Août 2020

Les fils de la mer

Florence Brochoire (texte, photos et sons)

Ils s’appellent Franck, Sasha et Yannick. Et ils ont un point commun, une passion, une vie : la pêche. Leur port d’attache : Dives-sur-Mer, dans le Calvados, entre les villes côtières de Cabourg et d’Houlgate.

Ce petit port de pêche compte sept chalutiers. Tous pêchent dans la Manche, en zone Atlantique Nord-Est, alternant poissons et coquilles Saint-Jacques en fonction des périodes de l’année. Mesurant moins de 12 mètres, ces chalutiers pratiquent une pêche dite artisanale. Ces bateaux représentent 80% de la flotte de pêche en France. En Normandie, sur 531 bateaux actifs, 247 pratiquent ce type de pêche.

Dans la halle à poissons du port, sur huit étals, les femmes, enfants, sœurs ou employées des marins vendent aux particuliers les poissons et fruits de mer issus de leur pêche.

A Dives, toutes les générations sont présentes: des jeunes matelots débutants aux «vieux de la vieille» qui leur transmettent leur expérience. Si le métier a évolué, notamment la réglementation qui régule la pêche pour un meilleur renouvellement des ressources, leur moteur reste le même : la passion. Elle seule leur permet de surmonter un quotidien entièrement construit autour de leur métier et des conditions de travail très difficiles.

En Normandie, les pécheurs font face à de nouvelles difficultés: le Brexit, la crise du Coronavirus et le projet d’un parc de 62 éoliennes en mer entre Dieppe et Le Tréport, une zone de pêche très riche en poissons et coquilles. Autant d’adaptations et de négociations que la profession devra affronter. Il en va de sa survie. Face à une économie de plus en plus libérale qui favorise les regroupements en coopérative et les investissements étrangers, la pêche artisanale pourrait bien disparaître totalement. Si elle possède un réel pouvoir de décision, la récente nomination d’une ministre de la mer, Annick Girardin, aidera peut-être à la défendre.

Dans le cadre d’une résidence pour le festival «Les femmes s’exposent» qui, chaque année à Houlgate, met à l’honneur le travail de femmes photographes, la photographe Florence Brochoire a passé plusieurs jours auprès de ces pêcheurs de Dives-sur-Mer, en 2019.

Embarquons avec elle auprès de ces fils de la mer.

Dans ce premier épisode, nous partons à bord du Sachal’éo, un chalutier de 10 mètres 30.

Franck Tousch en est le patron et l’armateur, assisté par Mickaël, second, et Dany, matelot. Sa femme Valérie s’occupe de la vente dans la halle à poissons. Après avoir fait l’école maritime, son fils a finalement décidé de s’orienter vers une autre profession.

Au début du confinement, 85% des bateaux normands sont restés à quai. Il n’y avait de toute façon plus de clients à l’arrivée. Heureusement, la saison de la pêche à la coquille Saint Jacques avait bien fonctionné et les aides de l’État ont permis de limiter les dégâts. La crise sanitaire et économique annoncée pour la rentrée serait bien plus grave: avec des restaurants qui ne tourneraient pas à plein régime, des consommateurs frileux dans leurs dépenses et un re-confinement possible en plein redémarrage de la saison des Saint-Jacques, l’impact serait bien plus néfaste.

Mars 2019, 4 heures du matin. Dans le sas du port de Ouistreham, le Sachal’éo et d’autres chalutiers attendent de pouvoir partir en mer. La saison de pêche à la coquille Saint-Jacques s’étend chaque année du 1er octobre au 15 mai. Une période attendue avec impatience car il s’agit du produit de la mer le plus rentable et le plus prisé des pêcheurs. Le 14 novembre dernier, la coquille Saint Jacques a décroché le titre de 500ème produit «Saveurs de Normandie».

Alsacien d’origine, Franck est passé par plusieurs orientations professionnelles avant de décider de devenir marin en 1985. Il y a six ans, avec sa femme Valérie, ils décident d’acheter un bateau et viennent s’installer dans le port de Dives-sur-Mer.

Cliquez sur le son ci-dessous pour écouter Franck Tousch.

Sur le pont, Dany, matelot, fume une cigarette en attendant d’arriver sur site. Les temps de trajet sont importants. Pour la pêche en Baie de Seine, il faut compter deux heures aller et deux heures retour.

Le projet de parc d’éoliennes entre Dieppe et le Tréport est un sujet de tension. Mécontents de ne pas avoir été consultés sur le choix du lieu d’implantation du parc, les pêcheurs et leurs représentants du Comité Régional des Pêches de Normandie s’opposent à ce projet. Depuis le 16 juillet, les campagnes géophysiques et géotechniques préalables ont commencé sur zone. Après une manifestation musclée des pêcheurs le 21 juillet dernier, le Comité Régional des Pêches a relayé un appel au calme pour éviter l’affrontement entre les pêcheurs et le navire d’étude sur place.

Autre crise à laquelle les pêcheurs sont confrontés: celle du Brexit. Les conflits avec les bateaux anglais étaient déjà réguliers. N’étant pas soumis aux mêmes réglementations, ces derniers viennent pêcher sur les eaux communautaires en toute légalité avec de gros bateaux, sans quota et durant toute l’année. Ils ont, de plus, l’autorisation de commencer la pêche des coquilles Saint Jacques avant les bateaux français. Des conflits qui risquent de s’envenimer car, d’après les dernières informations, les Anglais s’orienteraient vers un no-deal interdisant l’accès à la quasi-totalité des bateaux français dans leurs eaux à partir du 1er janvier 2021. En Normandie, ce sont environ 100 bateaux qui sont concernés et qui risquent de ne pas survivre. Des négociations sont toujours en cours afin de trouver des accords. La seule monnaie d’échange de la France reste la coquille Saint Jacques: si aucun accord n’est trouvé, les bateaux anglais ne pourront plus venir la pêcher sur les côtes françaises.

En France, on compte 13 500 pêcheurs dont 6000 en Normandie. Une profession qui peine à recruter malgré des salaires attractifs puisque les matelots démarrent en moyenne avec un salaire de 2000 euros. Il y a quelques jours, Dany a décidé d’arrêter le métier de matelot.

En quarante ans, la politique de gestion des ressources a beaucoup évolué pour préserver le renouvellement des espèces et imposer une pêche plus durable. Il y a encore deux générations, les pêcheurs étaient libres de pêcher quand ils voulaient et où ils voulaient. En quelques semaines, les gisements étaient dévalisés. Pour réguler ces pratiques et préserver les ressources naturelles, le Comité Régional des Pêches a mis en place une réglementation qui limite le nombre de marées par chalutier et par semaine, la durée de pêche, les zones où l’on peut pêcher et a instauré des quotas en fonction de la taille des bateaux. Si la réaction des pêcheurs a été hostile au départ, nombreux sont ceux qui reconnaissent que ces mesures permettent aujourd’hui que tout le monde en vive et sur des périodes annuelles bien plus longues.

Avec sa taille de 10 mètres 30, Le Sachal’éo est soumis à un quota de 1,5 tonnes de coquilles Saint Jacques maximum par marée. Une partie sera vendue sous la halle, l’autre aux mareyeurs, ces grossistes qui achètent sur place les produits de la pêche et les expédient aux restaurants et marchands de poisson. Les coquilles doivent respecter la taille minimale de 11 cm. En dessous, elles sont rejetées à la mer.

Dany, matelot, et Mickaël, second, sont dans la cabine sur le chemin du retour. Pendant la crise du coronavirus, la question de la promiscuité dans les bateaux s’est posée. Impossible de rester à distance sur des petits bateaux.

Dans sa cabine, Franck nettoie le crucifix qu’il a accroché. Lors de la fête de la mer tous les ans au mois d’août, un prêtre bénit les bateaux de Dives. Cette année la fête a été annulée pour cause de coronavirus. Les chalutiers ne feront pas leur parade habituelle en décorant les bateaux et emmenant du public à leur bord. Seule la traditionnelle gerbe en hommage aux marins disparus en mer a été déposée au pied de la stèle par le maire et le prêtre de Dives-sur-Mer.

Le petit Paul fait partie des belles rencontres que l’on peut faire sur le port. Venu avec sa famille, Franck lui a fait visiter son bateau. Nombreux sont les touristes et les curieux sur le quai qui guettent le retour des chalutiers. Pour le remercier, Paul fait un câlin à celui qu’il vient de baptiser «Capitaine papy».

Valérie, la femme de Franck, prépare à manger dans leur maison. Elle s’occupe chaque matin de la vente sous la halle installée sur le port de Dives. Huit étals y sont présents et la concurrence est rude.

A table en famille, Maxime, à la gauche de Franck, est son neveu. Il vient régulièrement filer des coups de main à son oncle. La pêche à Dives reste une histoire de familles.

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