Petits Formats
N° 22 – décembre 2022

Les dernières nouvelles de Normandie, sélectionnées par Grand Format.

Bonjour,

ce mois-ci, dans votre newsletter, on vous parle de pesticides, de précarité étudiante, d’un camping qui déménage face à la montée des eaux, de hackers…

Si vous appréciez nos articles, on vous invite à soutenir notre travail en faisant un don à notre association : nous recherchons 160 donateurs jusqu’au 31 décembre 2022. 54 personnes nous ont soutenus jusqu’à aujourd’hui.

Un grand merci!

Les petites dépêches

Hacker arrêté ~ Mikhail V., hacker russo-canadien résidant dans l’Ontario est soupçonné d’être l’auteur de 115 cyberattaques en France, dont une contre un cabinet d’avocats caennais en janvier 2022. Il travaille pour les principaux groupes de cyberpirates, comme Ragnar Locker, Lockbit, BlackXCat et DarkSide.

Espionnée par le Qatar ~ Nathalie Goulet, sénatrice UDI de l’Orne, fait partie des 50 personnalités françaises espionnées par le Qatar dans le cadre du Mondial de football, selon une enquête du Sunday Time. Son adresse mail a été piratée. La sénatrice, qui dénonce régulièrement le rôle de l’émirat dans le financement de l’islam radical, a déposé plainte.

Ferme sous haute tension ~ Alain Crouillebois, éleveur laitier à La-Baroche-sous-Lucé dans l’Orne, a gagné contre Enedis. L’électricien est condamné à verser 140 000 euros de préjudice suite à l’implantation d’une ligne souterraine de 20 000 volts près de l’exploitation.

Fusion des collèges ~ Marc Andreu Sabater, maire de Vire, vient de rallier le camp de l’opposition à la fusion des deux collèges de sa ville, face à la vive contestation des habitants et des enseignants. Le 12 décembre, il votera contre la proposition de fusion du Conseil départemental, qu’il soutenait jusqu’à présent.

Retour de flamme ~ Au printemps 2024, la flamme olympique passera près de chez vous, sauf si vous habitez l’Orne, qui a refusé de mettre la main au portefeuille. Seine-Maritime et Calvados ont déjà validé leur chèque de 180 000 € pour accueillir le parcours. L’Eure et la Manche sont également dans les starting-blocks.

Le témoignage

Les propos d’un acteur normand face aux enjeux de notre époque

Précarité étudiante • Lucie a abandonné ses études

Selon une note ministérielle sur les parcours et réussite en licence publiée en 2017, 31 % des étudiants renoncent dès la première année. Employée dans un cinéma à Cherbourg depuis février 2021, Lucie, 21 ans, est une ex-étudiante de l’université de Caen. Elle a abandonné ses études pour des raisons financières.

« J’étais heureuse d’être à la fac, de trouver l’indépendance.» À cause de soucis de santé, Lucie (prénom d’emprunt) a décroché son bac en septembre 2019 au lieu de juin. Elle a raté l’inscription à Parcoursup et a dû frapper à la porte de la Mission locale. Ce n’est qu’à la rentrée suivante qu’elle a pu entrer à l’université. Avec l’ambition de faire de grandes études. Elle a vite déchanté.

«Je n’avais pas assez d’argent pour subvenir à mes propres besoins ».

Car Lucie s’est rapidement heurtée à la réalité de la vie étudiante et des charges qui y incombent. Dès le début de sa licence, celles-ci se sont avérées trop élevées comparées à ses revenus. Lucie touche encore un reliquat de la garantie jeune attribuée par la Mission locale: en conséquence, elle se voit refuser l’aide sociale de l’État. Ça bloque aussi avec la bourse du Crous (Centre régional des œuvres universitaires et scolaires, qui a pour mission d’améliorer les conditions de vie et d’études des étudiants) par manque de pièces justificatives: elle ne peut fournir l’avis d’imposition de ses parents, avec qui elle est en rupture.

Après plusieurs semaines à dormir sur le canapé de ses camarades, elle obtient finalement une chambre universitaire par le Crous. Elle pense être sortie d’affaire. Mais Lucie s’est vite rendu compte que ses problèmes n’étaient pas résolus.

La mise à jour

Les nouvelles courtes, qui comptent, que vous avez peut-être manquées !

Emissions de CO² • Cinq sites industriels très polluants en Normandie

Le 8 novembre, Emmanuel Macron a rencontré les patrons des 50 sites industriels les plus polluants en France, qui représentent à eux seuls 10% des émissions totales de CO². Parmi elles, cinq se situent en Normandie : ExxonMobil à Gravenchon (76), TotalEnergies à Gonfreville (76), Yara au Havre (76), Boréalis au Grand-Quevilly (76) et Ciment Calcia à Ranville (14). Leur point commun est d’émettre des quantités considérables de CO² dans l’atmosphère, soit parce qu’ils brûlent du gaz pour chauffer leurs installations, soit parce qu’ils extraient certains éléments chimiques (l’hydrogène) du méthane et rejettent le CO². En Normandie,c’est autour de l’axe Seine que se concentrent les entreprises les plus polluantes: près de 10 millions de tonnes de carbone sont rejetées chaque année dans le bassin havrais.Le gouvernement promet un chèque de 5 milliards d’euros pour favoriser leur décarbonation. Les industries ont six mois pour proposer une feuille de route.

Violence contre les élus • La mystérieuse histoire du maire de Saint-Côme-du-Mont

Le 9 novembre, Bernard Denis, le maire de ce village de 500 habitants des marais de Carentan, a été retrouvé dans un champ, blessé, des clous de charpentier dans les talons et le dessus des mains. Une enquête pour violences aggravées a été ouverte. À la sortie de l’hôpital, le maire a tenté de mettre fin à ses jours en ingérant des médicaments. Ce n’est pas la première attaque dont Bernard Denis est victime. Le premier acte de ce fait divers a lieu en décembre 2021: le garage et la voiture du maire sont incendiés, et un mur de sa maison tagué d’un « Le maire soutien Macron / Zemour (avec un seul m) président » ; suit quelques jours plus tard une lettre anonyme de menaces, en lien avec le soutien du maire à Emmanuel Macron. Une enquête est menée, sans résultat. Deuxième acteen mai 2022: le fourgon du maire est la cible de deux tirs. Cette fois, une nouvelle enquête aboutit, mais conclut au mensonge du maire. Celui-ci finit par avouer être lui-même l’auteur des tirs… avant de revenir sur ses aveux en novembre. Poursuivi pour «dénonciation de délit imaginaire», il est convoqué au tribunal de Coutances le 17 janvier 2023.

Pesticide • Des producteurs de carottes de Créances devant la justice

La cour d’appel de Caen vient de rejuger douze des treize agriculteurs condamnés en septembre 2021 par le tribunal correctionnel de Coutances pour avoir utilisé un pesticide interdit en France depuis 2018: ledychloropropène, qu’ils allaient acheter en Espagne. Ce produit classé cancérogène probable a été utilisé pendant des décennies par les producteurs de carottes de Créances (Manche) et des environs. Après son interdiction, plus de 100 tonnes y ont été épandues entre février2018 et novembre2020. La carotte des sables de Créances (vendue sous Label Rouge) est particulièrement sujette aunématode, unver auxeffets dévastateurs et les producteurs craignaient une chute de leurs productions. D’autant que la France n’interdit pas l’importation de légumes provenant d’Espagne, d’Italie, de Portugal ou de Chypre, où l’Europe continue d’accorder des dérogations à l’utilisation du dychloropropène. En première instance,les maraîchers ont écopé de8 000 à 80 000 € d’amende. La décision de la cour d’appel de Caen sera rendue le 10 février2023. Selon une enquête de l’ONG suisse Public Eye, le gouvernement français a approuvé l’exportation de plus de 7 400 tonnes de pesticides interdits sur son territoire depuis le début de l’année.
Lire aussi notre Grand Format : En Normandie, l’eau potable menacée par les pesticides.

Cyberattaques • Un bouclier pour les communes

Deux mois après sa cyberattaque, la ville de Caen n’a toujours pas retrouvé le plein usage de ses services informatiques. En octobre, le département de Seine-Maritime était lui aussi victime des pirates informatiques. Selon un rapport du sénat, 30% des collectivités locales ont été victimes de cyberattaque au cours de l’année 2020. La ville de Caen estime à 300 000 € le montant du préjudice, notamment dans le développement de nouvelles mesures de sécurité. Le gouvernement vient d’annoncer une enveloppe de 30 millions d’euros à destination des PME et des collectivités pour lutter contre les cyberattaques. Dans ce «bouclier cyber», on trouve notamment une plateforme de services mutualisés proposée sur abonnement aux communes, permettant de bénéficier d’un nom de domaine, d’une messagerie et d’un hébergement en ligne sécurisés.

Nucléaire • Deux nouveaux réacteurs à Penly dès 2035 ?

« Donner l’opportunité au public de contribuer à la décision du maître d’ouvrage», voici comment EDF présente l’objectif du débat public sur la construction de nouveaux réacteurs nucléaires. Cette consultation, obligatoire dans le cadre de ce type de projet, a démarré le 27 octobre un cycle de dix réunions étalées sur quatre mois en Normandie et dans toute la France. Emmanuel Macron avait annoncé en février le programme de six EPR2, dont deux à Penly en Seine-Maritime. Le chef de l’État a mis un coup d’accélérateur au chantier, qu’il souhaite voir débuter dès 2024, pour une première mise en service en 2035. D’où ce débat public et une loi en cours d’examen sur la simplification des procédures administratives. Avant que le premier béton soit coulé, il faudra aussi que la scrupuleuse Autorité de sûreté nucléaire donne son feu vert.
Lire l’article de Reporterre sur le débat caennais du 1er décembre.

Le décryptage

Pour mieux comprendre certains faits qui ont marqué l’actualité régionale au cours des dernières semaines

Hébergement d’urgence à Caen • La rue, le squat ou les puces de lit

En plein cœur de l’hiver, le nombre de personnes à la rue à Caen augmente; les tentes se multiplient, notamment sur la presqu’ile. La plateforme d’urgence téléphonique du 115 est submergée, avec 250 appels chaque jour… et plus de 100 demandes non pourvues chaque soir. La plupart des hôtels refusent d’accueillir les jeunes enfants. Un nouveau squat a été ouvert fin octobre dans l’ancienne pouponnière du Département, près de la gare, aussitôt rempli par une centaine de personnes. Le dispositif d’hébergement d’urgence de l’Etat est saturé. Le centre Vanier, ouvert temporairement à l’hiver 2016, est devenu pérenne en 2021. Mais les conditions d’hébergement y sont difficiles.

Pas d’intimité, pas de cuisine, et des puces de lit

Adana est arrivée au centre Vanier avec sa fille de 14 ans. Au bout de quelques jours, elle a préféré se séparer d’elle, plutôt que de lui faire subir cet environnement. «Ce n’est pas bon pour des jeunes filles, il n’y a pas d’intimité, pas d’hygiène.Des enfants ne peuvent pas grandir ici! » Le centre Vanier a ouvert pendant l’hiver 2016 dans les anciens bureaux du centre des impôts à la Pierre-Heuzé, à Caen, pour mettre à l’abri temporairement ceux qui n’avaient aucune autre solution. Accueil de nuit d’extrême urgence à l’origine, il est devenu pérenne et ouvert à l’année en 2021, uniquement la nuit. 75 personnes peuvent y être accueillies, entre 17h le soir et 9h le matin. Les portes ferment à 20h et les visites y sont interdites, même pour la presse ou les associations humanitaires. C’est le seul hébergement d’urgence qui met à l’abri des personnes derrière des grilles enchaînées.

Les bureaux ont été transformés en dortoirs dans lesquels s’alignent les lits de camp. Pas d’autre mobilier, pas d’intimité, des néons au plafond pour tout le dortoir et des traces d’humidité sur les murs. Pour 75 personnes, il y a deux toilettes et deux douches.

Brécourt

Le jour le plus long, à Sainte-Marie-du-Mont. Au manoir de Brécourt, Michel de Vallavieille est sur le point de perdre la vie. De la blessure jaillira de la fraternité, et une infaillible volonté d’honorer dignement les soldats du débarquement.

Une histoire en trois épisodes à découvrir sur Grand-Format dans quelques jours.

L’illustration

Vortex-en-Bocage

Photographie Sam Neaud.

L’initiative

Un coup de projecteur sur ces initiatives qui construisent le monde de demain.

Montée des eaux • Le camping de Quiberville-sur-mer déménage

Quiberville-sur-mer, station balnéaire de la côte d’Albâtre (547 habitants en hiver, 2 500 en été), est en proie à des inondations et submersions marines à répétition. En cause: la montée des eaux et le recul du trait de côte, qui a perdu 70 m en quelques années. Pour s’adapter, le camping municipal déménage et on laisse rentrer la mer. ©Conservatoire du Littoral / T. Drouet

C’est l’une des premières opérations de recomposition spatiale d’un territoire face au changement climatique en France. À Quiberville-sur-mer, le camping municipal quitte le front de mer pour déménager 700 mètres plus loin, sur un ancien herbage en pente de 6 ha, acquis par la municipalité. Un nouveau camping tout neuf, avec le même nombre d’emplacements doit ouvrir l’été prochain. Quant à l’ancien camping, situé en zone inondable, il va disparaitre pour permettre la reconnexion du cours de la Saâne à la mer.

« Aujourd’hui, le progrès ne consiste pas à prétendre maitriser la nature, mais à collaborer avec elle.»

Ce déménagement n’est pas anodin: il est la première phase d’un vaste chantier pour «adapter et déplacer des équipements inadaptés face aux impacts du changement climatique», explique Régis Leymarie, délégué adjoint Normandie au Conservatoire du littoral, qui coordonne depuis 2012 le projet de territoire de la basse vallée de la Saâne.Depuis la fin des années 1950, le fleuve côtier est contraint de passer par une buse étroite pour rejoindre la mer et une digue-route protège l’arrière-pays. Mais ces structures de défense sont devenues inappropriées face à l’élévation du niveau de la mer et au recul du trait de côte.

À lire, à voir, à écouter…

Film • Yolo, on n’a qu’une vie

À sa sortie de prison, Tom (joué par Martin Legros) veut reprendre sa vie en main pour ne pas retourner derrière les barreaux. Il a alors l’idée de créer un potager sur la pelouse au pied de son immeuble, qui va devenir le lieu de rendez-vous des habitants du quartier. Le nouveau film du collectif caennais Art Vif, réalisé par Laurent Brard, a été tourné dans le quartier de la Guérinière à Caen et réunit des acteurs professionnels et des habitants du quartier. Créé en 2012, le collectif Art Vif s’attache à créer du lien social à travers les films. Son premier long-métrage, La liberté si je veux, sorti en 2018, avait été primé au festival du film social de Melun. Découvrir la bande annonce ici.

Récit de vie • Le Vol d’un condor

Acteur engagé dans le champ de la santé mentale, Claude Deutsch est passé en novembre à Caen présenter son dernier ouvrage. Il y livre son parcours et revient notamment sur la création et la direction pendant plusieurs années du Foyer Léone Richet. Nous vous avions parlé il y a deux ans de cette alternative caennaise à l’hôpital psychiatrique.

Podcast • La vie en collectif

En novembre, nos amis du Médialab du Wip ont exploré le thème de la cohabitation et des projets collectifs dans Bonjour Turbine. Cet épisode raconte le projet du collectif bruxellois La Bougie et donne la parole à Noan Ecerly, qui revient sur son article pour Grand-Format «Le pari de la vie collective».

BD • Ils sont où les chakras de la poule ?

En 2018, l’artiste Yannick Lecœur a entamé un récit graphique sur une famille de paysans en Normandie, dans le pays d’Auge. Ils font du fromage de chèvre, du pain et élèvent des vaches. Tout en bio. Lucile et Nicolas sont passionnés et adorent transmettre et philosopher. Alors Yannick a suivi la vie de la ferme pendant un an : la traite des chèvres, des vaches, la fabrication du pain, du fromage, les mises bas… La BD est sortie et est commandable ici.

Des nouvelles de nos histoires

ESS • Des sous pour La Bulle

Il y a six mois, les porteurs de ce projet nous présentaient leur idée de lieu pour consommer autrement, coworker, faire la fête… sur la Presqu’île de Caen. Une première étape vient d’être franchie pour l’équipe de rêveurs avec l’obtention d’une enveloppe de 100 000 €. Des finances obtenues dans le cadre d’un appel à projets en faveur des pôles territoriaux de coopération économique.

Cette newsletter, mise en forme par Pierre Hardel, a été réalisée par Marylène Carre, Simon Gouin, Raphaël Pasquier en partenariat avec le Médialab du Wip. Elle est éditée par le magazine Grand-Format, un projet de l’association Lire la suite.