Comme en Afrique et en Asie, les sportifs fuient aussi les conflits armés et la tyrannie en Amérique latine et dans les Caraïbes. À Cuba, où le président Miguel Diaz-Canel a été réélu par plus de 97% des députés en 2023, la dictature a poussé à l’exil l’haltérophile Ramiro Mora et le canoéiste Fernando Dayan Jorge Enriquez, membres de l’équipe olympique des réfugiés. On vous raconte leurs histoires.
«J’aime vraiment mon pays mais je ne veux pas parler de politique maintenant…» À Bayeux, c’est un peu le refrain de l’équipe olympique des réfugiés qui sort de la bouche de Ramiro Mora. On le comprend aisément: à seulement quelques jours de sa première participation aux Jeux olympiques, le Cubain de 26 ans préfère rester concentré sur sa préparation sportive. Et puis son frère et sa sœur vivent encore à Cuba, alors mieux vaut ne pas les mettre en danger.
Né à Ciego de Avila, dans le centre de l’île caribéenne, Ramiro a découvert l’haltérophilie à l’âge de 14 ans. Orphelin de son père, il se réfugie dans le sport et rejoint rapidement un centre de sport-études près de Santiago de Cuba, dans l’est du pays aux 11 millions d’habitants. «Après mon premier titre national, on m’a envoyé m’entraîner à La Havane avec l’équipe de Cuba, raconte-t-il dans un anglais au fort accent espagnol. J’y suis resté pendant quatre années, de 18 à 21 ans, et je suis devenu le meilleur de ma catégorie dans mon pays. Mais à un moment, j’ai décidé d’arrêter pour travailler dans un cirque de la capitale. Je m’occupais du trampoline: il fallait rattraper les gens, les relancer en l’air. J’aimais bien ça…» Car Ramiro est du genre costaud, ce qui ne l’empêchera pas de réaliser ensuite ses propres numéros aériens. Mais en quittant l’haltérophilie pour le cirque, le jeune homme s’est aussi écarté de son rêve olympique.
Du cirque à Paris 2024
«Je voulais une expérience différente, quelque chose d’amusant, mais aussi de bon pour mon avenir. J’avais encore ce rêve quelque part dans mon cœur, mais je pensais y revenir quand j’aurais terminé le cirque.» Ce qu’il ne dit pas, en revanche, c’est que le choix d’arrêter sa carrière sportive était aussi motivé par des désaccords politiques avec les cadres de sa fédération. En 2019, peu après ses débuts dans le monde du spectacle, Ramiro part en tournée au Royaume-Uni, où il se fait embaucher au prestigieux Blackpool Circus, sur la côte nord-ouest de l’Angleterre. Il obtient un visa de travail, et se dédie à sa nouvelle passion pendant trois ans. Ce faisant, le sportif reprend progressivement contact avec les barres et les poids. Il finit aussi par entamer des démarches de demande d’asile, ce qui lui interdit de travailler. «Quand j’ai terminé mon expérience dans le cirque, je me suis remis à fond dans l’haltérophilie. Grâce à mon entraîneur, j’ai réalisé d’immenses progrès, gagné des titres nationaux et battu plusieurs records britanniques.»
«C’est un rêve pour moi de faire partie de cette équipe incroyable. »
Installé à Bristol, dans le sud-ouest du pays, où il vivait avec seulement quelques livres sterling par semaine, Ramiro a vu sa vie complètement transformée ces derniers mois: en décembre 2023, il obtient le statut de réfugié, qui lui ouvre le droit à une bourse olympique et l’autorise à donner des cours d’haltérophilie. En avril, il devient papa pour la première fois. Et début mai, il apprend sa sélection pour Paris 2024 avec l’équipe olympique des réfugiés. «C’est un rêve pour moi de faire partie de cette équipe incroyable. Je remercie le Royaume-Uni de me laisser m’entraîner sur son territoire, et je vais tout donner pour essayer de remporter une médaille!»
La diaspora des champions cubains
À Cuba, la fuite des talents est un sport national qui affecte de nombreuses autres disciplines: boxe, lutte, volleyball, etc. En athlétisme, le fléau est particulièrement visible au triple saut, où l’école cubaine produit – et perd – régulièrement les meilleurs spécialistes mondiaux. En 2021, l’ex-Cubain Pedro Pablo Pichardo a ainsi été sacré champion olympique de la discipline pour le compte du Portugal, où il a été naturalisé en 2017. À Paris, il retrouvera ses anciens coéquipiers Jordan Alejandro Diaz Fortun, numéro un mondial en 2024 qui concourt pour l’Espagne, et Andy Diaz Hernandez, quatrième mondial, qui étrennera son nouveau maillot italien, sans oublier Lazaro Martinez et Cristian Napoles, les médaillés d’argent et de bronze mondiaux en 2023, qui sautent toujours pour La Havane. Au total, sur cette seule épreuve, ils sont cinq natifs de Cuba à pouvoir monter sur le podium.
Un champion olympique réfugié aux États-Unis
Comme Ramiro Mora Romero et les 35 autres membres de l’équipe olympique des réfugiés, Fernando Dayan Jorge Enriquez a lui aussi connu le dilemme, la précarité et les doutes liés à l’exil. Avant de rebâtir sa vie et sa carrière sportive dans un pays plus sûr. Mais contrairement à tous les autres, le canoéiste cubain de 25 ans l’a fait après avoir déjà remporté un titre olympique. Originaire de l’ouest de l’île, non loin de La Havane, Fernando a commencé le canoé à 10 ans avec son père. Doué pour la course en ligne, il participe dès 17 ans à ses premiers Jeux à Rio, où il prend la sixième place du 1000 m avec son coéquipier Serguey Torres. À Tokyo, cinq ans plus tard, le duo décroche l’or olympique, une première dans l’histoire du canoé-kayak cubain. Pendant ce temps, à Cuba, des manifestations d’ampleur essaiment dans tout le pays pour protester contre la crise économique. C’est dans ce contexte de mouvement populaire fortement réprimé par le gouvernement que Fernando fait son retour à Cuba.
Quelques mois plus tard, en mars 2022, il profite d’un stage au Mexique pour s’enfuir. Au bout de deux semaines de voyage, il arrive à la frontière avec les États-Unis et franchit le Rio Grande, après avoir sauvé une femme de la noyade. Le champion olympique est immédiatement placé dans un centre de détention, puis rapidement relâché dans l’attente d’une réponse à sa demande d’asile. Il rejoint alors sa femme qui l’attendait à Miami et trouve un petit boulot de plombier pour subvenir aux besoins du couple. Depuis qu’il a obtenu l’asile politique des États-Unis, Fernando a pu faire venir ses parents en Floride et intégrer l’équipe olympique des réfugiés. Il ne lui reste plus, désormais, qu’à défendre sa couronne olympique à Paris…
Texte : Camille Vandendriessche
Photos : Emmanuel Blivet (sauf mentions)