Parmi les dix membres de l’équipe olympique des réfugiés originaires du continent africain, Grand-Format a rencontré Cindy Ngamba et Farida Abaroge à Bayeux. La première a quitté le Cameroun pour l’Angleterre où elle s’est découverte, à 15 ans, une passion pour la boxe. La seconde, qui a fui l’Éthiopie, a trouvé refuge en France, où elle a commencé l’athlétisme sur le tard, à 23 ans. Portrait croisé.
« Je suis là pour parler de sport, pas de politique. » Comme la plupart des sélectionné(e)s présent(e)s ce matin-là au stade Henri Jeanne de Bayeux, Farida Abaroge annonce d’emblée la couleur. À 11 jours du coup d’envoi des Jeux, la discrète mais souriante athlète a accepté de modifier sa séance pour la presse, à condition de ne pas sortir de sa bulle sportive. Ce n’est pas le moment, on le comprend, mais le sujet est aussi trop sensible, sa famille, comme celles de nombre de ses coéquipier(ère)s, vivant encore au pays.
Il y a deux ans, alors qu’elle était encore loin d’imaginer participer au 1500 m des JO de Paris 2024, Farida s’était montrée un peu plus diserte. « J’ai dû quitter l’Éthiopie en 2016 pour des raisons politiques. J’avais 22 ans, je vivais à Jimma [ville de 120 000 habitants au sud-ouest du pays] avec ma famille. À l’époque, je faisais beaucoup de sport, du foot, du karaté, mais pas de course à pied. J’aimais bien courir, mais je ne pouvais pas parce que je suis une femme, à cause des histoires de religion, de politique. Je suis partie au Soudan, puis en Égypte, et en Libye. J’étais en prison là-bas pendant deux mois. Heureusement, le HCR [Haut-comité aux réfugiés, une antenne de l’ONU] m’a sortie de prison grâce à l’association France Horizons qui m’a obtenu un visa. Après un mois au Niger, je suis finalement arrivée en France au bout de quasiment un an. Je suis d’abord restée dans le nord de Paris, puis France Horizons m’a envoyée à Thal-Marmoutier, dans le Bas-Rhin. Avec les autres demandeurs d’asile, on était logés dans un couvent. Un jour, le maire de la commune m’a demandé ce que je voulais faire. J’ai répondu que je voulais courir, alors il m’a emmenée au magasin pour acheter des chaussures, une tenue de course, et m’a accompagnée au club d’athlétisme de Saverne, à quelques kilomètres de là. C’est comme ça que j’ai commencé à courir… »
À quelques mètres de là, dans l’ombre des travées du stade bayeusain, la décontraction de Cindy Ngamba tranche avec la réserve de Farida. De par son enfance passée à Douala, la capitale économique camerounaise, la boxeuse de 26 ans parle couramment français, mais elle préfère s’exprimer en anglais. Elle aussi a découvert son sport de prédilection dans son pays d’adoption, le Royaume-Uni. Cindy avait 11 ans quand elle est arrivée à Bolton, près de Manchester, pour rejoindre son père, avec le reste de sa famille. « J’ai toujours été une enfant très sportive. Au Cameroun, je jouais au football avec les garçons. Je restais collée à mon grand frère comme si on était jumeaux ! En arrivant en Angleterre, j’ai rejoint une équipe de foot féminine. C’était bien, j’aimais bien ce sport, mais ce n’était pas assez « challenging » pour moi. »
C’est à l’âge de 15 ans qu’elle entre par curiosité dans une salle de boxe et trouve sa voie. « Moi qui étais calme, introvertie, en manque d’assurance, j’ai pu faire entendre ma voix et exprimer ma personnalité. Ça m’a fait du bien au niveau physique et psychologique. J’avais du mal à m’adapter à mon nouveau pays. La boxe m’a aidée à libérer mon énergie et à me sortir de mon quotidien. » Car à l’époque, Cindy vit une période tourmentée. En plus du climat et de la langue, la lycéenne doit affronter les moqueries de ses camarades de classe et les refus successifs à ses demandes pour obtenir le statut de réfugiée. À 20 ans, lors d’un banal rendez-vous avec les services d’immigration, elle et son frère sont arrêtés et envoyés dans un centre de détention de Londres. Lesbienne, la jeune femme craint alors d’être renvoyée au Cameroun, où l’homosexualité est criminalisée. Mais heureusement, elle et son frère sont relâchés au bout de 48 heures…
« La boxe, c’est la partie la plus facile »
Deux ans plus tard, soit dix années après son arrivée en Angleterre, Cindy Ngamba obtient enfin le statut de réfugiée. Entre-temps, la boxeuse a remporté ses premiers combats et même décroché le premier de ses trois titres nationaux en 2019, dans la catégorie des 75-81 kg. Depuis, elle a fait ses preuves au niveau international et occupe le troisième rang au classement mondial des -75 kg. Pourtant, elle a été surprise par cette première sélection au sein de l’équipe olympique des réfugiés. « Je n’ai jamais pensé aux Jeux Olympiques, je n’y jamais cru, même si c’est le rêve de tout athlète professionnel ou amateur, confie la jeune diplômée en criminologie. C’est seulement lors de mon deuxième tournoi de qualification olympique à Milan, après mon dernier combat, quand on m’a levé la main et que le speaker a annoncé ma qualification, que j’ai réalisé que j’allais y participer. »
« Je n’ai jamais pensé aux Jeux Olympiques, je n’y jamais cru. »
Quand on lui demande si elle a une chance de médaille, elle riposte sans attendre. « Je suis la première boxeuse réfugiée de l’histoire à m’être qualifiée aux Jeux. J’ai dû me battre très dur pour y arriver, ce n’est pas quelque chose qu’on m’a juste donné. Alors maintenant que j’ai mon ticket, je vais livrer le meilleur de moi-même, vider tout ce que j’ai dans le réservoir, pour gagner une médaille. Pour me défendre, je saurai trouver des parades à tout ce que mes adversaires mettront à table. Je suis quelqu’un qui sait s’adapter, tout comme je me suis adaptée dans la vie. J’ai eu d’innombrables hauts et bas depuis mon arrivée en Angleterre, alors pour ce qui est de la boxe, c’est la partie la plus facile, j’ai l’impression, comparé à ce que j’ai traversé dans ma vie… »
Cindy Ngamba est devenue la première athlète de l’équipe olympique des réfugiés à gagner une médaille (de bronze) aux Jeux Olympiques de Paris. |
Pour Farida aussi, l’adaptation à la vie française a été compliquée. Après quelques mois au club d’athlétisme de Saverne, dans le Bas-Rhin, elle suit un ami soudanais à Strasbourg, non loin de là, pour s’entraîner dans un club plus important. Mais l’expérience tourne court. À cause de la barrière de la langue et de la jalousie d’autres athlètes, Farida, qui manifeste d’évidentes qualités athlétiques, s’éloigne des pistes. « J’ai arrêté de courir pendant trois mois. J’ai repris la course seule, autour du canal. Un jour, un entraîneur que je connaissais, Gérard Muller, m’a proposé de venir à l’AS Strasbourg, un autre club de la ville. J’ai repris avec lui, en 2019, et là j’ai fait des progrès à l’entraînement et en français. Grâce au club, j’ai aussi trouvé du travail : animatrice sportive, agente de sécurité, femme de ménage, ouvrier d’usine. Là, ça fait deux ans que je travaille dans la même entreprise. Les horaires sont difficilement compatibles avec l’entraînement, ça change tout le temps, mais je m’accroche. »
Sa persévérance a fini par payer. Ces cinq dernières années, Farida a participé à de nombreuses compétitions, d’abord locales, puis elle s’est rapidement illustrée au niveau national. Fin mars 2024, elle a même pris une honorable 62e place aux Mondiaux de cross à Belgrade. Focalisée sur l’obtention de la nationalité française, l’athlète de 30 ans n’avait cependant pas en tête, tout comme Cindy, de participer aux Jeux Olympiques sous le drapeau de l’équipe des réfugiés. Ce n’est qu’à l’automne 2023 qu’elle découvre cette possibilité à travers un ami. Tout va alors très vite. « J’en ai parlé à mon coach. Il a discuté avec le président du club (Matthieu Puech) qui a tout de suite fait les démarches. C’était mon rêve de participer aux Jeux. Je ne savais pas comment, mais j’avais dit à mon entraîneur, quand on a commencé l’entraînement en 2019, que je ferai tout ce qu’il faut pour y arriver. »
« C’était mon rêve de participer aux Jeux »
En janvier 2024, Farida intègre la liste des 70 sportif(ve)s réfugié(e)s soutenu(e)s financièrement par le CIO. Début mai 2024, elle apprend sa sélection pour l’épreuve du 1 500 m de Paris 2024. Les séries sont prévues le 6 août. Pour Cindy Ngamba, l’émotion est encore montée d’un cran quand elle a été nommée, le 23 juillet, porte-drapeau féminine de l’équipe olympiques des réfugiés. Elle entrera en lice le 31 juillet.
EOR : une équipe qui prend de l’ampleur
Après Rio 2016 et Tokyo 2020, Paris 2024 est la troisième édition dans l’histoire des Jeux olympiques d’été à inclure une équipe olympique (et paralympique) des réfugiés. Au Brésil, la délégation ne comptait que dix membres, contre 29 au Japon et 37 en France. Ces sportif(ve)s – dont 13 femmes et 14 Iranien(ne)s – ont fui 11 pays différents d’Afrique (Soudan, Soudan du Sud, Éthiopie, Érythrée, Cameroun et République du Congo), d’Asie occidentale (Syrie, Afghanistan et Iran), d’Amérique centrale (Cuba) et du Sud (Venezuela). Au gré de parcours plus ou moins longs et traumatisants, ces exilé(e)s ont trouvé refuge dans 13 pays d’Europe (Royaume-Uni, Allemagne, France, Espagne, Pays-Bas, Autriche et Italie), d’Amérique du Nord (États-Unis et Canada) et centrale (Mexique), d’Afrique (Kenya) et d’Asie occidentale (Israël et Jordanie).
Les membres de l’EOR disputeront leurs épreuves dans 12 sports distincts : athlétisme, judo, taekwondo, canoë-kayak, lutte, boxe, cyclisme, badminton, natation, tir, haltérophilie et break-dance. Comme lors des Jeux d’hiver, ils/elles concourront sous la bannière olympique et feront résonner l’hymne éponyme en cas de victoire – exploit encore jamais réalisé, même si l’un des sélectionnés, Fernando Dayan Jorge Hernandez, a été sacré champion olympique en canoë en 2021 avant de fuir son Cuba natal. Vendredi 26 juillet, lors de la cérémonie d’ouverture sur la Seine, l’Italien Filippo Grandi, haut-commissaire aux réfugiés auprès de l’ONU, a été mis à l’honneur pour son travail en faveur de l’équipe olympique de réfugiés et, à travers cette délégation de 37 sportif(ve)s, les plus de 100 millions de personnes en exil à travers le monde.