Octobre 2020

Sportifs hors-norme

Christine Raout - Illustrations : Elisa Foubert

La neige, la glace, le vent, des températures entre 0°C et -42°C – parfois plus en ressenti – voici le domaine où s’épanouit Erick Basset depuis plus de dix ans. En février prochain, le sportif de 45 ans doit prendre le départ de l’Iditarod Trail Invitational, en Alaska. Après avoir terminé le parcours de 350-miles en 2019, ce sera au tour du 1000-miles, soit quatre semaines à pied dans le froid avec un objectif : terminer debout sur ses deux jambes.

©Virginie Meigné

Du ballon rond à la pulka

«Je faisais du foot, mais à 30 ans, il fallait que je passe à autre chose, donc je me suis mis à la course à pied, et au départ, je n’étais pas très performant en course à pied», avoue Erick Basset. Courir comme ça, courir pour courir, jusqu’à un séjour à la Réunion où des amis évoquent la Diagonale des fous et piquent sa curiosité : une course de plus de 160 km du sud au nord de l’île de la Réunion, très riche en dénivelés. «Ça paraissait inaccessible, mais je me suis dit : «je m’y inscris», sans jamais avoir fait de course officielle. Je n’avais même jamais fait un 10 km à pied en format course. Du coup, je me suis entraîné toute l’année pour ça. Pour voir si je pouvais faire 40 km en courant, je me suis inscrit au Marathon du Pont de Normandie qui faisait à l’époque Honfleur – Le Havre. J’ai terminé avec un temps classique, sans prétention particulière et plutôt rassuré d’être capable de faire 40 km en courant. Trois semaines plus tard, je me lançais dans la Diagonale des fous, en terminant honnêtement et content de moi.»

Illustration Elisa Foubert.

Avec le recul, le pari aurait pu être risqué, mais finalement, c’est un déclic. Erick Basset s’installe à son compte professionnellement pour ne plus «travailler pour travailler», décide de voyager pour courir – ou peut-être courir pour voyager – et se lance dans ce qui ressemble à un tour du monde de trails. «Partout il y a des courses plus ou moins farfelues, mais ce sont toujours des courses qui font 160 km, 200 km, 300 km… Et petit à petit, j’ai fait tous les ans des courses : Libye, Egypte, Madagascar, Cameroun, Inde, Amazonie et à côté, je faisais des périples à traverser les Alpes ou les Pyrénées en courant

En 2008, une nouvelle rencontre lui fait tourner le regard vers le Grand Nord, le récit de courses dans le froid suscite chez Erick Basset un mélange de curiosité, d’appréhension et surtout une forte envie de tenter l’expérience.

La liberté et la nature

En 2009, Erick Basset participe à sa première course au Canada, la Rock and Ice : 225 km en 6 étapes et la découverte du froid, des grands espaces et des précautions qu’exige ce nouvel environnement. En suivant scrupuleusement les conseils des plus expérimentés, le nouveau venu arrive 4e. «C’est toute l’évolution entre la première course et aujourd’hui : je ne suis plus du tout la même personne, reconnaît-il. Pour les courses de Grand Froid, il faut de l’expérience car il peut vous arriver plein de choses. Il faut être raisonnable car vous vous retrouvez tout seul le plus souvent. Vous n’avez pas de téléphone. Vous pouvez toujours lancer un signal SOS et c’est la sécurité civile du pays qui vient. Mais c’est vraiment en cas d’extrême urgence, il faut vraiment être en péril.»

«J’avais envie de faire quelque chose qui me bouscule avec les ultratrails, j’aime la nature et là, c’est vraiment les grands espaces et on est souvent tout seul. Les courses en montagne, il y a du monde. Dans les déserts, vous pouvez aussi être seul, mais la chaleur commençait à me peser.»

©VIrginie Meigné

Le froid devient donc exclusivement son nouveau terrain de jeu, en Alaska, au Canada et en Scandinavie. Les trails durent de quelques jours à une grosse semaine : 66°33 (Canada), Rovanieni (Finlande), Frostkade (Laponie), Sustina (Alaska)… et surtout l’Idita rod (Alaska), avec en ligne de mire le 1000-miles qui traverse l’Alaska par le chemin historique des chercheurs d’or. L’inscription à cette course de plus de 1600 km en près de 30 jours est conditionnée par la réussite aux formats plus courts. Après un abandon à l’Idita 350 en 2018, Erick Basset gagne son ticket en 2019 pour l’Idita 1000 de 2020. Ne s’estimant pas prêt pour mars 2020, l’ultratraileur du froid reporte son inscription à 2021. Une bonne idée avec le recul. Son entraînement a commencé dès cet été.

L’endurance plus que la performance

Courir déjà, un peu mais pas tous les jours. Randonner ensuite, une fois par semaine. Puis avec l’automne vient son test de la Côte de Nacre. «Je prends le train à Caen, je vais à Bayeux et je rentre par la côte par Arromanches, Courseulles et Ouistreham en marchant ou en courant le long de la plage, puis je rentre par le canal jusqu’à Fleury, ça fait 60-65 km. C’est mon test. Au début je ne fais que marcher, je fais de la rando classique sur un rythme normal pour habituer mon corps à marcher, mes jambes et mon dos à ce que tout le monde fait en randonnée. À la fatigue. Au bout de 6 heures, on se lasse, mais on continue. Et quand j’arrive à terminer en courant du canal jusqu’à Fleury et à arriver à la maison sans être fatigué, voilà, c’est bon, je considère que ça fonctionne. J’arrive à 8h à Bayeux et je rentre à 18h ici, ça fait mes 10 heures. Et ça ne sert à rien de faire plus, ni plus rapide. Quand j’ai ça, je me considère à peu près prêt

Tenir plus que courir, c’est toute la nuance de ces expéditions dans le Grand Froid, et toute la différence aussi entre ceux qui terminent sans mutilation et ceux qui, épuisés, ne reprendront peut-être jamais un tel départ. L’endurance, mais aussi l’organisation, indispensable.

Illustration Elisa Foubert.

Dans le froid, il faudra marcher, se nourrir, dormir. Survivre et avancer. La logistique, c’est une pulka : un traineau que l’on tire avec tout le nécessaire dedans, une charge pour le corps et l’indispensable pour ne pas geler et mourir de faim. «Il y a des courses où vous êtes totalement autonome, d’autres où il y a un chalet pour vous réchauffer au bout de 40 km, tout dépend des formats et des logistiques de course.»

©Virginie Meigné
Que mettre dans la pulka ?

Dans les habitudes prises au fur et à mesure des courses, il y a les bons vêtements pour se protéger du froid, le bonnet, les gants, les chaussettes adaptées à -40°C, les raquettes pour la neige molle, ou encore les masques nombreux pour en changer souvent et éviter les gelures au visage, un désagrément qui a déjà causé au Normand un abandon. «Le masque avait glissé mais le ressenti n’était pas froid. En passant le col, quelqu’un de l’organisation a vu que j’étais tout blanc, j’avais gelé. Le médecin m’a dit d’arrêter. Il y a plusieurs codes à respecter. Il ne faut effectivement pas faire n’importe quoi. Si vous vous trompez de textile, vous transpirez et si vous transpirez, vous gelez.Ça aussi, c’est de la logistique. Ne pas attendre qu’il soit trop tard. Par exemple, quand vous marchez depuis plusieurs heures, vous bougez les orteils pour voir si vous les sentez tous et si vous avez un doute, vous vous arrêtez vous retirez tout, vous bougez. Tous les petits détails, il faut y penser sans arrêt. »

©Virgnie Meigné
Manger dans le froid.

Une expédition dans le grand froid, pour Erick Basset, il s’agit d’une suite de courses de 24 heures, de 6h du matin à 6h le lendemain. Chaque jour, il faudra marcher, dormir, manger, gérer le climat, de la qualité de la neige, du dénivelé. C’est l’addition de ces journées qui font le trail.

Illustration Elisa Foubert.

On re-planifie tout, on re-réfléchit à tout, on fait tout le temps ça, décrit-il. Quand je compare aux premières courses, je me dis que c’était n’importe quoi : je me suis fait à manger là, à tel endroit à telle heure et ce n’est pas du tout ça qu’il faut faire. Quand j’étais jeune dans ces courses-là, je n’avais juste pas d’expérience, après je n’ai certainement pas tous les bons codes, mais j’ai appris.

L’endurance et l’expérience, ce sont les points forts des ultratraileurs du froid. C’est pourquoi certains continuent leurs performances la soixantaine passée. Et le souhait pour ce Normand, c’est de pouvoir s’envoler dans quelques années avec sa compagne et son fils pour le Grand Nord, et voir dans les yeux de par la fierté de voir son père franchir la ligne d’arrivée.


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Christine Raout

Christine Raout est journaliste pigiste, collaboratrice régulière de La Lettre du Spectacle, Le Moniteur et Ouest France.

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