novembre 2019

Courir pour survivre

Vincent Guerrier, Léa Dall'Aglio, Sébastien Samson

La pièce n’a rien d’une salle de sport. Un grand lit simple, un pied à perfusion, une petite armoire et une peinture blanche impersonnelle, comme on en trouve dans chaque chambre du CHU de Caen. Une télévision, tout de même, mais qui ne fonctionnera qu’avec un abonnement spécifique. Nous sommes en hôpital de semaine (HDS), dans le service hématologie du CHU de Caen. Un service appartenant au centre anticancer François Baclesse mais implanté dans la tour “Pauséome” du CHU depuis sa création.

Deux fois par semaine, une femme mange en vitesse pour aller de la salle de sport de Baclesse au service hématologie du CHU, où j’ai moi-même été soigné pour mon lymphome. Dans le service, cette coach voit des patients certes volontaires, mais qui n’ont pas le loisir de quitter leur chambre. Ils sont donc en traitement et en subissent souvent les effets secondaires.

La coach, c’est Laury Aulnette. Ancienne basketteuse professionnelle, la jeune femme de 27 ans partage son temps entre le CHU et le centre François Balcesse où elle est employée et donne chaque jour des séances collectives dans la salle de sport située au rez-de-chaussé. La grande brune a l’envergure et les épaules d’une nageuse de haut niveau. En la regardant sortir son petit matériel de sport dans la chambre, on se dit que tout semble simple pour elle. Mais elle connaît bien son affaire. « J’ai fait un master prévention, éducation et santé avant de me spécialiser dans la formation sport après cancer », détaille Laury Aulnette. S’adapter aux capacités du patient est une donnée essentielle pour mieux faire adhérer des personnes qui reprennent parfois une activité après des années d’arrêt.

Hôpital de semaine. Il accueille des patients pour des interventions programmées à courte durée d’hospitalisation.

C’est le cas de Françoise. A 68 ans, elle est soignée en HDS pour une leucémie aiguë. Très engagée dans la vie associative caennaise, elle disait «courir à droite et à gauche» et n’avoir jamais eu le temps de faire du sport pour mon plaisir» avant sa maladie. Quand on lui a annoncé sa leucémie, les médecins et infirmières du service lui ont parlé des bienfaits de l’activité physique. « Les spécialistes n’ont pas toujours le temps de parler d’activité physique. Mais si les infirmières sont sensibilisées, elles peuvent donner des indications, les patients peuvent se renseigner, et moi je peux intervenir s’ils le souhaitent pour un cours de 30 minutes maximum », détaille Laury. Avec sa nouvelle coach, Françoise enchaîne les « squatt », les flexions d’avant bras avec un élastique à résistance. Même les bouteilles d’eau peuvent faire office d’haltères dans cette demie-heure où toutes les parties du corps sont mise à l’épreuve.

Après une longue séance d’étirements, Françoise a le sourire sur son lit :

«Quand il fait beau, je vais marcher avec mes copines maintenant. C’est drôle la vie, parfois il faut un déclic. Il faut être malade pour s’apercevoir que l’on a besoin d’autre chose.»

Dans leur propre chambre, les patients peuvent bénéficier d’un cours d’activité physique (AP) personnalisé. L’initiative est à mettre au crédit du Dr Christophe Fruchart, ancien hématologue du service, qui a réussi à trouver des fonds en 2017 (via France Lymphome Espoir et Pat’a’Mat, deux associations qui viennent en aide aux patients) pour qu’une coach viennent deux fois par semaine dans les chambres du service.

Dans cette grande salle où les vélos d’appartement font face aux tapis de course, ce sont des groupes de malades ou anciens malades – souvent des femmes – qui viennent chaque jour avec l’envie de se dépenser, mais pas que. « La plupart des femmes se sont renseignées sur l’activité physique. Elles connaissent les bienfaits sur la fatigue, sur la récidive. Donc elles viennent aussi pour leur santé », analyse Laury. Venir prendre son médicament, en quelque sorte. Pour celles qui sont hospitalisées, c’est une bulle d’air. Pour les autres, en rémission de leur cancer, l’activité leur permet de se reconstruire progressivement. Car les effets des traitements ne s’estompent pas en serrant une dernière fois la main de son oncologue. «Il faut au minimum trois mois pour revenir à un état normal. Mais retrouver son corps d’avant la maladie, ne plus percevoir une fatigue passagère, reprendre le travail avec la même efficacité, cela peut prendre un an voire des années pour certains», m’avait expliqué le docteur Fruchart en hématologie.

Discrète mais attentive, Laury se déplace de vélo en vélo et a toujours un petit mot. «Un verre d’eau?», «vous voulez souffler?». Dans son groupe, les bénéficiaires sont plutôt énergiques. Entre filles, ça rigole pas mal et la maladie est souvent loin des discussions. Mais il faut aussi garder un œil sur ceux qui débutent. « Il est préférable d’être progressif, car il ne faut pas se dégoûter avec des premières séances trop dures.» Si elle explique que les études sur les bienfaits de l’activité physique mettent en avant l’importance des activités physiques modérées à intenses, elle doit garder un équilibre entre l’acceptabilité par les patients et l’efficacité des efforts qu’elle demande. «Dans l’idéal il faut coupler des activités d’endurance avec du renforcement musculaire et ce au moins trois fois par semaine», explique la basketteuse qui continue sa passion du panier au niveau amateur.

Le muscle, c’est la survie

Sortir du repos total. Voilà ce qu’a également compris Fabrice Jardin, chef du service hématologie du centre Henri Becquerel de Rouen. Avec son équipe, il est l’un des premiers en France à avoir directement fait le lien entre masse musculaire et survie des patients âgés atteints de lymphome, ces cancers du système lymphatique. Son étude montre notamment qu’avec une masse musculaire insuffisante, la probabilité de survie d’un patient diminue de près de 15 %. À cela s’ajoutent une «moins bonne réponse aux traitements et un impact de la maladie plus grand», détaille l’hématologue.

Les chercheurs expliquent que c’est le lymphome qui va créer une inflammation, elle-même responsable directement de la fonte musculaire des patients. «C’est à nous de faire attention à ce que les traitements ne soient pas trop délétères et permettent aux gens de bouger. S’ils sont bloqués au lit, cela va engendrer une grosse fonte musculaire», poursuit le spécialiste. Garder une masse musculaire suffisante pour mieux supporter les traitements, voilà une nouvelle qui a fait écho à la communauté médicale qui ouvre de plus en plus de créneaux de sport dans les hôpitaux de France.

Même si ces patients de la salle de sport viennent à Baclesse sur les conseils de leur médecin ou encore parce qu’ils se sont informés eux-mêmes, ce sont principalement ceux qui se sentent en capacité de faire de l’activité physique. Se challenger soi-même alors que l’on vit une profonde période d’incertitude à cause de la maladie, c’est parfois plus délicat pour d’autres qui préfèrent le repos. «L’idée qu’un patient reste allongé dans un lit toute la journée à attendre ses traitements est révolue. Maintenant on doit lui proposer de sortir du lit -ou non- pour faire de l’activité physique », nous lançait avec ferveur le Dr Desvergée depuis son plateau technique du CHU où il officie en médecine physique et réadaptation.

Garder le moral, changer d’air… Pour moi comme pour beaucoup de patients, l’expérience du sport redonne confiance. Mais si on le pratique, c’est aussi que la science est unanime : rester actif améliore nos chances de survivre face au cancer. Grâce aux chercheurs, il pourrait bientôt être utilisé comme un médicament à part entière…

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