Mai 2022

Quand une cantine réussit sa révolution

Emmanuel Blivet (photographies) et Simon Gouin (texte)

Convertir une cantine à un maximum de produits bios et locaux exige un peu de savoir-faire. Au fil de sa pratique, Christine Fels est parvenue à préparer des repas attirants pour les enfants, tout en réduisant les déchets et en maîtrisant les coûts. Première adaptation : servir à l’assiette, en demandant aux enfants ce qu’ils veulent. « Cela permet de limiter les déchets, le gaspillage, et de ne sortir des cuisines que ce qui sera consommé », car tout plat qui sort de la cuisine ne peut pas « rentrer », il est soit mangé, soit jeté. Résultat : les déchets ont été largement diminués pour atteindre une moyenne de 3 g par personne et par jour. Soit environ 225 grammes par jour ! Un poids ridicule par rapport aux déchets des cantines « conventionnelles ».

Les quantités sont ajustées grâce à la connaissance des enfants. « C’est comme dans une famille, il faut bien connaître les enfants pour anticiper quelle quantité sera mangée. » Si les préconisations étaient respectées, il faudrait 10kg de viande par repas pour l’ensemble des enfants. « Dans les faits, on s’est rendu compte que 5kg suffisait. » Les yaourts, plus consistants car fermiers, sont servis au ramequin, à partir de grands seaux de 5 kg – finis les pots en plastiques individuels. Plus nourrissants, une quantité plus faible que les yaourts classiques est proposée aux enfants. Et du rab est toujours disponible en cuisine, pour celles et ceux qui auraient encore faim.

Accommoder les restes

Puisque la cuisine est faite sur place, les restes, qui ne sont pas sortis de la cuisine, sont accommodés le lendemain. Les légumes non consommés sont transformés en potage. Les crudités non assaisonnées peuvent être proposées le repas suivant. Le pain devient du pain perdu. Les menus ne sont pas figés. « C’est au jour le jour… cela permet d’avoir une grande liberté, et d’avoir plaisir à travailler ! », note Christine Fels, dont le poste nécessite une forte polyvalence par rapport à de nombreux agents de cantines scolaires.

Christine Fels prépare ici un chili végétarien.
Dans l’arrière-cuisine de Christine Fels.
Fromages de producteurs locaux au menu.

« Ce n’est pas un steak de soja. On l’a banni ! On ne veut pas faire croire qu’on mange de la viande, sans viande. »

A Saint-Jean-le-Blanc, pas de barquettes en plastique à faire réchauffer, mais des produits bruts à travailler. « Nous n’achetons aucun produit transformé, à part les produits laitiers », précise la cuisinière. C’est donc plus de temps en cuisine, mais des économies et l’assurance de cuisiner de bons produits. « On a essayé de remplacer au maximum le poisson, car c’est ce qui vient de loin, et c’est le plus riche en métaux lourds et en plastiques. » Si de petites quantités de poisson sont toujours servies de temps en temps, un repas végétarien à base de légumineuses locales telles que des lentilles, des pois cassés, des pois chiches, sous forme de potage ou de purée… vient souvent le remplacer. « Ce n’est pas un steak de soja. On l’a banni ! On ne veut pas faire croire qu’on mange de la viande, sans viande. » Tout comme les frites. « Les enfants ont l’habitude de les manger chez eux. On ne voulait pas en rajouter », explique Nolwenn Prigent, la présidente de l’association.

Un autre village du Calvados à la pointe du bio

A l’autre bout du département du Calvados, un autre petit village a aussi fait ce choix. A Courtonne la Meurdrac, à côté de Lisieux, la cantine de l’école maternelle et primaire sert chaque jour 65 repas 100 % bio. « Avec un maximum de produits locaux », indique Didier Sanson, adjoint au maire de la commune, élu depuis 1989. Deux maraîchers, un producteur de viande de bœuf, des producteurs laitiers se situent à quelques kilomètres. Une plateforme de livraison ou un magasin Biocoop viennent compléter les produits d’épicerie non disponibles sur le territoire.

« Toutes les semaines, la cantinière, qui est autonome dans ses choix et ses commandes, fait participer les enfants dans le choix des menus. » La cantine produit très peu de déchets : 1kg par jour. « La preuve que les enfants aiment… ». « Il faut que la restauration collective fasse ce choix du bio, ajoute l’élu. Car les individus, en ce moment, ne le font pas toujours à cause de la hausse des prix. Imaginez si tous les repas des cantines de notre agglomération le faisaient. Cela soutiendrait les producteurs ! »

C’est à la fin des années 1990 que l’aventure a commencé. « Avec la crise de la vache folle, nous avons décidé de mieux maîtriser nos approvisionnements, donc de choisir les produits que nous servons à la cantine », résume Didier Sanson. Dès 2002, la cantine se met à servir des repas bio la moitié de la semaine. Jusqu’en 2018 où la municipalité décide de passer à 100 % de produits bios. Avant la conversion totale de la cantine, un repas coûtait 3,75€. Aujourd’hui, il revient à 5,05€. Le surcoût est entièrement pris en charge par le budget de la commune.

Un choix politique assumé pour ce village de 660 habitants qui a depuis longtemps une longueur d’avance en matière d’écologie : zéro-phyto dans le cimetière, chaudière à bois déchiqueté alimentée par les agriculteurs de la commune, projet d’installation de panneaux photovoltaïques et de logements locatifs en matériaux bio-sourcés…

Même si tout est compté, réutilisé, adapté, Christine Fels propose une cuisine bio « moderne » : des pizzas le vendredi qui précède les vacances, pour accommoder les restes ; des tortillas mexicaines, des boulettes de viandes, des biscuits… « Autrefois, les enfants ne mangeaient pas toujours à leur faim », rappelle Nolwenn Prigent.

A table, ce jour-là, le chili de légumes est partiellement apprécié. Une poignée d’enfants ne mangent que du riz. Mais le pain perdu emporte l’adhésion de tout le monde. « C’est meilleur que chez mes parents », dit le fils d’une productrice de lait. « Ils ont conscience de la qualité des produits frais et locaux qu’ils mangent », indique Emilie Nicolas, directrice de l’école et investie dans l’association. « Quand on parle du développement durable, ils sont bien au fait de cette question. » Et l’école profite de la cantine pour mener des actions autour de la réduction des déchets, grâce notamment au compostage installé pour la restauration collective et investi par l’établissement scolaire.

L’association Bien vivre en Druance offre la possibilité aux enfants et aux adultes du territoire de participer à des cours de danse, de musique, d’art plastique, de sophrologie, sur place, après l’école. « Ecologiquement, c’est mieux de faire venir un intervenant ici plutôt que chaque famille utilise sa voiture pour amener ses enfants à Vire! »

Malgré la cantine et les activités péri-scolaires proposées aux enfants grâce à l’association, l’école continue de perdre des effectifs. «Il y avait environ 100 enfants il y a 15 ans, nous sommes aujourd’hui à 75 ». Mais la cantine de Terres de Druance reste un exemple possible pour de nombreux territoires. « Financièrement et socialement, ça se tient ! », résume Christine Fels.

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