Novembre 2025

Grâce aux low-tech, ils inventent un monde plus durable

Romuald Poretti (texte) - Marine Thomann (photos)

Dans le bocage virois à Saint-Pierre-Tarentaine, Nicolas Maze fait du « petit bois »et du partage des savoirs les deux piliers d’une approche résolument low-tech du métier de charpentier. Rencontre avec un artisan qui incarne une relation nouvelle au travail.

Les métiers low-tech liés au vivant offrent une alternative forte : remettre du concret, du local, et du vivant dans sa vie professionnelle. Que ce soit pour cultiver, livrer, réparer, construire, soigner… ces activités engagent le corps, le temps long, l’environnement autour de soi. C’est aussi un changement de rapport au monde. On passe d’une logique de performance à une logique de robustesse, car la performance épuise les ressources, les personnes et notre vie. C’est pour se sentir mieux, plus apaisé, plus en accord dans notre relation à la nature, aux autres, aux objets, à sa propre énergie que des personnes font des choix de vie qui étonnent, intriguent et donnent à réfléchir.

C’est exactement dans cette dynamique que Nicolas Maze agit. Car travailler avec le vivant, le bois ici en l’occurrence, ce n’est pas « revenir en arrière ». C’est choisir une autre manière d’avancer, qui respecte les limites de la planète, mais aussi nos propres limites. Une manière de construire une trajectoire professionnelle plus humaine, plus stable – et plus résiliente face aux crises à venir. De musicien à charpentier, Nicolas Maze a opéré une reconversion radicale qui l’a mené à créer en collectif un écosystème coopératif unique en Normandie. Au cœur du bocage virois, à Saint-Pierre-Tarentaine près de Souleuvre-en-Bocage, son atelier La Bissonnière s’ancre dans un territoire rural aux paysages caractéristiques – haies vives, prairies bocagères et boisements traditionnels – qui fournissent justement la matière première de sa démarche.

La Bissonnière, un laboratoire du réemploi

C’est dans le bocage normand que Nicolas Maze a planté ses outils, choisissant délibérément une échelle humaine et locale. Avec quatre autres artisans du bois, il a créé La Bissonnière, un atelier collaboratif né d’un modèle économique innovant : une SCI (société civile immobilière) où 95% des parts sont détenues par une association, protégeant ainsi le lieu de la spéculation immobilière.

« Tout est construit avec des matériaux de récupération », explique Nicolas Maze en désignant la dalle d’un ancien bowling, le parquet d’une salle de danse. Ces trésors ont été sauvegardés grâce au collectif SyRéeN, spécialiste du réemploi dans le bâtiment. « Quand on voit la qualité des matériaux qu’on jette, c’est une aberration écologique et économique. Travailler avec ce qui existe déjà, c’est la base du rapport apaisé aux ressources. »

Aujourd’hui, le projet s’est structuré en un véritable écosystème : Outils & Compagnie pour la mutualisation des équipements, une Coopérative d’Activités et d’Emploi en cours de création, et Le Bocage Rénov, plateforme de conseil pour la rénovation du bâti ancien. Un microcosme robuste qui fédère une trentaine de professionnels en milieu rural, démontrant qu’une autre économie est possible.

De l’orchestre au rabot : la bascule vers le concret

Avant de manier le rabot, Nicolas Maze était musicien. Sa reconversion dans la charpente à la fin des années 1990 s’est heurtée à la réalité des chantiers de pavillons standardisés. « J’enchaînais les constructions sans âme, sans jamais rencontrer les clients. Je ne me retrouvais pas dans cette course effrénée. »

Le déclic viendra lors de la construction de sa propre maison, où il expérimente les matériaux naturels qui lui tenaient à cœur : la paille, la terre, le bois sous toutes ses formes. Une révélation qui orientera définitivement sa pratique vers la low-tech et la transmission. « J’ai découvert qu’on pouvait construire autrement, en respectant les ressources et en impliquant les habitants. C’était le début d’un rapport plus juste au métier. »

Nicolas Maze a développé une expertise rare autour de la valorisation du « petit bois », ces sections tortueuses ou modestes que l’industrie du bois rejette. « Historiquement, un charpentier valorisait 70% d’un arbre dans la construction. Aujourd’hui, on peine à atteindre 30%. Le reste part en trituration ou en bois énergie, c’est du gâchis. Cette logique du déchet, c’est précisément ce que refuse la low-tech. »

Pendant près de dix ans, il a mené des recherches sur les techniques constructives utilisant le bois de faible diamètre. « Dans une maison en colombage traditionnelle, toutes les petites branches étaient refendues pour faire les claveaux, le remplissage. Rien ne se perdait. » Il a adapté ces savoir-faire oubliés pour créer des systèmes constructifs contemporains : échelles pour caler la paille, structures triangulées, murs en bois cordé.

« Le petit bois, c’est une ressource abondante et renouvelable. Les arbres tordus, mal conformés, qui ne trouvent pas preneur en scierie, représentent pourtant un potentiel énorme. » Son approche permet de travailler avec des essences locales, sans transformation industrielle lourde, en circuit court. Une démonstration par l’exemple que la low-tech peut être une réponse concrète au gaspillage des ressources, créant de la valeur sans épuiser le vivant.

Nicolas Maze sur le site de la menuiserie, à Souleuvre en Bocage.

Transmettre pour redonner du pouvoir d’agir

Le cœur de la démarche de Nicolas réside dans l’accompagnement de chantiers participatifs. « Nous ne sommes pas des prestataires classiques. Ici, le client est acteur de son chantier. Nous le guidons, mais c’est lui qui décide. » Ce deuxième pilier de sa démarche low-tech est le partage des savoirs. « La low-tech, pour moi, c’est d’abord cette transmission qui redonne du pouvoir d’agir. »

Sur ses différents chantiers de rénovation, le processus est en marche : budget transparent, facturation uniquement du temps de travail, pas de marge sur les matériaux. Les propriétaires apprennent à maîtriser des techniques comme le torchis – « un matériau qui marche très bien, accessible à tous, même aux enfants » – ou la pose d’isolants naturels.

Dans une démarche low-tech, la concasseuse est utilisée pour broyer et revaloriser des matériaux, ici de la terre servant d’isolation, limitant ainsi le gaspillage.
La terre avant son passage dans la concasseuse, encore compacte et mêlée de fibres végétales. 

Les repas partagés sur le chantier deviennent des moments d’échange technique et de convivialité. « C’est bien plus qu’une construction : c’est un événement de vie qui crée du lien social et des compétences durables. On sort de la relation client-prestataire pour entrer dans une logique de coopération. » Cette approche incarne parfaitement l’économie de la fonctionnalité et de la coopération chère à la low-tech.

« Le propriétaire sait ce qui est derrière ses murs »

Pour Nicolas Maze, low-tech rime avec bon sens et accessibilité. « Nos techniques sont douces, non agressives. La terre, la fibre végétale, le petit bois : ce sont des matériaux qui régulent naturellement l’hygrométrie et s’inscrivent dans une logique de cycle vertueux. »

La terre à la sortie de la concasseuse sera à nouveau exploitable pour l’isolation d’une maison.

Nicolas Maze remet au goût du jour des savoir-faire ancestraux adaptés aux enjeux contemporains. Le torchis projeté sur la pierre, par exemple, combine performance thermique et simplicité de mise en œuvre. « Les gens redécouvrent que construire peut être accessible, et surtout réparable. C’est toute la philosophie du travail avec le vivant : comprendre les matériaux, respecter leurs propriétés, plutôt que de les contraindre. »

Dans cette approche, la validation se fait par l’usage et le temps. « Il faut 50 ans pour valider un système constructif. On avance avec des gens engagés, prêts à tester. » La garantie dépasse le cadre décennal : elle devient humaine. « Le propriétaire sait ce qui est derrière ses murs. S’il doit réparer dans vingt ans, il saura. C’est extrêmement valorisant et sécurisant. »

La légitimité par la preuve

Le chantier low-tech devient un lieu de vie qui décloisonne les univers. « On crée de la porosité entre néo-ruraux, agriculteurs, artisans. » Après vingt ans sur le territoire, la légitimité de cette approche s’est construite, pierre après pierre, par la preuve concrète et la relation de confiance.

Face aux freins réglementaires – notamment les assurances peu adaptées à ce modèle – Nicolas reste serein. « Nous avançons par la preuve, par l’exemple. Une maison qui tient depuis quinze ans est notre meilleure certification. Les institutions finissent par reconnaître la valeur de ces approches quand elles voient la cohérence et la pérennité des réalisations. »

Sa vision dépasse la simple construction : il s’agit de reconstruire une culture où chacun retrouve la fierté de savoir bâtir, réparer, et transmettre. « Relever le niveau de compétence de tous, c’est ça, la philosophie low-tech. Une maison ne devrait jamais être une boîte noire que seul un expert peut comprendre. »

Dans son atelier normand, entouré des copeaux de son « petit bois » et des outils partagés, Nicolas Maze continue de tisser sa toile. Chaque chantier participatif est une victoire contre l’obsolescence programmée des bâtiments et des savoir-faire. Sa démonstration est tangible : on peut construire autrement, en alliant l’intelligence de la récupération et la force du partage, dans ce rapport renouvelé au vivant qui caractérise les métiers low-tech.

Le prochain épisode de cette série sera publié la semaine prochaine. D’ici là, inscrivez-vous à notre newsletter ci-dessous.

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