Septembre 2022

Tranches de vie-rois•es

Simon Gouin/Emmanuel Blivet/Participants à la résidence

«Il ne fallait pas faire d’erreur, car cela pouvait être fatal.»

Il y a quelques années, Jean Garnier a écrit un livre sur son histoire, pour ses enfants, ses petits-enfants et ses arrières petits-enfants. Il y raconte notamment les années d’occupation, les bombardements de Vire et l’exode, entre 1939 et 1945. A aujourd’hui 90 ans, aux côtés de son épouse Louisette, il s’en rappelle «comme si c’était hier».

Ecoutez Jean Garnier

«Je suis encore de ceux qui ont connu cette période de la guerre 39-45. A cette époque, on a été très marqués. La preuve, c’est que je suis dans ma 90ᵉ année et je m’en rappelle encore, comme si c’était hier.

Quand Vire a été bombardée, le 6 juin 1944 (400 civils sont morts et 400 autres ont été blessés, ndlr), les Virois se sont fait évacuer et se sont retrouvés surtout à La Lande Vaumont, Saint Germain de Tallevende et Maisoncelles. Puis certains sont arrivés à Truttemer. Moi je suis né en 32 ; j’avais douze ans. Ce qui a le plus marqué les gens de la région, c’est que la clinique de Vire s’est installée à Truttemer. Et l’hôpital, avec les chirurgiens et les médecins avait un bloc opératoire à l’école des garçons. Les gens étaient désemparés, ils arrivaient dans notre village. Avez-vous untel? C’était affreux, c’était la panique. On était à huit kilomètres environ à vol d’oiseau de Vire. Le sol tremblait.

Les tracts tombent à Saint-Sever plutôt qu’à Vire

Le lendemain matin, on avait une nuée de papiers de Vire, des factures, des tas, qui arrivaient sur Truttemer parce que le vent était propice sans doute à nous les envoyer. On retrouvait des noms de Vire, c’était incroyable. Certains papiers étaient un peu brûlés, d’autres n’étaient pas brûlés du tout. La veille, mon oncle, était à Saint-Sever, où il a récupéré des tracts qui avaient été lancés par les Américains qui prévenaient du bombardement, en disant «quitter la ville». Normalement, ces tracts devaient tomber sur Vire. Mon oncle en a ramassé et il en a donné à ses voisins. Il est parti à Domfront avec sa famille. Quand les bombardements ont débuté, mon père s’est dit: «mon frère, qu’est-il devenu?» Il voulait prendre son vélo et aller le retrouver. On l’a dissuadé d’y aller. Oui, c’est un des seuls qui a cru les tracts qui étaient lancés.

Dans la ferme, on avait deux couples de Vire qui habitaient les Monts de Roullours, et ils ne sont pas restés longtemps. Ils sont partis dans la famille ou chez des amis. Le maire de Truttemer, Alfred Halbout, qui était conseiller général et un cousin, a demandé à mon père s’il acceptait de recevoir la famille du président du tribunal de Vire, Monsieur Séché. Ils sont venus à la ferme, et lui, tous les jours, il allait et venait à la mairie de Truttemer, à pied, pour son travail.

Avant les bombardements, Alfred Halbout allait souvent à la Kommandantur. Un jour, il apprend qu’un monsieur de Truttemer avait ramassé des tracts et les avait distribués. Il avait été vendu. Alfred Halbout accroche mon père en lui disant: « Tu vas dire à ce monsieur qu’il brûle tous ces papiers, qu’il ne garde rien du tout». Et deux-trois jours après, il y a eu une descente des Allemands, ils ont été deux jours à fouiller la maison et la ferme. Il ne fallait pas faire d’erreur, car cela pouvait être fatal.

L’exode

Après les bombardements, les Allemands avaient donné l’ordre de partir avant telle heure, tel jour. D’ailleurs, à Truttemer, il est resté deux ou trois personnes dans le bourg: on les a retrouvées mortes. Nous, nous sommes partis vers le 2 ou le 3 août, à Chanu dans l’Orne. Il y avait un tas d’Allemands qui commençaient à être très nerveux. Mon père attache ses chevaux à des pommiers plantés chez une amie de ma grand-mère et il dit: « Moi, je reste auprès de mes chevaux». Et le soir, il y a un Allemand qui vient et qui veut s’emparer d’un cheval. Mon père refuse : «C’est mon cheval». L’allemand lui met son revolver sur la tempe. Mon père se dit: «ça y est, je vais mourir». Et tout d’un coup, l’allemand a baissé les bras et il est parti. Au bout de quinze jours à Chanu, nous sommes revenus à Truttemer.

Il y avait des mines dans la maison. Dans la cuisine, il y avait de la paille et c’était sous la paille. Mon père a enterré les vaches qu’il tirait avec un cheval. On les mettait dans une grande tranchée. Et puis il faut faire un peu le travail de la ferme. Il faut retrouver des vaches. Mais ce n’était pas facile à trouver parce que c’était très cher.

«Tiens, ils ont embarqué tel monsieur là..»

Les Allemands savaient bien que les Français cachaient certaines choses. Ils ont fouillé les tas de foin mais les paysans mettaient ça dans les tonneaux. Ils enterraient deux ou trois tonneaux comme ça. Et à part si un obus tombait dessus… Ma mère, elle, avait caché ses bouteilles de vin dans le jardin légumier et là, ils les avaient trouvées.

(…)

La peur des Allemands. On avait une peur des Allemands… Dans la région, tout le monde se connaît un peu. On disait «tiens, ils ont embarqué tel monsieur là…» Il ne revenait pas. Mais je dis toujours que nous, on avait un avantage bien sûr, on avait des problèmes aussi, on avait des raids Allemands qui venaient piquer, qui faisaient des réquisitions, etc. Mais on avait à manger, on mangeait à notre faim. Bien sûr, il n’y avait plus certains ingrédients, tout ça, ça n’existait plus, comme le chocolat. On a été quatre ans sans manger de chocolat et on n’est pas mort.»

***

«Ok, on y va, on sauve le baraquement»

Jean-Pierre Dubuche est un passionné d’histoire. Un jour, un ami lui confie une partie d’un baraquement UK-100 de l’après seconde Guerre mondiale, ces petites maisons en bois où des centaines de Virois ont trouvé refuge après la destruction de leur ville. Avec d’autres, et en assemblant les pièces de plusieurs baraquements, il décide de le reconstruire et de le sauver. «L’intérêt, c’est que ce tas de palettes, de panneaux, une fois monté, représentait tout un pan, 25 ou 30 ans de vie à Vire, de centaines et de centaines de rescapés virois.»

Ecoutez Jean-Pierre Dubuche

«Le baraquement, on le monte, on le démonte et on le transporte très facilement. C’est une maison de commande d’urgence. C’est un toit d’urgence pour remplacer, suite aux bombardements de Vire, toutes les maisons qui ont été bombardées, qui ont brûlé, qui ont été détruites. C’est une structure en bois, qui se monte rapidement. Les Américains disaient : avec une équipe, vous pouvez les monter en 6h00 à peu près.

Ils étaient une dizaine, ils avaient l’habitude. Les fondations étaient prêtes et c’était un montage très très rapide. Pas d’étage, pas de sous sol, une petite cave pour ranger du charbon, un poêle, c’est tout. Bien sûr, pas de chauffage central au départ. Pas de grenier, de plain-pied, des vitres de deux millimètres d’épaisseur. Je peux vous dire qu’il faut faire attention…

Ils arrivaient au port de Dunkerque en cinq colis. Un baraquement complet UK-100, c’était cinq énormes colis débarqués par des grues. Ils parvenaient ensuite à Vire, où ils étaient en attente de remontage. Il y en a qui sont restés six ou huit mois stockés parce que c’était la lenteur de l’administration, la lenteur de la reconstruction, de l’attribution aux familles. Donc ça a été très long.

«Ok, on sauve le baraquement.»

Serge Poisson, qui construit l’usine hydroélectrique, est un ami depuis très très longtemps. Dans son usine, il a retrouvé deux baraquements avec des panneaux en double. Cela nous a sauvés. Ils étaient stockés au sec, à l’abri de l’eau, mais stockés pendant 25 ou 30 ans à l’horizontale. Dans son usine, il avait besoin de place. « Mais qu’est-ce que tu vas faire de ça ? », je lui ai demandé. « Eh bien Jean-Pierre, je te le donne. Mais la seule chose, c’est que tu pars avec avec ». Même pas 1 € symbolique, rien du tout. Ça lui faisait un plaisir immense de donner, pas seulement à moi Jean-Pierre Dubuche, mais en tant que membre des collectionneurs Virois. 

J’ai appelé aussitôt le président des collectionneurs Virois parce que moi, je ne suis même pas membre du bureau. Il a dit «Ok, on y va, on sauve le baraquement». On a contacté la mairie de Vire et on leur a proposé le challenge. Ils ont dit: «Ok, on vous aide, on sauve le baraquement».

Il faut savoir que sauver un baraquement, un UK-100 américain, c’est devenu excessivement rare. A Saint-Lô, ils n’ont pas réussi à sauver le leur. A Caen non plus. L’intérêt, c’est que ce tas de palettes, de panneaux, une fois monté, représentait tout un pan, 25 ou 30 ans de vie à Vire de centaines et de centaines de rescapés virois. Certains n’ont connu que ça. Il y en avait 70 à Vire, à une époque. Sachant que dans certains baraquements, il y avait les deux grands-parents qui vivaient, les deux parents et cinq enfants – neuf dans un baraquement comme ça ! Et ils ont vécu heureux. Et puis, il faut dire aussi, que Vire ayant été détruite à 90 ou 95 pour-cent, il ne reste de cette période de 1950 à 1970 que ça. Il y en a qui n’ont strictement rien à faire de sauver un baraquement et il y en a d’autres qui sont nés dans les baraquements.

Après les bombardements, une maison provisoire

Pour toute une partie de la population, c’est une grande période de renaissance. 412 personnes ont été tuées par le bombardement. Pour ceux qui restaient vivants, qui n’avaient plus rien, ils étaient super contents de trouver un baraquement. Même les enfants qui ont vécu là-dedans, ils ont tous été heureux dans ce type de maison. Il y a des familles qui n’avaient plus rien du tout, plus rien à se mettre: elles étaient prioritaires pour vivre dans ce type de baraquement. Et aussitôt qu’une famille était relogée quelque part, aussitôt tu avais une nouvelle famille qui prenait la suite dans le même baraquement américain.

On a extrait les vieux panneaux et on a tout emmené à la Croix-Rouge. Et puis on a commencé à les positionner. Ça, ça doit aller là…et ça ici… Tous les panneaux ont une référence américaine sur l’angle, une lettre avec un numéro. Tout est noté et on a les plans de montage, on a les notices de montage, on sait tout. Donc on sait par où il faut commencer.

Mais on n’avait pas de toiture pour notre baraque. On avait tout, même des fois en double, des panneaux en double; et la charpente, on l’avait, mais pas la toiture. Un jour, on a été interviewés par FR3 Normandie Caen. Il y a quand même des gens qui écoutent bien les informations: on a été repérés par des gens de Caen en nous disant : «mais dans le centre de Caen, là-bas, dans les anciens beaux-arts, près du Château dans le centre, il y a un baraquement, un UK – 100 qui est dans une cour intérieure et qui est en ruine depuis des années». Caen voulait le remettre en état. Et ça ne s’est jamais fait.

On nous a appelés. «Jean-Pierre, tu prends, tu demandes, tu pars avec tout ce que tu veux». Pendant six mois, à deux tournées la semaine, on est allés démonter entièrement le baraquement de Caen, et on a ramené toute la toiture, complète. Le parquet, pareil, nous a été payé entièrement par la municipalité. On avait un nouveau parquet. Dans un autre baraquement, pas loin de Vire, on m’a donné la baignoire d’origine, le lavabo d’origine avec la robinetterie américaine de 1945, le chauffe-eau. Les services techniques m’ont récupéré une gazinière, etc.

Mais maintenant, le baraquement ne nous appartient plus du tout. On l’a donné officiellement à la ville de Vire. C’est la ville qui gère son stockage et qui va gérer après le remontage. On se mettra simplement une belle petite blouse blanche et puis on mettra «expert» dans le dos ou un truc comme ça pour dire aux gars qui remontent: «un peu plus à gauche…», «mets le un peu plus comme ça», parce que ça fait quand même la troisième fois qu’on le monte.

Pour en savoir plus:

– Musée de Vire Normandie

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Georges, coiffeur photographe, 88 ans

Georges Ozouf est coiffeur à Vire depuis 59 ans. A 88 ans, il n’envisage pas de prendre sa retraite. «Ce n’est pas un métier où l’on gagne de l’argent.» Des peintures ornent les murs de son salon situé à côté de la gare. Au fil des ans, Georges Ozouf a assisté à la transformation du quartier et de notre société. Mais il a gardé sa passion: la photographie de la nature.

Ecoutez Georges Ozouf

«Je suis né dans la Manche. J’étais l’aîné de sept enfants. Alors, forcément, arrivé à un moment, il a fallu se décider sur mon métier… A cette époque là, les parents ne supportaient pas qu’on ne fasse rien; il fallait travailler. Mon père m’avait trouvé une place chez un paysan – ça a duré un petit peu de temps. Et une personne m’a dit: «Si ça vous intéresse, je connais quelqu’un qui cherche un apprenti coiffeur». Pourquoi pas! C’était en 1950. J’ai appris le métier. Ensuite, je suis allé à l’armée. J’ai fait mon service militaire et en sortant, j’ai vu dans la presse que quelqu’un cherchait un ouvrier. Voilà comment j’ai atterri dans le Calvados. Je suis là depuis toujours. J’ai été sept ans employé, un peu au-dessus, là, dans la rue. Et ça fait 61 ans que je suis dans ce salon de coiffure…

Ce n’est pas facile de dire: je prends la décision de m’en aller après 59 ans. Je pourrais être à la retraite. C’est un métier un peu délicat parce que ce n’est pas un métier où l’on gagne de l’argent. Enfin, il vaut mieux faire quelque chose qui nous plaît que de faire ça parce qu’on y gagne bien. Il n’y a pas que ça. Enfin, pour moi.

Lorsque je suis arrivé ici, il y avait une trentaine de commerçants dans le quartier. Presque toutes les corporations. Malheureusement, avec les grandes surfaces, tout a été changé. Ce n’est pas facile de donner une vie au quartier. Notre quartier est assez triste.

«Surtout, pas de politique»

Mon maître d’apprentissage me disait: «Surtout, ne fais pas attention au client qui ne vient plus. Tu essayes de faire ton travail pour le mieux.» Dans notre métier, on disait toujours, «surtout pas de politique». Il ne fallait pas déranger les clients. Quand ils venaient il fallait dire «oui, oui». Il faut aller dans le sens du client. On ne peut pas donner ses opinions. Pour chaque client, il faut savoir de quoi parler : l’un aime bien la pêche, il faut parler de la pêche. L’autrefait beaucoup de marche, on parle de la nature et tout ce qui s’ensuit.

Autrefois, on allait chez le coiffeur mais on tenait compte de pas mal de choses. Par exemple, si vous aviez les oreilles décollées, il fallait garder les cheveux pour mieux les cacher. Alors maintenant vous avez vu la mode américaine? Comme si les Français ne pouvaient pas eux-mêmes créer… Pour moi, les Américains, ce n’est pas extraordinaire.

Autrefois, il y avait beaucoup de rasages. Il y avait des gens qui se faisaient raser deux ou trois fois par semaine – au couteau, le grand rasoir. J’allais au domicile de quelqu’un qui était aveugle, et qui ne pouvait pas se raser. Il était content quand je venais. Après, les rasoirs électriques sont arrivés…

La première fois que j’ai vu un tableau de peinture représentant la nature, je me suis dit que c’était formidable. J’ai beaucoup aimé. C’est ce qui fait que je me suis mis à vouloir collectionner dans les vides-greniers… Beaucoup sont surpris de ce que je peux avoir chez moi. J’aime beaucoup les peintres Normands.

Un jour, je me suis mis à la photo. A l’époque, on prenait des photos du gamin qui avait fait sa communion… Les trois-quart du temps, les photos étaient floues, ça ne me plaisait pas du tout. En 1968, on m’a donné un appareil photo à soufflet. Alors j’avais acheté une cellule à part. C’est comme ça que je me suis intéressé à la photo. J’ai de belles photos en noir et blanc de la nature. La nature nous apporte quelque chose…»

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Quand Vire était appelée la capitale du beurre

De la production dans les petites fermes jusqu’à la collecte du lait et sa transformation dans des usines, le beurre raconte une partie de l’histoire de Vire, considérée dans les années 1950/1960, comme la capitale du beurre. Ancien dirigeant de l’usine Préval, Hervé Battistoni retrace cette aventure industrielle.

Ecoutez Hervé Battistoni

«La tradition ancestrale était de faire le beurre directement à la ferme et de garder tout ce qui était sous-produits du beurre pour l’alimentation des veaux, des cochons, etc. Il y avait un travail en autarcie complète dans de petites exploitations de production de lait du Bocage.

A partir des années 1935, l’un des deux fondateurs de Préval qui avait travaillé aux États-Unis et en laiterie a donc proposé à un financier qui avait des crédits, de se lancer dans la production de beurre après pasteurisation des crèmes. Cela permettait d’avoir des qualités sans comparaison avec ce qui existait. On ramassait les crèmes fermières, qui étaient, à l’usine, pasteurisées, dégazées, désodorisées si vous préférez. Cela permettait d’avoir un produit au goût relativement neutre à cette époque. Et en retour, il y avait des tournées de re-distribution du babeurre, le sous-produit du beurre, dans les fermes pour l’alimentation des veaux.

(…) C’était déjà un travail de simplification. Les fermes, les fermières plus exactement, économisaient du temps et n’avaient plus à fabriquer le beurre directement chez elles.

Puis il y a eu le dernier stade de transformation des pratiques à partir de la fin des années 1950, début des années 1960. Écrémer, c’était encore beaucoup de travail pour les fermières. On préférait avoir quelques vaches de plus et on avait donc un peu moins de temps. On a mis en place la collecte directe du lait au lieu de la collecte directe des crèmes fermières. Cela demandait pour les entreprises beaucoup plus de camions, de bidons…

A l’arrivée en usine, il a donc fallu trouver un débouché pour le lait écrémé qui restait auparavant à la ferme. Nous avons mis en place des unités de traitement, soit des fromageries qui prenaient le lait complet, soit des unités de séchage pour faire de la poudre de lait écrémé.

On est donc passés, en moins de 30 ans, de la production de beurre fermier dans les fermes, à la distribution et à la collecte des crèmes fermières par les spécialistes du beurre pour arriver à la collecte et la transformation du lait liquide.

Vous voyez la simplification qui se passait au niveau des fermes ?

Plus de 20 à 25% des emplois virois

Devant les investissements importants, les petites PME préféraient se vendre. Elles n’avaient plus les moyens pour investir. Le groupe Perrier a pris alors de l’importance en achetant une vingtaine de petites entreprises en Normandie et Bretagne. En 1970, je suis arrivé à la direction de l’usine Préval – La Beurrerie Préval de Vire, que j’ai dirigée de 70 à 80 jusqu’à sa fermeture.

On a dit que Vire était la capitale du beurre dans la mesure où pendant les années 50-60, grosso modo, 5% de la production beurrière française sortait des usines de Vire. (…) C’était les grandes heures des «beurriers virois». C’est à ce moment-là qu’ils dictaient le prix du lait sur toute la Normandie et sur une partie de la Bretagne. Je pense que ça représentait aussi plus de 20 à 25% des emplois virois. Et c’était en même temps le passage au niveau emploi des jeunes de la ferme vers la ville et vers l’industrie.

Il y avait alors pas mal de monde dans les fermes. Après le service militaire, il suffisait de passer son permis poids lourd pour être presque certain – si on n’était pas maladroit – de trouver un emploi à l’intérieur de l’usine. L’industrie laitière est passée pendant ces 50 ans de l’artisanat, vraiment artisanal, à l’industrie.

Les «beurriers» ont été en pointe sur le plan de l’hygiène. Un des fondateurs de Préval est revenu des Etats-Unis en 1935. A l’époque, les États-Unis avaient de l’avance par rapport à l’Europe sur le plan des techniques et sur le plan des contrôles. En 1935, quand l’usine Préval a démarré la production de beurre à partir des crèmes, les ouvriers avaient déjà des bonnets pour éviter que les cheveux ne tombent dans le beurre. Ils avaient des gants pour les obliger à penser que s’ils devaient toucher au beurre, on n’y touchait pas n’importe comment. Avec des gants, les ouvriers faisaient un peu plus attention. Et on a continué à éduquer.

Contrôle sur l’hygiène de la fabrication

Mon premier boulot en tant que chef de labo, c’était de former les ouvriers. C’étaient des braves types, qui n’étaient pas idiots et qui, lorsqu’ils arrivaient, n’avaient aucune formation sur l’hygiène nécessaire dans des usines agroalimentaires.

Les « beurriers», qui travaillaient sur des volumes relativement importants par rapport aux autres, ont été les premiers à mettre en place des contrôles sérieux au niveau hygiène de fabrication – en bactériologie, entre autres.

Au fil du temps, on a fabriqué des beurres qui étaient de plus en plus neutres sur le plan du goût. Désormais, il y la mode des beurres salés avec le sel de Guérande ou le sel de l’île de Ré, ou de je ne sais pas où… enfin bref, c’est du «cinéma». Ça vous fait des petits points colorés – comme ils mettent leurs grains de sel – et chaque grain de sel attire l’eau qu’il y a autour. C’est amusant, mais c’est tout. Par contre, vous avez encore des gens qui fabriquent en baratte. Quand vous voyez sur le papier «beurre de baratte», il y a l’obligation d’avoir une maturation biologique avant. On ne peut pas se contenter uniquement d’ajouter des ferments. Vous risquez de trouver des beurres avec un peu plus de goût. Sans ça, cela s’est quand même pas mal affadi.»

Pour en savoir plus:

– Naissance, vie et mort d’une laiterie dans le bocage virois au milieu du XXe siècle : la beurrerie Préval de Vire 1936-1980, Hurel, Claude | Boudier, Raymond | Battistoni, Hervé

Musée de Vire Normandie

– Dictionnaire insolite du Pays Virois,éditions Corlet

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