Juillet 2021

Valse, potager et vieux château

Mélanie Dornier (texte et photos)

La guinguette de Pont-d’Ouilly est une institution sur le territoire. Depuis plus de 40 ans, alors que les bals de village disparaissent, on vient danser sur les bords de l’Orne dans ce bourg aux portes de la Suisse Normande. Tout le monde en parle, tout le monde le sait, cette guinguette fait partie du patrimoine local. C’est en 1947, que les villages de la rive droite et de la rive gauche reconstruisent le pont détruit lors de la Seconde guerre mondiale pour réunir les deux rivages et former la commune de Pont-d’Ouilly. Ce pont est encore aujourd’hui le point central de de la commune. À l’été 1976, le Docteur Alain Thomas, avec une bande d’amis, décide d’y danser.

À la guinguette de Pont-d’Ouilly, on y vient pour danser, boire un coup et prendre des nouvelles. Dans ce cadre idyllique, on passe son après-midi ou rapidement, l’important n’est pas là. La guinguette, les dimanches et jours fériés d’été, est là.

Elle fait l’animation du village. Il y a les curieux qui regardent le spectacle depuis le pont en écoutant la musique et ceux qui dansent. La vue y est agréable, entre la végétation, les ruines du vieux moulin et le barrage. La brise, le gazouillement des oiseaux et les bruits de l’eau se mélangent aux notes de musique. C’est comme une carte postale: la guinguette que l’on idéalise entre retour en enfance et joies d’adultes.

Le comité des fêtes de la commune organise chaque dimanche l’évènement. L’ex-présidente Mireille Dujardin explique que par beau temps, «il y a plus de 250 personnes qui viennent ici pour passer leur dimanche après-midi. Cela amène du monde dans ce petit bourg de 1 050 habitants». La guinguette résume à elle seule l’ambiance festive de cette commune paisible.

Chaque fin de semaine, c’est la même agitation. Une armée de bénévoles installe tables, chaises et parasols. «La place assise est chère, il faut venir tôt», nous dit Jacques «et pour avoir une vue sur la piste en étant à l’ombre, on n’en parle pas». Pendant ce temps, l’orchestre s’accorde, les premières notes de musique font venir les danseurs. Certains retardataires, prévoyants, apportent même leurs chaises pliables. À 15h, les festivités commencent.

Les orchestres alternent une semaine sur deux. Les connaisseurs ont leur préféré. Jane, apprêtée aujourd’hui d’une robe tournante et hauts talons, nous confie : «Aujourd’hui, le musicien comme le chanteur sont très bons. Moi, je viens que quand c’est eux». Depuis des années, elle danse principalement le rock à la guinguette. À chacun ses habitudes…

Les habitués connaissent le répertoire par cœur, entre valses, paso-doble, tango, samba, rumba, cha-cha-cha, twist, fox-trot…. Il y en a pour tout le monde, tout style de musique. On n’hésite pas à demander sa chanson préférée. Sur la piste, il y a des danseurs qui sont fidèles depuis la fin des années 1970. Les générations se mélangent avec les styles de musique.

Les scooters et motos du coin s’arrêtent au café de l’autre côté du pont. L’ambiance y est plus rock. À la guinguette, dès que le quart d’heure de valse a eu lieu, le rythme va crescendo. Les tubes du top 50 enflamment la piste. En France, la tradition des guinguettes qui a vu le jour dans les années 1900 disparait progressivement dans les années 1960 avec les années yéyé et les longs week-ends.

Au bar, dans la petite cabane en bois, on sert des boissons non alcoolisées et de la bière pression. Le bar est la seule ressource de la guinguette. L’entrée est gratuite et cela est important pour la municipalité qui joue la carte de la convivialité. «N’oubliez pas de consommer», encourage le chanteur entre deux chansons. «Notre cachet est payé avec la buvette, buvez un coup pour nous!»

À la guinguette, on y vient en «habit du dimanche». C’est l’occasion de se montrer et de se faire beau. Aux premières notes, des couples timides se forment sur la piste. Ici, on invite son voisin, tout le monde se connaît un peu. Au bout de deux ou trois danses, les barrières tombent et on s’amuse. Les robes et jupes d’été colorent la piste de danse et les chaussures glissent sur le carrelage.

Dans les représentations collectives, la guinguette est perçue comme un lieu de plaisir, de sociabilité et de détente festive.…. À Pont-d‘Ouilly, «on s’éclate au bord de l’eau depuis plus de 40 ans», s’amuse Marcelle. Les habitués attendent le week-end de la Pentecôte, qui, par tradition, lance la saison. Tout le monde danse avec tout le monde. On y accueille chaleureusement les touristes.

Aujourd’hui, par sa notoriété, l’évènement attire du monde à plus de 100 kilomètres à la ronde. Les amoureux de la danse viennent de la côte vers Deauville, des villes alentours : Caen, Argentan, Falaise, Flers comme du village d’à côté….. «Tout le monde ne part pas en vacances l’été, donc la guinguette c’est un peu un moyen de s’échapper de la routine de la semaine», souffle un fidèle qui lui ne danse que les tangos.

Au comptoir, on discute discrètement des histoires de cœur. À partir d’un «certain âge», il n’est pas si simple de rencontrer des personnes célibataires. Et dans la région, il n’y a pas beaucoup de lieux qui le permettent. Il y a certains codes ici. De mémoire de danseurs, il y a même déjà eu des personnes qui se sont mariées suite à leurs rencontres sur la piste de danse. C’est dur de trouver l’âme sœur…

Monsieur Pierre, un fidèle, vient rompre la routine et la solitude. «Ici, au moins, je vais connaître du monde», confie-t-il. Il habite le village voisin, à quelques kilomètres, un peu excentré. Pendant l’hiver, il a été malade et heureusement il peut encore conduire. «Vous me prenez en photo, vous pourrez me l’envoyer cela me fera un beau souvenir», me dit-il en continuant son chemin. D’une année à l’autre, une bénévole m’explique qu’elle est contente de retrouver les habitués et de prendre des nouvelles des «anciens».

À la guinguette, on vient seul ou en groupe. On y croise voisins, famille, amis… Autour des tables à l’ombre, on se repose, on reprend son souffle et on boit un verre. On parle de la prochaine chanson, mais aussi des nouvelles, des «on-dit », de la météo et de l’actualité… La guinguette, le dimanche, c’est aussi un moyen de voir du monde.

Il y a ceux qui savent vraiment danser, qui courent les bals, qui s’entrainent toute l’année. Et puis il y a les autres. Certains clubs de danse se retrouvent à la guinguette de temps en temps. C’est un bon moyen de pratiquer. Les bons danseurs, on les regarde évoluer avec grâce sur la piste. Pendant plus de trois heures, l’orchestre jouera. On virevoltera, on tournera sur la piste, la musique nous enivrera.

On sera à bout de souffle, on aura chaud et les chaussures feront mal. Mais on en voudra toujours plus, applaudissant l’orchestre avec enthousiasme et bonne humeur. Vers 18h30, c’est la dernière danse. Les bénévoles commenceront à ranger et les danseurs à se dire au revoir. Que la tradition perdure et à dimanche prochain pour des tcha-tcha endiablés… enfin, on l’espère vu les restrictions sanitaires.

Mélanie Dornier

Photographe auteure qui raconte des histoires humaines. Elle puise son inspiration photographique dans la rencontre et le dialogue avec l’autre. Les notions d’identité et de traces sont explorées au cours de projets à travers une narration visuelle emprunte de délicatesse.

Observatrice de la transformation sociale, son activisme esthétique s’engage dans des sujets sociétaux et des valeurs qui lui sont chères. En 2004, elle est diplômée dans le social et lorsqu’en 2007 elle part vivre en Asie, elle y explore la photographie documentaire. De retour en France, en 2017, elle utilise l’appareil photo pour découvrir sa nouvelle région d’accueil qu’est la Normandie. Aujourd’hui, elle alterne projets personnels et des interventions en action culturelle. 

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