Janvier 2023

Pédaler pour ne pas tomber

Lucille Derolez (texte) - Yannick Lecoeur (dessins)

Du jour au lendemain, la vie de Tristanne a été bouleversée. Sortie vivante d’un grave accident de voiture sur le périphérique de Caen en novembre 2021, cette grande sportive n’a pas attendu les six mois d’attente annoncés pour commencer sa rééducation au CHU. Elle a choisi le vélo pour l’accompagner jour après jour et l’aider à redonner vie à son corps et à son esprit.

Penser à sa seule sortie de la journée, celle qui change des rendez-vous médicaux devenus quotidiens. S’y préparer physiquement, mentalement. Espérer trouver un endroit calme, avec peu de gens parce qu’il faut gérer ses problèmes de concentration et ses difficultés d’élocution. Expliquer que la rencontre ne pourra pas durer longtemps parce que désormais on ne tient plus. Des pensées auxquelles Tristanne, la quarantaine, essaie de s’habituer depuis maintenant plus de six mois. Elle prend tout de même le temps de raconter son histoire au cœur de laquelle se trouve sa béquille, son nouveau souffle qui lui permet de se raccrocher à la vie et dont elle n’imaginait pas sa force : le vélo.


Tout commence un 18 novembre 2021. Tristanne est au volant de sa Picasso, sur le périphérique de Caen. Il y a du monde, une voiture freine devant. Tristanne réagit, derrière elle c’est trop tard. « C’est un accident banal au final. Ça a tapé devant, dans la rambarde centrale aussi. Ma voiture s’est retrouvée écrasée, mon corps s’est contracté. Les airbags sont sortis, ce qui a provoqué mes trauma-crâniens », raconte avec précision Tristanne.


Direction les urgences où elle y reste quelques jours : « Ils m’ont autorisée à rentrer chez moi car mes constantes ne bougeaient pas. » Elle doit attendre trois mois pour faire un IRM afin que les médecins décident de la suite. Tristanne se dit chanceuse, elle n’a pas de fractures à la suite de cet accident. Mais c’est bien son dos et sa jambe droite, qui, « contractés », vont l’immobiliser à partir de ce jour.

Le vélo-fauteuil au cœur de la rééducation


De retour chez elle en fauteuil roulant, Tristanne est alitée, elle ne peut rien faire et c’est l’enfer. « Je suis d’origine très sportive. Je faisais du badminton en niveau régional. Et à côté de ça, de l’escalade, du vélo, du yoga », détaille-t-elle. Tristanne connaît bien son corps et sent qu’elle peut faire un premier pas en avant, aidée d’une canne, malgré son état vertigineux constant et ses problèmes d’élocution qui apparaissent. De sa propre initiative, elle demande à son médecin des séances de kiné, qu’elle obtient très rapidement. Là-bas, elle fait une rencontre inattendue : « C’est la première fois que le vélo entre en jeu. Il y avait dans le cabinet de la kiné, un vélo-fauteuil ! Je pédalais tout doucement pour que ma jambe retrouve le mouvement, se muscle, et puis pour que ça circule dans le mollet et la fesse qui étaient en béton. La kiné m’a guidée pour choisir une activité que j’aime, observe-t-elle, Or, les gens que j’ai croisé dans les salles d’attente n’ont pas tous des loisirs sur lesquels ils peuvent s’appuyer. »


Fin février 2022, l’IRM est à son agenda. Les résultats sont bons. Le CHU l’envoie vers la médecine physique et de réadaptation. « Malheureusement, c’est la vie mais il n’y a pas de places », explique Tristanne, certainement pas découragée. Elle trouve alors le moyen d’avancer, de son côté. Second pas en avant, elle consulte sa kiné : « Je lui ai demandé si je pouvais tenter le vélo électrique à l’extérieur, mon dos allait un peu mieux. L’effort n’allait pas être surhumain, étant donné le confort qui m’attendait ! »

A la Maison du vélo, le retour du vélo de la Picasso

Problème, le vélo électrique crève. « Je ne sais pas changer la chambre à air d’un pneu arrière d’un tel vélo. J’atterris donc à la Maison du vélo ! Là, je me suis rendue compte des difficultés cognitives que j’avais », relate Tristanne qui y va, étape par étape. Boules quies et casque fixé sur la tête, elle travaille sa mémoire et sa dextérité, accompagnée d’un mécano-vélo qui lui explique mais ne fait surtout pas à sa place. Elle est bien entourée et le reconnaît : « la Maison du vélo, c’est la fête pour ça, c’est un lieu associatif où ils sont habitués à voir toute sorte de gens. » Elle est enthousiaste et éprouve de la satisfaction à chaque tâche qu’elle accomplit. Surtout, elle fait travailler « un truc qu’elle aime bien », qu’elle connaît.

Mais une réparation pour le moins symbolique va la replonger dans le choc de l’accident et lui permettre, dans le même temps, de faire un troisième pas en avant. Car Tristanne n’est pas la seule à avoir été secouée ce jour-là. Dans son coffre, se trouvaient un skate, des rollers, une trottinette et puis un vélo. « Je l’avais acheté quinze jours avant à la Maison du vélo ! Je l’ai ramené, lui aussi s’en était sorti mais la roue avant était morte. On l’a remis en route. J’y ai fait mon premier tour de piste ! Je me disais, ouah, je suis vivante ! », se souvient celle qui rêvait de descentes en forêt et d’aventure, avant l’accident.

En ce mois de juin, Tristanne vient enfin de commencer la médecine physique et de réadaptation au CHU de Caen. Elle sera bientôt déclarée « travailleuse handicapée », une étape à digérer bien qu’elle lui permettra de retrouver du boulot et une « vie normale ». Cette nouvelle vie, elle la construit à Hérouville où elle avale les pistes cyclables, une vraie « bulle d’oxygène ».

Tristanne sait que les quelques pas qu’elle a osé poser à terre ont changé sa vie, jour après jour. « La courbe jusqu’à aujourd’hui, c’est un faux-plat montant ! Je ne connaissais pas ce mot là, mais je crois que c’est ce que les gens entendent par résilience : l’acceptation des choses telles qu’elles sont. Ben oui en fait : y’a pire, y’a mieux. Je prends ce qu’il y a et je suis réaliste. »

Lucille Derolez

Journaliste en formation à Rennes et originaire de la Manche, je suis guidée par cette envie de raconter ces histoires du quotidien qui font notre grande histoire de l’humanité ! Grand-Format m’a donné cette chance d’en raconter quelques unes et j’espère avoir bientôt d’autres occasions de le faire, à travers de nouveaux reportages en Normandie, dans toute la France ou ailleurs !

Yannick Lecoeur

Je suis réalisateur de films d’animation (beaucoup de clips, des ciné concerts…), musicien, et auteur de bande dessinée. Je m’intéresse surtout à mettre en images des expériences de vie, en y ajoutant une touche d’humour et de poésie. En novembre 2022, j’ai sorti ma première bande dessinée « ils sont où les chakras de la poule ? », sur la vie d’une famille de paysans dans le pays d’Auge.

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