Juillet 2021

Valse, potager et vieux château

Mélanie Dornier (texte et photos)

« Les petits paniers ». On entend parfois ce terme dans certaines bourgades de Normandie. Il désigne les vendeurs non professionnels du marché. On les appelle ainsi car dans le temps, les gens venaient avec un panier en osier présenter leurs produits. Les jours de marché, contre quelques euros, ou pas, à la municipalité, on a le droit de vendre le surplus de son jardin ou poulailler.

C’est au marché de Flers que l’on rencontre Yvette et Manu. Ils y viennent depuis plus de 50 ans. C’est Yvette qui vend. Son premier marché remonte à 1966. Elle confie qu’avant, c’était «un sacré marché», «il y avait beaucoup plus de vendeurs, tout le monde se connaissait et s’aidait». Aujourd’hui c’est différent, les temps ont changé. Tous les mercredis et samedis, elle présente sur son étal la production de son jardin et ses confitures.

Le couple habite à une vingtaine de kilomètres de là, dans un hameau. Pour aller chez eux, on prend les routes sinueuses du bocage normand. Avant, Yvette était agricultrice. Malgré sa retraite, elle continue à vendre les produits de son jardin. Sur les marchés, ce sont les producteurs locaux qui apportent le charme et la touche locale. Comme Yvette, les vendeurs des petits paniers sont souvent des retraités.

Manu et Yvette ont deux lopins de terre à proximité de chez eux, où ils cultivent leurs légumes, fruits et fleurs. Ils y travaillent sans relâche. Avec le remembrement, ils m’expliquent qu’ils ont perdu en qualité de terrain. Et maintenant, la pluie ne suffit plus ! Il faut arroser, même s’ils continuent à préparer la terre comme avant en la retournant et l’enrichissant avec compost ou purin. Il y a de moins en moins d’eau.

Yvette, le maraichage, elle l’a appris dès son plus jeune âge avec ses parents qui étaient paysans. Elle a toujours aidé aux cultures et lorsque ses parents ont vieilli, elle s’est occupée d’eux et puis, a repris la petite exploitation familiale. Aujourd’hui encore, elle vit dans la maison familiale. La maison, ils l’ont modernisée, mais au final ils n‘ont pas besoin de grand chose. Cette dame née en 1936 aime son pays, c’est ici chez elle.

«La vie n’a pas toujours été simple», raconte Yvette « mais on a travaillé, on a toujours remonté les manches même à nos âges, on continue même si c’est de plus en plus dur.» Avant, à la ferme, il y avait des bêtes, jusqu’à six vaches, des poules et des lapins. Aujourd’hui, il n’y a plus que les chats pour chasser les souris et le chien qui garde la maison :« On ne peut même plus le sortir, il a trop d’énergie pour nous, le chien. Il a déjà fait tomber Manu».

Yvette n’a pas de retraite même si elle a travaillé et cotisé toute sa vie. «Une histoire de mètres carrés et de réforme agricole», explique-t-elle. Les saisons, la météo, les plantations et les récoltes ont rythmé les années. Le marché et les clients ont cadencé ses semaines. Yvette et Manu veillent l’un sur l’autre et leur jardin. Le couple n’a pas eu d’enfants.

Chaque semaine, ils économisent les quelques pièces qu’ils gagnent au marché. Un jour, ils savent qu’ils devront quitter leur chez eux pour aller en «maison de retraite». Dans le village, le maire a fait une maison pour les personnes âgées entre la mairie et l’église. Le couple n’a pas la télé par choix. Tous les matins, à six heures, le radioréveil sonne. Il y a les informations et la météo. Pour le temps qu’il fera, Yvette explique que «le plus fiable, c’est quand même le bruit des éoliennes, par la fenêtre. Quand on les entend, c’est que la pluie arrive.»

Emmanuel, lui, a commencé à travailler à 14 ans. Il est de quelques années plus jeune qu’Yvette. Avec le développement industriel de la région, il a trouvé un travail à l’usine. Le soir et le week-end, il aidait Yvette à la ferme. Et les jours de marché, il la déposait le matin avec les cageots pleins pour venir la récupérer sur sa pause de midi avec les cageots vides. Il n’est plus tout jeune, il a souvent mal au dos, mais heureusement, il peut encore conduire. Yvette, elle, ne conduit pas.

Chaque mardi et vendredi, c’est la récolte en prévision du marché du lendemain. Yvette regarde ce qui pousse dans le jardin, ce qu’elle a vendu la dernière fois et parie sur la météo. Quand il fait beau mais trop chaud, les gens se promènent et il y a plus de clients. Il y a également dans l’agenda les commandes d’une fois à l’autre. Les quantités sont dures à évaluer. Il ne faut pas trop de pertes. Au marché, on regarde également ce que les autres vendent et à quel prix.

À côté des légumes, des fruits et des fleurs, il y a les confitures. C’est un peu sa spécialité. Les fruits sont récoltés ou achetés quand il en manque. Les confitures sont cuites sur le fourneau de bois, et tournées avec soin. Tous les pots sont pesés puis remplis soigneusement; pour ensuite être scellés pour la conservation. Une fois refermés, ils sont étiquetés. Le choix des parfums est large. Chaque pot est vendu entre 4,80 et 5,20 euros, en fonction. Yvette aime demander à ses clients «le fruit qu’ils préfèrent et de quelle manière elle doit faire la confiture avec que le jus ou les fruits entiers». «C’est une histoire de goût mais aussi de pépins pour les dentiers», confie-t-elle.

En 2018, les petits paniers du marché de Flers doivent s’installer sous la halle et non plus à l’extérieur comme avant. Yvette dit que les clients ne la voient plus, elle est bien mieux dehors même si il y a le froid, la pluie et la chaleur parfois… D’autres vendeurs ont demandé à rentrer pour se protéger des intempéries. Entre petits paniers, l’entente peut-être difficile parfois. Il y a beaucoup de «on dit». Le virus de la COVID a fait au moins quelque chose de bien: les halles sont fermées et tout le monde se retrouve dehors avec les vendeurs professionnels.

Les clients, ils ont leurs habitudes. Ils savent que les produits sont bons, que les pommes sont parfaites pour la compote, la rhubarbe pour la tarte, les tomates pour le coulis, les oignons ne pourrissent pas, les pommes de terre durent tout l’hiver dans le noir, le potiron pour les soupes, et les échalotes ne piquent pas… Les produits ont du goût et sont cultivés naturellement. Dans une réclame, on pourrait dire «ils sont cultivés avec amour par Yvette et Manu.»

Et il y a Yvette qui sourit toujours. Elle a une attention pour chacun de ces clients. On prend le temps de lui demander comment ça va, on lui souhaite son anniversaire, on s’inquiète de sa santé, et elle, elle nous questionne sur nos recettes. Avec l’âge, elle ne se souvient plus de tous les noms mais elle n’oublie pas les visages et les anecdotes. Le marché, c’est aussi pour elle un moyen de rencontrer du monde et de discuter. Été comme hiver, les cannes et la chaise d’Yvette sont là.

Yvette aime parler de l’actualité, de la météo, comme du passé. Avant le marché, Yvette prépare la liste de prix des produits à vendre. À chaque client, elle pose les additions et rend méticuleusement la monnaie au centimes près. Les pièces sont dans la boîte en métal et les billets dans le carnet. Il faut bien pouvoir rendre la monnaie. Manu lui aussi a ses habitudes: il salue les autres vendeurs du marché, part faire les livraisons et finit avec un café au Saint-Germain, le bistrot du coin. Après avoir rangé l’étal, le couple déjeune d’une galette-saucisse achetée sur le marché.

Les années passent, Yvette marche à l’aide d’appuis. En 2020, ils sont tombés tous les deux malades, puis il y a eu le confinement, le marché a été fermé. La production du jardin est de plus en plus difficile. Pendant l’hiver 2021, ils ont dû acheter plus de légumes dans le commerce. Pourtant, avec les beaux jours, ils sont de retour aux petits paniers. «Le jardin commence à donner. Cette année, les gelées tardives n’ont pas aidé, mais heureusement on a attendu les Saintes Glaces pour planter», confie Yvette.

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