novembre 2019

Courir pour survivre

Vincent Guerrier, Léa Dall'Aglio, Sébastien Samson

Il y a trois ans, Vincent, 23 ans, apprend qu’il est atteint d’un cancer. Il découvre alors les bienfaits de l’activité physique dans les traitements. Avec son amie, Léa, journaliste comme lui, ils apprennent que de nombreuses études existent, montrant que bouger permet d’améliorer la qualité de vie du patient et peut contribuer à sa guérison, dans de nombreuses pathologies. Considérant le sport comme un médicament, des médecins et des éducateurs sportifs conjuguent leurs efforts pour créer des programmes dédiés aux patients, tandis qu’au CHU de Caen, de nombreuses perspectives s’ouvrent à la recherche.

On peut être jeune et tomber malade. Assez gravement malade même. Quand on me diagnostique un lymphome d’Hodgkin, une forme particulière de cancer du sang, j’ai 23 ans, et j’apprends, tout comme Léa, à devenir journaliste. Dans la vie, je suis sportif, je ne fume pas, bois quelques verres, mais sans plus. Plus généralement je ne coche pas directement les cases “facteurs de risques” qui seraient responsables, selon l’Institut National du cancer (Inca) de près de 40% des cas de cancers. Ce sont des démangeaisons et une gêne respiratoire qui me sonnent l’alerte, avant qu‘un médecin ne découvre, grâce à une radio, une tumeur qui grossissait entre mes poumons depuis dix mois.

Cette annonce douloureuse tombe alors comme une triste fatalité, un changement de cap totalement imprévu mais que l’on ne peut fuir. Impossible de poursuivre mon alternance qui allait déboucher vers un CDD au quotidien le Dauphiné Libéré. L’année à venir s’annonçait blanche. Comment allais-je me sentir au cours du traitement? Comment bien récupérer et reprendre une vie normale? Difficile d’anticiper. C’est le grand saut dans l’inconnu.

Pourtant, accepter de se faire soigner d’un lymphome d’Hodgkin – une maladie qui touche souvent des patients jeunes mais présente de bons chiffres de guérison -, c’est aussi ne pas chercher à se questionner sur l’origine du mal, mais tout faire pour que la fin soit bonne et heureuse. Pour moi, naturellement optimiste, tout allait bien se passer et je devais garder au maximum une vie normale, la plus proche possible de ma vie d’avant.

Dessin : Sébastien Samson

La question du sport s’est donc rapidement posée. Était-il possible de continuer d’en faire ? Y-a-t-il des précautions à prendre, des gestes, des intensités à éviter ? Autant de questions importantes pour moi et pour mes proches, qui avaient aussi besoin d’être rassurés sur l’évolution de ma condition pendant ces traitements de chimiothérapie et de radiothérapie qui s’annonçaient.

«C’est juste que vous n’allez pas courir de marathon…»

Dans son bureau situé au 4e étape de la tour «Pauséôme», Christophe Fruchart, mon hématologue, prend sa voix la plus douce pour m’énoncer le protocole dans le détail et me parler des effets secondaires. La salle est à peine plus grande qu’une chambre d’hospitalisation. Un lit d’osculation traine dans un coin. Il manquera toujours une chaise si vous venez à plus de deux pour l’écouter. Faire du sport, il ne me le déconseille pas mais semble surtout penser que je n’y arriverais pas.

« Rien n’est prouvé sur le sport. Vous pouvez en faire mais vous savez les traitements vont être durs à encaisser, alors surtout écoutez-vous. »

L’élément déclencheur de cette histoire arrive plus tard, à l’hôpital, lorsque je rencontre le radiothérapeute chargé de me préparer au mieux à ce qui va suivre. Un peu comme la notice d’un médicament, il me fait la liste de tous les effets néfastes de ces “rayons” censés éliminer définitivement toute masse cancéreuse déjà mise à mal par plusieurs cures de chimiothérapie.

Le problème, c’est qu’il y en a beaucoup, des effets indésirables.

Le rayon est comme une bombe atomique : on cible une zone à soigner, mais on peut aussi détruire des cellules saines, détaille-t-il. Dommages collatéraux.

Si jamais cela se produit, il se peut que votre cavité pulmonaire soit moindre, car c’est la zone que nous allons cibler pour traiter la tumeur.

Je sens l’odeur de la mauvaise nouvelle me monter au nez. Pour une fois, je n’hésite pas à poser la question :

-Qu’est-ce que cela peut causer, concrètement ?

Réponse quasi automatique du médecin, coincé derrière son ordinateur et récitant avec un léger accent de sa Roumanie natale :

Vous aurez moins de souffle. Cela arrive à certains de nos patients, plusieurs années après les traitements. Mais ne vous en faites pas, ils vivent très bien avec, ils font leurs courses normalement. C’est juste que vous n’allez pas courir de marathon…

-Peut-on récupérer ces facultés ?

-Ah non, c’est irrémédiable.

Je me suis tu.

Dessin : Sébastien Samson

Si la consultation s’est poursuivie, je n’en ai aucun souvenir. Je n’avais plus que ça en tête. Finies les courses de vélo ? Finis les défis sportifs ? Fini de faire battre mon cœur jusqu’à ce que mes limites soient repoussées, encore et encore ? Sans doute cette annonce, qui n’est en soit qu’une probabilité, fut plus dure à encaisser que le diagnostic du cancer.

J’appelai Léa en sortant de la consultation, lui faisant part de mon immense chagrin. Elle eut, instinctivement, la réaction la plus contre-intuitive possible : « Nous allons nous entraîner et tu vas le courir, ce marathon, peu importe le temps que cela prendra ! »

Enfin une bonne nouvelle.

“Oui, faites du sport, mais surtout, écoutez votre corps.”

En cette fin d’année 2016, nous voilà partis sur les sentiers de course à pied autour de Caen. D’abord 20 minutes, 30 puis rapidement une heure de course à pied. Une reprise du sport en douceur qui va de concert avec le début de mes séances bi-mensuelles de chimiothérapie. Si les premières séances sont difficiles et que mon état me semble bien faible, ma progression est rapide et je me sens de mieux en mieux au fil des semaines. Ce que disent les médecins ? “Oui, faites du sport, mais surtout, écoutez votre corps.” Message reçu.

Dessin : Sébastien Samson

Les premiers traitements sont les plus durs à encaisser. Une fois les produits actifs dans le corps, un effet “gueule de bois” s’installe durablement pendant trois voire quatre jours. Difficile alors de sortir du lit, de réfléchir, de lire et même de tenir de longues conversations. Le cerveau est embrumé, le corps un peu à plat. Mais quand Léa me sort de ma léthargie en me mettant mes baskets, nous nous rendons compte que je récupère mieux. De mieux en mieux. La gueule de bois de quatre jours se réduit à deux jours à mesure que mon entraînement sportif se concrétise. Ma fatigue est moins importante et je retrouve des sensations d’un jeune homme tout à fait normal, ou presque. Des sensations qui vont à contre-sens des mises en garde de mon hématologue qui m’avait annoncé des fins de traitements difficiles avec l’accumulation.

Je termine les chimiothérapies et la radiothérapie en forme et avec une tumeur quasi-invisible au scanner. «Je devrais faire une étude sur vous», rigole le spécialiste. Au milieu du mois d’avril, je suis en rémission. Avec Léa nous sommes heureux. Moi je ne saute pas encore au plafond. Après huit mois de traitements, je sais que mon heure de gloire interviendra trois semaines plus tard, au départ du marathon de la Route du Louvre, entre Lille et Lens. 42 kilomètres bouclés avec peine, en 4h28. Ma vraie rémission à moi.

Vincent est interrogé par France Bleu le lendemain de son marathon.


À ce moment-là, Léa et moi sommes curieux : est-ce vraiment le sport qui m’a permis de bien vivre ces traitements que l’on annonçait difficiles, ou bien ai-je eu de la “chance” ?

Réflexe de journalistes, nous nous documentons, empruntons des livres sur le sport-santé et nous découvrons des études qui nous paraissent trop belles pour être vraies.

Oui, l’activité physique (AP) réduit la fatigue, améliore la qualité de vie et permet de maintenir la masse musculaire du patient, tout en jouant positivement sur son moral. Oui, on propose déjà du sport à des malades depuis plusieurs années et les autorités de santé le recommandent. Plus incroyable encore, tout cela est largement démontré, prouvé par de multiples études scientifiques. Sur certains cancers, le risque de rechute baisserait même de 20 à 40 % selon les intensités d’activité physique.

Un sujet vidéo réalisé par France 3 sur l’histoire de Vincent et Léa.

C’est un nouveau monde qui s’offre à nous. «Mais pourquoi personne ne nous en a parlé jusqu’à présent ?» demandais-je à Léa. «Je ne sais pas, mais nous devons en parler.»

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