La rue, le squat ou les puces de lit

Publié le 2 décembre 2022
Cours Caffarelli à Caen.

En plein cœur de l’hiver, le nombre de personnes à la rue à Caen augmente; les tentes se multiplient, notamment sur la presqu’ile. La plateforme d’urgence téléphonique du 115 est submergée, avec 250 appels chaque jour… et plus de 100 demandes non pourvues chaque soir. La plupart des hôtels refusent d’accueillir les jeunes enfants. Un nouveau squat a été ouvert fin octobre dans l’ancienne pouponnière du Département, près de la gare, aussitôt rempli par une centaine de personnes. Le dispositif d’hébergement d’urgence de l’Etat est saturé. Le centre Vanier, ouvert temporairement à l’hiver 2016, est devenu pérenne en 2021. Mais les conditions d’hébergement y sont difficiles.

Adana est arrivée au centre Vanier avec sa fille de 14 ans. Au bout de quelques jours, elle a préféré se séparer d’elle, plutôt que de lui faire subir cet environnement. «Ce n’est pas bon pour des jeunes filles, il n’y a pas d’intimité, pas d’hygiène.Des enfants ne peuvent pas grandir ici! » Le centre Vanier a ouvert pendant l’hiver 2016 dans les anciens bureaux du centre des impôts à la Pierre-Heuzé, à Caen, pour mettre à l’abri temporairement ceux qui n’avaient aucune autre solution. Accueil de nuit d’extrême urgence à l’origine, il est devenu pérenne et ouvert à l’année en 2021, uniquement la nuit. 75 personnes peuvent y être accueillies, entre 17h le soir et 9h le matin. Les portes ferment à 20h et les visites y sont interdites, même pour la presse ou les associations humanitaires. C’est le seul hébergement d’urgence qui met à l’abri des personnes derrière des grilles enchaînées.

Les bureaux ont été transformés en dortoirs dans lesquels s’alignent les lits de camp. Pas d’autre mobilier, pas d’intimité, des néons au plafond pour tout le dortoir et des traces d’humidité sur les murs. Pour 75 personnes, il y a deux toilettes et deux douches. Ici vivent principalement des familles étrangères.

Centre d’extrême urgence Vanier, boulevard Vanier à Caen, ouvert la nuit, toute l’année. Il accueille majoritairement des familles.

Pas d’intimité, pas de cuisine, et des puces de lit

Une famille géorgienne, arrivée en France en 2019, a atterri à Vanier après neuf mois à l’hôtel. La fillette de huit ans a des difficultés à l’école. « Elle dort mal à Vanier, elle souffre de problèmes respiratoires », explique sa mère en montrant sur son portable des photos de leur installation. Deux lits de camp et un matelas au sol, isolés par des draps qui pendent du plafond. Pas de bureau pour faire les devoirs et la valise entreposée sous le lit de camp. Le médecin a fait un certificat médical indiquant que l’enfant avait besoin d’un hébergement stable et d’une alimentation équilibrée. Il n’y a pas de cuisine à Vanier. Des plats préparés sont distribués aux résidents chaque soir, réchauffés au micro-onde. Une autre famille africaine se plaint de l’humidité et de l’hygiène des dortoirs. Leurs enfants ont des boutons sur le torse à cause des puces de lit.

La gestion du centre Vanier, propriété de l’État, a d’abord été confiée à l’ACSEA, association historique du social dans le Calvados. Mais celle-ci n’a pas souhaité renouveler la convention en juillet dernier, au vu des conditions financières. «On avait un coût de fonctionnement supérieur à l’enveloppe qui nous était proposée», explique son directeur général, Pascal Cordier. Le groupe Coallia (436 établissements en France et 3 millions d’euros de chiffre d’affaires) a repris la gestion, comme c’est souvent le cas avec des budgets de plus en plus serrés. La prise en charge sociale s’est dégradée, les règles d’accueil ont changé. «Par exemple, on doit rentrer en famille complète, témoigne une maman. Il faut donc attendre que mon mari rentre de travailler, avant 20h évidemment, pour se mettre au chaud.» Pendant le Ramadan, il n’y a pas d’exception à la règle des 20h et pas de repas possible la nuit. Une maman avec son fils de trois ans cherche à tout prix à quitter Vanier. Elle espère une place dans un squat:

«Mieux vaut le squat que l’hébergement d’urgence que nous propose l’Etat.»

«Pourquoi on nous enferme?» demande une jeune femme géorgienne à l’équipe d’accueil. On lui répond que ce sont les consignes de la préfecture. Déboutée du droit d’asile, sa famille a reçu une OQTF, obligation de quitter le territoire français. Un matin, la police est venue les chercher à l’ouverture du centre. Prévenue la veille, la famille n’était pas rentrée à Vanier. Les associations d’aide aux demandeurs d’asile dénoncent l’opacité des conditions d’accueil à Vanier et l’enfermement des bénéficiaires, qui «permet à la Préfecture de contrôler les sans-papiers».

Le service du 115 renvoie les personnes à la rue vers Vanier, faute d’autre solution. Il est conscient des réticences. Certains refusent d’y aller, d’autres rappellent dans la soirée pour ne pas y rester. Selon la préfecture, «il n’est pas envisagé de remplacer l’espace Vanier qui reste le principal site d’hébergement d’extrême urgence ».

Marylène Carre

L’AG de lutte contre toutes les expulsions, qui réquisitionne et occupe des logements vides pour y loger des personnes sans toit et sans solution dans la région de Caen, lance un appel à dons pour remplacer son vieux camion. Le camion permet de collecter matériels et denrées alimentaires et de les distribuer sur les différents squats. Lien vers la cagnotte.

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