rentré au Gabon où j’ai travaillé à Colas Afrique.»

Mais là, le trentenaire bardé de diplômes et polyglotte fait de l’ombre à ceux qui sont en poste. «On m’a donné des responsabilités et ça n’a pas plu à certains, mais on donne toujours raison à la peau blanche, en Afrique.» L’homme se retire alors du privé pour se tourner vers l’enseignement «mais là encore, j’ai été confronté au même problème».

«Je crois en Dieu, j’ai la foi…»

Régis a donc choisi la France pour finir son doctorat et accéder à l’école des Mines, près d’Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône). Retenu parmi les cinq candidats, le Gabonais s’est retrouvé en prise avec les fermetures d’aéroports, les confinements liés au Covid-19 et n’a pas pu à arriver à temps pour commencer les cours.

Une fois en France, il s’est orienté vers Caen où il avait des proches déjà installés et a tenté de trouver un emploi: «Partout où je dépose ma candidature, il y a toujours un refus. On me dit que je suis trop diplômé, que j’ai trop de compétences… Alors je fais de l’intérim en tant que plongeur et homme de ménage», avoue celui qui semble ne jamais baisser les bras.

Pour l’heure, le temps libre de Régis, qui parle couramment ukrainien et russe, est apprécié: il apporte une aide précieuse en traduction à la préfecture et aux autres interlocuteurs de ces nouveaux migrants. Depuis trois semaines celui qui est aussi catholique pratiquant se rend plus fréquemment à l’église Saint-François, d’Hérouville-Saint-Clair, où il réside.

«Ce n’est pas parce que les temps sont durs que je viens plus», corrige-t-il. «Je crois en Dieu, j’ai la foi…» Dans cette même église, jonchent des dizaines de cartons, au sol et empilés contre les murs, prêts à partir dans le prochain camion de 30 tonnes avec les dons rassemblés par la paroisse orthodoxe roumaine. Au feutre, on peut lire «couvertures», «vêtements» et autres produits pour bébé et médicaux… La guerre en Ukraine est dans toutes les têtes.

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